Depuis presque plus de 20 ans certaines du Mali, voisin du Sénégal sont minées par une insécurité causée par des groupes terroristes. Stig Johansson, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) a passé la loupe sur cette problématique, pour parler notamment des « efforts sans résultats » de la politique de stabilisation du Mali au centre du pays. A l’en croire depuis 2012, le Mali a perdu le contrôle d’une partie croissante de son territoire. Depuis, l’État a tenté de reprendre le contrôle de ces territoires perdus et d’y restaurer sa présence administrative à travers le déploiement de différentes politiques de stabilisation, notamment dans le Centre. À ce jour, ces stratégies semblent avoir globalement échoué. L’État a été en mesure de se redéployer dans les villes du centre du Mali, mais sans capacité à restaurer la sécurité dans les zones rurales, selon l’auteur. Qui estime que la junte a mené ces dernières années l’option du tout-militaire, mais cette solution n’a pas été payante en termes de récupération et de sécurisation durables des territoires, d’autant qu’elle s’est accompagnée d’abus très réguliers contre des populations civiles, éloignant ainsi l’espoir de stabilisation. Stig Johansson a souligné que la logique alternative consisterait à renoncer à la solution du tout-sécuritaire au profit d’une approche recourant au dialogue à base communautaire, pouvant contribuer à l’apaisement des tensions entre communautés et à la levée de blocus à travers des discussions avec les groupes djihadistes.
Pour l’auteur depuis 2012, le Mali a progressivement perdu le contrôle d’une partie significative de son territoire : le nord en 2012, puis une grande partie du centre à partir de 2015. À la faveur des opérations militaires françaises tout d’abord, puis de la remobilisation progressive de l’armée malienne – appuyée depuis 2021 par Wagner – l’État a tenté progressivement de reprendre le contrôle de ces territoires perdus. Différentes stratégies ont été entreprises afin de stabiliser la situation et de restaurer la présence administrative de l’État de manière durable.
À ce jour, ces stratégies semblent avoir globalement échoué. L’État a été en mesure de se redéployer dans les villes du centre du Mali, mais sans capacité à restaurer la sécurité dans les zones rurales. À la faveur des violences contre les populations civiles – perpétrées tant par les forces armées que par les groupes d’autodéfense – qui n’ont jamais cessé depuis 2015, l’État n’a pas su restaurer la confiance avec les populations dans ces zones rurales, en dépit de dispositifs dédiés à la réconciliation.
Ce Briefing part du postulat que la solution est à chercher au niveau d’une approche territoriale intégrée de type nexus humanitaire-développement-paix (HDP). Le principal défi est celui de l’articulation entre ces trois dimensions, et jusqu’ici l’équilibre n’a pas pu être trouvé que ce soit par l’État ou par ses partenaires internationaux. Cette analyse propose de passer en revue l’ensemble des stratégies déployées au centre du pays pour progressivement permettre le redéploiement de l’État malien, sans succès à ce stade.
La stabilisation au Centre : une cacophonie institutionnelle
Stig Johansson souligne que la déstabilisation du centre du pays à partir de fin 2014 a imposé à la fois une réponse sécuritaire afin de faire face au développement des violences djihadistes mais aussi une réponse d’ordre communautaire afin de freiner la dynamique d’affrontements entre communautés. Après les graves violences survenues en juin 2016 à Malémana (région de Ségou), une mission des bons offices est mise en place pour obtenir une trêve entre les groupes armés et les chasseurs Dozo de la zone. Dès lors, les différentes institutions maliennes vont s’emparer du dossier du Centre, cherchant toutes à contribuer à un objectif de stabilisation sans aucune concertation ni pilotage stratégique, ce qui jusqu’ici n’a jamais permis d’atteindre l’objectif recherché.
Tout d’abord, à la suite de la mise en œuvre de l’accord pour la paix d’Alger signé en 2015, la Mission d’appui à la réconciliation nationale (MARN) est créée suivant le décret n° 0367/PRM du 28 avril 2017. Elle est placée sous l’autorité du ministre en charge de la réconciliation nationale. Encore aujourd’hui, la MARN dispose d’un dispositif institutionnel sur l’ensemble du territoire, comme nous le verrons ultérieurement.
Peu de temps après la MARN, le ministère de la Sécurité s’empare à son tour de la problématique et conçoit en 2017 le Plan de sécurisation intégré des régions du Centre (PSIRC)3, pleinement soutenu par l’Union européenne (UE) et présenté comme la vitrine de ce qui pourrait fonctionner pour sécuriser et stabiliser le centre du pays. Le PSIRC est structuré autour de quatre composantes : sécurité, gouvernance, développement socioéconomique et communication.
En janvier 2018, le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga, qui avait été informellement un des concepteurs du PSIRC, présente sa politique générale et formalise une stratégie de stabilisation qui intègre pleinement le dialogue communautaire et avec les groupes armés, en donnant officiellement mandat, pour y parvenir, à une organisation non gouvernementale (ONG), le Centre pour le dialogue humanitaire.
En 2019, plusieurs initiatives concomitantes sont initiatives engagées, destinées à renforcer la coordination des efforts dans concomitantes sont
le centre du Mali, dimension essentielle pour une stratégie qui se engagées veut « intégrée ». Or, ces initiatives accentuent la cacophonie existante. La présidence de la République crée la Mission du haut-représentant du président de la République pour le Centre, confiée à l’ancien président Dioncounda Traoré, qui a pour mandat de rapprocher les acteurs en conflit au centre du Mali : promouvoir le dialogue inter- et intracommunautaire, et contribuer à l’instauration et au maintien d’un climat de confiance entre les communautés et les institutions étatiques. La nécessité que la présidence reprenne en main et assure la coordination du dossier du Centre ne faisait aucun doute, mais Dioncounda Traoré n’a jamais réussi à s’imposer face aux autres ministères. Après le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta (dit « IBK »), le bureau a été fermé.
En parallèle, à la faveur de sa nomination comme Premier ministre, Boubou Cissé créé le Cadre politique de gestion de la crise du Centre (CPGC) en juillet 2019. La mission du CPGC est d’assurer la coordination aux niveaux stratégique et politique de l’ensemble des efforts de stabilisation du Centre. Le Cadre a été contesté par des ministères qui souhaitaient garder leur autonomie, mais il a toutefois partiellement réussi à recentraliser une partie des engagements au Centre, en reprenant sous la coupe de la primature le PSRIC, en redynamisant la MARN et en impulsant une dynamique de dialogue communautaire destinée à compléter les efforts de stabilisation. Le CPGC a également mis en place un cadre de concertation avec les partenaires techniques et financiers, et développé un guichet financier unique pour recentraliser les actions de ces derniers.
Les efforts du CPGC ont été très largement balayés par le coup d’État de mai 2021. La dynamique première a été poursuivie à la suite du premier coup d’État d’août 2020, l’ambassadeur Diarra ayant prolongé sa mission jusqu’au second coup d’État. Les nouvelles autorités de transition ont conçu, fin 2021, une nouvelle Stratégie de stabilisation des régions du Centre (2022-2024) construite autour de quatre piliers qui reprennent ceux déjà contenus dans le PSIRC. Toutefois cette stratégie est largement une coquille vide en raison de la baisse des financements internationaux et des activités non militaires au centre du pays. Les nouvelles autorités ont en effet priorisé l’approche militaire en vue de reprendre le contrôle du Centre, multipliant les actes de violence contre les populations civiles sans jusqu’ici parvenir à sécuriser cet espace. Cette dynamique n’est que partiellement nouvelle, elle reflète surtout une tendance observable depuis 2016, à savoir qu’en parallèle des efforts désorganisés des différents ministères, l’armée malienne a fait prévaloir une approche essentiellement militaire qui n’a jamais été pleinement intégrée à la stratégie de stabilisation. Aujourd’hui, l’opération Maliko, lancée en janvier 2020, est présentée comme la plus importante opération antiterroriste conduite, couvrant les
régions des Koulikoro, Ségou, Mopti et Tombouctou. Elle s’est
initialement traduite par une mobilité renforcée dans des bastions djihadistes peu ou pas explorés depuis 2016, mais faute de ressources suffisantes l’opération s’est progressivement enlisée et n’a pas permis de reprendre le contrôle des zones perdues au profit du Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM).
Si les autorités ne sont jamais parvenues à piloter une stratégie de stabilisation qui soit véritablement intégrée, les causes de cet échec sont nombreuses. Elles tiennent d’une part à la faiblesse de la présidence qui n’a jamais pu s’imposer face aux ministères sectoriels dont l’appétit était largement lié aux intérêts budgétaires associés à l’enjeu de stabilisation du Centre, conduisant les acteurs à vouloir s’imposer sur ce dossier stratégique pour le pays et nourrissant les filières de corruption et de détournement existant dans le pays. Elles tiennent également au manque de rigueur dans le choix des acteurs à impliquer, là aussi souvent sous couvert d’intérêts financiers présumés. Enfin, la rotation des acteurs politiques en charge du dossier est un facteur clé, les changements de gouvernement (2018, 2019) ou de régime (2020, 2021) étant un frein à la continuité de gestion de la situation au centre du Mali.
Il convient toutefois de s’attarder sur trois composantes de cette stratégie de stabilisation, créées chacune en 2017, qui méritent une lecture plus attentive : le Plan de sécurisation intégré des régions du Centre (PSIRC), la Mission d’appui à la réconciliation nationale (MARN) et le démarrage du dialogue avec les groupes armés.
Le PSIRC, pilier de la stratégie intégrée des autorités maliennes depuis 2017
Selon l’auteur, le gouvernement de la République du Mali a élaboré en 2017 un plan de sécurisation intégré des régions du Centre, le PSRIC6, porté par le ministère de la Sécurité et de la Protection civile, structuré autour de quatre composantes : la sécurité, la gouvernance, le développement socio-économique et la communication. Les 12 Pôles sécurisés de développement et de gouvernance (PSDG) mis en place dans les régions concernées ont cette vocation intégrée : ils constituent des bulles de sécurité autour desquelles il est envisageable de concevoir des actions de reconstruction et de développement socioéconomique. L’UE en a fait son projet phare (à travers le PSDG de Konna) en matière de stabilisation, convainquant d’autres partenaires de soutenir le processus et de penser des actions en soutien à celui-ci. En mars 2021, le Secrétariat permanent du CPGC a décidé que les PSDG devaient être étendus, avec la création à terme de 20 PSDG : 8 dans la région de Ségou et 12 à Mopti.
Les autorités soutiennent que les PSDG ont permis le renforcement de la présence des forces de sécurité, le retour effectif de l’administration (sous-préfet) et le redémarrage des activités économiques dans les localités concernées. Toutefois, cette stratégie consistant à créer des îlots de sécurité a d’importantes limites, puisque jusqu’ici les autorités maliennes n’ont pas réussi à mettre à profit ces PSDG pour restaurer la sécurité dans les zones périphériques des PSDG. Le « succès » des PSDG reste essentiellement urbain, sans capacité à restaurer la sécurité dans les zones rurales. Plus largement, le PSRIC contribue à accroître la division entre zones urbaines – jusqu’ici sécurisées, où la présence de l’État est assez effective et se traduit par un accès aux services de base – et les zones rurales, où l’État est absent et manifeste sa présence essentiellement par un visage répressif, caractérisé par les arrestations et les exécutions sommaires. Le PSRIC n’est pas parvenu à améliorer la cohésion sociale et à pacifier les zones rurales où se forment et se nourrissent les insurrections djihadistes. Il semble toutefois avoir renforcé le sentiment de sécurité des populations du Centre, probablement surtout urbaines, selon les enquêtes de perception réalisées par le SIPRI8. En matière de délivrance des services publics, l’impact du PSIRC semble être très limité si l’on en croit les études de cas réalisées, notamment à Konna. Aucune évaluation du PSIRC n’a été jusqu’ici réalisée9. Le redémarrage des services publics et des activités génératrices au Centre a toutefois fait l’objet d’autres projets en complément du PSIRC, comme le Programme de relèvement et de relance économique (PRRE), le Programme d’actions à impact rapide pour la stabilisation des régions du Centre du Mali (PAIR), le Programme jeunesse et stabilisation dans les régions Centre du Mali (PROJES), ou encore d’autres projets soutenus par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA)
Pourtant, le démarrage de la mise en œuvre du PSIRC en 2018 s’était accompagné d’une stratégie de dialogue et de démobilisation (DDR) des combattants, pensée par le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga, qui avait été informellement très impliqué dans la conception du PSIRC. Tandis que le programme de DDR visait le recrutement de 4 000 jeunes, pas plus d’une centaine a pu être démobilisée. D’une part, ce programme n’a pas été mis en œuvre de manière inclusive, se traduisant par des initiatives personnelles de notabilités qui ont élaboré des listes de jeunes présentés – manifestement de manière infondée – comme des combattants djihadistes. Ces personnes ont été accusées d’être guidées par un intérêt pécuniaire manifeste et un agenda plus ou moins caché de construction de milices à travers ce processus. D’autre part, le processus de DDR a été lancé à la hâte sans s’appuyer sur un processus de dialogue avec les communautés locales, lesquelles, dans les zones rurales, n’avaient aucune confiance en l’État et aux groupes d’autodéfense associés à celui-ci. Cette mission de dialogue, pensée en appui du PSIRC, avait été dévolue à cette époque officiellement par le Premier ministre au Centre pour le dialogue humanitaire.
À partir de juin 2019, le Cadre de gestion politique de la crise au Centre nouvellement conçu et rattaché à la Primature, a cherché à renforcer la dimension « cohésion sociale » du PSIRC. Il a accompagné la multiplication des « accords locaux » conclus entre le JNIM et certains villages. Il a également pour mission essentielle « d’assurer la coordination aux niveaux stratégique et politique de l’ensemble des efforts de stabilisation du Centre » (article n° 2 du décret). De fait, le déficit de pilotage stratégique et de coordination a longtemps été un vrai problème entre les différents ministères impliqués.
La redynamisation de la MARN avec la mise en place de la transition
Stig Johansson rappelle que la MARN, créée en 2017, a pour objectif principal de renforcer la cohésion sociale entre les communautés vivant dans les zones de conflits. Représentée dans toutes les régions, son architecture repose sur deux outils : les Équipes régionale d’appui à la réconciliation (ERAR) et les Comités communaux de réconciliation (CCR).
En octobre 2017, les ERAR ont été créées afin d’accompagner les communautés dans la gestion et résolution des conflits inter- et intracommunautaires. Tout comme les CCR – que les ERAR mettront en place dans plusieurs communes du Centre avec l’appui de la MINUSMA de 2018 à 2020 pour constituer des relais locaux –, ils sont composés par les membres de la société civile, des leaders traditionnels, des leaders religieux et des anciens fonctionnaires, mais le choix des membres a souvent été le fruit de nominations des autorités locales ou centrales, davantage que résultant de consultations des communautés. Sans personnalités suffisamment légitimes et susceptibles d’être écoutées par les acteurs en armes, la capacité des ERAR à influer sur les dynamiques locales a été modeste. La MARN n’a donc pas pu jouer un rôle effectif de prévention des violences et s’est surtout limitée à des missions de sensibilisation |
sans grand impact. Conçus sur la base du volontariat, les CCR, eux, n’ont jamais disposé des moyens de leur fonctionnement. Là encore, loin de jouer un rôle en matière de cohésion sociale, les CCR sont surtout devenus des canaux de remontée d’informations sur l’évolution du contexte sécuritaire.
La MARN a toutefois connu un second souffle avec la création du CPGC, incarné par son nouveau chef, Mahamadou Diouara. Ce dernier a conçu un schéma directeur de la réconciliation nationale qui intègre les 16 instruments et politiques sectoriels et globaux concernant la réconciliation, y compris les différentes stratégies existantes sur le Centre. Ce schéma directeur se double de la mise en place d’un cadre de coordination national trimestriel et d’un cadre régional réunissant tous les bailleurs en vue de coordonner l’action de l’État et celle des différents bailleurs. À l’image du CPCG, la seconde génération de la MARN avait pour priorité de renforcer le pilotage stratégique et la coordination en matière de réconciliation nationale, incluant les aspects de médiation et de dialogue où chaque acteur non étatique opérait à son niveau, souvent avec des tutelles ministérielles différentes et parfois rivales.
Cette impulsion a été brutalement remise en cause par le second coup d’État de mai 2021. Mahamadou Diouara a quitté ses fonctions et les efforts de dialogue ont été largement abandonnés au profit d’une approche essentiellement militaire de la stabilisation du Centre. Aujourd’hui, les ERAR et les CCR existent toujours mais sans aucune capacité d’intervention autonome. Dépourvus de ressources et d’ancrage suffisant, ils s’appuient sur les acteurs associatifs et ONG qui œuvrent dans le domaine de la cohésion sociale. Cela leur permet de jouir d’une bonne visibilité et de marquer la présence officielle de l’État dans ces espaces de dialogue, mais ils restent étroitement dépendants des capacités de ces acteurs.
La négociation d’accords locaux avec le JNIM
Pour Stig Johansson, face à la spirale de violences qui ont avant tout frappé les populations civiles au centre du pays et face à la progression constante du JNIM dans les deux régions de Mopti et Ségou, les communautés ont progressivement cherché à s’entendre, poussant les autorités à intégrer par la force des choses le dialogue parmi les solutions en matière de stabilisation. En 2019, à Kouakourou, puis à Djenné et Ke Macina, des accords ont été conclus entre les populations locales et/ou les groupes d’autodéfense pour définir les conditions d’une coexistence pacifique.
À Kouakourou, ville sous embargo depuis 2017, les populations se sont entendues avec le JNIM pour lever le blocus sur le village et leur permettre de redémarrer leurs activités économiques (cultures agricoles, commerce…). À ce jour, l’accord tient toujours en dépit de turbulences ponctuelles en 2021 après que certains jeunes aient rejoint les Dozo. Les conditions de l’accord sont :
la population de Kouakourou n’a pas de droit de partager des informations avec les FAMAs ; les femmes doivent se voiler ; interdiction de la musique et d’autres loisirs ; ne pas réclamer les biens perdus durant le conflit.
À Djenné et Ke Macina, des accords ont été conclus entre le JNIM et les chasseurs Dozo, autour des points d’engagement suivant : un cessez-le-feu a été instauré et doit être respecté par les groupes ; chaque groupe ne doit pas élargir sa zone d’intervention ; chaque groupe ne doit pas réclamer les biens perdus durant le conflit ; les Dozo sont autorisés à garder leurs armes.
À l’image de l’accord de Kouakourou, cet accord a surtout profité aux populations qui ont regagné une liberté de circulation leur permettant de redémarrer leurs activités économiques en dépit de vives tensions entre les communautés qui n’ont pas été résolues. En 2021, les chasseurs Dozo ont été accusés par le JNIM d’étendre leurs zones d’opération, ce qui a conduit à une reprise des hostilités. Aujourd’hui, l’accord serait toujours effectif, sauf dans les communes de Fakala, Madiama et une partie de la commune urbaine de Djenné.
À partir de 2020, des accords se sont multipliés dans la zone exondée du centre du pays, à partir de Koro, puis de Bankass et Bandiagara. Ces accords, facilités par l’ONG HD qui les rend publics sur son site internet, sont conclus selon des conditions assez similaires les uns les autres, avec pour caractéristique d’être plus contraignants que ceux conclus en 2019, essentiellement parce que le JNIM était davantage en position de force pour négocier. Certains termes de ces accords ne sont toutefois pas mentionnés à l’écrit, mais sont essentiellement oraux : les chasseurs doivent rendre les armes au JNIM ; ils ne doivent plus porter les tenues de chasseurs ; le paiement de la zakat est obligatoire ; le partage d’informations avec l’armée est interdit ; les femmes doivent se voiler ; interdiction de la musique et d’autres loisirs ; les personnes affectées par le conflit ne doivent pas réclamer les biens perdus par le passé.
Dans toutes les localités où les accords ont été signés, les communautés ont repris leurs activités génératrices de revenus (accès aux champs, foires, pâturages, fleuves, etc.) tandis que dans certaines localités, même certains services de l’État sont restés fonctionnels. Dans la majeure partie des zones sous contrôle du JNIM, les services de santé ont été tolérés à la différence de l’école et des autres services. Toutefois, dans certaines localités, les mairies et les écoles ont été maintenus. Ce serait le cas dans les villages de Taga et Gage, dans le cercle de Djenné. Dans certaines communes de Koro aussi, l’école est restée fonctionnelle après la signature des accords avec les djihadistes, comme Madougou, Barapeli et Bondo, selon des sources communautaires.
La conclusion de ces accords, les bénéfices économiques qu’ils apportent aux communautés ainsi que les exceptions qui ont été négociées sont porteuses d’espoir en vu de s’inscrire dans une stratégie de stabilisation véritablement intégrée. La question pendante consiste à savoir jusqu’à quel point les forces de défense et de sécurité sont partie prenante et respectent ces accords. Selon les sources locales, des représentants de l’État ont soutenu ces accords et ont même été représentés à la table des négociations, mais les forces de défense et de sécurité ne sont pas partie prenante de ces accords. Elles peuvent donc continuer à conduire des opérations sans que cela n’affecte la vie des accords. Toutefois, depuis 2022, non seulement Dana Ambassagou s’attaque aux villages qui ont conclu de tels accords, mais l’armée, en multipliant les opérations dans ces villages, les fragilise de plus en plus.
Une méthode de stabilisation encore à trouver
A ce propos, l’auteur estime que les difficultés auxquelles se heurte la stratégie malienne au Centre résultent d’une recherche de stabilisation en parallèle (et non à la suite) du processus de sécurisation. Les approches de stabilisation ailleurs au Sahel se heurtent aux mêmes défis. Dans le bassin du lac Tchad, où une amélioration notable de la sécurité et de la cohésion sociale a été observée depuis 2021 à la faveur d’opérations militaires couronnées de succès et qui engendrent moins de pertes civiles, les stratégies de stabilisation trouvent là aussi des limites. Dans l’État du Borno11 (Nigeria) par exemple, où le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD12) met en œuvre la Facilité de stabilisation régionale en étroite collaboration avec le gouvernorat de l’État, des succès ont été enregistrés : des localités ont été reprises et sécurisées, des populations déplacées y sont retournées, des services sociaux de base ont été reconstruits et des combattants déposent effectivement les armes, mais les autorités peinent à étendre cette stabilisation au-delà de ce qui s’apparente à des « îlots de sécurité ». Bien que sécurisées, les populations sont encore largement privées d’activités économiques porteuses, faute de relance du commerce local et transfrontalier et faute de capacité à accéder aux terres agricoles de manière sécurisée.
Le Mali doit tenir compte de cette réalité pour concevoir sa propre stratégie de stabilisation au centre du pays. Le Mali reste confronté au même défi que celui posé depuis 2016 : être en capacité d’assurer une sécurité humaine, c’est-à-dire apporter une réponse sécuritaire qui ne se limite pas à sécuriser des emprises dans les villes et à conduire des opérations ponctuelles, mais qui permette aux populations urbaines comme rurales de se sentir en sécurité physique face à une diversité de menaces et en sécurité économique en disposant de leurs moyens de production, notamment l’accès aux terres et la capacité à commercer. Jusqu’ici les autorités ont échoué à assurer cette sécurité humaine, et rien n’indique que les développements actuels permettent d’envisager une évolution positive à proche ou moyen horizon.
Synthèse de Salimata SARR