TOURNANT. La décision du président sénégalais de ne pas solliciter un 3e mandat lève la forte hypothèque qui pesait sur la présidentielle de 2024.
« Mes chers compatriotes, ma décision longuement et mûrement réfléchie est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 février 2024 et cela même si la Constitution m’en donne le droit. » C’est par ces mots que le président sénégalais Macky Sall a annoncé ce lundi qu’il ne sera pas candidat à un troisième mandat lors de la présidentielle de février 2024. Cette décision est intervenue au moment où le Sénégal connaît de fortes tensions.
Une décision mûrement réfléchie
« Le Sénégal dépasse ma personne et il est rempli de leaders capables de reprendre les rênes… J’ai écrit que le mandat de 2019 était mon dernier mandat. J’ai un code d’honneur et de dignité qui me commande de respecter ma parole d’honneur. Je veux conserver l’image de démocratie du Sénégal… Je continuerai à la défendre de toutes mes forces… et resterai à vos côtés. Soyez conscients de l’activisme des ennemis cachés. Restons fidèles à notre devise : “Un peuple, un but, une foi” », a notamment précisé le président sénégalais.
« On a tant spéculé, commenté ma candidature à cette élection […] Mes priorités portaient surtout sur la gestion d’un pays, d’une équipe gouvernementale cohérente, et engagée dans l’action pour l’émergence, surtout dans un contexte socio-économique difficile et incertain », a-t-il ajouté. « J’ai une claire conscience et mémoire de ce que j’ai dit, écrit et répété, ici et ailleurs, c’est-à-dire que le mandat de 2019 était mon second et dernier mandat », a-t-il souligné. « J’ai un code d’honneur et un sens de la responsabilité historique qui me commandent de préserver ma dignité et ma parole. »
Après avoir été un dirigeant du mouvement contre la candidature pour un troisième mandat de son prédécesseur, Abdoulaye Wade, au pouvoir de 2000 à 2012, et avoir soutenu à de multiples reprises qu’il ne ferait que deux mandats, le président Sall refusait depuis plusieurs mois de lever le doute sur ses intentions et n’avait placé aucun dauphin sur le devant de la scène.
Cette décision, dans une région marquée par les coups d’État à répétition, restaure quelque peu la réputation récemment mise à mal de la démocratie sénégalaise, alors que les opposants de Macky Sall lui prêtaient depuis des mois le dessein de se présenter à un troisième mandat, illégal à leurs yeux.
Les violences qui ont eu cours dans le pays condamnés
Il a fermement condamné les violences qui ont suivi la condamnation à deux ans de prison de son principal opposant, Ousmane Sonko, dans une affaire de mœurs. Elle le rend en l’état actuel inéligible. Elle a engendré début juin les troubles les plus graves depuis des années au Sénégal, faisant 16 morts selon les autorités, 24 selon Amnesty International et une trentaine selon l’opposition. « L’objectif funeste des instigateurs, auteurs et complices de cette violence inouïe était clair : semer la terreur, mettre notre pays à l’arrêt et le déstabiliser. C’est un véritable crime organisé contre la nation sénégalaise, contre l’État, contre la République et ses institutions », a affirmé dans son discours le président Sall.
Dans le viseur du président Sall, on devine Ousmane Sonko, président du Pastef et considéré comme son principal opposant. Celui-ci jouit d’une grande popularité auprès de la jeunesse et n’a cessé, pour sa part, de crier au complot du pouvoir – qui le réfute – pour l’écarter de la présidentielle de février 2024. Il est bloqué par les forces de sécurité chez lui à Dakar, « séquestré », selon lui, depuis le 28 mai. Dans une vidéo dimanche soir sur les réseaux sociaux, l’opposant a appelé les Sénégalais à manifester « massivement » les prochains jours, que Macky Sall se présente ou pas. Selon l’opposant, si le président ne se présente pas, ce serait pour mieux l’éliminer. En cas d’arrestation et s’il n’est pas libéré dans les deux heures, « j’appelle tout le peuple sénégalais à se lever comme un seul homme et à sortir massivement et cette fois-ci à en finir avec ce régime criminel », a-t-il dit.
Macky Sall pas candidat mais dans le combat électoral pour la présidentielle de 2024
« Si on doit mener un combat, il faut qu’il soit définitif. J’en appelle à un sursaut national. Les jours et les semaines à venir seront cruciaux » et « difficiles », a indiqué de son côté Macky Sall. Samedi, devant des élus locaux qui avaient fait une pétition pour le soutenir, M. Sall a appelé sa famille politique à l’unité et à placer « l’intérêt général » et « l’intérêt de la coalition » devant toute autre considération. « Mon combat et ma plus grande fierté sont vraiment de vous conduire vers la victoire et de poursuivre notre politique économique au bénéfice de nos populations », a-t-il déclaré, soulignant que la feuille de route pour faire du Sénégal un pays émergent en 2035 était déjà « balisée ».
Une décision qui rebat bien des cartes
Sans être exhaustives, ces réactions montrent que la décision du président Macky Sall a une portée importante pour le Sénégal, pour l’Afrique et pour la manière dont la démocratie est perçue et vécue sur le continent.
Maintenant que Macky Sall a décidé de ne pas briguer un troisième mandat, les jeux sont désormais ouverts. Son parti, l’Alliance pour la République, la coalition qui l’a accompagné au pouvoir, Benno Bokk Yakaar, et les partis alliés vont devoir s’organiser pour aller à la bataille et essayer de séduire les Sénégalais. Ses opposants politiques, au premier rang desquels se trouvent Ousmane Sonko et son parti le Pastef, vont devoir trouver un nouveau thème de ralliement pour consolider les suffrages qu’ils espèrent, étant entendu que le sort d’Ousmane Sonko lui-même est incertain. Entre les deux, il y a ce que l’Assemblée nationale va faire des résultats du Dialogue national dont l’une des recommandations est de modifier la Constitution aux fins de permettre un retour dans le jeu électoral de Khalifa Sall, l’ex-maire de Dakar, et Karim Wade, entre autres responsabilités, ex-ministre des Transports et de la Coopération internationale.
Là ne s’arrêtent pas les chantiers à gérer. À l’instar de l’avocat Mame Adama Guèye, premier coordonnateur du Forum Civil, organisation très active lors des Assises nationales qui se sont déroulées de juin 2008 à mai 2009 sous la présidence d’Amadou Makhtar Mbow, il convient de repenser les attributs de la fonction de président de la République. Intervenant dans le débat qui a suivi la Déclaration à la nation du président Macky Sall, il est revenu sur les conclusions des Assises nationales et sur cette anomalie qui fait du président un roi. Une réalité qui dessert la démocratie sénégalaise, selon lui.
Par Le Point Afrique