août 26, 2025
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L’ARMEE TCHADIENNE : Dégringolade d’un garant de stabilité interne et régionale !

Face aux défis sécuritaires, politiques et géopolitiques, l’armée du Tchad qui devrait joue un rôle important, heurte à des difficultés dues à une mauvaise gestion du pays par ses élites. Dans ce rapport intitulé « L’armée tchadienne est-elle encore une garantie de stabilité interne et régionale ? » et publié par Egmont Institut Royal des Relations Internationales, l’auteur, Mathieu Mérino Docteur en science politique, chercheur Afrique de l’Ouest/bande saharo-sahélienne à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire à Paris (IRSEM), analyse la situation du pays tout en se demandant si l’armée du pays est encore une garantie de stabilité interne et régionale. Dans le document, le chercheur est revenu sur les trois facteurs principaux d’instabilité au Tchad. Premièrement, la militarisation de l’État qui constitue un motif majeur de préoccupation. Deuxièmement, la fragmentation profonde de la société tchadienne, caractérisée par des divisions sociales et culturelles persistantes entre le nord et le sud. Troisièmement, l’absence de perspective démocratique, illustrée par le verrouillage du champ politique et la pérennisation d’un régime militaire et autocratique à Ndjamena, offre une apparente stabilité à court terme mais compromet les perspectives de développement durable et de cohésion sociale.

L’auteur souligne d’emblée que, pays pauvre et enclavé au cœur du Sahel, le Tchad se trouve actuellement dans une situation complexe où sa stabilité interne pourrait être remise en question, dans une région où les conflits s’aggravent. Les tensions communautaires et religieuses, accentuées par une militarisation persistante de l’État, nourrissent des divisions sociales et politiques profondes. Après le décès d’Idriss Déby Itno en 2021 et une transition politique de trois ans, le régime en place depuis les années 1990 a réussi à se perpétuer, grâce au soutien des militaires et aux renouvellement de ses alliances. Toutefois, le maintien de ce régime autoritaire à Ndjamena s’est fait au détriment de la sincérité des processus électoraux et de la cohésion nationale. À long terme, la faiblesse démocratique de la transition, combinée à une instabilité croissante due aux conflits internes et au contexte extérieur (guerre civile au Soudan et en Lybie, rupture des accords de défense avec la France, etc.), pourrait éroder la position du Tchad comme acteur de stabilité dans la région. Cette fragilisation mettrait de ce fait en péril son rôle de puissance régionale en Afrique centrale et sahélienne

Mathieu Mérino estime que dans un paysage sécuritaire africain globalement dégradé, l’actuelle trajectoire politique du Tchad suscite de nombreux questionnements. Pays pauvre enclavé au cœur du Sahel, entouré d’États instables, le Tchad est aujourd’hui confronté à un défi humanitaire difficile caractérisé par un grand nombre de réfugiés et de déplacés. Il subit en outre l’accélération de la désertification, qui risque dans les prochaines années d’affecter gravement les moyens de subsistance de la population et de saper le développement économique du pays. Enfin, l’instabilité politique, inscrite dans « sa statogénèse » depuis le renversement du président tchadien Ngarta Tombalbaye le 13 avril 1975, a érigé la lutte armée en mode « naturel » d’accès au pouvoir, et ce en dépit du rétablissement des processus électoraux en 1996.

Depuis la disparition brutale du Maréchal-président Idriss Déby Itno3 en avril 2021, le Tchad semble être à nouveau entré dans une phase d’incertitude. Certes, la transition menée son fils, Mahamat Idriss Déby, a finalement conduit à l’élection de ce dernier à la magistrature suprême et à l’installation d’une confortable majorité dans les deux chambres du Parlement, lui permettant de clôturer la phase du retour à l’ordre constitutionnel en position de force. Néanmoins, le manque de crédibilité des élections présidentielle, législatives et locales de mai et décembre 2024 ainsi que le contexte politique interne toujours antagonique amènent à s’interroger sur les luttes de pouvoir à venir. En parallèle, le fossé ne cesse de se creuser entre les communautés du Tchad. La réconciliation nationale attendue depuis la présidence du général Félix Malloum (1975-1979), n’a jamais abouti et les idées sécessionnistes dans les provinces du sud n’ont jamais été aussi fortes. Dans ce contexte, il est permis de se poser la question de la stabilité de ce régime où l’armée n’a pourtant jamais été aussi puissante. Alors que des alliances inédites et complexes se forment entre divers acteurs régionaux et internationaux dans la bande saharo-sahélienne, la rupture du partenariat militaire historique avec la France en novembre 2024 invite à s’interroger sur l’existence d’un véritable risque de déstabilisation au Tchad.

LA MILITARISATION DE L’ÉTAT : UN FACTEUR D’INSTABILITÉ

Selon le chercheur, l’armée tchadienne se situe au centre des difficultés du pays. Elle est le principal pilier du régime depuis la présidence d’Hissène Habré (1982-1990) et reste aujourd’hui présente dans toutes les strates de la société. Consciente qu’une véritable démocratisation des institutions pourrait lui faire perdre ses privilèges, notamment sur le plan économique, l’armée participe au verrouillage du champ politique et constitue aujourd’hui, avec la corruption de la classe politique tchadienne, l’un des principaux obstacles à toute alternance politique. Dans ce contexte, aucun changement ne peut s’envisager sans une refondation de l’armée et, au-delà, sans une reconversion de la classe sociale des « combattants », c’est-à-dire de « ceux qui, au Tchad, vivent par les armes ».

Une armée au cœur du pouvoir politique

L’armée nationale tchadienne (ANT), créée par ordonnance en mai 1961, est au centre de la vie politique depuis le coup d’État du 13 avril 1975 et à l’origine des principales crises politiques depuis lors. En effet, l’ANT est utilisée par différents acteurs, politiques et militaires, à la fois comme un instrument de captation du pouvoir et comme un levier de sa conservation. Cela explique pourquoi, au fil des années, elle s’est muée en cette force hétéroclite, en perpétuelle mutation au gré des alliances passées par les différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays, et pourquoi sa trajectoire historique est indissociable de la construction de l’État moderne au Tchad. Ajoutons que la qualité de militaire de carrière ainsi que la « bravoure » reconnue à Déby père et, dans une certaine mesure, à son fils ont sans doute contribué à embellir l’image de l’armée tchadienne aux yeux du monde politique.

Aujourd’hui, l’armée tchadienne ne présente pas les caractéristiques d’une armée nationale et encore moins celles d’une armée républicaine. La manière dont elle s’est constituée par le ralliement et l’intégration successifs de différents groupes politico-militaires, sans respect de principes ou de règles bien établis, explique pour partie son hétérogénéité et parfois son indiscipline. L’armée tchadienne manque de cohésion ; elle est organisée sur des bases communautaires. Ainsi, les troupes d’élite sont généralement dirigées par des membres de la communauté des deux derniers présidents (Idriss Déby Itno et Mahamat Idriss Déby), à savoir les Zaghawa. Au-delà, c’est le partenariat Zaghawa-Gorane-Arabe qui verrouille actuellement l’appareil militaire tchadien. L’ANT est donc traversée par d’importantes lignes de fracture, dont un fossé entre les troupes d’élite, généralement mieux équipées et bien rémunérées, et le reste des hommes, nettement moins bien considérés par le pouvoir. Cette inégalité de traitement, acceptée et parfois renforcée par les coopérations militaires étrangères, notamment française, alimente un fort sentiment d’injustice au sein de l’armée et nourrit d’importantes frustrations. Par ailleurs, le mode de fonctionnement ethnique de l’armée se ressent également en dehors des casernes. Les relations entre l’armée et les citoyens tchadiens sont complexes, voire ambivalentes. Si l’ANT est le plus souvent perçue comme un garant de la sécurité dans les zones à forte insécurité (régions autour du lac Tchad ou bien encore dans le nord du pays), dans d’autres régions, particulièrement au sud, sa présence est en revanche vécue comme intrusive. L’armée participe alors objectivement à l’affaiblissement de la cohésion sociale et de l’unité nationale.

Le nouveau pouvoir à Ndjamena, pourtant parfaitement conscient de cette situation, n’a pas remis en cause cette omniprésence de l’armée au sein de l’État tchadien, bien au contraire. Ainsi, l’ANT est restée le centre du pouvoir tout au long de la récente transition. Le Conseil national de transition (CNT), mis en place après la disparition d’Idriss Déby Itno, a rapidement adopté un nouveau statut général des forces de défense et de sécurité, qui répondait alors en grande partie aux revendications salariales des officiers ainsi qu’au mécontentement de nombreux soldats en panne de progression de carrière. Ensuite, avec un effectif compris entre 65 000 et 75 000 hommes, l’armée est plus que jamais pléthorique, faisant du Tchad un des pays les plus militarisés d’Afrique. L’armée tchadienne se classe actuellement au 10e rang en Afrique, juste après l’Afrique du Sud. L’ANT pèse de ce fait lourdement sur les finances publiques ; en constante progression, son budget est estimé entre 30 et 40 % du budget national selon les années, soit plus de 3 % du produit national brut. C’est un système de clientélisme militaire qui semble exister au Tchad, où le « Big man » est un officier supérieur, qui préempte les postes rémunérateurs dans la fonction publique ainsi que dans les sociétés d’État et qui participe à la mise en coupe réglée des ressources budgétaires au détriment de toutes véritables politiques de développement du pays.

Le nouveau président de la République poursuit, depuis son arrivée au pouvoir, une large restructuration du haut commandement de l’armée. Après une série de nominations, de promotions et de mises à la retraite concernant plusieurs centaines de hauts gradés entre 2021 et 2023, il a procédé à une nouvelle vague de nominations/mutations en 2024, traduisant une volonté de reprise en main de toutes les forces de défense et de sécurité. Tous les plus hauts responsables de l’armée, de la police, de la gendarmerie nationale et de la garde nomade, à quelques exceptions près, ont à ce jour été remplacés. Le directeur général de la gendarmerie évincé de son poste, Ahmat Youssouf Mahamat Itno, est un cousin du président Mahamat Idriss Déby Itno. Il faisait partie des quinze généraux qui l’ont porté au pouvoir après la mort du Maréchal-président. Renvoyé de son poste de directeur général de la police, Brahim Gorou Mahamat a longtemps été aide-de-camp du président avant d’être propulsé à la tête de la police nationale. Ces changements ont suivi le limogeage du ministre de la Sécurité, annoncé le 12 octobre 2024 par la télévision d’État, et interviennent dans un environnement sécuritaire qui ne cesse de se détériorer en raison à la fois de l’insécurité grandissante au bord du lac Tchad et du contexte régional. En effet, plusieurs officiers supérieurs n’adhèrent pas à la position prise par le président dans la guerre du Soudan et à son appui aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemedti », en guerre contre l’armée soudanaise depuis avril 2023. Dictée en partie par ses soutiens internationaux, dont les Émirats arabes unis, cette prise de position est difficile à comprendre au regard des liens historiques existants entre les communautés Zaghawa présentes au Tchad et au Soudan (notamment au Darfour) et de la position du Tchad pendant la guerre au Darfour (2003-2020). La communauté Zaghawa du Tchad alimentait alors en hommes et en armes le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), puissant mouvement de rébellion contre Khartoum et les miliciens arabes armés par l’ancien président Omar Al Bashir (les Janjawids). Rappelons que le général Hemedti, l’un des deux principaux protagonistes de la « guerre des généraux » actuelle, est originaire du Darfour et a commencé sa carrière militaire au sein de ces milices qui constituent l’ossature des FSR et qui combattent aujourd’hui l’armée soudanaise. Dans ce contexte, la composition ethnique du haut commandement militaire tchadien (importance des ethnies Zaghawa et Arabes) et la structure familiale du clan Déby doivent donc être considérées comme une fragilité au regard des combats qui se déroulent à Khartoum et au Darfour; elles pourraient tout à fait alimenter de nouvelles fractures au sein du pouvoir tchadien, y compris de l’armée, et ainsi déstabiliser un peu plus le pays.

Une société militaire difficilement réformable

Après plus de soixante ans d’existence, l’armée a investi aujourd’hui l’ensemble des institutions politiques et toutes les strates de la société. Son influence dépasse la seule sphère de la défense et elle joue un rôle central dans la structure politique, sociale et économique du pays. L’armée n’est plus seulement un instrument de sécurité mais elle influence largement les décisions politiques et fait en sorte que la gouvernance du pays soit entièrement centrée autour du seul principe de sécurité et sur la défense du régime. Elle est partie prenante aux différents gouvernements depuis 1975 et elle exerce une pression importante sur les acteurs politiques civils, empêchant tout fonctionnement démocratique des institutions et toute évolution politique du pays.

L’armée qui n’entend pas renoncer à son pouvoir poursuit la militarisation de la société tchadienne. Ainsi, la carrière militaire permet un accès direct aux postes décisionnels et aux positions lucratives de la fonction publique. L’ANT a depuis longtemps phagocyté l’administration, singulièrement l’administration territoriale, ce qui pose aujourd’hui d’insolubles problèmes de gestion du pays. Les postes de gouverneurs et de préfets sont le plus souvent occupés par des militaires ou des personnes proches de l’armée, ce qui explique que l’une des principales revendications de l’opposition depuis 2007, est que l’on procède à une « démilitarisation de l’administration ». L’armée est devenue un obstacle majeur à l’exercice d’une bonne administration publique, celle des territoires et des régions en particulier. Le drame de cette mainmise des militaires sur la société est que le Tchad est désormais considéré comme un pays de « guerriers » où les autres composantes sociales ne comptent plus. L’armée tchadienne ne laisse aucun espace à la société civile et cette situation amène certains Tchadiens à se demander à quoi servent encore les administrateurs formés chaque année à l’École nationale d’administration (ENA).

Dans ce contexte, toute réforme entraînant une démilitarisation de la société tchadienne paraît vaine. En effet, les cinquante dernières années ont montré que l’armée tchadienne était malheureusement irréformable, en tout cas par ceux-là mêmes qui la dirigent. Les tentatives de réforme ont pourtant été nombreuses et coûteuses depuis les années 1990. À l’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby Itno, la réforme de l’armée était le dossier de coopération prioritaire avec la France. Tout était prévu mais la résistance des proches du président a fait échouer l’opération. La refondation de l’ANT a aussi été décidée à l’occasion des États généraux de l’armée tenus en 2005, à la suite d’une résolution issue de la conférence nationale souveraine de 1993. En 2010, le dossier de la réforme a été repris au travers de « l’opération contrôle de Moussoro » qui s’est conclue elle aussi par un échec, ce qui fait dire à de nombreux observateurs internationaux que « l’année 2011 marque la fin de l’illusion d’une armée nationale ». La question de la réforme de l’armée a été, une nouvelle fois, mise à l’ordre du jour lors des assises du dialogue national inclusif et souverain (DNIS), le 20 août 2022, en vue de la réforme constitutionnelle, mais elle est restée sans suite jusqu’à présent.

UNE FRAGMENTATION DE LA SOCIÉTÉ, SOURCE DE NOMBREUSES TENSIONS

Le dessin des frontières du Tchad oblige à vivre ensemble des populations que tout sépare : l’histoire, la culture et la religion. Une centaine d’ethnies cohabitent actuellement dans le pays et les principales religions sont l’islam (55 % de la population), le christianisme (35 %) et les religions traditionnelles (10 %). Or, depuis cinquante ans, les autorités tchadiennes ont largement failli dans leur rôle de faire vivre l’idée nationale et de créer le sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Le fossé qui existait au lendemain de l’indépendance entre les communautés du Tchad, notamment entre un nord musulman et un sud chrétien, n’a fait que se creuser à la faveur des guerres civiles et de la militarisation de la société. De nos jours, et bien qu’elle ne soit pas figée, une fracture nord-sud façonne donc toujours le paysage politique tchadien. Elle constitue une donnée géopolitique incontournable et une clef de lecture pertinente pour comprendre les tensions existantes. Aussi, une fragmentation sociale et communautaire, de part et d’autre de la ligne de l’islam majoritaire, est actuellement à l’œuvre au Tchad, avec comme conséquence principale le renforcement de l’idée de sécession dans les provinces du sud.

La répétition d’épisodes politiques violents

L’une des caractéristiques de l’antagonisme profond existant entre populations du nord et du sud du pays réside dans le fait qu’il est périodiquement réactualisé par des violences qui ravivent les plaies et approfondissent les divisions. L’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby en 1990 n’a rien changé dans ce domaine malgré les promesses initiales de réformes démocratiques. Au lieu de la réconciliation attendue, la répression exercée sous la présidence d’Hissein Habré (1982 1990) s’est poursuivie. Les trente-deux années du règne d’Idriss Déby ont été marquées par des conflits avec des groupes rebelles et des vagues de répression contre les opposants politiques et les critiques du régime. Les forces de sécurité ont été régulièrement utilisées pour disperser violemment des manifestations et réprimer toute contestation. Bien que caractérisées par une certaine stabilité, les années Déby ont été émaillées d’épisodes répressifs dirigés à la fois contre des rebelles, des leaders politiques et la société civile, perpétuant de facto un climat de peur et de répression étatique, particulièrement au sud du Tchad.

Parmi ces épisodes violents, nous pouvons citer celui de 2008, lorsque des rebelles sont parvenus à entrer dans la capitale Ndjamena, entraînant une répression brutale qui a touché non seulement les insurgés mais aussi des civils. Plus généralement, les manifestations ont souvent été violemment dispersées, comme par exemple en 2016 lors des protestations contre la réélection controversée de Déby pour un cinquième mandat. Dernièrement, la répression des manifestations du 20 octobre 2022 peut évidemment être lue dans le contexte politique de la transition alors en cours (avril 2021-décembre 2024), mais l’analyse du déroulement des faits, la liste nominative des victimes et la lecture qu’en font les acteurs eux-mêmes, montrent qu’elle s’inscrit clairement dans le long récit tragique des répressions exercées par les forces armées majoritairement contre les populations du sud.

L’aggravation des conflits agropastoraux

En plus de la violence « ordinaire » de l’État tchadien, on voit se développer depuis deux décennies au moins une autre forme de conflit, à savoir les conflits agropastoraux. Ces derniers se sont multipliés et aggravés au fil des ans, devenant un phénomène récurrent et meurtrier, particulièrement dans le centre et le sud du pays. Entre 2021 et 2024, durant la période de transition politique, plus de 100 affrontements ont ainsi été enregistrés, causant plus de 1 000 morts et près de 2 000 blessés. Ces violences, alimentées par des rivalités anciennes, résultent de la tension croissante entre les éleveurs et les agriculteurs, deux groupes socio-économiques essentiels à l’économie tchadienne. L’évolution des systèmes de production agricoles et pastoraux, sur fond des dégradations liées au changement climatique, a transformé les protagonistes, la nature et la localisation de ces conflits, qui ne se limitent plus aux axes traditionnels de transhumance mais touchent désormais de nouvelles régions. Cette escalade représente une menace sérieuse pour la sécurité nationale et renforce la perception d’un clivage entre le nord et le sud du pays.

En l’espace de cinquante ans, les éleveurs nomades ont été contraints de descendre de la zone sahélienne vers la zone soudanaise, avançant de 250 kilomètres vers le sud. Cette migration forcée par la désertification a considérablement étendu les zones de friction entre pasteurs et agriculteurs, rendant les conflits plus fréquents et plus dispersés géographiquement. Ce qui était autrefois une question de partage des terres est devenu une véritable compétition pour le contrôle de l’espace, renforçant les tensions entre les communautés. Cette lutte pour des terres plus fertiles et les ressources en eau continue de creuser un fossé entre les populations du nord, principalement pastorales, et celles du sud, majoritairement agricoles.

De plus, la transformation de l’économie de l’élevage a également amplifié les tensions. Traditionnellement fondé sur une gestion familiale ou clanique, l’élevage nomade a évolué vers un élevage permanent, s’installant durablement dans le centre et le sud du pays. En effet, avec l’explosion démographique sahélienne et celles de besoins alimentaires qui l’accompagnent, ce secteur connaît actuellement une expansion spectaculaire, puisqu’avec environ 30 millions de bovins en 2022, il fournissait 35 % des recettes d’exportation.38 Par ailleurs, des acteurs puissants, comme les généraux « nordistes » et les grands commerçants musulmans, investissent massivement dans le cheptel, qu’ils confient à des bouviers armés, souvent équipés d’armes de guerre. L’insertion de l’élevage dans l’économie monétaire et la gestion de ces conflits par les gouverneurs, préfets et commandants militaires, qui penchent souvent en faveur des éleveurs, aggravent les tensions locales. En l’absence de régulation efficace et sans l’arbitrage traditionnel des autorités coutumières, ces conflits dégénèrent fréquemment en affrontements violents, renforçant l’instabilité locale et nationale.

Les signes de faillite de la cohésion nationale tchadienne

Parmi les facteurs structurels ayant approfondi le fossé entre les communautés figure la montée du fondamentalisme islamique. En effet, les tensions liées à l’apparition d’un radicalisme religieux au Tchad remontent au début des années 1990, avec l’arrivée des troupes d’Idriss Déby venues du Soudan alors sous la forte influence de l’idéologie islamiste de Hassan el Turabi. À cela s’est ajouté, au fil du temps, le retour de nombreux commerçants, Kreda notamment, ayant séjourné dans des pays du golfe Persique comme les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, où ils ont subi l’influence de l’islam salafiste. Ces dynamiques se sont traduites par une multiplication des mosquées, la visibilité accrue des femmes portant le long voile noir ainsi que l’activisme de diverses organisations non gouvernementales et autres associations islamistes. Des imams ont même été remplacés dans certaines mosquées, provoquant des tensions au sein des communautés musulmanes et dégradant les relations avec les chrétiens.

L’extension de l’islam dans le sud du pays ajoute une autre dimension à ces tensions. Cette progression est en grande partie due à l’installation croissante de « nordistes » dans les villes du sud, plutôt qu’à une véritable conversion des populations locales. On estime que le nombre de musulmans dans le sud varie entre 10 et 20 %. Face à cette extension de l’islam et à la montée de l’islamisme, une résistance des chrétiens majoritaires dans ces régions s’est installée et les relations interconfessionnelles s’en ressentent. Ainsi, les tensions sont nombreuses au niveau local, notamment lors de l’édification de mosquées, la création d’écoles religieuses ou encore de medersas. Ces tensions religieuses se répercutent également sur les relations entre les responsables religieux au niveau national. Lors du dernier cycle électoral de 2023-2024, il est devenu de plus en plus difficile de réunir les autorités religieuses chrétiennes et musulmanes, les divergences entre les deux communautés étant de plus en plus marquées. La publication de communiqués conjoints ou l’organisation de réunions communes entre leaders religieux est même devenue quelquefois impossible, signe de la polarisation croissante du paysage religieux tchadien.

Dans ce contexte de verrouillage du système politique tchadien, combiné à l’aggravation des clivages religieux et communautaires, une transformation profonde des comportements sociaux et des représentations culturelles est à l’œuvre. Dans les villes, en particulier, un mouvement à la fois souterrain et puissant émerge, créant une identité « sudiste urbaine » en opposition au pouvoir en place et à la communauté musulmane. Cette identité se nourrirait des confrontations quotidiennes et des tensions qui traversent les différents lieux de la vie urbaine : les écoles, les marchés, les transports en commun, les entreprises, etc. Les enjeux liés à l’utilisation de la langue arabe, à la consommation d’alcool, à la division du travail au sein de l’administration ou encore à la recherche d’emploi polarisent cette dynamique. Les « sudistes urbains », marginalisés dans la plupart des secteurs économiques et politiques, expriment de plus en plus leur frustration face à une société perçue comme déséquilibrée en faveur des « nordistes », alimentant ainsi un véritable ressentiment collectif à leur égard. Cette situation est particulièrement mal vécue par les jeunes sudistes, qui sont confrontés à un quotidien marqué par l’injustice. Par exemple, dans les écoles et universités, certains élèves et étudiants, issus des élites nordistes, font valoir leur position pour exercer des pressions sur le corps enseignant composé en grande majorité de « sudistes » afin d’obtenir des avantages (obtention de notes favorables, délivrance de diplômes de complaisance, etc.), allant jusqu’à utiliser la corruption ou la violence. Ces comportements, loin d’être sanctionnés par les autorités, sont souvent excusés sous le prétexte de la « géopolitique », un système informel de discrimination positive qui favorise les « nordistes » et exacerbe les tensions au sein de la jeunesse.

Les antagonismes nord/sud se retrouvent aussi au sein de l’administration publique. Les « sudistes » y sont, depuis plus de quatre décennies, tenus à l’écart des postes présentant quelque intérêt stratégique ou financier (armée, douane, diplomatie, administration territoriale) et condamnés à fournir les gros bataillons de la petite fonction publique (instituteurs, infirmiers et policiers). Ces situations sont vécues comme un véritable « apartheid social » et conduisent à la mise en œuvre de comportements nouveaux. Ainsi, confrontés à la disparition des débouchés de la fonction publique, les jeunes « sudistes » instruits se tournent vers des alternatives, comme les Églises, les organisations non gouvernementales (ONG), la presse ou les projets internationaux. Ces secteurs deviennent des refuges pour une jeunesse qui, incapable de progresser dans les structures de l’État, cultive une idéologie d’opposition marquée par un rejet de l’arabe, une identification forte avec le christianisme et des revendications politiques telles que le fédéralisme, le panafricanisme ou encore le rejet de la France. Le port de vêtements européens et la fréquentation assidue des Églises sont autant de marqueurs d’une identité sudiste distincte qui se structure aussi autour de la contestation sociale et politique. Cette génération de jeunes urbains « sudistes » s’affirme de plus en plus, tant dans la rue que dans les mouvements sociaux et politiques, réclamant une reconnaissance de leurs droits et une répartition plus équitable des opportunités au Tchad.

Finalement, l’apparition de cette identité « sudiste urbaine » est un révélateur des dynamiques profondes qui traversent la société tchadienne. Elle permet de mieux comprendre sous quelle forme s’effectue la radicalisation de la jeunesse et accessoirement le fulgurant succès du parti Les Transformateurs et de Succès Masra au cours de ces dernières années. D’autant plus que le verrouillage systématique de tout processus de démocratisation dans le pays contribue alors à fédérer cette jeunesse. Nous retiendrons avec Gérard Gerold que « le qualificatif de “sudiste” ne traduit plus tant l’origine géographique de ces personnes, mais bien leur positionnement personnel dans la société tchadienne, c’est-à-dire en opposition à la marginalisation et aux injustices qu’ils subissent et dont ils rendent responsable un pouvoir militaire et musulman ».

L’ABSENCE DE PERSPECTIVES DÉMOCRATIQUES

La généralisation des processus électoraux en Afrique dans les années 1990 n’a pas nécessairement contribué à une consolidation de la démocratie. Ceux-ci n’ont été souvent qu’une façade permettant le maintien au pouvoir d’élites politiques qui changent parfois de discours mais rarement de gouvernance. Le Tchad ne fait pas exception et, depuis l’arrivée d’Idriss Déby Itno au pouvoir, le pays a connu ni véritable transition démocratique, ni alternative politique malgré l’organisation de près d’une dizaine de processus référendaires et électoraux. Après la dernière transition, force est de constater que le « système Déby » se maintient et qu’il reste toujours garanti par l’armée.

Un processus électoral une nouvelle fois verrouillé

Le décès brutal du Maréchal-président, en avril 2021, avait ouvert une période de transition inédite au Tchad, suscitant de nombreux espoirs, notamment autour d’une réconciliation nationale après le retour au pays de certains opposants et l’espoir d’une nouvelle constitution. En effet, pour la seconde fois depuis la Conférence nationale de 1993, les Tchadiens avaient la possibilité de redéfinir leur avenir commun et de sceller un nouveau contrat social. Toutefois, le Dialogue national inclusif et souverain, organisé dans la seconde moitié de l’année 2022, a rapidement démontré ses limites et la difficulté de créer un nouveau pacte national. Les débats ont été largement orientés par les membres du régime (prolongation de la transition de deux ans, éligibilité des membres de la transition, etc.) et certains sujets clefs ont même été évincés des débats, à l’image de ceux sur le fédéralisme et la réforme de l’armée.

Par la suite, les élections référendaire, présidentielle, législatives et locales de 2023-2024 ont, selon les ONG nationales et les experts internationaux, toutes manqué de sincérité et d’authenticité démocratique. Dès l’élaboration du cadre juridique, le respect des règles et normes internationales en matière d’élection démocratique a été en partie ignoré (conventions internationales, chartes continentales, etc.). La mise à jour du fichier électoral n’a pas été inclusive ni transparente et le découpage des circonscriptions électorales a renforcé les déséquilibres de représentation entre le nord et le sud du pays. Dans son ensemble, le processus a été marqué par une certaine violence politique et par une série de décisions le rendant opaque. Particulièrement, l’organisation logistique du scrutin présidentiel a été négligée et l’annonce officielle des résultats s’est accompagnée d’un déploiement militaire intensif durant plusieurs heures à l’échelle nationale, étouffant toute velléité pour l’opposition (Masra et son mouvement Les Transformateurs) d’en contester les résultats. Par la suite, l’organisation des élections législatives et communales le 29 décembre 2024, boycottées par Les Transformateurs et les principales forces politiques de l’opposition réunies au sein du Groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP), a mis en lumière l’impossibilité pour la transition d’organiser un processus inclusif et crédible mais aussi confirmé la forte réduction de l’espace politique au Tchad.

Plus généralement, les institutions clefs en charge des scrutins (Agence nationale de gestion des élections et Conseil constitutionnel) ont, une nouvelle fois, manqué d’indépendance ; dirigées par des membres proches du pouvoir, du parti présidentiel – le Mouvement patriotique du salut (MPS) – et du fils Déby (alors à la fois candidat et président de la transition), elles ont surtout veillé à la sauvegarde du régime. Ainsi, et après trois années d’incertitudes institutionnelles et politiques, le Conseil constitutionnel tchadien a proclamé, par sa décision du 19 mai 2024, le président de la transition, Mahamat Idriss Déby Itno, vainqueur de l’élection présidentielle. Profitant de la maîtrise totale que son camp et l’armée exercent sur les institutions, y compris l’administration électorale, ce dernier a finalement vu son pouvoir politique renforcé par les élections législatives et locales, puisque le MPS et ses alliés contrôlent désormais 176 des 188 sièges de l’Assemblée nationale et la quasi-totalité du Sénat, dont le vieux cacique du régime, Haroun Kabadi, a pris la présidence.

Une confiscation du processus électoral porteuse d’instabilité

La prolongation d’un régime militaro-civil, articulé autour de l’armée et du MPS, pourrait laisser croire au maintien du « statu quo » au Tchad. Toutefois, les fraudes électorales de 2023 et de 2024 peuvent aussi être interprétées comme autant de coups de force, s’inscrivant dans le cycle des coups d’État militaires intervenus depuis quelques années au Sahel.

En effet, la tolérance qui se répand face aux faillites électorales ne semble plus alarmer ni les dirigeants africains ni leurs soutiens internationaux, alors même que les récentes crises en Afrique mettent en lumière le lien étroit existant entre l’effondrement des processus électoraux et l’émergence de régimes dictatoriaux, qu’ils soient militaires ou autres. Dans le cas du Tchad, la transition n’a ainsi bénéficié d’aucun garant international et les organisations internationales, habituellement actives dans les processus de transition en Afrique, n’y ont finalement joué qu’un rôle secondaire, se contentant de « prendre acte » de l’élection peu crédible de Mahamat Idriss Déby Itno. En fait, le pouvoir tchadien, profitant de la montée de l’idéologie souverainiste en Afrique et de la nouvelle configuration des relations internationales au niveau global, a bénéficié d’une réelle liberté de manœuvre pour mettre en œuvre son plan de succession dynastique. En effet, il a envoyé, tout au long de la transition, des messages rassurants à ses alliés traditionnels que sont la France et les États-Unis, alors qu’il se rapprochait parallèlement de la Russie et de la Hongrie et qu’il renforçait ses partenariats avec certaines monarchies du Golfe et la Turquie. En fait, les dirigeants tchadiens ont exploité l’indifférence des organisations multilatérales et les rivalités internationales pour s’assurer une plus grande latitude dans la gestion de leurs affaires intérieures et perpétuer leur pouvoir autocratique.

Par ailleurs, les derniers scrutins ont suscité une immense frustration au sein d’une partie de la société tchadienne, notamment la plus jeune. Il existe donc un risque de voir ces désillusions à répétition envers les institutions politiques « issues d’élections de façade » venir alimenter un peu plus la fragmentation du pays et fragiliser l’apparente stabilité du régime. Personne ne peut dire aujourd’hui si le calme qui règne à « l’ombre des armes à feu durera longtemps et partout ». Le boycott des élections législatives et locales par les principales forces de l’opposition, qui estimaient que les principes de sincérité et de transparence des opérations électorales n’étaient pas réunis, souligne la fragilité des processus électoraux au Tchad et illustre comment toute mainmise sur un processus électoral peut in fine affaiblir un régime, même autoritaire, en érodant sa légitimité et en minant la confiance populaire. En outre la récente arrestation de Succès Masra, quelques mois seulement après l’organisation d’élections générales pourtant largement « gagnées » par le pouvoir, vient confirmer, pour l’opinion publique, que toute traduction politique de son désir de changement est impossible au sein du système institutionnel tel qu’il est actuellement. Si cette arrestation devait être le prélude à une interdiction du parti des « Transformateurs » autour duquel des foules innombrables s’étaient rassemblées dans les grandes villes du sud pendant la campagne présidentielle, la stabilité de ces régions serait loin d’être garantie.

La recherche d’une légitimité interne grâce à la politique extérieure

Il est important de souligner que les coups d’État à répétition survenus au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont tous débouché sur un renversement des alliances diplomatiques et militaires de ces États. En effet, à défaut de pouvoir trouver une légitimité par les urnes, les régimes militaires au Sahel ont tous instrumentalisé le sentiment nationaliste pour mieux conforter leur pouvoir. Le repositionnement récent du Tchad sur la scène internationale s’inscrit parfaitement dans cette dynamique. Ainsi, la rupture de l’accord de coopération en matière de défense avec la France, survenue fin novembre 2024, illustre autant une certaine fragilité du régime en place à Ndjamena que sa volonté de renforcer ses soutiens sur les plans national et international.

Dans un premier temps, pour regagner le cœur de Tchadiens frustrés par la victoire électorale du MPS et désillusionnés par cette succession dynastique qui ne dit pas son nom, le pouvoir a actionné l’arme infaillible du « souverainisme » et de la « détestation de la France ». En s’appuyant sur ce discours populiste et nationaliste, le nouvel exécutif, contraint de composer avec une diversité de courants d’opinions, cherche à asseoir une légitimité qu’il ne peut obtenir par les urnes. Le rejet de la France devient ainsi un moyen peu coûteux de se forger une stature nationale. Par ailleurs, cette posture répond aux attentes de plusieurs acteurs politiques, tant au sein de la caste militaire dirigeante que de l’opposition, qui réclament périodiquement, depuis 1975, le départ des forces françaises. Il s’agit donc en réalité de renforcer son assise politique tout en affichant des signes de rupture destinés à donner l’illusion d’un renouveau de la gouvernance.

Depuis le début de 2020, l’évolution de la stratégie française d’influence militaire au Sahel suscitait de fortes inquiétudes à Ndjamena, où les autorités ont pris conscience que leur survie ne pouvait plus reposer exclusivement sur la France. À cela se sont ajoutés la pression des opinions publiques hostiles au maintien des bases militaires françaises, perçues comme un vestige du néocolonialisme, l’élan des États africains vers une diversification de leurs partenariats, l’intensification des rivalités entre grandes puissances, les offensives notamment diplomatiques de la Russie sur le continent ainsi que l’impact de la guerre informationnelle menée par Moscou dans les pays francophones du sud du Sahara. Dans ce contexte, à partir de 2022, l’exécutif tchadien a entrepris un rapprochement avec de nouveaux partenaires stratégiques, tels que la Russie, la Turquie, les Émirats arabes unis, la Chine ou encore la Hongrie. En toile de fond, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest avaient entamé une recomposition politique et diplomatique, qui redessine les équilibres régionaux.

Toutefois, la fin de la protection française du clan Déby représente, à bien des égards, un saut dans l’inconnu pour le régime en place. Cet épisode « souverainiste » à destination principalement de la scène nationale a également projeté le pays dans un mouvement plus profond qui le situe à la frontière de l’alliance pro-russe de l’AES. D’ailleurs, conscient des incertitudes que cela soulève, le président Mahamat Déby Itno a rapidement tenu à nuancer la décision de rupture avec la France en précisant que cela ne concernait que la configuration actuelle de l’accord de coopération militaire afin « d’adapter la coopération aux nouvelles réalités sécuritaires et géopolitiques ». Contrairement aux pays de l’AES, le Tchad a d’ailleurs insisté sur le fait que cette décision ne signifiait pas une remise en cause du partenariat historique avec la France.

Le régime tchadien, en ce qui le concerne, fait face à des menaces sécuritaires grandissantes : d’abord en raison de l’échec partiel de la lutte contre Boko Haram, dont la présence et les actions déstabilisatrices ne cessent de s’intensifier dans la région du lac Tchad. Cette insécurité persistante est aggravée par les hésitations entourant la Force mixte multinationale (FMM), censée coordonner la riposte régionale, mais dont l’efficacité reste limitée. Par ailleurs, la stratégie d’endiguement adoptée par les autorités apparaît de plus en plus inadaptée aux réalités sécuritaires à l’ouest du pays, où les dynamiques de conflit évoluent rapidement, mettant potentiellement en péril la stabilité du régime. En fait, le Tchad se trouve à un carrefour stratégique dans sa lutte contre les groupes armés et peine à définir la meilleure approche à adopter. L’adhésion à l’AES pourrait constituer une option, car le pays ne peut affronter seul cette menace sécuritaire grandissante. Toutefois, Ndjamena doit manœuvrer avec précaution afin de ne pas compromettre ses relations avec le Nigeria, un partenaire clef tant sur le plan sécuritaire qu’économique. Cette interdépendance est mutuelle, puisque le Nigeria a également besoin du soutien militaire tchadien dans son combat contre Boko Haram, rendant leur coopération indispensable pour la stabilité régionale.

Synthèse de Abdou Karim MBAYE

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