Le plan des Occidentaux (France, Union européenne, Etats-Unis), c’est d’isoler Moscou sur la scène économique, diplomatique, politique et militaire. Cet isolement touche aussi les sociétés russes, les acteurs politiques et mêmes les sportifs de nationalité russe. En Afrique, les Chefs d’Etat qui coopèrent avec la Russie, sont sanctionnés par les leaders occidentaux ainsi que par leur presse anti Moscou qui refuse d’enterrer les armes de la guerre froide. Le président sénégalais Macky SALL a osé défier les Occidentaux en développant une coopération dans le domaine militaire avec la Russie. Après avoir signé des accords avec Paris en 2012 et avec Washington en 2016, le 03 Novembre 2023, Macky SALL a entamé des discussions avec Moscou pour signer des accords militaires. L’annonce a été faite par le Gouvernement russe. Les Occidentaux ne peuvent pas lui tolérer cela.
UN RAPPEL DES FAITS
Le Sénégal n’a jamais suscité autant d’intérêt chez les Occidentaux avant la découverte du pétrole et du gaz. Ces ressources stratégiques ont modifié les relations entre Dakar, les Etats-Unis et l’Europe. Chaque puissance, tente, à travers ses entreprises pétrolières, de gagner des contrats avec Sénégal entre Saint Louis offshore, Rufisque Offshore, Sangomar etc… Français, anglais, américain, australien, russe, émiratis, qataris etc… s’intéressent à ces richesses. Mais avec des approches commerciales et diplomatiques différentes.
La découverte de ces ressources au Sénégal a entrainé un changement dans la stratégie militaire de Paris et des Etats-Unis en Afrique, surtout dans le Sahel. Les plans de coopération économique mis en œuvre en Afrique par Paris et Washington, sont adossés sur une stratégie militaire. C’est de là qu’il faut comprendre que les accords militaires cachent des plans économiques que les occidentaux développent dans les pays ciblés.
Si Paris a signé de nouveaux accords militaires avec Dakar dès l’arrivée de Macky SALL, les Etats-Unis eux, ont convaincu en 2016, les autorités sénégalaises à abroger les accords militaires de 2001, pour passer en procédure d’urgence à l’Assemblée Nationale, de nouveaux accords qui autorisent une présence illimitée dans le temps, des Forces Armées Américaines au Sénégal. Ces accords militaires ont été modifiés et signés lorsque les découvertes pétrolières ont été confirmées par les équipes de BP.
D’aucuns se demanderont pourquoi les Américains s’intéressent autant aux ressources sénégalaises. La réponse est que Washington préserve ses réserves pétrolières, en allant exploiter des ressources d’autres pays plongés dans le chaos. Les preuves sont à trouver en Irak et en Libye, deux pays en faillite politique où les puits de pétrole sont exploités en toute clandestinité par des entreprises occidentales.
Ces accords de défense autorisent aux forces françaises et américaines, l’utilisation d’outils technologiques qui leur permettent d’effectuer des surveillances, du renseignement, de l’espionnage militaire et économique. Le Sénégal allait devenir un terrain d’’espionnage industriel entre puissances occidentales qui ne voudraient pas que la Russie se mette à table.
ACCORDS MILITAIRES DAKAR, PARIS, WASHINGTON
L’ancien président de la République Me Abdoulaye WADE avait dénoncé les accords avec Paris. S’en suit, «le traité du 18 avril 2012, conclu aux termes de longues négociations », et qui, «s’inscrit dans la nouvelle approche des accords de défense bilatéraux définie par le Livre blanc de 2008 » note le document de l’Assemblée nationale française.
La même source a précisé que «la signature, le 18 avril 2012, du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre le Gouvernement de la République française et la République du Sénégal est la conséquence directe de l’annonce faite par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy, devant le Parlement Sud-Africain au Cap le 28 février 2008, de l’engagement d’un processus de révision des accords de défense nous liant à huit États africains (Togo, Cameroun, Centrafrique, Comores, Côte-d’Ivoire, Djibouti, Gabon et Sénégal), dans le cadre de la rénovation de la politique de la France à l’égard de l’Afrique ».
Plusieurs obstacles ont émaillé les négociations entre la partie française et sénégalaise. Le président Wade insistait sur «le statut juridique des forces françaises en transit, l’acquisition par la Partie française du site de la station de Rufisque, la mise à disposition à titre gracieux de logements et la prise en compte des besoins du Sénégal en matière de formation ».
En plus, «plusieurs divergences subsistaient concernant le régime des emprises (mise à disposition gracieuse ou location, opérationnelles ou incluant également des logements) et l’ampleur de la coopération militaire bilatérale » note le document de l’Assemblée.
La fermeté de Me Abdoulaye WADE dans sa volonté de faire partir les Forces françaises, avait irrité l’élite au pouvoir de même que la presse. Finalement, Macky SALL élu le 28 mars 2012, avait accéléré la procédure de signature des accords militaires. Me Wade avait exigé aux Français, le paiement de loyer de certaines emprises occupées par l’Armée dont celle située à Rufisque. Contrairement à Macky SALL qui avait accepté de céder le site de Rufisque à titre gracieux. Les accords seront signés le 18 avril 2012 à l’occasion de la première visite en France du président SALL. Il fallait comprendre que les Français avaient surfé sur le manque d’expérience du nouveau chef de l’Etat sénégalais Macky SALL, qui venait de remplacer Me Wade. Ce dernier s’était dressé contre la politique française en Afrique. La chute de Me Wade après celle de Khadafi et de Gbagbo, créait un boulevard libre pour la France en Afrique.
En Mai 2016, les accords de défense entre Dakar et Washington sont signés. Il s’agit d’un accord à durée indéterminée sur le temps. A l’instar de l’accord de défense signé avec la France, l’accord sénégalo américain évoque à son article 4, l’Utilisation du spectre radioélectrique. Il dit : «Le Sénégal reconnait que les forces des Etats-Unis peuvent avoir besoin d’utiliser le spectre radioélectrique. Les forces des Etats-Unis sont autorisées à exploiter leurs propres systèmes de télécommunication (selon la définition du terme télécommunication figurant dans la Constitution et la Convention de I ‘Union internationale des télécommunications de 1992). Ceci inclut le droit d’utiliser les moyens et les services requis pour assurer la pleine capacité d’exploiter des systèmes de télécommunication, et le droit d’utiliser tout le spectre radioélectrique nécessaire à cette fin. Les autorités des forces des Etats-Unis coordonnent avec les autorités militaires sénégalaises compétentes l’affectation des fréquences qui seront utilisées au Sénégal par les forces des Etats-Unis. L’utilisation du spectre radioélectrique est gratuite pour les forces des Etats-Unis ». Il s’agit là d’un dispositif qui implique aussi la communication, la surveillance et l’espionnage.
L’exercice du pouvoir pendant 12 ans, a permis au président Macky Sall de mieux comprendre les relations internationales et de s’affranchir de la tutelle des occidentaux (France et Usa). Il semble que, depuis qu’il a été nommé président de l’Union africaine, le président sénégalais s’est émancipé du patronat français et américain. Sa nomination à la tête de l’UA a coïncidé avec l’éclatement de la guerre en Ukraine. Aux Nations Unies, l’Afrique adopte une posture neutre contrairement à la volonté de la France et des USA qui avaient exigé que les pays africains votent contre Moscou. Par la suite, Macky SALL connaitra des critiques de la part de la presse et de l’élite politique occidentale. La campagne d’isolement diplomatique contre Moscou a échoué en Afrique, en Chine et dans les pays du BRICS.
Il faut dire que la guerre en Ukraine a créé une nouvelle cartographie du monde. Pour contourner cette campagne antirusse sur le plan diplomatique et les sanctions occidentales, Vladimir Poutine s’est retourné vers l’Afrique, le Moyen Orient, l’Inde, la Chine, les BRICS renforcés. Naitra ainsi, un nouvel ordre mondial avec la Russie et la Chine comme locomotive. Poutine s’oriente aussi vers l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Qatar. Il reçoit chez lui, le 07 Décembre 2023, le président iranien Ebrahim Raïssi après sa visite très médiatisée à Riyad et à Abu Dhabi le 06 Décembre 2023. La politique d’isolement de Poutine entreprise par les occidentaux, depuis le début de la guerre en Ukraine, n’a pas réussi ni au Moyen Orient encore moins en Afrique. Le succès du dernier sommet Russie-Afrique, de Saint Petersbourg tenu en Juillet 2023, en est un exemple.
Par ailleurs, le pétrole, le gaz, la sécurité et la monnaie déterminent les grands axes de ce nouvel ordre mondial. Les importantes ressources pétrolières sénégalaises placent Dakar au cœur des préoccupations géopolitiques de ces puissances. Moscou n’entend pas céder l’espace africain à Paris et Washington. C’est ainsi, qu’il a engagé des négociations pour signer des accords de défense avec certains pays africains notamment d’anciennes colonies françaises comme le Sénégal.
La Russie a signé des accords de coopération militaire avec plus de 40 pays africains, a affirmé le président russe Vladimir Poutine à l’occasion du deuxième sommet Russie-Afrique, qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg. Moscou signe des accords de défense en Afrique aux moments où l’Opération Barkhane fait ses valises au Mali, Niger et Burkina Faso. Il faut rappeler que le G5 Sahel inspiré par les Etats-Unis et soutenu par Paris de même que la Task Force Takuba fondée par l’Union européenne, quittent l’Afrique de l’Ouest lorsque la Russie fait son entrée dans cette région. La Russie gagne du terrain dans les pays du Sahel jadis sous administration française. Washington et Paris perdent en influence. Même sur le plan économique, les entreprises chinoises, turques et russes s’imposent. Par exemple, la société russe Lukoil a mené des négociations au Sénégal, en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays ouest africains. Au Sénégal, la majeure partie des grands chantiers réalisés, l’ont été grâce à la Turquie et la Chine. C’est pourquoi, il est injuste d’accuser les entreprises françaises de s’accaparer de l’économie africaine. La France a perdu beaucoup de part de marchés en Afrique francophone.
ACCORD MILITAIRE DAKAR/MOSCOU
C’est lorsqu’il a compris que les Occidentaux n’étaient pas de bon amis, qu’il a décidé de diversifier sa coopération internationale. Macky SALL profite de ses visites à Moscou pour raffermir ses relations avec Poutine. Mais aussi pour montrer aux occidentaux qu’il peut compter sur Moscou qui se garde de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays africaines.
Le 03 Novembre 2023, on annonce que la Fédération de Russie envisage de signer des accords de coopération militaire avec le Sénégal et Sao Tomé-et-Principe. La nouvelle est donnée par le gouvernement russe après avoir approuvé la proposition du ministère de la Défense de conclure des accords de coopération militaire avec le Sénégal, ainsi qu’avec Sao Tomé-et-Principe. «Le ministère de la Défense est désormais chargé de négocier avec les deux pays en vue de signer les documents ad hoc. Le gouvernement souligne que la coopération militaire avec les Etats africains devra contribuer à renforcer la paix et la stabilité internationale. Toujours selon la partie russe, les trois pays échangeront des informations en matière de défense présentant un intérêt commun. Dans le même temps, la Russie et le Sénégal procéderont à une formation conjointe de leurs troupes » informait «Sputnik».
Paris et Washington ne pouvaient pas imaginer que le président sénégalais allait rejoindre le club des Chefs d’Etat africains émancipés. Car, la signature d’un accord militaire entre Dakar et Moscou permettra aux militaires russes d’avoir une base dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest qui est la partie la plus proche de New York par voie maritime et aérienne dans le continent. La signature officielle de ces accords militaires Dakar/Russie fera du Sénégal, un terrain de confrontation intelligente entre Russes, Américains et Français. Or, pour les Français, il est hors de question que Macky SALL signe un accord de défense avec la Russie en pleine guerre contre l’Ukraine. Ce serait un échec de la diplomatie française au Sénégal comme c’est le cas au Mali, au Niger, au Burkina Faso et en Centre Afrique. Voilà pourquoi, toute la presse française tape sur le Sénégal, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et sur la Russie. L’élite politique sénégalaise doit en être consciente.
Mamadou Mouth BANE
