avril 16, 2025
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Sécurité

L’AFRIQUE A L’EPREUVE DU CONFLIT ENTRE ISRAËL ET LE HAMAS : Quelles conséquences stratégiques pour le continent ?

Le conflit israélo-palestinien n’est pas sans conséquences pour le continent africain. Des pays de l’Afrique entretiennent en effet des relations diplomatiques avec Israël qui cherche à les intensifier. Mais la guerre avec la Palestine risque de plomber les efforts de Benjamin Netanyahu sachant que des États africains ont condamné les assauts de l’État hébreu. Cependant il y a une différence de perception de cette crise au sein du continent face aussi aux attaques perpétrées par le Hamas. Pour comprendre tous ces aspects et leurs contours, Marie deVries, Assistante de recherche, à la Fondation pour la recherchestratégique, a réalisé une note intitulée « L’Afrique à l’épreuve duconflit entre Israël et le Hamas : quelles conséquences stratégiques pour le continent ? », dont DakarTimes vous propose une synthèse.

Marie de Vries a d’emblée rappelé que cinquante ans jour pour jour après la guerre du Kippour (6 octobre 1973), Israël a connu l’attaque terroriste la plus meurtrière sur son territoire. Le 7 octobre 2023, des membres armés du Hamas ont pénétrédepuis la bande de Gaza, tuant et enlevant plusieurs milliers de civils. Dans la même journée, le Hamas a annoncé le lancement de l’opération « Déluge d’Al- Aqsa » contre Israël. En réponse, le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou s’est déclaré en guerre et a lancé l’opération « Iron Sword » contre la bande de Gaza pour éliminer le Hamas. Six semaines après avoir refusé toute possibilité de cessez-le-feu, une trêve humanitaire est entrée en vigueur le vendredi 24novembre, permettant la libération de plus de 110 otages israéliens et de 150 prisonniers palestiniens de même que l’acheminement d’aide humanitaire pour la population de Gaza. Une semaine plus tard, vendredi 1er décembre, les combats reprenaient. À compter de cette date, aucune nouvelle négociation n’a pu aboutir à une trêve ou un cessez-le-feu.

La chercheuse ajoute que depuis le 7 octobre 2023, les gouvernements occidentaux concentrent leur attention sur le Proche-Orient. Le risque d’escalade régionale est réel, avecl’ouverture d’un nouveau front au nord d’Israël, impliquant l’Iran. Mais au-delà des conséquences immédiates pour la sécurité et la stabilité de la région, ce conflit comporte des risques mondiaux. L’Ukraine est l’un des perdants évidents de cette guerre. Cependant, le continent africain risque lui aussi d’être affecté. Même s’il est trop tôt pour déterminer de manière définitive les conséquences de la guerre entre Israël et le Hamas sur le continent africain, il est intéressant de s’interroger sur les potentiels risques que ce conflit pourraitcomporter dans les semaines à venir. À ce stade, nous pouvons d’ores et déjà analyser trois incidences pour l’Afrique. Premièrement, une intensification de la menace terroriste du groupe Al-Shabaab en Afrique de l’Est. Deuxièmement, des tensions maritimes dans la corne de l’Afrique. Troisièmement, un risque de « dénormalisation » des relations entre certainspays africains tels que le Maroc et Israël.

Afin de mettre en contexte les risques potentiels pour le continent africain, il est d’abord intéressant de revenir sur lesrelations entre Israël et les nations africaines ainsi que les liens de celles-ci avec la Palestine.

Israël-Afrique : une histoire de relations en dents de scie

Ici l’auteure rappelle que l’histoire des relations entre les pays africains et Israël est complexe et marquée par des périodes de coopération, de tension et de rupture. Avant la guerre du Kippour en octobre 1973, la majorité des pays africains entretenaient des relations cordiales avec l’État d’Israël. Nouvellement indépendants, certains pays africains, en quête de nouveaux partenariats, avaient fait le choix de se tourner vers lui. L’État hébreu bénéficiait en effet d’une « aura anticoloniale » et n’était pas suspecté de penchantshégémoniques, ce qui le rendait attractif auprès des nations africaines. En 1960 et 1961, quinze pays africains avaient obtenu leur indépendance et parmi eux, seules la Mauritanie et la Somalie n’avaient pas établi des relations avec Israël et avaient préféré rejoindre la Ligue arabe. Dès 1963, Israël entretenait des relations diplomatiques avec une trentaine depays, dont le Kenya, le Gabon, le Cameroun, le Tchad, le Congo-Brazzaville ou encore le Nigéria.

De premiers désaccords surviennent lors de la guerre des SixJours en 1967, pendant laquelle Israël occupe le Sinaïégyptien. Néanmoins, la Guinée sera le seul pays à rompre sesliens avec Israël5. En effet, Ahmed Sékou Touré, président dela Guinée à cette époque, entretenait une relation très étroiteavec Abdel Nasser, président de l’Égypte entre 1956 et 1970. Le point de bascule sera la guerre du Kippour en octobre 1973. Entre octobre et novembre 1973, à l’initiative del’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’« ancêtre » del’Union africaine (UA), et de l’Égypte, 21 pays africains ontrompu leurs relations avec l’État hébreu6. Cette rupture a été motivée par la solidarité des pays africains avec l’Égypte, dont une partie du territoire, le Sinaï, était occupée par l’armée israélienne. Par ailleurs, la plus grande crainte des pays africains était de se retrouver isolés sur la scène internationale.S’opposer à l’Égypte et à l’OUA aurait pu comporter le risque de perdre la sympathie du monde arabe. Ils redoutaient que prendre position en faveur d’Israël ne sème la division sur lecontinent7. Ils ont donc pris soin de ne défier ni le consensus à l’échelle du continent, ni les exigences et demandes des États arabes, alliés de l’Égypte. Cependant, en aucun cas les pays africains, à l’exception des pays arabes, n’ont contesté le droitd’Israël à l’existence. À la mi-novembre 1973, seuls leLesotho, le Malawi, le Botswana, l’Afrique du Sud et le Swaziland maintenaient leurs relations avec Israël.

Néanmoins, de nombreux pays africains ont exprimé desdoutes ou des arrière-pensées quant à leur décision de rompre leurs relations avec Israël. Les présidents du Kenya, de la Tanzanie et de la Zambie se sont dits particulièrementpréoccupés quant au risque que la rupture avec Israël ne puisse renforcer la pénétration communiste et islamique radicale en Afrique. D’ailleurs, le 11 octobre 1973, jour de la rupture des relations entre le Burkina Faso et Israël, Joseph Conombo, Premier ministre à cette époque, déclara que la pression et l’humiliation des pays arabes avaient contraint le président du pays, Sangoule Lamizane, à prendre une telle décision qu’ils trouvèrent tous les deux profondément déplaisante. Michel Alladaye, ministre des Affaires étrangères du Bénin, avait quant à lui affirmé que la plupart des États africains n’avaient aucune volonté de nuire à Israël, expliquant qu’ils étaient pris « dans un cycle d’engagements envers les États arabes dont ilsn’ont pas pu s’extraire ». Certains États africains choisiront ainsi de maintenir des relations bilatérales informelles avec Israël. À titre d’exemple, le Kenya, le Ghana, le Togo, ouencore la Côte d’Ivoire ont entretenu des relations avec Israëlpar l’intermédiaire de « bureaux d’intérêt » dans desambassades étrangères, très probablement américaines, pendant plus de dix ans.

De son côté, Israël a surtout profité de cette rupture régionale pour renforcer son soutien diplomatique et militaire au régime de l’apartheid. En 1974, Abba Eban, alors ministre israéliendes Affaires étrangères, déclara : « L’avantage d’êtreexcommunié, c’est que l’on n’a plus rien à perdre et qu’on peut dire ce qu’on pense […]. Les États africains soi-disant libérés sont presque tous une sinistre plaisanterie et uneinsulte à l’humanité […]. Et je me sens mieux de l’avoir dit. Sij’ai à choisir entre l’amitié avec l’Afrique noire telle qu’elleest, et l’amitié avec une nation blanche, qui connaît l’ordre et la prospérité, et où vit une communauté juive florissante, je choisis l’Afrique du Sud ». Israël a su tirer avantage desexportations d’armes, et l’Afrique du Sud d’un accès à des armes de pointe, à une époque où le reste du monde se retournait contre l’apartheid. Selon des documents dévoilés par The Guardian, Israël aurait proposé en 1975 la vente detêtes nucléaires à l’Afrique du Sud13. Beaucoup de paysafricains ont réprouvé cette relation, motivée principalement par des intérêts économiques et militaires, ce qui a sans aucundoute contribué à favoriser leur soutien à la causepalestinienne. Les pays voisins de l’Afrique du Sud, telle laZambie, ont accusé à de nombreuses reprises l’État hébreu d’entraîner les troupes sud-africaines pour combattre les mouvements de libération africains et l’African NationalCongress (ANC), et d’aller à l’encontre des intérêts etaspirations des pays africains14. Cette insatisfaction à l’échelle du continent s’est incarnée, notamment, dans le vote historiquepour la résolution 3379 des Nations unies. En novembre 1975,dix-neuf pays africains ont voté en faveur de cette résolutionaffirmant que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ». Cette résolution ne sera révoquée qu’en 1991. C’était l’une des conditions posées par Israël à saparticipation à la conférence de Madrid, qui a ouvert la voie aux discussions de paix et à la signature des accords d’Oslo en 1993. La poursuite des relations entre Israël et le régime de l’apartheid a été perçue par les pays africains comme une trahison des valeurs anticoloniales d’Israël. Néanmoins, en dépit de cette réprobation publique, et comme évoqué précédemment, des liens informels ont persisté en coulisses.

Dans les années 1980, dans un contexte renouvelé par le traitéde paix entre Israël et l’Égypte (Accords de Camp David) de 1978, le départ des forces israéliennes du Sinaï en 1982 et la déception relative à l’assistance des pays arabes, certains paysafricains révisent leur position. Les relations entre Israël et les pays africains connaissent alors un second souffle. En 1982, le Zaïre reprend ses relations diplomatiques avec Israël. Il sera suivi par le Libéria en 1983, la Côte d’Ivoire en 1986, leKenya en 1988, l’Éthiopie en 1989 ou encore le Nigéria en1992. Le chercheur Léon César Codo souligne que « [l]areprise des relations diplomatiques avec Israël constitue pour tous les pays – ou presque – qui ont renoué à ce jour, un volet à la fois conjoncturel et structurel d’une stratégie d’acquisition ou d’élargissement de ressources politiques au niveau international, pour porter ou tenter de porter solution à des problèmes d’ordre essentiellement interne ».

À la différence des motifs ayant conduit à la rupture des relations en 1973, le rétablissement des relations diplomatiques avec Israël résulte de dynamiques internes spécifiques à chaque pays. L’exacerbation des problèmes économiques et la montée des préoccupations sécuritaires ont créé des conditions favorables au rapprochement. Les économies des pays africains, touchées par l’impact des chocs pétroliers ainsi que la chute des prix des matières premières etl’insécurité alimentaire, ont trouvé en Israël un partenaire.Mais c’est surtout la croissance des préoccupations sécuritaires qui a rouvert la porte à la politique d’Israël en Afrique. Ces inquiétudes ont particulièrement émergé aulendemain de l’arrivée de la gauche au pouvoir en France en 1981, celle-ci prônant une doctrine non interventionniste. Voyant les conflits se multiplier, des États, notamment leZaïre, se sont tournés remplacer le « parapluie » sécuritaire dela France. La menace libyenne dans les années 1980 a elleaussi constitué un facteur déterminant. Le Togo ou encore leLibéria ont trouvé en Israël et le Mossad une sécurité face à laLibye interventionniste de Kadhafi. On peut ajouter à cela la volonté des pays de diversifier leurs partenariats au-delà des États-Unis et de l’Union soviétique. Or, Israël s’est positionné comme une alternative dès les années 1980.

Les accords d’Oslo en 1993 accélèreront cette tendance etIsraël verra se réduire l’ostracisme dont il faisait l’objet. Dans le contexte de cette détente, le Maroc et la Tunisie ouvriront des bureaux de liaison à Tel-Aviv en 1994, marquant une première. Toutefois, ces relations seront interrompues suite à la seconde intifada (2000-2005), amenant un deuxième coup d’arrêt pour les relations diplomatiques entre Israël et lecontinent africain23. En 2002, le Niger a été le premier pays à rompre une nouvelle fois ses relations avec Israël24. À ce jour, les relations entre les deux pays ne sont toujours pas rétablies. Même si, depuis le retour au pouvoir de Benyamin Netanyahou en 2009, Israël a fait des relations avec les pays africains l’une de ses priorités.

Vers une normalisation des relations sousBenyamin Netanyahou

Marie de Vries a, à ce titre, indiqué qu’en février 2016, lorsd’un voyage historique en Afrique de l’Est (première visited’un chef d’État israélien en Afrique depuis cinquante ans), Benyamin Netanyahou a déclaré : « Israël revient en Afrique et l’Afrique revient en Israël ». Depuis son accession au pouvoir, il a joué un rôle clé dans la revitalisation des relations entre Israël et l’Afrique. En juin 2017, lors du 51ème sommet de la CEDEAO, il a été invité à prendre la parole – c’était la première fois qu’un dirigeant non africain était convié à s’exprimer lors d’un sommet de la Communauté. Il s’est félicité du changement d’attitude du continent africain et a exprimé son souhait qu’Israël retrouve auprès de l’Unionafricaine le statut d’État observateur dont il bénéficiait au sein de l’Organisation de l’unité africaine jusqu’en 2002. Son objectif est clair : se tourner vers les pays africains pour « dissoudre cette majorité, ce bloc géant de 54 pays africains, qui est à la base de la majorité automatique contre Israël auxNations unies et dans les organismes internationaux ». Bienque cet objectif soit légitime, il est inexact de penser l’Afriquecomme un « bloc ». Comme le montrent les réactions aux attaques du 7 octobre 2023, les gouvernements africains ne sont pas unis dans leurs positionnements. Il est toutefois important de reconnaître que depuis que Netanyahou a fait du renforcement des relations avec l’Afrique l’une de sespriorités, deux avancées majeures ont eu lieu : l’obtention dustatut d’observateur auprès de l’Union africaine et lanormalisation des relations avec le Maroc et le Soudan.

En juillet 2021, Israël obtient le statut d’observateur de l’Union africaine tant convoité (l’Autorité palestinienne en dispose depuis 2012). Depuis 2002, date à laquelle Israël avait perdu ce statut, le pays n’avait cessé de le réclamer, sanssuccès. L’Algérie et l’Afrique du Sud s’y sont formellement opposées et ont affiché leur soutien à la Palestine. L’Afrique du Sud a jugé choquante la décision de lui accorder le statut d’observateur « en cette année [2021] où le peuple opprimé de Palestine a été persécuté par des bombardements destructeurs et la poursuite de la colonisation illégale sur ses terres ». Cependant, en février 2023, ce statut d’observateur a été de nouveau suspendu après que Sharon Bar-li, directrice générale adjointe du ministère israélien des Affaires étrangères pour l’Afrique, a été expulsée du sommet de l’Assemblée générale30. Il a été expliqué qu’elle avait « été invitée à quitter les lieux » car elle n’était pas conviée à cette réunion31. Israël a immédiatement démenti cette charge et accusé l’Algérie et l’Afrique du Sud d’être derrière ce « coup monté ». Cet événement montre la fragilité des relations entre Israël et les pays africains.

La deuxième avancée dans les relations avec le continent africain a été la normalisation des relations avec le Maroc et leSoudan, deux pays de la Ligue arabe. Sous l’impulsion deDonald Trump, un accord de normalisation a été signé le 22décembre 2020 entre Israël et le Maroc. En janvier de l’annéesuivante, le Soudan a signé les accords d’Abraham en vue denormaliser ses relations avec Israël, qui n’ont toutefois pas encore connu de réel approfondissement. Petit à petit, Israël réussit à rétablir des relations bilatérales avec les pays africains.

Israël a notamment su renforcer sa présence en Afrique enapportant son savoir-faire dans le domaine de la sécurité. Sonexpertise en matière de renseignement militaire et de luttecontre le terrorisme, souvent perçue comme étant parmi les meilleures au monde, intéresse les partenaires africains. Par exemple, lors de la visite de Netanyahou au Kenya en 2016, le président Uhuru Kenyatta a évoqué son intérêt pourl’expérience d’Israël en matière de sécurité et de lutte contre leterrorisme : « Israël doit faire face à ce défi depuis pluslongtemps que nous [Kenya], en tant que pays et dans sa région »34. Israël partage également son expertise sécuritaire avec le Cameroun : le président Paul Biya a eu recours à des unités spéciales de sécurité et militaires formées par dessociétés de sécurité israéliennes pour « réprimer des militants et des membres du groupe Boko Haram ». Par ailleurs, le Bataillon d’Intervention Rapide (BRI), actif dans la lutte contre Boko Haram, a été dirigé pendant de nombreuses années par Ivan Abrahim Sirvan, un ancien colonel de Tsahal, jusqu’à son décès en 2010. Depuis lors, il semble que le général de brigade israélien Baruch Mena soit aux commandes du groupe. Le BRI est également entièrement équipé par l’armée israélienne.

Les pays africains étant de plus en plus demandeurs de partenariats sécuritaires du fait de la dégradation de la situation à l’échelle du continent, l’expertise israélienne leur permet aussi de ne pas être dépendants des Européens ou des États-Unis. Comme l’explique Benyamin Augé, chercheur à l’IFRI, « pour certains pouvoirs africains, utiliser le matériel d’Israël et l’expertise de ses services s’apparente à une garantie d’indépendance et de sécurité face aux ex-puissancescoloniales et permet une solide protection face aux tentativesde coups d’État ». Dans ces conditions, un coup d’État qui emporterait un dirigeant africain protégé par des firmes israéliennes porterait un coup sévère à la réputation d’Israël, en particulier de Tsahal et/ou du Mossad. Les relations avec Israël ne s’expliquent donc pas forcément par une affinitéamicale vis-à-vis d’Israël mais plutôt par une nécessitésécuritaire. Par ailleurs, un rapprochement avec Israël est bien mieux perçu par des pays comme la France et ses alliés que des liens avec Moscou par exemple. Cela évite les menaces et « coups de force » des Occidentaux. Vu de Paris, la présence sécuritaire israélienne ne menace pas les intérêts français car le but principal affiché par Israël est de gagner avant tout le soutien des pays africains pour mettre fin à la majorité automatique contre Israël à l’ONU et dans les organismes internationaux, et non pas de contrecarrer la stratégie française. Si Israël avait comblé le vide sécuritaire laissé par la France au Sahel, la France aurait probablement considéré cette évolution avec beaucoup moins de défiance que le renforcement actuel de l’influence de la Russie.

En 2023, Israël entretient des relations avec une quarantainede pays et possède dix missions diplomatiques permanentes enAfrique du Sud, au Kenya, au Nigéria, au Cameroun, enAngola, en Érythrée, en Éthiopie, au Ghana, en Côte d’Ivoireet au Sénégal. Toutefois, nous sommes loin des trente missions diplomatiques d’avant la guerre du Kippour. L’influence israélienne reste limitée à l’échelle du continent et ne doit pasêtre exagérée. Malgré l’existence d’intérêts stratégiquescommuns avec Israël – offrir des services sécuritaires, de plusen plus demandés par les pays africains, pour gagner leursympathie dans les organisations internationales –, le continent, avec l’influence significative des pays arabes, reste essentiellement solidaire de la cause palestinienne. Neuf desvingt-deux pays de la Ligue arabe se trouvent en Afrique, etsix d’entre eux (Mauritanie, Tunisie, Algérie, Libye, Djibouti et Somalie) ne reconnaissent pas l’État d’Israël. À ce jour, la totalité des pays africains, à l’exception du Cameroun et de l’Érythrée, reconnaissent l’État palestinien. Le soutien historique du continent à la cause palestinienne est cohérentavec les discours anti-coloniaux et anti-impérialistes portés parde nombreux pays africains car il « participe au processus de légitimation interne et externe des régimes prônant une idéologie radicale ou anti-impérialiste ». Israël est souvent perçu comme un allié historique des pays coloniaux, avec des positions, pour la plupart du temps, antagonistes aux intérêts de nombreux pays africains.

Face aux attaques du Hamas, un continent divisé

La chercheuse nous dira ici, qu’à la suite des attaques du 7 octobre 2023, l’Union africaine a publié un communiqué dans lequel l’organisation déclare : « Le Président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, exprime sa plus vive préoccupation au sujet du déclenchement de la guerre israélo-palestinienne, aux très graves conséquences sur la vie des civils israéliens et palestiniens etsur la paix dans la région. Il rappelle que la dénégation desdroits fondamentaux du peuple palestinien, notamment celuid’un État indépendant et souverain est la cause principale dela permanente tension israélo-palestinienne. Il lance un appelpressant aux deux parties de mettre fin aux hostilités militaires et de revenir, sans conditions, à la table de négociations pour la mise en œuvre du principe des deux États, vivant en harmonie et pour la sauvegarde des intérêts du peuple palestinien et du peuple israélien ». Cependant, ce communiqué ne reflète pas l’opinion de l’ensemble des pays africains, qui sont divisés. D’un côté, seuls douze pays (Sénégal, Ghana, Togo, Cameroun, Congo, Soudan du Sud, Zambie, Botswana, Malawi, Kenya, Madagascar et Rwanda)ont condamné fermement les attaques du Hamas et ont apportéleur soutien à Israël. De l’autre côté, cinq pays (Djibouti,Libye, Tunisie, Algérie et Mauritanie) ont exprimé leur soutien infaillible au Hamas. Parmi les autres pays africains, onze (Maroc, Égypte, Mali, Guinée-Bissau, Guinée, Nigéria, Ouganda, Tanzanie, Namibie, Zimbabwe et Afrique du Sud)ont appelé à la désescalade. Néanmoins, cette position est, pour certains, ambiguë. Par exemple, l’Afrique du Sud, après avoir appelé, dans un communiqué publié dès le 7 octobre 2023, à la « cessation immédiate de la violence, à la retenue et à la paix entre Israël et la Palestine », a exprimé clairement son soutien à cette dernière. Le 14 octobre, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, s’est affiché sur son compte X avec un keffieh noir et blanc, symbole de la cause palestinienne, et un drapeau palestinien43 – ce en dépit des importantes relations avec Israël. L’Afrique du Sud est le principal partenaire commercial d’Israël en Afrique, avec des échanges s’élevant, en 2021, à plus de 284 millions d’euros44. Toutefois, le soutien à la Palestine est cohérent avec l’histoire d’apartheid de l’Afrique du Sud. Depuis la fin de l’apartheid en 1990, et même durant cette période, avec des figuresemblématiques comme Nelson Mandela, le pays a toujoursvivement critiqué l’oppression du peuple palestinien et l’occupation de la Cisjordanie par Israël. Cette positionrésonne avec leur propre histoire et la lutte contre la minoritéblanche en Afrique du Sud. Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a d’ailleurs soumis à la Cour Internationale de Justiceune requête accusant Israël de mener des « actes et omissions» revêtant un « caractère génocidaire » contre la population deGaza depuis trois mois. Le 14 février 2024, l’Afrique du Sud a réitéré sa requête devant la Cour Internationale de Justice alors qu’Israël annonce une prochaine offensive militaire sur la ville de Rafah.

Un grand nombre de pays africains se sont abstenusd’exprimer un soutien à l’une ou l’autre des parties. Il est intéressant de noter qu’à travers le monde, aucun pays ne s’est abstenu, à l’exception de pays africains. Ces derniers se montrent critiques du « double discours » occidental, quidénonce la politique violente et criminelle de Vladimir Poutineen Ukraine mais ne condamne pas la politique également violente de Netanyahou contre les Palestiniens de Gaza. Celareflète un retour à la politique de non-alignement sur lecontinent – une tendance qui avait déjà été observée sur fond de guerre en Ukraine, qui se confirme avec les tensions au Proche-Orient et qui risque de perdurer dans les années à venir.

Les enjeux internes pèsent également. Certains pays africains choisissent le silence du fait du caractère clivant du conflitisraélo-palestinien. Le choix de la neutralité est un moyen poureux de ne pas irriter leurs opinions publiques, plutôt favorablesà la Palestine, et de maintenir leurs relations bilatérales avec àla fois Israël et les pays arabes. Comme souligné par lachercheuse Sonia Le Gouriellec, pour de nombreux paysd’Afrique sub-saharienne, s’exprimer sur le sujet n’est associé à aucun gain politique et électoral. Même le Soudan, soutien financier historique du Hamas jusqu’à la chute d’Omar al-Bashir en 2021, n’a pas pris position. Il ne faut pas interpréter ce choix de neutralité comme l’expression d’un soutien silencieux au Hamas, à la Palestine ou à Israël. Lorsque laRussie a déployé ses troupes en Ukraine en février 2022, et bien que les pays africains ne tolèrent pas l’invasion d’un pays souverain, dix-sept d’entre eux se sont abstenus, et huit n’ont pas voté du tout la résolution ES-11/1 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 2 mars 2022. Il semble y avoir une volonté des États africains de se tenir à l’écart des prisesde position politiques qui pourraient être considérées comme controversées sur la scène internationale, même si l’Afrique est confrontée aux conséquences de ces conflits. L’Angola, l’Éthiopie ou le Niger, pour ne citer que trois pays qui se sont abstenus, ne semblent pas vouloir prendre le risque d’être mis à l’écart du jeu international. Les pays africains veulent éviter de renouveler les erreurs de la Guerre froide, c’est-à-dire prendre position pour le « bloc » occidental ou le « bloc » non occidental. L’Afrique veut parler avec tout le monde et a besoin de tout le monde : les pays africains souhaitentdorénavant mettre au premier plan les intérêts de l’Afrique, cequi, à leurs yeux, suppose de coopérer avec tous les acteurs mondiaux – une approche inclusive des relations internationales qui doit leur permettre de répondre à l’insécurité et de promouvoir le développement du continent.

La guerre de Soukkot et l’intensification de la menaceterroriste en Somalie

Pour Marie de Vries, le conflit entre Israël et le Hamas est porteur du risque d’une intensification de la menace terroriste en Afrique de l’Est. Le 12 octobre 2023, dans un post X, les services de police anti- terroriste kenyans ont d’ailleurs publiéle message suivant : « Le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza a un impact sur la sécurité mondiale. Les groupes terroristes comme Al-Shabaab peuvent mener des attaques en solidarité avec le Hamas pour rester pertinents. Les Kenyans doivent être vigilants et signaler les activités terroristes à la police pour qu’elle agisse ». La Somalie est, depuis plus d’unedécennie, en proie à cette menace, perpétrée par des groupes islamistes tels qu’Harakat al-Chabab al-Moudjahidin, plus couramment appelé Al-Shabaab et directement lié à Al-Qaïda. Malgré des succès stratégiques de l’armée nationale et de ses alliés, la situation sécuritaire reste extrêmement instable et la menace demeure élevée. Les attaques du Hamas risquentd’aggraver ces circonstances, en Somalie et dans les paysvoisins. Dans un communiqué officiel, le groupe Al-Shabaab a« félicité » le Hamas pour ces attaques, et ajouté : « Nous saluons tous les courageux héros, les courageux commandos et tous ceux stationnés en Terre Sainte, et nous leur disons à tous : Que Dieu vous récompense par le bien au nom de la Oumma islamique [communauté islamique mondiale], et que Dieu vous récompense pour votre jihad et vos nobles actions ». Selon son propos, l’assaut du Hamas est une « victoire »contre les « croisés soutenant les juifs, criminalisantl’héroïsme et le qualifiant de terrorisme et d’extrémisme ». Le groupe terroriste apporte son inconditionnel soutien à la cause palestinienne et appelle au jihad. Pour lui, « [c]ette bataille contre les juifs n’est pas seulement la bataille des factions islamiques en Palestine, mais plutôt la bataille de l’ensemble de la Oumma musulmane. […] Les musulmans doivent se rassembler et offrir tout ce qu’ils peuvent pour soutenir les moudjahidines contre les juifs et leurs fidèles et hypocrites alliés. La force de cette nation réside dans la force de ses fronts djihadistes ».

Ainsi, Al-Shabaab appelle très clairement à prendre les armeset à internationaliser le combat du Hamas. Bien qu’un appel à prendre les armes ne signifie pas nécessairement une participation plus significative au conflit et puisse relever de lasimple propagande, il n’en reste pas moins que le groupe adéjà affiché son soutien à la cause palestinienne, et cettesolidarité s’est traduite, dans les années précédentes, par des attaques terroristes. En 2019, le groupe terroriste a mené de nombreuses attaques, telles que celle contre le complexe hôtelier DusitD2 le 15 janvier à Nairobi, en signe d’unité avec les Palestiniens, après que le président Donald Trump a reconnu, le 6 décembre 2018, Jérusalem comme la capitale d’Israël. Le groupe perpétue ces attaques et célèbre les actes de violence contre les Juifs même si Al- Qaïda n’a pas de lien direct avec le Hamas (au contraire, Al-Qaïda condamne le mouvement des Frères musulmans, qui est à l’origine du Hamas).

Al-Shabaab a déjà su tirer profit du conflit pour atteindre ses propres objectifs. Le groupe participe activement à attiser davantage de haine et de terreur en promouvant les récits du Hamas en Somalie et son propre combat. Des photos et vidéos virales, montrant des otages du festival de musique Supernovaet des soldats israéliens brutalisés, circulent abondamment sur les réseaux sociaux du groupe. Il a d’ailleurs créé de nouveaux comptes Telegram et Facebook spécifiquement pour partager des informations pro-Hamas en Somalie. En établissant un parallèle entre la situation à Gaza et son propre combat, entre le soutien américain à Israël et celui au gouvernement somalien, le groupe espère attirer de nouvelles recrues.

A l’heure actuelle, Al-Shabaab n’a pas démontré de capacité à étendre ses attaques sur le continent au-delà de la Somalie, de l’Éthiopie, du Kenya et de la Tanzanie. Le risque d’expansion de la menace qu’il représente au-delà de l’Afrique de l’Est en raison du conflit entre Israël et le Hamas est donc peu probable. Toutefois, il est important de noter que l’Afrique de l’Est abrite les partenaires africains les plus proches d’Israël (Kenya, Soudan du Sud, Éthiopie…). Par conséquent, il estfort probable que le groupe y mènera des attaques en soutien àla population de Gaza et plus largement aux Palestiniens.Même si la guerre en Israël nous a montré que rien n’est prévisible, le Kenya, en tant que fervent défenseur d’Israël et cible historique du groupe Al-Shabaab, risque de subir une intensification de la menace terroriste sur son territoire.

Enjeux maritimes dans la corne de l’Afrique : la merRouge et le détroit de Bab-el-Manded

Le conflit entre Israël et le Hamas comporte un deuxièmerisque pour le continent africain : la déstabilisation des espaces maritimes de la corne de l’Afrique, en particulier la merRouge et le détroit de Bab El-Mandeb. Le risque d’escalade régionale ne peut être écarté. L’Iran, souhaitant maintenir la pression sur Israël sans toutefois s’engager dans une guerre totale, utilise les Houthis pour menacer et bloquer le trafic maritime des pétroliers, ainsi que des navires militaires. Israël a annoncé le mercredi 1er novembre 2023 avoir intercepté des missiles en provenance du Yémen lancés par les rebelleshouthis, et avoir déployé des bateaux lance-missiles aux côtésde la Marine américaine en mer Rouge pour contrer lesattaques des Houthis. Ces derniers ont fait savoir qu’ils étaienten guerre contre Israël et prêts, soutenus par l’Iran, à cibler les actifs américains et israéliens dans la région pour soutenir la Palestine dans le contexte du conflit. Depuis, les attaques de drones et de missiles revendiquées par les rebelles houthiscontre des cibles israéliennes et américaines se multiplient. Le 20 novembre, les Houthis, avec les moyens de l’État yéménite,ont pris d’assaut un cargo, détenu par un homme d’affaires israélien mais sous exploitation japonaise. De même, le 23 novembre, le navire de guerre américain USS Thomas Hudnera « détruit de nombreux drones d’attaque lancés depuis la région du Yémen contrôlée par les Houthis ». Pour DryadGlobal, « les récentes attaques des Houthis signalent une augmentation alarmante des attaques en mer, avec un niveau de sophistication et de formation jamais vu auparavant dans la piraterie maritime ». Les attaques de ce type risquent de semultiplier, particulièrement si la guerre s’intensifie à Gaza. Yahya Sare’e, porte-parole militaire du groupe, dont le slogan historique est « Mort à l’Amérique, Mort à Israël, Honte auxjuifs et victoire à l’Islam », a en effet déclaré que les attaques de missiles et de drones continueraient tant qu’Israël n’arrêterait pas « son agression » contre Gaza, et qu’elles visaient à « aider les Palestiniens à la victoire ». Actuellement, ces attaques semblent principalement dirigées contre des cibles israéliennes. Bien qu’il ne soit certainement pas dans l’intérêt de l’Iran de viser des intérêts américains ou européens, l’intensification des attaques des Houthis dans la corne de l’Afrique pourrait rapidement impliquer les grandes puissances et faire évoluer le conflit vers une situation complexe.

La sécurisation des voies maritimes apparaît comme un enjeu crucial. Le 18 décembre 2023, une force opérationnelle navale, baptisée Prosperity Guardian et composée de dix pays (les États-Unis, le Royaume-Uni, le Bahreïn, le Canada, la France, les Pays-Bas, la Norvège, les Seychelles, l’Espagne et l’Italie), a été mise sur pied pour « garantir la liberté de navigation pour tous les pays et renforcer la sécurité et la prospérité régionale ». Pour l’instant, cette force ne semble pas décourager les rebelles, qui continuent leurs attaques, contraignant les plus grands armateurs comme Maersk et CMA-CGM à faire transiter leurs navires par le Cap deBonne-Espérance. Les attaques répétées des rebelles houthis etla prise d’assaut de cargos impactent des zones stratégiques etvitales telles que le détroit de Bab el-Mandeb, qui sépare Djibouti et l’Érythrée en Afrique du Yémen sur la péninsule arabique. Ce détroit, porte d’entrée vers le canal de Suez,constitue un point vital reliant la Méditerranée à l’océanIndien. 40 % du trafic maritime mondial et 9 % des cargaisons de pétrole mondiales transitent par ce détroit. Les perturbations causées par les Houthis pourraient avoir à terme des effets sérieux sur le commerce international et l’économiemondiale si elles devaient durer et si elles entraînaient la suspension totale du trafic dans le canal de Suez, provoquant ainsi des fluctuations des prix du pétrole, voire des pénuries.

Vers une « dénormalisation » des relations avec Israël ?

Pour l’auteure, un autre effet potentiel de la guerre entre Israël et leHamas pourrait s’incarner dans une

« dénormalisation » des relations de certains États africainsavec Israël. Cela pourrait résulter de l’implication grandissante de l’Iran sur le continent, une tendance qui pourrait s’accélérer en raison des événements récents, et de l’embrasement des opinions publiques. Après la bande de Gaza avec le Hamas, la mer Rouge avec les rebelles houthis, l’Afrique apparaît de plus en plus comme le prochain théâtre de lutte d’influence entre Israël et l’Iran. Sous la présidence d’Ebrahim Raisi, l’Iran perçoit l’Afrique comme un terrain de compétition avec l’Arabie saoudite et l’Occident66. Le premiersommet économique Iran-Afrique, qui s’est tenu en mars2023, en a témoigné67. Évidemment, il s’agit également d’unetentative de

contrecarrer l’influence d’Israël, notamment en Afrique de l’Est, où l’Iran a déjà cherché à établir desrelations avec certains pays. Plus spécifiquement, Téhéran atissé des liens solides avec l’Éthiopie, considérée comme un partenaire stratégique d’Israël. En effet, Israël a fourni à l’Éthiopie un grand nombre d’équipements militaires, dont des drones et des navires de guerre68, et affiché un soutien continu à ce pays dans la guerre qui l’a opposé aux groupes rebellesérythréens de 1961 à 199169. Cependant, ces derniers temps,l’Iran a lui aussi renforcé sa présence, fournissant des droneset d’autres matériels militaires pour aider l’Éthiopie à faire face aux rebelles du Tigré. Pour Mark Dubowitz, PDG de la Fondation pour la défense des démocraties, cela « devrait déclencher la sonnette d’alarme à Jérusalem et faire craindre que l’Iran n’utilise ces drones comme instrument d’influence politique et de terreur »70. L’Éthiopie semble jouer de cettedualité. Pour l’heure, elle n’a ni condamné les attaques du 7octobre ni appelé à la désescalade – une neutralité qui pourrait être interprétée comme un signe de la fragilité de l’influence d’Israël sur le continent. D’ailleurs, ce dernier semble avoir pris conscience de l’importance de contrer la présence iranienne en Afrique. Au Kenya en juillet 2023, Eli Cohen, ministre israélien des Affaires étrangères, a souligné que sa visite, moins d’une semaine après celle du président EbrahimRaisi, « revêtait une importance régionale et stratégique dansle contexte des tentatives de l’Iran d’étendre son influence surle continent »71. Toutefois, l’Iran, en établissant des relations avec les pays africains, pourrait potentiellement mettre enquestion les relations bilatérales d’Israël avec certains d’entreeux, comme l’Éthiopie.

Cette perte d’influence est d’autant plus probable qu’Israël a actuellement d’autres préoccupations et que ses relations bilatérales en Afrique reposent principalement sur le domainesécuritaire. Avec l’échec de ses services de renseignement,perçus comme parmi les meilleurs au monde, à anticiper et à prévenir l’attaque massive du Hamas sur son territoire, Israëlrisque de perdre en légitimité. Compte tenu du large éventaild’acteurs – Russie, Chine, Iran, Turquie, France, États-Unis – impliqués en Afrique, les États africains pourraient être tentés de se tourner vers d’autres partenaires sécuritaires vus comme plus aptes à répondre aux défis sécuritaires, tels que le terrorisme. Pour les pays africains marginalisés ou réticents à dépendre de la sécurité américaine et/ou des pays européens, l’Iran offre une possibilité.

Même si son influence reste avant tout sécuritaire, idéologique et limitée à l’échelle du continent, l’Iran dispose d’un atout majeur pour rivaliser avec Israël en Afrique : un discours anti-occidental. Bien que la stratégie africaine de Téhéran soitprincipalement ancrée dans sa rivalité avec l’Arabie saoudite, elle vise également à défier la superpuissance américaine et l’Occident. Israël, quant à lui, demeure perçu, ainsi que précédemment mentionné, comme proche du « bloc » occidental, avec des intérêts souvent opposés à ceux des pays africains. Par ailleurs, si l’Iran peut, comme la Russie, utiliser le discours anti-colonial et anti-occidental en Afrique, il peutaussi exploiter la carte de l’islam, notamment de la vision dumonde chiite, pour accroître son influence à travers le continent. Certains pays africains soutenant la cause palestinienne et choisissant de s’éloigner d’Israël, ou cherchant de nouveaux partenariats, pourraient ainsi jouer unrôle dans ce changement de dynamique. Le risque de

« dénormalisation » des relations, comme cela a été le cas lors de la guerre du Kippour, est possible, bien que probablement à une échelle plus restreinte en raison de l’approche plus inclusive des relations internationales des pays africains.

Le cas du Maroc, bien qu’il ne soit pas associé à la présence iranienne en Afrique, mérite une attention particulière. Comme mentionné précédemment, le Maroc et Israël ont établi des relations diplomatiques pour la première fois en décembre 2020. Cependant, cette normalisation, déjà sujette àdes tensions, semble devenir de plus en plus impopulaire ausein de la population marocaine en lien avec les événements récents. En octobre 2022, dans un sondage réalisé par l’ArabBarometer, seulement un tiers des Marocains affirmaientsoutenir la normalisation des relations avec Israël. Le 15octobre 2023, plusieurs centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de Rabat pour soutenir le peuple palestinien et demander au Royaume du Maroc de mettre fin à cette normalisation.

Si les relations entre Israël et le Royaume du Maroc seront bousculées par la guerre entre Israël et le Hamas, elles nesemblent pas menacées de rupture, du fait des raisonsstratégiques qui ont poussé le Maroc à accepter la normalisation. Néanmoins, une certaine prise de distance est probablement inévitable, les autorités marocaines étant contraintes de tenir compte du sentiment anti-israélien grandissant au sein de la population marocaine et, plus largement, du monde arabe. La perspective d’une normalisation avec des pays tels que la Tunisie, par exemple,même si la reconnaissance d’Israël n’a jamais été unequestion, semble s’éloigner de plus en plus, et les relationsavec Israël risquent de continuer à polariser l’Afrique du Nord pour de nombreuses années.

Synthèse de Aminata DIARRA

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