L’affaire Médina Gounass a révélé des faiblesses dans les services de renseignement sénégalais. Peut-on même parler de relâchement depuis l’arrivée d’un nouveau gouvernement ? Dans tous les cas, avec l’aide d’un dispositif de renseignement préventif et alerte, ce conflit pouvait être évité. Ces rivalités religieuses ont toujours existé dans cette localité. Toutefois, elles ont toujours été gérées par l’autorité qui a su dérouler une démarche préventive. Qu’est ce qui est alors à l’origine de ce relâchement dans la stratégie de surveillance des groupes ? L’affaire Médina Gounass peut être analysée en trois points :
Avant le jour de la Tabaski
Pour camper l’affaire, il faut d’abord rappeler qu’il y a toujours eu des déterminants locaux, qui sont à l’origine de la confrontation connue le jour de la Tabaski. Mais, ils étaient souvent gérés au sommet de l’Etat. En plus, il ne faudrait pas que les gens pensent qu’il s’agit d’un phénomène récent à Médina Gounass. Cette violence résulte d’une rivalité entre le grand foyer religieux de Mèdina Gounass et une force religieuse dissidente, ayant l’ambition de s’imposer dans la contrée comme une nouvelle organisation religieuse.
Dans le passé, ce phénomène est connu dans les autres foyers religieux du Sénégal. Mais finalement éteint, pour des raisons évidentes car à chaque fois, le grand foyer réussit à phagocyter les organisations satellites qui émergent dans ses flancs. Les histoires récentes dans les cités religieuses de Touba, de Tivaouane et de Medina Baye peuvent confirmer l’existence de ces dissidences.
Seulement, les manifestations violentes qui naissent de ces rivalités au début silencieuses, échappent à la vigilance des Khalifes généraux souvent surpris par les événements, dont les responsables principaux sont des disciples zélés, loin du cercle immédiat du guide.
Les autorités politiques des gouvernements précédents étaient bien informées de la fragilité de la situation sociale et des risques d’un éclatement d’une série de violences intercommunautaires dans cette localité. Et le nécessaire a toujours été fait pour prévenir l’irréparable. Par exemple, lors de la prière de la Korité 2024, cet incident n’a pas eu lieu. Rappelons qu’à l’époque les services de renseignement n’avaient pas encore connu ce chamboulement marqué par l’arrivée de nouvelles compétences à la DRN, à Police et à Gendarmerie. Jusque-là, peut-on alors parler d’un relâchement des renseignements, le temps d’une passation de service et d’une prise en main des dossiers par les nouveaux venus ? De toute façon, cette situation a été évitée dans le passé, notamment lors de la Korité 2024. Et, elle pouvait l’être également le jour de la Tabaski 2024.
Au-delà des changements au sein de la Communauté du renseignement sénégalais, le dispositif de surveillance des groupes, pouvait bien rester opérationnel, sans aucune faille. C’est une approche basique mise en application par les services chargés du contrôle des groupes religieux, politiques, estudiantins susceptibles de générer des conflits dans la société. Ce même dispositif permet de surveiller les individus et les événements susceptibles de générer de la violence, comme par exemple les combats de lutte et d’autres manifestations publiques.
Il y aura toujours des individus, des groupes et des événements qui nécessitent de la surveillance, afin de prévenir des débordements qui peuvent provoquer des morts d’homme. Cela fait aussi partie de la sécurité publique gérée en amont par les services de renseignement.
Donnons quelques exemples : à l’occasion de certaines grandes affiches de combats de lutte, les groupes de supporters sont séparés dans les gradins, pour éviter des affrontements. En période électorale, certaines manifestations politiques sont encadrées afin d’éviter des débordements. En plus, en cas d’existence d’éléments capables de perturber l’ordre public, l’autorité peut interdire toute manifestation publique à défaut, de pouvoir prendre toutes les dispositions pour encadrer l’événement. Combien de fois, des autorités administratives ont pris la décision de fermer des mosquées pour préserver l’ordre public ? C’est uniquement, lorsqu’elle est informée du risque par les services, qu’elle apprécie la situation pour prendre la décision. C’est exactement le cas à Medina Gounass. Informé de la situation au niveau régional, le Gouverneur devrait prendre toutes les dispositions pour anticiper sur un éventuel conflit. Car il dispose de levier pour agir en amont, comme le Cadre Interministériel de Coordination des Opérations de lutte contre le terrorisme (CICO) assez préparé pour anticiper sur des conflits d’une telle nature. Le CICO est un organe avant-gardiste utile dans toute démarche d’anticipation, de prévention et d’alerte. Au niveau gouvernemental, le ministère de l’Intérieur et ses services devraient prendre les devants en donnant des instructions au gouverneur si ce dernier n’était pas assez sensibilisé sur les risques.
Certains événements religieux sont souvent des sources de conflits, de crises sociales et de délinquance dont l’autorité à la charge exclusive d’identifier les acteurs, les lieux et la période. À Medina Gounass, les officiers traitants sur place pouvaient remonter les renseignements auprès du sous-préfet jusqu’au Ministre de l’Intérieur et du Haut Commandant de la Gendarmerie Nationale, sur les risques d’un affrontement. C’était l’approche idéale, pour résoudre le problème la veille et écarter le danger le jour de la Tabaski.
La gestion de la crise le jour de la Tabaski
Comment écarter le danger le jour de la Tabaski ? Les autorités administratives locales devraient renforcer le dispositif sécuritaire de la gendarmerie autour des mosquées et sur les routes principales fréquentées par les disciples. Elles devraient aussi s’entretenir avec les chefs religieux des deux côtés la veille de la fête pour sensibiliser leurs talibés. Cette approche préventive permettrait d’éviter les dégâts connus à Medina Gounass. La situation n’est guère alarmante. Il suffit juste que les autorités agissent sur les leviers sociaux en s’appuyant sur les dynamiques locales amicales, familiales et fraternelles. L’absence d’approche anticipative des services, explique ces débordements qui peuvent tout de même, se reproduire ailleurs et dans les mêmes circonstances.
Au Sénégal, la religion, le foncier et la politique sont des sources de tensions sociales pourtant bien prévisibles. L’État n’a pas intérêt de voir ces conflits sociaux se multiplier sur le territoire national, surtout dans les zones frontalières. Car, ils entrainent des fragilités que d’autres groupes malveillants peuvent récupérer et instrumentaliser à d’autres fins. C’est pourquoi, le dispositif du CICO doit être renforcé par un maillage territorial complet, appuyé au niveau décentralisé par une surveillance accrue des groupes.
Les jours d’après
Pendant plusieurs années, la situation a été bien suivie et gérée sans acrimonie par les pouvoirs publics. Pourquoi aujourd’hui, 02 mois après l’arrivée de Diomaye Faye, la situation a dégénéré ? Y-a-t-il des dessous politiques ? Les proches du Khalif de Medina Gounass ont relevé la présence du capitaine Touré dans la délégation gouvernementale. Pourquoi cette présence dérange-t-elle autant les religieux de Medina Gounass ?
Médina Gounass a plus besoin d’une réconciliation entre les deux communautés religieuses. Elle peut se faire avec succès, avec l’implication des autorités religieuses de Tivaouane et de la famille d’Oumar Foutiyou TALL. Car, malgré tout son engagement ferme et généreux, à trouver une solution durable à cette équation, le Ministre de l’Intérieur risque d’avoir des obstacles évidents.
Modou FALL