avril 20, 2025
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Sécurité

Les principaux enseignements du conflit en Ukraine pour la politique de défense américaine

« In the end, we did what America always does, we rose to the moment, we came together, and we got it done ». C’est par ces mots que le président Biden se félicitait, le 24 avril dernier, du vote par le Congrès de la Foreign Aid Bill de 95 milliards de dollars (Mds$), dont 61,3 Mds$ pour l’Ukraine, qu’il venait de promulguer.

Abstraction faite du sempiternel happy end qui vient provisoirement clore un énième chapitre mouvementé de la vie politique washingtonienne, marqué par les luttes intestines et l’âpreté des négociations entre Républicains et Démocrates, il n’est pas sans intérêt de s’interroger sur ce que cette politique d’assistance, dont le montant cumulé s’élève à 69,8 Mds$ pour la Security Assistance et à 175 Mds$ toutes « aides » confondues, révèle des enseignements tirés depuis le 24 février 2022 en matière de défense nationale. Quels enjeux représente la guerre en Ukraine pour la politique de défense américaine ? Quels enseignements, du niveau politico-stratégique jusqu’au niveau tactique en sont tirés par le Pentagone ? Que cela nous dit-il de l’état de la défense et des forces armées américaines, ainsi que des tendances à l’oeuvre ? Quelles perspectives cela dessine-t-il en matière de politique générale d’assistance aux alliés et partenaires dans le contexte de la « compétition stratégique » ?

Si la guerre en Ukraine demeure une priorité immédiate pour Washington, ses conséquences sur les plans politique, stratégique et militaire portent toutefois autant de confirmations que d’interrogations, autant de défis que d’opportunités, pour l’Amérique comme pour l’Europe, et au-delà. En effet, le conflit s’inscrit indéniablement dans une vision géopolitique bien plus large qui fait de la rivalité stratégique avec la Chine la priorité absolue. Dès lors, l’assistance fournie doit à la fois permettre de faire face à l’urgence en Ukraine tout en s’inscrivant dans une probable confrontation indirecte de long terme avec Moscou, mais aussi et surtout avec Pékin.

Ainsi, par le biais d’un processus de retour d’expérience à l’échelle nationale, le Pentagone affine son analyse de la menace et des défis prévisibles, vérifie l’adéquation de ses concepts et doctrines avec l’évolution du caractère de la guerre, réévalue l’état, quantitatif et qualitatif, de ses capacités militaires, et veille à consolider et coordonner ses priorités et axes d’effort en lien avec l’ensemble de l’appareil étatique.

Répartition de l’aide américaine à l’Ukraine depuis mars 2022 

La Chine, avant tout 

Que l’on ne s’y trompe pas : pour le Pentagone, la première conclusion à tirer de l’irrémissible agression de l’Ukraine par la Russie porte non pas sur la stratégie à adopter vis-à-vis de ce pays – certes, la situation se détériore, mais les tenants et aboutissants du « problème russe » sont bien connus –, mais sur l’impérieuse nécessité, dans un contexte international délitescent favorable aux puissances dites révisionnistes, de redoubler d’efforts pour contenir les ambitions hégémoniques régionales voire planétaires du seul rival stratégique qui compte, la Chine. Il s’agit donc avant tout d’éviter l’écueil de la myopie stratégique dans la lecture des événements en cours, aussi graves soient-ils. Cet impératif est jugé d’autant plus prioritaire que le rapprochement sino-russe est avéré et préoccupant. On aura d’ailleurs noté, qu’à peine la guerre en Ukraine déclenchée, la communauté stratégique américaine s’emparait du « dossier Taïwan » pour interpeller la communauté internationale et appeler à la mobilisation des intelligences et des capacités occidentales face à cet autre défi d’ampleur, bien plus significatif pour l’ordre international à terme, que les actions brutales d’une puissance russe certes résurgente mais affaiblie et grevée par de multiples défis structurels. On ne s’attardera pas ici sur les limites, voire les incohérences, du traitement de la question de Taïwan au regard du cas ukrainien. On relèvera plutôt le message politique de mise en garde et de détermination envoyé à Pékin, ce dont la visite controversée de la Speaker Nancy Pelosi, le 3 août 2022, à Taïwan atteste avec éclat, ainsi que l’affichage assumé de la priorité stratégique américaine.

Les grands axes de la politique de défense américaine sont malgré tout confortés 

De facto, la dissuasion n’a pas opéré. Ainsi, le 24 février 2022, « l’impensable » advenait : l’invasion transgressive, brutale et non provoquée de l’Ukraine par la Russie constituait une surprise stratégique qui mettait au défi l’ordre international garanti par la puissance américaine. Pourtant, alors que la National Defense Security 2022 était en cours de rédaction au moment de l’invasion, rien ne vint en altérer de manière significative la teneur. Au contraire, à la date de sa publication, en octobre 2022, le Pentagone reconnaissait que ce scénario, par ailleurs anticipé par la CIA et ses propres services de renseignement, validait son analyse de l’environnement géostratégique international et, tout particulièrement, de la menace posée par la Russie « révisionniste ». Ce passage à l’acte disruptif était en effet perçu comme l’expression, certes extrême, de l’accélération du délitement de l’ordre international qui confortait l’Amérique du président Biden dans sa vision d’un affrontement planétaire inéluctable entre régimes autocratiques et démocraties.

D’ailleurs, dès avril 2022, le secrétaire à la Défense Austin déclarait sans ambages – et avec une candeur toute vertueuse – que le véritable objectif stratégique de l’Amérique visait l’affaiblissement de long terme de la Russie, au-delà de la seule gestion du conflit en cours en Ukraine. Ses propos ne faisaient qu’exprimer publiquement l’un des axes permanents de la pensée géopolitique américaine vis-à-vis de la puissance régionale russe. Néanmoins, la sécurité nationale primant sur toute autre considération, la Maison-Blanche optait pour une stratégie indirecte qui permît de soutenir massivement l’Ukraine tout en évitant à la fois l’escalade face à une puissance nucléaire majeure et l’éventuelle érosion du potentiel capacitaire du Pentagone. Elle réaffirmait alors la pertinence du concept de « dissuasion intégrée » en démontrant la plus-value de sa réactivité et de la politique de soutien conduite en coopération étroite avec les alliés et partenaires, dont le but premier était d’imposer à l’agresseur un prix exorbitant en représailles de ses actions.

La sécurité de l’Europe : le leadership américain réaffirmé, l’OTAN consolidée, la défense européenne marginalisée 

Il s’agissait donc, dans un premier temps, de restaurer un environnement sécuritaire stable en Europe en mobilisant, du niveau politique jusqu’au niveau tactique, l’ensemble des compétences américaines et alliées. Pour cela, l’engagement américain articulait concomitamment deux grandes lignes d’opérations : l’assistance directe à l’Ukraine, sous la forme d’un véritable arsenal de dispositifs soumis à diverses règlementations; la mobilisation des alliés et partenaires, à l’échelle du globe – un défi en soi puisque les premières réactions à l’agression russe avait révélé le fossé existant entre l’Occident et certaines puissances du « Sud Global » –, et prioritairement en Europe via deux vecteurs, l’OTAN et l’UE.

Ainsi, en quelques semaines, Washington allait engranger des « victoires » diplomatiques significatives par la remobilisation politique et opérationnelle de l’OTAN. Ne négligeons pas cet enseignement majeur de niveau politico-stratégique : le conflit en Ukraine a conforté Washington dans sa posture de leader indispensable en Europe et confirmé l’intérêt d’une OTAN qui oeuvre à la « remilitarisation » des alliés au service de la défense collective et, par voie de conséquence, des intérêts supérieurs de la nation américaine. La demande d’OTAN est avérée, la « remilitarisation » bénéficie principalement à l’industrie de défense américaine, et le processus d’autonomisation stratégique de l’Europe, sans être rejeté, n’est compris et accepté à Washington qu’en tant qu’initiative complémentaire de long terme dont la seule légitimité repose sur sa convergence avec les intérêts géopolitiques américains. Si le rôle des Européens est jugé crucial par la Maison-Blanche, l’UE n’en demeure pas moins, à ses yeux comme à ceux des protagonistes et des observateurs extérieurs, une puissance militaire immature et marginale malgré les quelques progrès constatés.

L’art difficile de l’exercice de la puissance 

Un examen attentif des faits et discours outre-Atlantique témoigne d’une certaine complexité de la posture américaine. L’Amérique est consciente de ses propres limites que le désordre international grandissant (répercussions du conflit à Gaza, affirmation chinoise, « autonomisation » d’alliés et partenaires, etc.) éclaire crûment, et elle doit donc veiller à maintenir un équilibre entre ses ambitions et ses devoirs, les impératifs qu’elle se fixe et les contraintes, intérieures comme extérieures, qu’elle subit. La politique de soutien total et absolu à Kiev que l’Europe promeut et dont certains souhaitent qu’elle puisse être l’épreuve inaugurale de son affirmation stratégique, n’est pas une évidence à Washington. Alors que Kiev et l’Europe sont suspendues aux décisions américaines en matière d’assistance militaire, l’Amérique, elle, distingue l’enjeu de la sécurité en Europe du sort de l’Ukraine. Non pas qu’elle soit prête à céder et à lâcher Kiev, mais sa vision va bien au-delà. Cette situation est d’autant plus intéressante que Washington peine à formuler un objectif stratégique clair : il y a en effet débat outre-Atlantique, non pas tant selon les clivages politiques traditionnels, mais plutôt entre les camps réaliste et internationaliste, qui porte sur la pertinence même d’un tel engagement aux côtés de l’Ukraine, sur la formulation de l’état final recherché et sur les lignes directrices d’un éventuel règlement négocié du conflit. Gardons donc à l’esprit, et cela vient d’ailleurs d’être démontré aux yeux du monde entier, que la politique américaine d’assistance à l’Ukraine reste in fine sujette à quatre types de facteurs : les éléments de définition des intérêts stratégiques américains ; les éléments d’appréciation de la situation du conflit en Ukraine ; le contexte de politique intérieure ; les événements internationaux.

Le Pentagone face au spectre de la guerre de masse 

Constatons d’emblée que le conflit en cours obéit à une logique de conquête territoriale mettant aux prises deux États et des forces armées conventionnelles relativement symétriques. Ce modèle « classique », dont on avait voulu croire qu’il était caduc par le fait même qu’il réintroduit le paradigme attritionnaire et le facteur « masse » (hommes et équipements) dans les grilles de lecture occidentales, donne aux responsables politiques comme aux peuples une leçon aussi précieuse que déstabilisante. Précieuse, car le « retour » de la force s’illustre de manière très concrète et pointe utilement les potentielles déficiences des systèmes militaro-industriels conçus pour prévenir ce type de scénario par la combinaison de la dissuasion et de la supériorité technologique. Déstabilisante, car le Pentagone a mesuré le différentiel existant entre ses capacités de production de munitions et d’équipements et le tribut quotidien exigé par le grand avaloir du combat de haute intensité. Plus encore, ce sont les bataillons à mobiliser et à envoyer au front, en masse, qui ont heurté l’imaginaire aseptisé des sociétés occidentales et rappelé qu’un conflit avec un ennemi dissymétrique, pire encore symétrique, se traduirait en niveaux de pertes a priori insoutenables. Pour le Pentagone, confronté aux exigences d’un conflit majeur prolongé et déterminé à préparer « la prochaine guerre », deux conclusions majeures sous forme d’impératifs se sont imposées :

  • D’une part, identifier et traiter les problèmes de sa politique industrielle et de défense qui pourraient constituer un handicap structurel, en réformant ses processus d’ac-quisition (munitions notamment) et de soutien, et en restructurant sa base industrielle et technologique de défense (BITD), visiblement trop concentrée et manquant d’agilité. Sur le plan opérationnel, le défi logistique qui en découle a conduit le Pentagone à amorcer une réflexion en profondeur autour de deux axes : la logistique avancée à l’échelle du globe, qui doit mieux concilier masse et agilité (positionnement et gestion des stocks prépositionnés), et le soutien médical, qui implique un changement d’échelle;
  • D’autre part, atteindre un nouvel équilibre entre modernisation technologique et volume de forces selon l’hypothèse haute d’une guerre symétrique de longue durée. D’ailleurs, un rapport de l’US Army War College n’a pas manqué de traiter d’un sujet éminemment polémique aux États-Unis, en l’occurrence l’éventuel recours à la conscription (draft), en tirant les conclusions logiques des observations effectuées : face au probable taux très élevé de pertes dans le cadre d’un conflit répondant aux « normes » constatées en Ukraine, le modèle actuel de la All-Volunteer Force est-il véritablement adapté et crédible ?

Les spécificités du conflit en Ukraine conditionnent la portée et la pertinence des enseignements tirés 

Toutefois, faire de ce conflit l’archétype de la guerre du futur pourrait être trompeur. Constatons d’abord que ce conflit ne correspond pas, bien qu’il puisse s’en rapprocher ponctuellement, aux Large Scale Combat Operations (LSCO). Sur les plans de la culture militaire, des modèles de force, des doctrines utilisées et des capacités mises en oeuvre, le différentiel entre les armées américaines et les forces en présence reste en effet significatif. Un deuxième constat limitant la pertinence des enseignements concerne la nature même des forces ukrainiennes que l’on peut qualifier d’hybrides au sens où elles forment une combinaison originale de références soviétiques (équipements, culture militaire), d’entreprises de modernisation accélérées (drones, recours à l’IA), d’une aptitude avérée à l’adaptation en temps réel, et d’un hétéroclisme en tous domaines. Ainsi, ces forces, malgré des progrès évidents (kill-chain), demeurent en difficulté lorsqu’il s’agit de conduire des opérations interarmées, notamment par défaut de formation des unités comme des chefs. Enfin, le dialogue entre les forces américaines et les forces ukrainiennes n’est sans doute pas toujours aussi aisé que l’on aimerait le croire puisque l’épisode de l’échec de la contre-offensive ukrainienne à l’été 2023 a révélé quelques dissensions voire incompréhensions fondamentales entre l’échelon stratégique américain et son pendant ukrainien attaché à certaines dimensions symboliques et psychologiques du conflit. On touche là, sans surprise, aux limites des leçons distanciées.

De grandes orientations opérationnelles validées 

Tout bien pesé, l’interarmées américain voit dans le conflit en cours un laboratoire où sont en partie testés et validés, de manière générale, ses principaux concepts et doctrines. Il en retient tout d’abord la plus-value incomparable apportée par l’anticipation, surtout lorsque celle-ci se conduit sur plusieurs années – certes dans une logique dissuasive – et permet de développer en amont des procédures, des savoir-faire et des processus d’organisation et de planification en commun avec le pays-cible. Que l’on admette ou rejette le qualificatif de proxy warfare dans le cas d’espèce, il est indéniable que le façonnement de l’appareil politico-militaire ukrainien par les États-Unis en particulier a directement contribué à la réactivité et à la résilience des forces ukrainiennes. La Joint Force voit également la plupart de ses grandes orientations, sur les plans conceptuel et doctrinal, confortées. Nombre d’analystes estiment en effet que la Révolution dans les affaires militaires, dans sa dimension technologique, avait globalement vu juste puisque le conflit atteste l’importance, entre autres, des opérations cyber et d’information, de l’intégration de l’intelligence artificielle – et des nouvelles technologies – dans les systèmes militaires, ou encore de l’accélération de la boucle OODA. Ce constat est toutefois tempéré par le fait que la défensive semble nettement l’emporter sur l’offensive, désormais rendue extrêmement difficile voire impossible, du moins sur ce théâtre d’opérations. Par ailleurs, les lacunes et déficiences en matière de combat interarmes et interarmées des forces en présence constituent pour la Joint Force la preuve par défaut de la criticité de ces compétences dont on estime que la maîtrise permettrait sans doute de faire la différence sur le terrain. Or, celle-ci ne s’acquiert qu’avec le temps et s’inscrit dans un ensemble très cohérent de pratiques qui exigent un haut degré de technicité et de formation, individuelle et collective. Enfin, le Pentagone estime pertinents ses choix récents que cristallise le concept de Multi-Domain Operations, un défi en soi non encore pleinement relevé, mais une dimension du combat dans laquelle les forces armées américaines sont certainement en avance.

Disparité des enseignements pour les Services 

En première ligne du processus de RETEX, l’Army, dans la continuité d’ailleurs de ses propres observations post-Crimée 2014, voit ses priorités conceptuelles et doctrinales confirmées (MDO, manoeuvre interarmes, action en profondeur, « autonomisation » des petits échelons et dispersion, maîtrise et intégration de l’IA dans les « nouvelles armes » et la chaîne renseignement, etc.). Elle réfléchit également à la mise en oeuvre d’une politique de « dronisation » massive et s’interroge en particulier sur le concept de « char du futur » en raison de la vulnérabilité des blindés amèrement constatée en Ukraine. Mais, par-delà ces considérations, sa préoccupation première est double et pourrait se transcrire ainsi : comment maintenir son avantage opérationnel dans la perspective d’un conflit majeur avec la Chine, et comment assurer « la viabilité dans la durée d’un modèle de force très exigeant à tous les niveaux associant MDO, hautes technologies et Mission Command ».

L’Air Force valide l’ensemble de son approche conceptuelle et doctrinale dont la cible demeure l’engagement majeur face à la Chine, tout en reconnaissant le besoin d’accélérer dans certains domaines (Contre-SDAI, CCA, JADC2). Sans surprise, c’est surtout l’acquisition de la supériorité aérienne qui la préoccupe puisqu’elle conditionne la conduite de la guerre selon les « modalités » privilégiées par les forces armées américaines.

Nouvellement créée, la Space Force ne peut que se sentir légitime et pertinente au vu des premiers retours d’expérience d’Ukraine. La combinaison des capacités spatiales militaires, civiles et commerciales est d’une redoutable efficacité, la résilience des chaînes de satellites commerciaux constitue un enjeu majeur, et les systèmes au sol reliés à l’espace sont très vulnérables. La Space Force en conclut qu’il faudra à l’avenir disposer de postes de commandement mieux protégés, notamment contre la menace cyber, ce qui pourrait nécessiter d’harmoniser voire d’uniformiser les moyens, y compris ceux des alliés et partenaires, soit par l’achat d’équipements communs, soit par la construction de systèmes de défense cyber communs.

Enfin, les dimensions maritime, aéronavale ou amphibie du conflit étant marginales, les enseignements pour l’US Navy et le Marine Corps demeurent limités. La Navy souligne l’importance du maintien des lignes de communication (sea lanes) et le potentiel stratégique des feux terre-mer et mer-terre (Mer Noire), tandis que le Marine Corps valide son Force Design 2030 tourné vers l’Indopacifique et ne retient du conflit que la létalité accrue des frappes dans la profondeur conduites par de petites unités, le poids prépondérant de la guerre informationnelle et la persistance du combat à très courte portée (close-in battle) en dépit du développement des « nouvelles technologies ».

La guerre à l’âge de l’information 

La guerre informationnelle aura marqué ce conflit et mis en évidence le rôle déterminant de l’information, du niveau tactique au niveau politique, et des campagnes orchestrées à l’échelle planétaire dont la cible est l’« opinion internationale ». Le constat est unanime : la guerre de l’information est bien plus qu’un domaine d’action, un champ de compétences ou une « arme » ; elle est consubstantielle à l’environnement politico-stratégique dont elle se nourrit et qu’elle façonne en retour, au quotidien, de manière quasi instantanée, sans plus de barrières ni de contraintes, qu’elles soient éthiques ou physiques. Le Pentagone, pragmatique, en déduit trois impératifs : maîtriser la guerre dite cognitive, améliorer la résilience des systèmes et la protection de la BITD, et approfondir de nouvelles pistes telles que celle de l’Internet of Things.

Dans ce contexte, il n’est sans doute pas excessif de dire que la fonction renseignement a changé le cours de la guerre à l’hiver 2022, une entreprise certes facilitée par les déficiences russes. À titre d’exemple, « Le recours aux moyens spatiaux civils comme militaires à fins de renseignement combiné à la diffusion du SIGINT, en boucle courte, jusqu’aux plus petits échelons tactiques, pour ciblage » peut être considéré comme un succès majeur de la coopération entre les États-Unis et l’Ukraine. Ainsi, l’utilisation de l’écosystème spatial commercial constituera un enjeu majeur de domination du champ de bataille futur qui impose d’ores et déjà d’approfondir, voire de systématiser, une coopération technologique (innovation), industrielle et opérationnelle entre le Pentagone et les entreprises civiles concernées.

Ce conflit est aussi un véritable laboratoire pour le « domaine cyber ». Le Pentagone y voit la confirmation de la pertinence de son concept-cadre de « persistent engagement » ou « continual campaigning » dès le temps de paix, ainsi que de sa doctrine dite « defend forward » qui repose en particulier sur les hunt-forward operations (HFO).

Notons que ces considérations alimentent un débat doctrinal qui porte sur la nature dudit domaine. Pour certains, la théorie du « knock-out » ou « Pearl Harbor Scenario » a perdu de sa crédibilité alors qu’une guerre numérique d’attrition semble beaucoup plus probable.

Il faut s’y préparer et concevoir sur le plan cyber une « architecture opérationnelle multidomaine » permanente, résiliente et, si possible, compatible avec d’autres architectures en place, ou plutôt à construire, chez les alliés et partenaires prioritaires.

La coopération de sécurité : bilan provisoire, défis et perspectives 

Nous conclurons par quelques remarques tirées de l’analyse de la coopération de sécurité au profit de l’Ukraine en laquelle la plupart des experts voient un exemple probant de l’efficacité d’une politique anticipatrice coordonnée non seulement avec le pays-cible, mais aussi avec un réseau d’alliés et de partenaires pleinement mobilisés. Certains considèrent ainsi que dans le cas présent, les États-Unis ont obtenu un succès stratégique pour un investissement relativement modeste opéré entre 2014 et 2021.

Sur le plan tactico-opérationnel toutefois, la gestion du conflit ouvre une nouvelle dimension, bien au-delà du cadre restreint initialement envisagé des opérations dites irrégulières. Elle implique une adaptation de l’outil militaire à la conduite d’opérations d’assistance de grande envergure dans la durée, ce qui n’est pas le moindre des défis, ce dont attestent les résultats décevants des opérations menées à l’été 2023 par les unités ukrainiennes « formées » par les forces occidentales.

Le Pentagone poursuit donc son analyse du « modèle ukrainien » dans l’intention d’en appliquer les leçons pertinentes de manière plus systématique voire standardisée à terme au profit de sa politique de développement et d’opérationnalisation de ses partenariats, en Indopacifique. De FRS

 

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