Pendant trois années, le groupe Wagner a prétendu incarner l’ultime rempart contre le djihadisme au Mali. Il s’en va aujourd’hui en catimini, laissant derrière lui un pays exsangue, une armée démoralisée, et un champ de ruines humanitaire. Récit d’un désastre annoncé.
Bamako — Juin 2025. Les derniers hélicoptères du groupe Wagner ont quitté le tarmac poussiéreux d’une base militaire malienne dans la nuit, sans fanfare, sans drapeau. Les mercenaires russes, longtemps présentés comme les sauveurs du Mali par la junte au pouvoir, s’en vont sur un goût amer de débâcle et de désillusion. Dans leur sillage, un pays fracturé, au bord de l’effondrement sécuritaire et politique.
Du 22 au 27 juillet 2024, un épisode symbolique a cristallisé cette lente descente aux enfers. À Tin-Zaouaten, dans la région des trois frontières, une unité du 13e détachement du groupe Wagner, épaulée par des soldats des Forces armées maliennes (FAMa), a été décimée par une coalition de groupes armés islamistes. Ce revers stratégique, maquillé en victoire tactique par la propagande du groupe, a en réalité marqué le début de la fin. Une fin qu’aucune communication martiale ne pourra dissimuler.
Une guerre de façade
Déployé au Mali depuis 2021 après l’expulsion de la force française Barkhane, Wagner avait vendu à la junte militaire une guerre éclair contre le terrorisme. En échange de son appui militaire, le groupe russe a obtenu des concessions minières lucratives dans le sud du pays. Mais derrière les discours sur la souveraineté retrouvée et la lutte anti-terroriste, la réalité s’est vite imposée : villages rasés, civils massacrés, populations traumatisées. Et aucune avancée durable contre les groupes armés.
À Moura, en mars 2022, près de 500 civils ont été exécutés sommairement, selon un rapport accablant de l’ONU. Des femmes violées, des enfants tués. Entre 2022 et 2025, les opérations menées conjointement par Wagner et les FAMa ont laissé dans leur sillage des dizaines de fosses communes, des milliers de déplacés, et des communautés entières prises au piège.
Un échec militaire et moral
Les opérations militaires se sont multipliées, avec chaque fois le même scénario : des frappes mal ciblées, des pertes humaines du côté malien et russe, et une propagande victorieuse pour maquiller les échecs. Les témoignages sur place font état d’un recours massif à des repris de justice russes comme chair à canon. Depuis la mort d’Evgueni Prigojine en 2023, le groupe a perdu ses cadres historiques, remplacés par des profils plus douteux que professionnels.
En octobre 2024, la mort du commandant Mikhaïl Prikhodko, dit « Michael », lors d’une mission au nord du Mali, a illustré l’absurdité tactique de ce partenariat. Quelques mois plus tard, en mai 2025, des attaques coordonnées à Sirakorola et Koulikoro, à une trentaine de kilomètres de Bamako, ont scellé le sort de la capitale. Le djihadisme n’a jamais été aussi conquérant. La junte, elle, aussi désemparée qu’isolée, semble avoir perdu tout contrôle.
Une alliance contre-nature
Le retrait précipité de Wagner marque la fin d’un contrat moral rompu. Celui d’un groupe militaire privé qui s’est présenté comme un allié et s’est comporté en colon. « La junte a vendu l’âme du pays en croyant acheter la sécurité », résume un ancien diplomate malien aujourd’hui en exil. Au lieu de renforcer les capacités locales, Wagner a installé une logique de dépendance, fondée sur la brutalité, le secret, et le pillage.
Le Mali, qui avait coupé les ponts avec ses partenaires traditionnels au nom de la souveraineté, se retrouve aujourd’hui seul, plus vulnérable que jamais. Le coût du partenariat ? Des milliards de francs CFA engloutis dans une guerre sans fin, une armée épuisée, un territoire fragmenté, et une classe dirigeante coupée du réel.
Et maintenant ?
Le départ de Wagner, loin de sonner la fin des hostilités, ouvre une nouvelle période d’incertitude. Les djihadistes avancent. L’État recule. Bamako tremble. Et la population, lassée des promesses creuses, n’a plus foi ni en la junte ni en ses prétendus sauveurs étrangers.
Une chose est sûre : si changement il doit y avoir, il viendra du peuple malien, ou des militaires patriotes encore debout. Sinon, il viendra d’ailleurs. Mais il viendra. DAKARTIMES