avril 20, 2025
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Politique

L’ISLAMISME DANS LE MONDE OCCIDENTAL : Les raisons d’une montée en puissance 

Le mouvement de l’Islam « woke » est lancé par les néo-radicaux islamistes s’est organisé et internationalisé notamment en France où il est porté par des jeunes soucieux de leur religieux et de leur spiritualité.   Aujourd’hui, le wokisme, dans ses diverses manifestations, constitue sans doute un vecteur politique parfait pour les islamistes, selon Lorenzo Vidino, directeur du programme de recherche sur l’extrémisme à l’université George-Washington. Dans une étude intitulée « La montée en puissance de l’islamisme woke dans le monde occidental », il monytre comment les développements les plus récents ont vu se multiplier les ponts entre islam radical et ce qui est désormais nommé « culture woke », dans un contexte de propagation des contenus profondément modifié par les chaînes satellitaires et les réseaux sociaux. Ainsi M. Vidino, présente dans sa note que vient de publier la Fondation pour l’innovation politique, les structures, soutiens et thèmes de cet « islamisme woke » ou « islamo-wokisme », mais aussi les réactions négatives, particulièrement en France et au sein même des musulmans occidentaux.

L’étude de Lorenzo Vidino, cherche à analyser certaines des dynamiques clés derrière l’islamisme woke en Occident, de ses origines à ses nombreuses manifestations. L’analyse de ce nouvel islamisme est relativement récente et est complexe car l’évolution n’est pas la même d’un pays à l’autre, ce qui rend impossible une évaluation complète de ses aspects comme de ses implications. Malgré ces difficultés, cette note vise à faire la lumière sur un phénomène qui modifie considérablement le visage de l’islamisme en Occident et qui doit donc être compris aussi bien par les universitaires que par les décideurs politiques.

ISLAMISME ET POLITIQUE ULTRAPROGRESSISTE

Le Directeur du programme sur l’extrémisme à l’université George-Washington part du constat que : La relation entre la gauche et l’islamisme – deux termes qui, bien sûr, englobent un éventail très diversifié d’opinions et de courants politiques – est complexe. Même en limitant notre analyse à l’Occident, il est impossible de saisir, ne serait-ce que de loin, ses nombreuses facettes. Ce serait de toute façon une tâche qui dépasse le cadre de ce travail5. Pourtant, il est juste de dire que l’une des tendances les plus marquantes qui a caractérisé la relation entre certains de ces éléments les plus progressistes, et parfois les plus radicaux, de la gauche et de l’islamisme est la sympathie et le désir de coopérer.

Pour Lorenzo Vidino à gauche, de nombreuses voix, y compris dans les milieux les plus progressistes, adoptent une approche nettement différente, en soulignant les nombreux enjeux sur lesquels les deux mouvements diffèrent fortement et en s’opposant à toute vision favorable de l’islamisme6. Mais une fascination pour l’islamisme s’est emparée d’une grande partie de la gauche occidentale depuis les années 1950. Le puissant anticolonialisme de l’islamisme, son rejet de ce qu’il perçoit comme des constructions sociales et économiques imposées par l’Occident, son antiaméricanisme et son antisionisme ainsi que sa capacité à mobiliser les masses ont suscité l’admiration de larges pans de la gauche occidentale.

Selon le chercheur, cette sympathie, jointe à la perception d’ennemis communs, a conduit à admettre une alliance avec les islamistes. Ce point de vue a été partagé, ouvertement ou non, par de nombreux membres de la gauche occidentale, allant de personnalités éminentes à certains groupes d’extrême gauche marginaux et violents7. Nombre de ces théories n’ont trouvé que peu ou pas de concrétisation. Cependant, au cours des vingt dernières années, plusieurs cas de l’alliance (parfois qualifiée de rouge-verte) ont eu lieu dans les milieux plus traditionnels de la gauche dans divers pays occidentaux. Nombreux sont ceux qui considèrent que l’alliance qui a émergé au Royaume-Uni au début des années 2000 autour de la coalition Stop the War (STWC) est un exemple typique de cette dynamique8.

À l’origine, si l’on se fie toujours à l’étude de Lorenzo, il s’agissait d’un partenariat entre diverses organisations dirigées par le Socialist Workers Party et le Communist Party of Britain. À l’approche de la guerre en Iraq, en 2003, STWC a fait appel à la Muslim Association of Britain (MAB), fondée et dirigée par d’éminents militants des Frères musulmans établis au Royaume-Uni, tels que Kamal Helbawy, Azzam Tamimi et Anas al-Tikriti. Impressionnés par la participation à une manifestation anti-israélienne que la MAB avait organisée dans le centre de Londres en avril 2002, les dirigeants de STWC demandèrent à la MAB de rejoindre la coalition. Il convient de noter que la manifestation anti-israélienne de la MAB avait été largement critiquée pour la présence d’emblèmes du Hamas et du Hezbollah, et pour avoir brûlé des drapeaux israéliens et américains.

A en croire le chercheur, l’offre suscita un vif débat interne, les dirigeants de la MAB pesant les avantages d’étendre leur message à un niveau beaucoup plus large et les coûts potentiels qu’une alliance avec les marxistes, les athées et les homosexuels aurait pu leur causer, notamment parmi les segments les plus conservateurs de la communauté musulmane10. En fin de compte, la MAB accepta d’entrer dans une forme de partenariat d’égal à égal, en coopérant étroitement mais en restant constitué comme un bloc autonome avec son propre agenda. L’association imposa également comme conditions nécessaires à sa participation la présence d’aliments halal, un hébergement adapté à sa pratique religieuse ainsi que des réunions et des manifestations où hommes et femmes seraient séparés11. Malgré les protestations de certains de leurs membres, les dirigeants du STWC auraient accepté toutes ces conditions.

La coopération entre la MAB et STWC a été un succès, puisque des centaines de milliers de manifestants ont participé à leurs différents événements. Elle a également conduit à la formation d’un parti politique, Respect/The Unity Coalition, qui a néanmoins remporté des succès mineurs dans les urnes. Parmi ses candidats figuraient des leaders d’extrême gauche comme le député Old Labour George Galloway et le leader trotskiste du Socialist Workers Party Lindsey German, des membres de la MAB comme Anas al-Tikriti, et d’autres activistes musulmans comme Salma Yaqoob et Yvonne Ridley, une journaliste britannique convertie à l’islam après avoir été retenue en captivité par les talibans.

Des formes de coopération assez similaires ont eu lieu dans d’autres pays occidentaux au cours des vingt années écoulées. Or, dans la dernière décennie, certaines fractions parmi les plus progressistes de la gauche occidentale ont adopté des thèmes, des modèles et une rhétorique sensiblement différents de ceux qu’elle utilisait traditionnellement. Les politiques identitaires, l’intersectionnalité, les préoccupations concernant les injustices et les préjugés systémiques sont devenus les thèmes prédominants parmi les militants de gauche, en particulier parmi la jeune génération. Le terme « woke », bien que contesté par certains pour être devenu quelque peu péjoratif de la tendance, est fréquemment utilisé pour décrire cette approche du militantisme politique.

Le wokisme, dans ses diverses manifestations, constitue sans doute un vecteur politique parfait pour les islamistes. La tendance à blâmer la whiteness (« blanchité ») et la supposée tendance dominatrice de l’homme blanc et sa prétendue responsabilité dans la plupart des malheurs du monde sont, par exemple, parfaitement adaptées à une idéologie comme l’islamisme, née dans la première moitié du xxe siècle en opposition au colonialisme et qui, depuis, a imputé à l’Occident une grande partie des problèmes du monde musulman. De même, des formes radicales de politique identitaire correspondent parfaitement à la revendication de longue date des islamistes occidentaux selon laquelle les communautés musulmanes occidentales devraient avoir le droit à leurs propres structures sociales, éducatives et juridiques distinctes. Si, dans ses écrits des années 1990, Yussuf al-Qaradawi exhortait les islamistes occidentaux à « essayer d’avoir [leur] propre société au sein de la société dans son ensemble » et à « essayer d’avoir [leur] “ghetto musulman”13 », les politiques identitaires conflictuelles d’aujourd’hui offrent aux islamistes des arguments pour faire valoir que les musulmans ont besoin de safe spaces [« espaces sûrs »] pour être protégés du « racisme structurel » et préserver leur identité.

De plus, le wokisme fournit aux islamistes occidentaux une arme rhétorique puissante et polyvalente : l’islamophobie. Il est certain que la haine et la discrimination à l’égard des musulmans sont malheureusement des problèmes assez répandus, qui se manifestent dans tout l’Occident à la fois de manière subtile et, parfois, par des actions violentes spectaculaires. Mais les islamistes ont tendance à amplifier et à instrumentaliser le problème pour servir leurs objectifs propres, différents, mais qui ont des points communs. Avec les communautés musulmanes, les islamistes occidentaux cherchent à utiliser la carte de l’islamophobie pour promouvoir une identité islamique forte et se tailler une place de leader. Les islamistes occidentaux ont compris depuis longtemps qu’aucun autre facteur n’a plus d’impact sur la formation d’une identité collective que l’existence ou la perception d’une force extérieure menaçant la communauté. Ils ont également fait preuve d’une grande habileté afin de s’imposer comme les principaux défenseurs de causes qui indignaient la majorité des musulmans, même ceux qui ne partageaient pas les penchants islamistes. De l’affaire Rushdie aux caricatures danoises15, du conflit israélo-palestinien aux controverses sur le voile dans divers pays européens, les islamistes occidentaux ont utilisé leurs importantes ressources et leurs capacités de mobilisation pour mener des protestations contre des événements qu’ils décrivaient comme faisant partie d’un schéma d’agression occidentale contre les musulmans et l’islam.

LES RÉSEAUX ISLAMISTES INVESTISSENT LE WOKISME

Tandis que le wokisme se répandait dans les sociétés occidentales au cours de la dernière décennie de notre siècle, les islamistes occidentaux l’ont également embrassé, selon Directeur du programme sur l’extrémisme à l’université George-Washington. Le chercheur souligne qu’ils ont de plus en plus souvent replacé dans ce nouveau cadre plusieurs de leurs problèmes historiques, tels que la Palestine ou la discrimination antimusulmane. Ce nouveau cadre progressiste parfois accompagne mais le plus souvent remplace les cadres islamistes, au moins dans les apparences. Ils ont également adopté de nouveaux thèmes traditionnellement étrangers, voire contraires, au discours islamiste, tels que le programme anticapitaliste de lutte contre le changement climatique ou même l’égalité des sexes.

D’après, Lorenzo Vidino Cette nouvelle approche pose la question de sa sincérité. Un observateur sceptique pourrait affirmer qu’il s’agit d’une pure façade, que les islamistes utilisent le langage de la gauche progressiste simplement pour être perçus comme modérés, pour se débarrasser de la mauvaise image qui ternit les milieux islamistes dont ils sont issus et pour être acceptés dans les cercles dominants. La crainte des esprits critiques est que les islamistes n’aient pas abandonné leurs vues et aient simplement adopté habilement le wokisme comme outil politique pour mieux promouvoir leurs objectifs qui, en réalité, ont peu à voir avec les causes progressistes.

Comme on l’a vu, estime M. Vidino, ces nouveaux activistes sont nés en Occident. Ils ont fait leurs débuts dans les milieux islamistes occidentaux. Ils ont surtout étudié dans des universités de sciences humaines et sociales, et non dans des universités techniques, contrairement aux pionniers du mouvement. Souvent, ils ont pris part aux activités d’associations non islamistes. Tout cela, considéré dans son ensemble, signifie que les nouveaux islamistes ont été profondément exposés au wokisme. Ils peuvent avoir véritablement adopté au moins quelques éléments de sa vision du monde et de son cadre d’interprétation. Sur le fond, il n’est pas impossible que les jeunes islamistes occidentaux aient véritablement intégré divers aspects du wokisme, en les juxtaposant et en les articulant aux éléments composant la vision du monde islamiste qu’ils ont également assimilés dans leur parcours d’activiste.

Conversion sincère ou discours de façade, il est impossible de déterminer laquelle des deux positions est la bonne. D’évidence, chaque cas doit être examiné individuellement. Plusieurs exemples montrent qu’une position intermédiaire est probablement plus appropriée, celle qui considère que les islamistes occidentaux à la fois embrassent des causes et des cadres progressistes par conviction authentique mais les utilisent aussi plus cyniquement pour faire avancer leur propre cause.

Ce qui semble clair dans cette tendance relativement nouvelle et en plein essor, c’est que, si des militants individuels peuvent adopter le wokisme à titre personnel et de manière indépendante, des organisations et des réseaux ayant des liens clairs et anciens avec l’islam jouent par ailleurs un rôle important pour favoriser ce processus. En substance, dans ce qui semble être un effort assez concerté, des groupes ou des structures islamistes établis ont mis en relation des activistes, avec ou sans antécédents islamistes, qui adoptent des positions imprégnées de wokisme de nature à faire avancer les objectifs du mouvement islamiste. Ils leur ont offert une plateforme et les ont soutenus financièrement. En substance, si l’adoption du wokisme a pu être spontanée, il existe de nombreuses preuves que les structures islamistes cherchent à l’encourager.

Les exemples de cette dynamique abondent. L’un des plus éloquents est celui d’Al Jazeera+ (plus connue sous le nom d’AJ+), qui prétend jeter « un regard de justice sociale dans un monde qui lutte pour le changement » : « AJ+ est une marque unique et mondiale d’informations et de récits numériques dédiée aux droits de l’homme et à l’égalité, obligeant le pouvoir à rendre des comptes et amplifiant les voix des communautés marginalisées qui cherchent à faire connaître et entendre leurs histoires. […]

Lancée en 2014, AJ+ est l’idée pionnière novatrice d’esprits jeunes, créatifs et infatigables de l’Unité d’incubation et d’innovation d’Al Jazeera, qui ont vu avant tout le monde émerger l’opportunité de toucher la génération Y avec un produit d’information vidéo diffusé via les plateformes de médias sociaux. […] AJ+ fait partie du réseau médiatique Al Jazeera, une entité indépendante sur le plan éditorial, financée par le gouvernement du Qatar dans le cadre d’un investissement visant à promouvoir le “bien public” – de la même manière que le contribuable britannique finance la BBC. »

Al Jazeera Arabic, l’entité mère du groupe, est bien connue pour être composée de nombreux membres et de sympathisants des Frères musulmans et pour diffuser régulièrement des points de vue islamistes, ce qui a valu à la chaîne d’être interdite dans plusieurs pays arabes et de subir de sévères critiques en Occident. AJ+, qui est très présente sur les médias sociaux en quatre langues (anglais, espagnol, arabe et français), vise un public très différent de celui de la chaîne mère et adopte une approche radicalement opposée. AJ+, en effet, présente régulièrement des reportages axés sur des enjeux centraux pour le mouvement progressiste et formulés de manière typiquement woke.

La plupart des sujets d’AJ+ n’ont rien à voir ou presque avec les questions liées à l’islam, mais accusent systématiquement les sociétés occidentales d’un modèle omniprésent d’injustice et de discrimination à l’encontre de divers groupes de victimes, allant des minorités ethniques et religieuses à la communauté LBGTQ. Ces sujets, qui constituent l’épine dorsale de la ligne éditoriale d’AJ+, sont complétés par d’autres articles qui traitent de thèmes plus proches des intérêts traditionnels des islamistes, tels que les divers conflits au Moyen-Orient ou les sentiments antimusulmans en Occident. L’insertion de ces derniers dans un récit plus large et l’utilisation d’un langage similaire pour les aborder vise clairement à rendre les points de vue islamistes acceptables pour le public d’AJ+, dont une grande partie est de la génération Y et de jeunes individus sans antécédents musulmans.

Par exemple, AJ+ English diabolise régulièrement le gouvernement américain pour diverses fautes passées et actuelles avec des articles ou des reportages filmés tels que « The Government Plot To Erase Native Languages19 », « The Real Story of the Alamo », « Capitalism Is A Disease » ou « Raoul Peck’s Journey Into the Heart of Whiteness ». On peut encore citer « Fleeing to the Heart of the Empire », un article qui compare les expériences des réfugiés vietnamiens et afghans en Amérique (« le cœur de l’empire ») : « Une fois de plus, lit-on dans l’article, ceux qui subissent les aventures impérialistes de l’Amérique se révoltent, cherchant à échapper à la conflagration au fur et à mesure du retrait des troupes. Et une fois de plus, ils se heurtent à l’indifférence générale. » Parmi les autres articles, on peut également citer « Resistance and the War on Terror in East Africa », « Palestinians are Striking to Fight Apartheid» ou encore « On COVID, India and privilege ».

Une dynamique similaire est visible pour la version francophone d’AJ+27. AJ+ français a lancé ou activement promu une série de campagnes, dont beaucoup sont imprégnées de la culture pop proche des membres de la génération Y et de leurs cadets, pour dénoncer des incidents considérés comme racistes dans la plus pure expression de la pensée woke. Il s’agit notamment de promouvoir le hashtag #BlackHogwarts pour souligner que les personnes de couleur sont gravement sous-représentées dans la série Harry Potter28, de dénoncer le twerk de Miley Cyrus et la coiffure de Kylie Jenner comme des appropriations culturelles ou de critiquer la Fédération française de football pour avoir mis en avant un joueur blanc, Antoine Griezmann, comme principal témoin de sa campagne antiraciste.

Accompagnant ces messages, qui ne servent aucun objectif islamiste si ce n’est celui de dépeindre les pays occidentaux comme irrémédiablement racistes et d’affaiblir potentiellement l’attachement à leur pays que les jeunes peuvent éprouver, la chaîne française AJ+ diffuse des messages plus conformes aux points de vue islamistes traditionnels. La chaîne a par exemple activement promu la campagne de soutien à Tariq Ramadan, lié aux Frères musulmans, après qu’il a été accusé par les autorités françaises de violences sexuelles sur plusieurs femmes. Au cours des deux dernières années, lorsque le gouvernement d’Emmanuel Macron a commencé à adopter des positions plus fermes face à l’islamisme, l’AJ+ française a intensifié sa rhétorique anti-France. Ainsi, à titre d’exemple, un article, compare la France à l’Afghanistan, à l’Arabie saoudite et à l’Iran, affirmant que les lois anti-hijab du pays européen sont identiques à celles des pays qui dictent aux femmes ce qu’elles doivent porter.

Si AJ+ est une plateforme multimédia brillante ciblant la génération TikTok avec des messages courts et simples mais produits par des professionnels, d’autres entités ayant un passé islamiste incontestable cherchent à diffuser une version plus académique du wokisme islamiste. Un parfait exemple de cette dynamique est le Center for Islam and Global Affairs (CIGA), une « institution indépendante, à but non lucratif, de recherche et de politique publique basée à Istanbul, en Turquie, et affiliée à l’université Zaim d’Istanbul31 ». Après un début modeste lors de sa création en 2010, l’université Zaim a été étroitement affiliée au Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie. Elle a bénéficié d’un financement gouvernemental important et a donc connu une croissance remarquable, atteignant le nombre de 10 000 étudiants inscrits en quelques années seulement.

Le CIGA a été créé à Zaim par l’éminent universitaire et militant palestinien Sami al-Arian, personnalité très connue dans les milieux islamistes et qui a été au cœur d’une affaire de terrorisme fortement médiatisée aux États-Unis34. Il a été arrêté en février 2003 en Floride sur la base d’un acte d’accusation comportant dix-sept chefs d’accusation. Il a finalement plaidé coupable pour l’un des chefs d’accusation. Il a été condamné à cinquante-sept mois de prison pour avoir conspiré en vue de violer une loi fédérale qui interdit de faire ou de recevoir des contributions en fonds, en biens ou services à destination ou au profit du Jihad islamique palestinien (JIP), classé SDT (Specially Designated Terrorist). Selon le ministère américain de la Justice, « dans son plaidoyer de culpabilité, al-Arian36 a admis que, pendant la période allant de la fin des années 1980 au début et au milieu des années 1990, il a été associé au Jihad islamique palestinien, avec plusieurs de ses coconspirateurs. Il a également admis avoir fourni divers services au JIP en 1995 et par la suite, tout en sachant que le JIP avait été classé SDT et qu’il se livrait à des actes de violence horribles et meurtriers ».

Après sa libération, al-Arian a obtenu l’asile politique en Turquie, où il a ouvert le CIGA. Sous la direction d’al-Arian, le CIGA s’est imposé comme une plaque tournante majeure des études sur l’islamophobie. Depuis 2018, le CIGA organise chaque année une grande conférence sur l’islamophobie, réunissant des dizaines d’universitaires et de militants parmi les plus engagés dans la recherche et la dénonciation de l’islamophobie. Une analyse des invités, des sponsors et des sujets des conférences du CIGA montre clairement un mélange entre l’islamisme traditionnel et l’ultraprogressisme, c’est-à-dire la combinaison parfaite du wokisme islamiste.

La conférence 2021 du CIGA qui, en raison de la pandémie de Covid-19, s’est tenue en ligne, a clairement mis en évidence ces caractéristiques. L’événement était coparrainé, entre autres, par l’université Ahmed-bin-Khalifa du Qatar et par Cage, une organisation britannique très controversée créée au début des années 2000 pour défendre la libération des détenus de Guantanamo Bay et qui a depuis embrassé diverses causes islamistes. Parmi les intervenants figuraient des personnes ayant des liens évidents avec l’islamisme, comme Yasin Aktai, conseiller principal du président de l’AKP en Turquie ; Chafika Attalai, membre éminent du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), organisation dissoute par le gouvernement français à la suite de l’assassinat de l’enseignant français Samuel Paty ; et Moazzam Begg, de Cage, lui-même ancien détenu de Guantanamo. De nombreux autres intervenants n’avaient pas d’antécédents islamistes, il s’agissait pour la plupart d’universitaires, d’activistes et d’avocats de la défense dans des affaires d’attentats terroristes en Occident, de façon plus générale de personnes engagées à divers titres dans des questions que le CIGA considère comme liées à l’islamophobie.

Celui qui incarne en quelque sorte le wokisme islamiste universitaire transnational du CIGA est un jeune universitaire autrichien, Farid Hafez, boursier du CIGA et présent aux trois éditions de la conférence sur l’islamophobie du CIGA. Il est également membre de la Bridge Initiative, un projet de recherche pluriannuel sur l’islamophobie » hébergé par Alwaleed Bin Talal Center for Muslim-Christian Understanding (ACMCU) de la Georgetown University. Selon le site Web de l’université : « Le Center for Muslim-Christian Understanding […] a été créé en 1993 avec pour mission de renforcer les liens de coopération entre musulmans et chrétiens et d’améliorer la compréhension du monde islamique par l’Occident. En décembre 2005, Georgetown a reçu un don de 20 millions de dollars de Son Altesse Royale le Prince Alwaleed Bin Talal d’Arabie saoudite pour soutenir et développer le centre. »

Synthèse de Rokhaya D. KÉBÉ

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