Myriam Benraad est Professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller. Elle est l’autrice notamment de «L’Etat Islamique est-il défait» (CNRS) et « Mécanique des conflits, Cycles de violence et résolution » (Le Cavalier bleu). Dans cet entretien accordé à Maroc Hebdo, la spécialiste des mouvements extrémistes revient sur la nature de la menace djihadiste au Maroc, à la suite du démantèlement de plusieurs cellules terroristes par les services marocains entre les mois de janvier et février 2025.
Deux projets d’attentats terroriste ont été déjoués au Maroc en l’espace de quelques semaines. Les deux réseaux démantelés avaient pour commanditaires des chefs de la Wilaya de l’Etat islamique au Sahel. Cette zone doit être surveillée de très près par le Maroc afin de prévenir de probables attaques ?
C’est déjà le cas. Le Maroc est en alerte depuis très longtemps. La vigilance remonte aux années 1990, lors de la décennie noire qui a ensanglanté l’Algérie. Il y a eu un regain de l’activité djihadiste depuis les attentats du 11 septembre 2001, si l’on retrace la chronologie large, suivis par les guerres d’Irak et d’Afghanistan, lesquelles ont donné de l’élan à la mouvance djihadiste transnationale. Une internationale des combattants s’est formée avec l’avènement du califat de l’Etat Islamique en Irak et Syrie, qui a été rejoint par des militants marocains. Avec l’essor du numérique, la crainte a redoublé, en raison d’une propagande abondante et un risque que des éléments radicalisés donnent des instructions de passage à l’acte. Aujourd’hui, Daech a pris pied au Sahel. Beaucoup de groupes armés dans la zone se sont placés sous sa bannière. Le Maroc, qui est à la pointe du renseignement, a réussi, notamment grâce à la coopération avec plusieurs services de renseignements étrangers, à se préserver de cette menace sahélienne, bien que l’idéologie garde de la vigueur et est susceptible de séduire certains profils au Maroc.
Dans une vidéo de propagande adressée aux membres marocains de la cellule « Les Lions du Califat en extrême occident », un certain Abderhmman Al Sahraoui, alias Le Libyen, a traité les marocains de mécréants, qu’il convient de punir pour leur pêchés et pour leur collaboration avec les sionistes. Comment décryptez-vous cette rhétorique ?
Il y a deux choses. D’abord la vision des régimes arabes au sens large comme étant mécréants. Selon l’interprétation des mouvements radicaux, il faut rétablir un modèle de gouvernance islamique calqué sur ce qui est qualifié d’âge d’or du califat. C’est la référence pour la majorité des mouvements islamistes. Les gouvernements modernes sont traités de mécréants et d’apostats car ils ne s’alignent pas sur leur vision de l’Islam et leur idéologie politique. Le Maroc et les populations qui ne prêtent pas allégeance à Daech ont naturellement été qualifiés de cette manière. Le contexte de la guerre au Proche Orient a aussi replacé la question palestinienne au centre de la rhétorique djihadiste. Les mouvements extrémistes estiment que le Maroc, du fait de sa coopération sur un certain nombre de dossiers avec l’Etat Hébreu, est complice des crimes commis à Gaza. Tout ce qui peut être exploité pour porter atteinte aux régimes de la région va être convoqué. Ils exploitent, dans leur discours, cette supposée complicité pour essayer de remobiliser, de rallier à leur cause.
Les profils des membres des cellules démantelées ont comme point commun leur faible niveau d’étude et la précarité de leur condition professionnelle. C’est un facteur de recrutement chez Daech ?
Le fondamentalisme islamique se propage dans l’ignorance, c’est un fait. Il s’appuie sur un manque d’interprétation et une lecture statique des textes, qui traduit une absence d’esprit critique chez ceux qui y adhèrent. C’est la résultante d’un appauvrissement de la pensée. Les cellules comme celles démantelées au Maroc, qui agissent sur ordre du sommet de la hiérarchie djihadiste, sont caractérisées par la faiblesse du niveau d’étude de leurs membres. Les émirs et les chefs, dont le niveau d’instruction reste élevé, voient en eux une cible privilégiée. Ce sont des profils désœuvrés, faciles à endoctriner. Je ne suis pas étonnée et ce schéma de recrutement fait partie intégrante du mode opératoire de Daech.
Quelle est la stratégie des organisations terroristes pour affaiblir les sociétés qu’elles visent ?
Les mouvements djihadistes cherchent à casser les structures traditionnalistes. Cela passe au plan des structures sociales par un phénomène de rupture à l’égard de la famille. Une Rupture vis-à-vis de la tradition, du noyau familial, d’une certaine éducation établie, du savoir établi. Le Maroc n’échappe pas à cette tendance lourde. L’accès à internet favorise cette logique de déstructuration sociétale. Dans des pays où règne le chaos, le recrutement est plus classique alors que dans le cas du Maroc, un pays stable, développé économiquement, le plus grand défi reste le numérique. C’est l’un des vecteurs les plus puissants utilisés par les mouvements radicaux pour diffuser leur propagande.
Par Nizar El Omrani (Maroc Hebdo)