Depuis l’arrivée des nouvelles autorités, les entreprises sénégalaises connaissent des difficultés à cause de la pression fiscale, des blocages des comptes bancaires, de la baisse de la productivité etc…. Cette situation inquiète les chefs d’entreprises ainsi que les travailleurs. Aucun secteur n’est épargné par cette hémorragie sociale.
Cette situation rappelle le contexte économique et sociale des Etats-Unis et de l’Europe dans les années 90. L’Occident avait, à l’époque, connu des mutations politiques provoquant également un détachement des populations des cercles politiques. Par exemple, les pays comme le Japon et les États-Unis ont vu leur population accuser les acteurs politiques comme étant, « les principaux responsables de la crise d’une société qui n’offre ni sécurité ni solidarité et où les frustrations de tout ordre se multiplient » écrivait Ignacio Ramonet dans son livre «Géopolitique du chaos ». Nous allons rappeler plusieurs éléments de cet ouvrage à travers cet article.
Décrivant la situation aux Etats-Unis, Ramonet écrit : «le chômage risque de devenir structurel et endémique… Aux États-Unis, par exemple, la General Motors a fermé 21 usines, licencié 20.000 ouvriers, 10.000 Cadres, IBM a supprimé 20.000 emplois, Digital Equipment, 10.000, etc. ».
Aujourd’hui, depuis 03 mois, le Sénégal traverse une crise, pour le moment, silencieuse, qui reste d’emporter l’espoir de toutes les populations qui ont voté pour le président Bassirou Diomaye FAYE.
Certains se demandent encore s’il faut continuer à croire à la volonté déclarée par le gouvernement de développer l’industrie nationale et l’emploi au Sénégal, au vu, des décisions prises depuis son installation. Ces décisions, il faut le dire, vont dans le moyen terme, envoyer plusieurs travailleurs au chômage par une extinction progressive des activités des entreprises.
Le transport, le commerce, la presse, le secteur minier, la boulangerie, le sucre, le secteur informel etc… Aucun secteur n’est épargné par l’amateurisme des nouveaux dirigeants, qui confondent vitesse et précipitation dans la gestion des affaires publiques, le tout sur fond de règlements de compte. Imaginons un peu, ce que sera la reddition des comptes ciblée.
Prenons l’exemple de l’industrie sucrière. Depuis toujours, la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) s’aligne derrière le gouvernement du Sénégal pour satisfaire les besoins locaux en sucre. Cela fait partie de la doctrine de la CSS. Par ailleurs, les ambitions généreuses de son Président Jean-Claude Mimran se sont toujours matérialisées par des investissements qui soutiennent la compétitivité de l’entreprise et renforcent ses capacités à former et à recruter des jeunes. C’est la raison pour laquelle, la CSS a fait passer la production annuelle de 90.000 tonnes en 2010 à 140.000 tonnes en 2020. Cette hausse de la production s’appuie sur un plan de développement en cours pour atteindre 220 000 tonnes en 2030. Cet accroissement de la production permet d’atteindre l’autosuffisance pour la consommation des sénégalais.
Malheureusement, la récente décision forcée de baisser le prix du sucre de 50 FCFA le kilogramme, aura comme conséquence, l’altération drastique de la rentabilité de l’entreprise. S’en suit ensuite, l’autorisation d’importer 100 000 tonnes de sucre, pour l’intercampagne en cours, alors que le besoin réel est évalué à 60 000 tonnes.
Ces 100.000 tonnes auront des conséquences directes sur la production de la CSS qui devra en conséquence débuter sa prochaine campagne de production, dans une situation de perte, après avoir payé ses charges, ses salaires sans recettes pendant deux mois.
Au plan social, ces décisions vont freiner le plan d’investissement (PI) mis en place par la CSS. Ce PI devrait s’appuyer sur un plan de développement qui devrait permettre le recrutement de nouveaux emplois, dont l’effectif devrait passer de 8.000 actuellement à près de 10.000. Les maladresses des autorités pourraient précipiter la CSS dans un plan de restructuration avec des conséquences sociales regrettables. La CSS fait partie de la crème de l’industrie au Sénégal. Elle mérite beaucoup d’assistance et d’accompagnement de la part de l’Etat pour sauver les emplois. Cela permettra de stimuler l’investissement dans le pays et de créer un environnement des affaires attractif.
Les entreprises sénégalaises traversent des moments assez difficiles. Le patron des organes de presse Sunu Lamb et Stades a décidé de fermer ces groupes pour cause de difficultés économiques. D’autres groupes de presse et d’entreprises vont mettre la clé sous le paillasson dans les mois à venir. Par ailleurs, d’autres entreprises vont décider de quitter le Sénégal pour ouvrir leur filiale en Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin ou au Maroc.
Comme dans les années 90, aux États-Unis, où les entreprises pétrolières, de l’automobile, de l’hôtellerie etc … avaient supprimé plusieurs emplois, parce que «le pays plongeait dans la récession et la croissance restait trop faible pour tirer l’emploi » rappelait Ignacio Ramonet.
Prés de 400 contrats suspendus au Port de Dakar, environs 150 licenciés dans le secteur minier, grève des agents municipaux et du personnel de SGO, suspension de contrat au COUD etc… Le Sénégal d’aujourd’hui, rappelle la France, qu’’Ignacio décrit en disant que «le nombre de licenciements a dépassé, en moyenne, en 1996, les 35.000 par mois. L’hémorragie sociale atteint des proportions scandaleuses, notamment dans les industries de main d’œuvre : textile chaussure, agro-alimentaire, électroménager, automobile, bâtiment. Ce dernier secteur, à lui seul, a vu disparaître, en un an, 24.000 emplois. Celui de l’habillement, 15.000 en un semestre. La France a déjà perdu plus de 1,8 millions d’emplois industriels, et le taux de chômage atteint 11,5% de la population active. On continue cependant d’annoncer une série de « plans sociaux » visant à réduire les effectifs tant dans les entreprises publiques ( Aérospatiale, France Télécom, Sernam) que dans les groupes privés ( Pechiney, Moulinex, Peugeot) »
Bientôt, si les gouvernants ne changent pas de cap, les citoyens seront lassés par l’amateurisme qui frappe leur gestion et qui a provoqué «des dysfonctionnements des services publics », par «l’excès de bureaucratie », par le «manque de sollicitude de l’Etat » et de dépassement.
Bientôt d’autres pertes d’emplois seront connues au Sénégal du fait de la volonté des banques françaises de quitter le pays comme c’est le cas avec la Bicis et tout prochainement la SGBS. Cette situation est également décrit par Ignacio Ramonet dans son livre lorsqu’il écrit : «à l’occasion de grandes fusions, les banques envisagent la suppression de quelque 40.000 emplois. Une identique saignée se prépare dans les secteurs des assurances, de l’aéronautique et du multimédia. Et il faut ajouter la baisse de 24% des effectifs des armées, décidée par le ministère de la défense ».
Il a aussi fait remarquer que dans les années 90, l’Union Européenne, «les licenciements massifs se poursuivent, partout, chômage et sous emploi s’étendent, les salaires sont bloqués et les budgets sociaux drastiquement réduits ». C’est ça le Sénégal de 2024.
Mamadou Mouth BANE