décembre 16, 2025
LA SOCIÉTÉ "MY MEDIA GROUP " SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU QUOTIDIEN "DAKARTIMES" DERKLE CITE MARINE N° 37. EMAIL: courrierdkt@gmail.com. SITE WEB: www.dakartimes.net.
Actualité

Les réfugiés… l’heure des comptes à Genève Abderrafie Hamdi ( Genève)

Du 15 au 17 de ce mois, Genève accueille un rendez-vous discret dans sa forme, mais décisif dans sa portée. À mi-parcours entre le Forum mondial des réfugiés de 2023 et celui prévu en 2027, la communauté internationale est invitée à un exercice rarement assumé avec franchise : faire le bilan. Mesurer ce qui a été promis, ce qui a été partiellement tenu, et ce qui, parfois, a été silencieusement abandonné. Derrière l’intitulé technocratique de programme review, c’est bien l’heure des comptes qui sonne pour le système international de protection des réfugiés.

Ce moment intervient dans un contexte mondial marqué par une accumulation de crises et une fatigue croissante de la solidarité internationale. Le nombre de personnes déplacées de force atteint des niveaux inédits, tandis que les réponses politiques et financières s’amenuisent. Genève devient ainsi le théâtre d’un paradoxe troublant : jamais la question des réfugiés n’a été aussi centrale dans les discours officiels, et jamais elle n’a semblé aussi marginale dans les priorités effectives des États.
Cette fragilité est accentuée par une transition institutionnelle majeure. Le mandat de l’actuel Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés arrive à son terme, ouvrant la voie à la nomination de Barham Saleh, ancien président de la République d’Irak. Ce choix marque une rupture symbolique forte : pour la première fois, le HCR pourrait être dirigé par une personnalité issue d’un pays historiquement exposé aux déplacements forcés plutôt qu’aux responsabilités financières du système. Ce changement de perspective intervient toutefois à un moment critique, alors que l’institution traverse une crise budgétaire profonde.

Le retrait des États-Unis, qui assuraient près de 40 % du budget du HCR, a provoqué un choc systémique. Les partenaires européens, malgré leurs déclarations de principe, n’ont pas été en mesure de combler ce vide. Les conséquences sont concrètes : programmes suspendus, mécanismes de protection fragilisés, solutions durables repoussées au profit de l’urgence immédiate. La question n’est plus seulement celle de la protection, mais de la soutenabilité même du système.

Lors de la séance d’ouverture, le Haut-Commissaire sortant n’a pas cherché à masquer la gravité de la situation. Son tableau de l’état des réfugiés, des déplacés internes et des apatrides était sombre, presque implacable. Il a surtout mis en lumière un affaiblissement inquiétant du principe de solidarité. Son regard s’est porté avec insistance sur l’Afrique, continent qui accueille une part considérable des populations déplacées, souvent dans des pays aux capacités économiques limitées. Le Soudan, en particulier, a été évoqué comme une « honte pour l’humanité », formule rare dans un langage diplomatique habituellement feutré.

Cette réalité invite aussi à déconstruire une idée reçue tenace. Contrairement à une perception largement répandue, les réfugiés ne sont pas accueillis majoritairement dans les pays occidentaux. En 2025, cinq pays concentrent à eux seuls près des deux tiers des réfugiés dans le monde. La Colombie accueille environ 2,8 millions de personnes, l’Allemagne et la Turquie près de 2,7 millions chacune, l’Iran 2,5 millions, et l’Ouganda environ 1,9 million. Ces chiffres rappellent une évidence souvent occultée : l’exil est d’abord pris en charge par les pays du Sud ou par des pays en développement, parfois fragiles, souvent exposés à leurs propres tensions sociales et économiques.

L’Afrique illustre pleinement cette asymétrie. Des pays comme l’Ouganda, le Tchad ou l’Éthiopie continuent d’ouvrir leurs frontières et de partager des ressources limitées, tandis que les mécanismes internationaux de répartition des responsabilités demeurent largement théoriques. La solidarité proclamée peine à se traduire en engagements financiers prévisibles et durables.

Le Forum de Genève révèle ainsi une vérité inconfortable. Le droit international des réfugiés n’est pas en crise par manque de normes ou de cadres juridiques. Il vacille par déficit de volonté politique. L’« heure des comptes » ne devrait pas se limiter à un exercice d’évaluation administrative. Elle devrait interroger la cohérence morale d’un ordre international qui célèbre la dignité humaine tout en tolérant des abandons prolongés.

Les prochains mois seront décisifs. Soit la communauté internationale accepte de repenser ses priorités, ses modes de financement et le partage réel des responsabilités ; soit Genève restera un lieu de constats lucides, pendant que l’exil continuera d’être assumé, dans le silence, par ceux qui en ont le moins les moyens.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *