avril 15, 2025
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NIGERIA : Les défis majeurs de l’administration nigériane d’Ahmed Bola Tinubu

Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) a, dans une étude intitulée « Les défis majeurs de l’administration nigériane d’Ahmed Bola Tinubu », que vient de publier l’Ifri, démontré que les élections de février 2023 ont démontré, une fois de plus, combien la démocratie nigériane était fragile. Jamais, depuis 1999, les citoyens s’étaient aussi peu mobilisés pour aller voter pour l’un des deux principaux candidats, Atiku Abubakar et Ahmed Bola Tinubu. Selon l’auteur le bilan de Muhammadu Buhari sur les volets économique et sécuritaire est tellement faible que la nouvelle administration d’Ahmed Bola Tinubu aura des difficultés à présenter rapidement des résultats. Augé souligne que les hommes clés choisis par le nouveau président sont en grande partie issus de sa région. Le gouvernement a été en partie expurgé de personnalités de premier plan, jugées trop puissantes par certains de ses proches. Le chercheur a, enfin, démontré que le gouvernement et les chefs des administrations et de l’armée n’ont pour le moment pas démontré leur capacité à changer en profondeur le quotidien des Nigérians. La décision, courageuse mais impopulaire, de suspendre les subventions sur l’essence a contribué à l’appauvrissement des plus modestes, qui sont de loin les plus nombreux.

La faiblesse de la participation électorale lors du scrutin présidentiel au Nigeria en février- mars 2023 n’a jamais été aussi marquée depuis le retour du pays à la démocratie en 1999. Le nouveau président nigérian Ahmed Bola Tinubu doit désormais rassurer sur la capacité de la première économie d’Afrique à faire mentir une image tenace d’un pays en déclassement. La croissance économique qui se situe à 3,3 % en 2022 (contre 3,6 % en 2021 et – 1,8 % en 2020) ne profite qu’à une minorité alors qu’une majorité croissante de la population (63 % en 2023) se trouve dans la catégorie de la pauvreté1. Ce climat économique et social difficile se fait sur fond de décrue régulière de la production pétrolière (passé de 2,3 millions de barils par jour à 1,3 million de barils par jour de 2003 à 20222). La vente de pétrole finançant près des deux tiers du budget de la fédération, cette décrue réduit d’autant plus les marges de manœuvre de l’État fédéral à investir et limite

       les    transferts    financiers    vers    les    36    États    fédérés    et    les 774 gouvernements locaux.

Concernant la sécurité, une grande partie du territoire nigérian reste touchée par différentes formes de violence. Dans le delta du Niger, les mafias continuent de piller le brut et font régner la terreur notamment en multipliant les enlèvements ; dans la région centre, les iolences entre éleveurs et agriculteurs n’ont pas cessé. Quant au nord-ouest, le gangstérisme prend des proportions critiques dans les États de Sokoto (le plus pauvre du pays avec 91 % de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté4), Katsina et Zamfara. Enfin, la région nord-est continue de subir les convulsions des groupes issus de la scission de Boko Haram.

Le président Ahmed Bola Tinubu, issu de l’All Progressive Congress (APC) – victorieux en février 2023 face au People’s Democratic Party (PDP) d’Atiku Abubakar et au Labour Party (LP) de Peter Obi –, est conscient qu’il est particulièrement attendu su

les volets économiques et sécuritaires par l’immense majorité de la population, très déçue par les deux mandats de Muhammadu Buhari (2015-2023). Ces huit années ont été perçues comme une période de dégradation du niveau de vie d’une très large partie de la population, conséquence notamment d’une politique monétaire illisible et d’une insécurité s’étendant désormais sur la plupart des 36 États de la fédération.

Ce Briefing reviendra sur les dernières élections présidentielles avant de s’intéresser au bilan des huit premiers mois d’exercice de la nouvelle administration et enfin de s’arrêter sur les personnalités clés de la présidence actuelle. Parmi les thématiques constituant les deux fils rouges qui sous-tendent ce papier : d’une part la géopolitique interne du Nigeria et en particulier des tensions Nord-Sud ; d’autre part la forte dimension financière des élections et de la nécessité – pour un parti voulant compter – de tisser des alliances avec différents réseaux de « patronage » dans l’ensemble du territoire.

Une élection sans triomphalisme pour le pouvoir sortant

Le Nigeria se distingue par une évolution démographique impressionnante. Sa population a augmenté de 100 millions entre 1999 – date de retour à la démocratie après le régime militaire de Sani Abacha – et 2023. Cependant, la participation électorale diminue. Par rapport aux élections de 1999, ce sont près de cinq millions de votants en moins qui se sont déplacés aux urnes en 2023 (25 contre 30 millions). Il est d’ailleurs probable que sans le candidat du LP, Peter Obi – réveillant une partie de la jeunesse et des diplômés –, à peine 20 millions de votants se seraient déplacés. Le LP, dépourvu de tout réseau dans les États du nord, est tout de même arrivé en tête dans dix États : Abia,

Anambra, Cross River, Delta, Ebonyi, Edo, Enugu, Federal Capital Territory (FCT), Imo, Lagos, Nassarawa et Plateau. Il a totalisé 6,1 millions de votes. Le LP a bénéficié d’un vote ethnique grâce à son candidat d’origine Igbo et a donc atteint son plus grand résultat dans l’Igboland (Anambra, Abia, Enugu) où il a attiré plus de 95 % des votes, tout comme à Ebonyi (plus de 90 % des voix) mais aussi dans les États plus diversifiés ethniquement comme ceux du Delta (plus de

Près de 5 millions de votants en moins se sont déplacés aux urnes en 2023

60 %) et de l’Imo (plus de 70 %8). Il a aussi effectué quelques percées dans certaines zones urbaines où vivent les classes moyennes, en particulier les régions d’Abuja (FCT) et de Lagos, où il est arrivé en tête. Dans cette dernière, mégalopole du sud et ancienne capitale, le vote ethnique est toujours moins déterminant qu’ailleurs dans le pays. La classe

éduquée a souhaité voter pour un candidat proposant un changement plus radical. Peter Obi a également remporté quelques bastions chrétiens, comme dans l’État du Plateau où l’Église s’est mobilisée en sa faveur, les deux autres principaux candidats étant tous les deux musulmans. La grande faiblesse de Peter Obi et de son LP demeure le nord du pays, démographiquement clé, où le parti a réalisé des scores particulièrement bas : 1 660 voix dans l’État du Zamfara (0,35 % des suffrages exprimés) ou encore 7 000 voix dans celui du Borno (1,55 % des suffrages exprimés). Cette situation est similaire dans le bastion de l’actuel président Tinubu, le Yorubaland, à l’exception notable de Lagos.

La population nigériane semble ne plus fonder beaucoup d’espoir sur les deux principaux partis, l’APC et le PDP. Ces deux derniers se sont partagé quasiment tous les postes électifs et administratifs aux niveaux fédéral et local depuis le retour à la

       démocratie en 1999. Avec 8,8 millions de votes en sa faveur (sur

Ahmed Bola Tinubu de l’APC est devenu le président le moins bien élu depuis 25 ans

93 469 008 d’inscrits), Ahmed Bola Tinubu de l’APC est devenu le président le moins bien élu depuis 25 ans (8 % du corps électoral et seulement 36 % des suffrages). Cependant, le maillage territorial de la machine électorale de l’APC a permis à Tinubu d’être le seul candidat en capacité d’obtenir des scores significatifs sur tout le territoire. Il a en effet atteint 25 % des voix dans les deux tiers des 36 États, comme la loi l’exige pour gagner le scrutin. Tinubu est le

fondateur et le vrai architecte de l’APC dont l’objectif premier était l’alliance entre les Yoruba (42 millions de personnes) et les Haoussa (69 millions de personnes), totalisant plus de 50 % de la population du pays.

Lors de l’élection de février 2023, Tinubu est arrivé en tête dans 12 États, situés dans cinq des six zones géopolitiques (entités administratives du Nigeria regroupant les États fédérés, fondées sur la proximité ethnique, linguistique et historique des populations, en charge du partage des postes et des budgets) que compte le pays : Rivers (zone sud-sud), Ondo, Ogun, Oyo, Ekiti (zone sud-ouest), Zamfara, Jigawa (zone nord-ouest), Borno (zone nord-est), Benue, Niger, Kogi, Kwara (zone nord-centre). Il a pu s’appuyer sur les 21 gouverneurs de l’APC (sur les 36 que compte le Nigeria9) pour organiser des campagnes et des levées de fonds sur tout le territoire fédéral. Tinubu a également bénéficié des divisions du PDP, parti de son principal opposant. Si l’on ajoute les scores des ex-PDP, à savoir Peter Obi (6,1 millions de voix), Rabiu Kwankwaso (1,5 million de voix) et ceux du candidat officiel de ce parti, Atiku Abubakar, on atteint les 14,5 millions de voix, c’est- à-dire 5,7 millions de voix de plus que Tinubu. Ce dernier a toutefois perdu dans l’État de Lagos10 (à 10 000 voix près) et dans le Federal Capital Territory (Abuja), tous deux remportés par Peter Obi.

Le candidat du PDP, Atiku Abubakar, l’a emporté dans 12 États (autant que Tinubu et Obi) mais il n’a pas bénéficié d’un socle minimal de voix sur tout le territoire. Il a été puissant dans sa zone d’influence traditionnelle : Adamawa (l’État dont il est originaire), Yobe, Gombe, Taraba, Bauchi (zone nord-est), Akwa Ibom, Bayelsa (zone sud-sud, deux bastions du delta du Niger acquis au PDP), Katsina (État de Buhari mais où le gouverneur est particulièrement faible), Kebbi et Kaduna (beaucoup de divisions au sein de l’APC permettant au PDP de faire des percées dans ces deux États) et enfin Sokoto (zone nord- ouest, où son ami gouverneur, Aminu Tambuwal, a été essentiel). Atiku Abubakar a totalisé seulement 6,9 millions de votes ce qui le place cependant à moins de 2 millions de voix du vainqueur.

Carte 1 : résultats des élections présidentielles de février 2023 par État fédéré

Source : Channelstv.com.

Pour faciliter sa victoire, Tinubu a également parié sur la division dans les rangs du PDP. C’est particulièrement le cas dans le delta du Niger (zone sud-sud), notamment dans l’État de Rivers où Atiku Abubakar n’a totalisé que 88 000 votes contre un Tinubu triomphant avec 230 000 bulletins, tandis que Peter Obi atteignait 175 000 suffrages. Le désormais ex-gouverneur PDP de Rivers, Nyesom Wike, a activement œuvré pour faire perdre Atiku Abubakar et a été récompensé pour son travail de sape par l’obtention du portefeuille ministériel d’Abuja (Federal Capital Territory) en août 2023. La division a aussi été forte dans l’État de Delta, dont le candidat à la vice-présidence sur le ticket du PDP, Ifeanyi Okowa, était le gouverneur. Cet État a cependant été remporté par Peter Obi

à la fois en raison de la relative impopularité de ce gouverneur mais également parce qu’une partie de sa population est Igbo. Enfin, le PDP a réalisé des scores médiocres en zone Yoruba (en dehors de l’État d’Osun qu’il l’a remporté avec 9 000 voix d’avance sur Tinubu) et un score faible à Lagos, avec seulement 75 000 voix.

L’un des principaux enseignements de cette élection présidentielle de février 2023 est que le sud du Nigeria est de plus en plus marginalisé démographiquement. Pour la première fois depuis le retour à la   démocratie,   l’État   de   Kano   a comptabilisé 400 000 votants de plus que Lagos. Sur six États totalisant plus de 900 000 votes en 2023, un seul, Lagos, se situe au sud. Pour les spécialistes électoraux des principaux partis, cette tendance de fond doit faire réfléchir : les élections se gagneront de plus en plus au nord. La règle des 25 % de voix dans deux tiers des États reste cependant une manière de rééquilibrer cette équation démographique particulièrement anxiogène pour les habitants du sud.

Des premières décisions politiquement coûteuses

Arrivé à son poste le 29 mai 2023, Ahmed Bola Tinubu a dû prendre des décisions douloureuses, dont certaines avaient été annoncées durant la campagne. La plus importante d’entre elles est la suppression de la subvention sur l’essence. Mise en place dès 1977, après les considérables augmentations du prix du brut (de 3 à 11,65 dollars américains par baril en quelques semaines) dans le sillage de la guerre du Kippour d’octobre à décembre 1973, la subvention sur l’essence demeurait la seule forme de contrat social entre les citoyens et l’État nigérian, jugé par ces derniers

comme corrompu et inefficace. Cependant, la libéralisation des

L’arrêt des subventions sur l’essence s’imposait comme une nécessité macroéconomique

prix qui a résulté de l’arrêt des subventions par Ahmed Bola Tinubu en juillet 2023 s’imposait comme une nécessité macroéconomique. Le coût de la subvention oscillait depuis une décennie   autour   de   10 milliards   de   dollars   américains (8,9 trillions de nairas) par an, soit 30 % du budget de l’État. D’autre part, cette subvention encourageait la contrebande d’essence importée par le Nigeria vers le Mali, le Burkina Faso,

le Cameroun et surtout le Bénin11. En juin 2022, le directeur de la société pétrolière d’État (NNPC), Mallam Mele Kyari, estimait que sur les 103 millions de litres de pétrole consommés par jour au Nigeria (647 000 barils), 58 millions de litres (364 000 barils) partaient en contrebande dans les pays voisins12. La consommation du Nigeria se situe entre 200 000 et 300 000 barils par jour. Ainsi, des dizaines de traders se sont enrichis

en vendant dans toute la sous-région de l’essence subventionnée par le Trésor public nigérian. Une étude du cabinet d’audit PwC démontre que, en 2022, la subvention sur le carburant (4,4 trillions de nairas soit 5,6 milliards de dollars) a coûté davantage que les budgets cumulés de l’éducation, de la santé et des infrastructures (3,4 trillions de nairas soit 4,2 milliards de dollars). Toujours selon le même rapport, sur les neuf dernières années, le coût des subventions a atteint 11,5 trillions de nairas alors que la Défense n’a pas dépassé 7 trillions, l’éducation 6,2 trillions et la santé 4,2 trillions. Les prédécesseurs de Tinubu, en particulier Muhammadu Buhari et Goodluck Jonathan en 2012, avaient également annoncé la fin de la subvention, sans jamais parvenir à l’imposer politiquement. Tinubu a pris cette décision au prix d’une immense impopularité.

L’autre décision politico-économique prise très tôt sous l’ère Tinubu concerne le remplacement du gouverneur de la Central Bank of Nigeria (CBN), Godwin Emefiele. Dès le 9 juin, soit à peine dix jours après l’arrivée de la nouvelle administration, Emefiele, en poste depuis 2014, a été remercié puis incarcéré pour fraude le

lendemain. La politique monétaire, avec de multiples taux  de

change, mise en place sous Buhari, a affaibli l’économie du pays. Le manque de liquidités a ralenti les investissements et les multiples taux de change du naira au marché noir ont largement empêché l’économie de croître. Après le passage de plusieurs directeurs par intérim, Olayemi Cardoso a été nommé en septembre 2023. Ce dernier a été l’un des commissioners (sorte de

La banque centrale, désormais acteur unique de la vente de pétrole brut par l’État

ministre) lorsqu’Ahmed Bola Tinubu était gouverneur de Lagos entre 1999 et 2007. Pour renforcer le pouvoir de la CBN dans l’économie nigériane et éviter les pertes d’argent, le président nigérian a également décidé, fin janvier 2024, de désigner la banque centrale comme acteur unique de la vente de pétrole brut par l’État aux dépens de la société d’État NNPC13. En 2013, sous la présidence de Goodluck Jonathan, un illustre gouverneur de la CBN, Sanusi Lamido, avait perdu son poste pour avoir dénoncé la « disparition » de 20 milliards de dollars (soit deux tiers du budget de l’État fédéral) issus de la vente de brut. La NNPC ne lui transférait pas cette somme, probablement « évaporée ». À l’époque, son rapport, destiné au président Jonathan, avait fuité dans la presse, causant sa perte14.

L’organisation de l’administration Tinubu

Le président Ahmed Bola Tinubu a attendu l’extrême limite constitutionnelle des deux mois après sa prise de fonction afin d’envoyer la première liste des ministres au Sénat, le 28 juillet. Les trois derniers membres du gouvernement n’ont cependant prêté serment que le 16 octobre. Les 48 membres – un record depuis le retour à la démocratie en 1999 – ont tous été auditionnés par les sénateurs. Certaines auditions ont été réalisées avec diligence, mais la plupart d’entre elles ont été de pure forme. Le président du Sénat,

Godswill Akpabio, n’a livré qu’un service minimum, posant peu de questions de fond pour les impétrants. Les anciens sénateurs, parlementaires et gouverneurs étaient quasi automatiquement validés sans avoir dû répondre à la moindre question.

Le pouvoir de Tinubu s’appuie sur de nombreux cadres originaires de sa région, celle du sud-ouest, appelée également « Yorubaland », les Yorubas y étant la communauté majoritaire. C’est le cas d’éminentes personnalités au sommet de l’appareil étatique, comme le directeur de cabinet du président Femi Gbajabiamila, le chef d’État-major Taoreed Lagbaja, le patron des douanes Bashir Adewale Adeniyi, le contrôleur général de l’immigration Wuraola Adepoju, l’inspecteur général de la police Kayode Egbetokun, ou encore le gouverneur de la CBN Olayemi Cardoso ainsi que, plus récemment, en novembre 2023, du directeur du Federal Inland Revenue Service, Zaccheus Adedeji. Au sein du gouvernement, cette surreprésentation se fait également sentir : 9 des 48 membres – dont les plus importants – sont d’origine Yoruba.

C’est   le   cas   du   puissant   ministre   des   Finances   et   de   la

Le pouvoir de Tinubu s’appuie sur de nombreux cadres originaires de sa région, appelée

« Yorubaland »

coordination économique, Wale Edun (originaire de Lagos), de son cousin Adegboyega Oyetola (originaire d’Osun) en charge de l’Économie bleue, mais aussi des ministres de la Communication (Bosun Tijani, originaire d’Ogun), de l’Énergie (Adebayo Adelabu, originaire d’Oyo), des Mines (Henry Dele Aleke, originaire d’Ekiti), du Tourisme (Lola Ade-John, originaire de Lagos), et enfin de la Justice (Lateef Fagbemi15, Yoruba né dans

       l’État de Kwara). À ces ministres issus du Yorubaland, s’ajoutent

également les secrétaires d’État chargés de l’Environnement (Ishak Salako, Ogun) et de la Santé (Tunji Alausa, Lagos). Sept ministres de plein exercice sur 32 et deux secrétaires d’État sur 16 sont d’origine Yoruba. D’autre part, certains de ces ministres connaissent le président depuis longtemps et font partie du « kitchen cabinet », groupe de personnes au cœur de la plupart des décisions clés16. C’est sans aucun doute le cas de Wale Edun (ministre des Finances), de Henry Dele Aleke (ministre des Mines), de Femi Gbajabiamila (directeur de Cabinet) et de Abubakar Atiku Bagudu (ministre du Budget et de la planification économique), également ancien gouverneur de l’État de Kebbi au nord-ouest.

Le directeur de cabinet Femi Gbajabiamila a pris un rôle considérable dans la gestion quotidienne des affaires de l’État comme il est de coutume lorsqu’un nouveau président s’installe au Nigeria. C’était également le cas du directeur de cabinet Abba Kyari, durant le mandat de Buhari de 2015 à 2020. Gbajabiamila a quant à lui agi très tôt en tandem avec le National Security Adviser (NSA) du président, Nuhu Ribadu. Ce dernier est une figure politique connue au Nigeria. Il a notamment été nommé en 2003 par

  1. Voirl’analyse à ce sujet : « South-west Bias Claims Weaken Tinubu’s Standing », Africa Confidential, 27 novembre
  2. «Les hommes du futur ‘‘Kitchen Cabinet’’, saint des saints du pouvoir du président élu Tinubu », Africa Intelligence, Entourages, 12 mai 2023.

l’ancien président Olusegun Obasanjo (1999-2007) premier directeur du parquet financier nigérian à l’Economic and Financial Crimes Commission (EFCC). Aujourd’hui, Nuhu Ribadu est notamment en charge du dossier nigérien après le coup d’État ayant écarté le président Mohamed Bazoum le 27 juillet 2023.

Nuhu Ribadu et le directeur de cabinet du président ont contribué à éliminer les candidatures de personnalités trop fortes dans le gouvernement. C’est le cas de Nassir Ahmed al Rufai, gouverneur de l’État de Kaduna de 2015 à 2023 et qui aurait dû devenir ministre de l’Environnement. Passé devant le Sénat, il a été l’un des rares candidats à être ardemment questionné par les sénateurs et a décidé d’abandonner la course, devant l’opposition à sa nomination orchestrée notamment par Femi   Gbajabiamila   et Nuhu Ribadu. Les deux puissants hommes du régime craignaient d’avoir, au gouvernement, un homme politique fort qui les aurait défiés.

Parmi les hommes entourant Tinubu, deux personnalités de l’administration précédente ont conservé leur poste. Le maintien de l’ambassadeur Ahmed Rufai Abubakar, directeur de la National Intelligence Agency (renseignement intérieur) depuis 2018, après avoir été pendant trois ans le conseiller pour les affaires diplomatiques pour

le président Buhari, est à noter. Ahmed Rufai Abubakar, issu       

comme Buhari de l’État nordiste de Katsina parle parfaitement français et haoussa en plus de l’anglais, et est ainsi capable de décoder toutes les menaces venant des pays sahéliens. Il permet à Tinubu de compiler les informations sur l’enrichissement de personnalités clés de la précédente présidence, potentielles

La plus grande part des revenus du Nigeria est issue du secteur pétrolier

victimes d’une nouvelle lutte contre la corruption. Le cas de l’ex-       

patron de la CBN Godwin Emiefele est à ce titre révélateur de la

mise en scène typiquement nigériane des enquêtes menées pour corruption. Un autre cadre de l’administration a survécu au changement de président : le directeur de la société pétrolière d’État, la Nigerian National Petroleum Corp Limited (NNPCL) Mallam Mele Kyari, renouvelé en novembre 2023. Arrivé en 2019, ce natif de l’État de Borno n’était pas facile à remplacer. En tant qu’ancien patron de la Petroleum Crude Unit de la NNPC, il connaît parfaitement le monde du trading grâce auquel le Nigeria génère la plus grande part de ses revenus issus du secteur pétrolier. Le maintien de ces deux personnalités ne veut pas dire pour autant qu’elles ont totalement la main sur leurs secteurs respectifs. Pour la sécurité, Tinubu s’appuie sur son NSA, Nuhu Ribadu, sur son ministre de la Défense et ancien gouverneur de l’État nordiste de Jigawa, Muhammed Badaru ainsi que son ministre de l’Intérieur et ancien gouverneur de l’État de Yobe, Ibrahim Geidam. Quant aux questions pétrolières, le président a très souvent recours à son neveu, Wale Tinubu, fondateur de la société de trading et d’exploitation pétrolière Oando. Cependant, le maintien d’Abubakar et de Kyari, deux candidats nordistes, permet à Tinubu de démentir l’idée selon laquelle il serait uniquement entouré de cadres originaires de sa région.

Le contrôle de l’APC, coalition au pouvoir depuis 2015, a été confié en août 2023 à un des plus fervents soutiens de Tinubu dans le nord, l’ancien gouverneur de Kano, Abdullahi Umar Ganduje. Ce dernier tente de réformer une coalition, fondée en 2013 par Tinubu et Buhari. L’absence d’idéologie pourrait être un défi particulièrement difficile à surmonter pour la nouvelle génération dont les principaux personnages n’ont pas les parcours politique de Tinubu et militaire de Buhari.

Tinubu a ainsi décidé de beaucoup compter sur des proches de sa région, tout en confiant certains postes sécuritaires, politiques, de renseignement, ainsi que des postes liés au pétrole à des nordistes sur lesquels il peut compter.

Conclusion

Le Nigeria a tous les aspects d’une démocratie formelle : médias, autorité de régulation des élections avec l’Independent National Electoral Commission (INEC), partis politiques d’opposition, élections régulièrement tenues, etc. Pourtant, la vie politique se résume à des compétitions électorales régulières de partis aux allures d’écuries politiques dont la capacité à être présents dans l’ensemble du territoire est contrainte par la surface financière mobilisée. Les partis font preuve d’un travail programmatique minimal. Les débats d’idées contradictoires sont absents et les électeurs se détournent en masse de ce théâtre d’ombres.

Si le surgissement de Peter Obi dans cette élection a apporté un réel vent de fraîcheur, il lui sera impossible d’envisager un destin national sans tisser d’alliances avec des personnalités fortes du nord et leurs réseaux clientélistes, et plus généralement de disposer des moyens financiers importants pour que son parti prétende peser sur tout le

territoire.

L’État est davantage perçu comme une menace que comme une solution

La déconnexion du monde politique (ministres, sénateurs, députés) vis-à-vis de la société nigériane s’approfondit. Une fois élus, les sénateurs, députés, ministres ne reviennent quasiment jamais dans leur terre d’élection et résident en permanence entre le quartier des privilégiés de Maitama, au centre d’Abuja, et à l’étranger. Ces élites se montrent incapables de créer des emplois

en nombre suffisant et de limiter l’extension des zones d’insécurité et du gangstérisme qui sont les principales demandes des populations.

D’autre part, l’État est souvent davantage perçu comme une menace que comme une solution. Les milliards de dollars économisés avec l’arrêt des subventions sur l’essence ont un coût politique fort du fait de l’appauvrissement d’une population déjà en grande difficulté. Il faudra démontrer aux citoyens que l’arrêt de cette aide a été décidé en vue de réellement investir dans les secteurs de l’éducation, de la santé – dont Tinubu a été élu le champion de l’Union africaine en février 2024 – et des infrastructures. Le président dispose de peu de temps pour démontrer sa capacité à relancer l’économie du Nigeria, sans quoi la situation sécuritaire ne cessera de se dégrader. Cette réflexion vaut aussi pour

la région du delta du Niger où plus de 450 000 barils de pétroles par jour étaient volés en 2022, triste illustration de l’incapacité – voire la duplicité – des forces de sécurité du pays. L’image de l’armée nigériane ne devrait pas être réhabilitée de si tôt après le bombardement par ses forces, via un drone, de villages dans l’État de Kaduna faisant 87 morts civils le 5 décembre 202317. Enfin, au niveau régional, le président Tinubu a largement entamé son capital de président de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à la suite du coup d’État au Niger en juillet 2023. Sa gestion, martiale au début de ce dossier, n’a pas permis de faire fléchir les putschistes qui ont très vite compris que le Nigeria n’enverrait pas de troupes, contrairement à ce que disait le président de la fédération, poussé par certains de ses homologues de la région comme Alassane Ouattara.

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