septembre 17, 2025
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Politique

Oublier l’Afrique dans nos débats sécuritaires est un pari dangereux

On assiste dans ce continent à une expansion djihadiste sans précédent, à la multiplication des conflits armés et à une croissance démographique inégalée dans le monde. Ces trois éléments doivent nous alerter. Négliger notre flanc sud est une erreur.

Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les ministères européens de la Défense concentrent leurs efforts sur la menace venant de l’Est. Ce réflexe est compréhensible, tant les conséquences de la guerre sont considérables. Mais se limiter à cette seule perspective revient à ignorer une autre réalité, tout aussi préoccupante : l’Afrique, où l’on assiste à une expansion djihadiste sans précédent, à la multiplication des conflits armés et à une croissance démographique inégalée dans le monde. Or, dans la Vision stratégique Défense 2025 de la Belgique, l’Afrique n’occupe qu’une place marginale, bien qu’elle y soit officiellement définie comme une zone de menace et d’intérêt.

Négliger notre flanc sud est une erreur de jugement, dangereuse et, à terme, coûteuse. Trois éléments principaux devraient nous alerter.

L’Afrique, foyer majeur du djihadisme armé

Premièrement, l’Afrique connaît aujourd’hui la plus forte progression du djihadisme au monde, avec une augmentation de plus de 300 % des violences extrémistes entre 2012 et 2022. Rien qu’en 2024, ces groupes ont fait 22 307 victimes, établissant un record tragique et consacrant le continent comme foyer majeur du djihadisme armé. L’État islamique comme Al-Qaïda y jouent un rôle, mais c’est surtout ce dernier qui a consolidé son influence au Sahel. Au Burkina Faso, près des deux tiers du territoire sont désormais sous le contrôle du JNIM, branche locale d’Al-Qaïda. La situation sécuritaire s’est encore aggravée à la suite de la vague de coups d’État entamée en 2020, qui a rapproché plusieurs régimes militaires africains de Moscou.

Exit les Européens, place aux Russes et Chinois

Deuxièmement, la compétition mondiale pour l’influence dépasse largement le front oriental. Après chaque intervention dans son voisinage, la Russie a étendu sa présence en Afrique : après la Géorgie en 2008, la Crimée en 2014, et surtout depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022. Moscou y investit désormais massivement, par l’intermédiaire des mercenaires Wagner mais aussi via des accords de défense formels. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a visité plus de dix-huit pays africains, contre seulement trois pour Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, depuis Février 2022. La compétition est particulièrement visible au Sahel, jadis au cœur des missions de l’UE et de l’opération française Barkhane, où des putschistes ont expulsé les forces occidentales et accueillit les troupes russes, tout en remplaçant les entreprises minières occidentales par des partenaires russes et chinois.

Les répercussions d’une pression démographique unique

Troisièmement, l’Afrique est le continent à la croissance démographique la plus rapide : sa population doublera, passant d’un à deux milliards d’habitants entre 2020 et 2050. Or, ce dynamisme s’accompagne d’une vulnérabilité accrue face au changement climatique, à l’insécurité alimentaire et aux conflits armés. Les répercussions de cette pression démographique atteindront inévitablement l’Europe. Assimiler la migration à une menace sécuritaire est à la fois erroné et dangereux, mais croire que des murs ou des politiques restrictives permettront de l’arrêter est tout aussi illusoire – surtout quand seulement treize kilomètres séparent l’Espagne du Maroc.

Intégrer l’Afrique dans la Vision stratégique Défense 2025 de la Belgique

En somme, aucun de ces facteurs ne constitue aujourd’hui une menace directe pour la Belgique ou pour l’Europe. Mais à moyen terme, ils influenceront profondément notre sécurité et notre environnement politique. Cela ne signifie pas détourner notre attention de l’Ukraine, mais reconnaître que nous devons être capables de gérer plusieurs crises à la fois et développer une véritable défense à « 360 degrés ». Les grandes rivalités de puissance ne se décident que rarement autour des intérêts centraux : elles se jouent souvent dans les zones dites périphériques. La guerre d’agression menée par la Russie nous a rappelé que la préparation militaire ne s’improvise pas. Si l’Afrique reste absente de notre planification sécuritaire, nous risquons de devoir réapprendre cette leçon – mais à un prix bien plus élevé.

Par Nina Wiléndirectrice du programme Afrique à l’Institut Egmont des relations internationales

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