Dans un entretien exclusif accordé à «African Business », Macky Sall considère que l’industrie pétrolière et gazière suscitera tout un écosystème porteur d’industries nouvelles et d’emploi, mais qu’elle ne constituera pas, à court terme, une manne pour l’État. L’ancien président de l’Union africaine juge que l’Afrique doit avoir mieux conscience d’elle-même et de ses possibilités a-t-il soutenu
Selon le président sénégalais, «dans cette conjoncture défavorable, le Sénégal a pu très rapidement être au rendez-vous de la relance, de 1,5% en 2020, la croissance s’est approchée de 6% en 2022 et nous projetons 10% en 2023 ».
Pour lui, le Sénégal est arrivé «à maturité dans les investissements pétroliers et gaziers et l’ouverture de l’exploitation devrait intervenir au quatrième trimestre de l’année, probablement en novembre-décembre. Cela vient s’ajouter à nos efforts dans le secteur marchand et l’agriculture ».
Par rapport à la Banque mondiale qui prévoit que le Sénégal sera l’économie la plus performante d’Afrique, en 2023 et en 2024, le président Sall a déclaré que «cela veut dire simplement que l’économie sera robuste ! Elle va générer davantage de revenus, et naturellement plus d’investissements. Nous devons éviter de tomber dans la paresse et dans l’idée que les ressources pétrolières vont nous donner une perspective autre que celle de bien travailler comme nous l’avons toujours fait ! Ces ressources nouvelles vont venir renforcer les secteurs productifs et les secteurs sociaux ».
A propos des ressources, il a déclaré que «durant les quatre ou cinq premières années, les ressources pétrolières ne seront pas aussi significatives que vous le suggérez : c’est la période où la part qui revient aux États n’est pas très importante car elle correspond à celle où l’on rembourse le plus gros des moyens engagés, les coûts antérieurs ». Et, ajoute-t-il, «au fur et à mesure du temps, la part qui revient à l’État est plus importante, car nous avons à rembourser les investissements nous-mêmes, selon les termes des associations nouées ».
Toujours concernant l’exploitation pétrolière, le président Salla indiqué que «cette production pétrolière générera des revenus, mais le plus important pour nous réside dans l’environnement qu’elle apportera au pays. Nous attendons davantage d’activités dans l’industrie parapétrolière, dans les services et dans tous les métiers juridiques, ceux de la fiscalité, l’expertise, la comptabilité, etc. Cet environnement économique, et je n’oublie pas la logistique, permettra au pays de gagner non seulement grâce au pétrole et au gaz, mais avec tout l’écosystème qui l’entoure. Nous avons déjà organisé par la loi le cadre par lequel ces ressources seront gérées pour éviter certains errements du passé. Tout est anticipé, calibré, voté… ».
Concernant le déficit budgétaire et la dette ; le président Sall a souligné que : «nous suivons les critères de convergence de l’UEMOA : la dette doit être inférieure à 70% du PIB, ce qui paraît très faible, quand on voit que les grands pays ont passé la barre de 100% d’endettement ! Mon souhait au sein de l’Union est de relever ce plafond de l’endettement, pourquoi pas à 90% du PIB. Ce qui donnerait davantage d’espace budgétaire ; notre niveau de développement fait que l’État fait tout, donne tout, l’eau, l’électricité, etc. On ne peut pas être dans un tel schéma et plafonner ainsi l’endettement des États ».
Poursuivant ses explications, le président sénégalais a ajouté «qu’en matière budgétaire, le cadre prévoit un déficit de 3%, ce qui donne, là aussi, très peu de marge de manœuvre pour financer les innovations sociales, les écoles, les universités, les routes, sans oublier la défense et la sécurité, dont nous savons le coût. Ce cadrage très serré est trop demander à nos pays ».
Par rapport au service public sénégalais, il a indiqué que «partout en Afrique, ce n’est pas propre au Sénégal ! Cela est dû à l’état de notre développement, nous n’avons pas encore atteint un niveau où le secteur privé peut prendre le relais. Il est arrivé à certains pays européens de rester un an sans gouvernement, en Afrique, ce n’est pas imaginable ! Les salaires, pour l’essentiel, sont payés par l’État, les chantiers, les marchés, sont aussi ceux de l’État. Quand nous aurons construit l’infrastructure de base (routes, chemin de fer, les ports), le secteur privé pourra développer le tout et prospérer ».
Faisant la comparaison, le Sénégal de 2012 à nos jours, le président a soutenu «qu’en toute objectivité, il n’y a pas photo, quel que soit le paramètre que l’on met en avant. En matière de capacité économique : l’économie a été multipliée par trois, les budgets ont été aussi été multipliés par trois de 2 400 milliards de F.CFA à 6 500 milliards, en dix ans ! ».
Selon lui toujours, «en matière d’infrastructure, la comparaison est sans commune mesure : voyez ce que nous avons construit en autoroutes, en routes, en université ; dans l’agriculture, la production a été multipliée par deux, parfois par trois dans certaines spéculations. L’économie est beaucoup plus puissante, nous avons accompli des progrès dans tous les secteurs, l’eau, l’électricité… »
Il a estimé que «cela ne veut pas dire que nous avons tout réalisé, nous avons encore du travail de développement devant nous ».
Concernant le secteur agricole, au Sénégal, le président a déclaré «qu’il est déjà en mutation : la mécanisation s’accroit. Notre objectif de souveraineté alimentaire fait que nous réinjectons des ressources dans notre programme en faveur de l’agriculture de 1 600 milliards de F.CFA en trois ans. Nous n’avions jamais autant investi dans l’agriculture ! Cela se traduit par davantage de surfaces emblavées, de mécanisation, de maîtrise des semences, d’engrais, bref, davantage de productivité et de production. Sans compter nos efforts en matière de remontée de filière : transformation, commercialisation. Cette logique est un peu la même partout en Afrique : chacun prend conscience, en fonction du contexte agroécologique, qu’on ne peut pas aller de l’avant sans l’agriculture et la transformation agricole ».
Par ailleurs, le président a expliqué que «nous devons maîtriser. Puis il faut donner une perspective à la jeunesse, en matière d’employabilité, ce qui suppose d’appuyer la formation. Cela suppose de changer les paradigmes du système éducatif. Compte tenu des arrivées massives, chaque année, le système actuel ne peut pas fonctionner et il ne peut pas donner des possibilités d’emploi aux jeunes. Il faut développer davantage la formation professionnelle, et nous orienter encore plus vers les métiers du futur, ceux du numérique, du code, de la science, les métiers techniques, technologiques, l’innovation. Ces métiers de la nouvelle économie permettront d’absorber énormément d’emplois ».
Pour lui toujours, le Sénégal doit «développer les infrastructures, les routes, les écoles, nous devons poursuivre les efforts de construction. Ce qui demande énormément de moyens. Puis nous devons faire face au défi sécuritaire ; l’insécurité est une des plus grandes menaces sur nos États, notamment la menace terroriste. Je n’oublie pas les menaces intérieures, mais celles-là sont plus faciles à affronter ».
Il n’a pas oublié la maitrise de «la démographie en donnant des perspectives de formation, d’insertion, d’entreprenariat, il faut apprendre aux jeunes à entreprendre. Et développer ce concept d’entreprenariat afin que chacun soit formé pour développer son activité et que nous puissions les aider dans le financement, les accompagner, plutôt que de faire croire que l’État peut donner du travail à tout le monde. L’État prendra sa part mais celle-ci est faible par rapport aux besoins du marché du travail et il faut d’autres perspectives. Elles viendront du secteur privé, qu’il faut développer ; c’est pourquoi nous voulons une économie ouverte, une agriculture plus large mais modernisée, idem pour l’élevage, tout cela créera des emplois ».
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