Pour avoir alerté sur la nécessité de réviser en profondeur notre politique en matière d’accords de pêche, j’ai été sanctionné et rétrogradé du poste de chef de division au niveau central à celui de simple complément d’effectif au niveau régional.
Je l’assume pleinement.
Car face aux défis multiples qui affectent ce secteur stratégique pour notre souveraineté alimentaire et notre économie, le silence n’est plus une option. Repenser notre politique de pêche est un impératif vital pour préserver nos ressources halieutiques et garantir un développement durable au profit des générations présentes et futures.
Une réforme guidée par le pragmatisme et l’intérêt national
Son Excellence Monsieur le Président de la République,
L’article 27 du Code de la Pêche prévoit la possibilité de signer des accords de pêche. Cependant, dans le contexte actuel de raréfaction des ressources et de pression accrue sur les stocks, le Sénégal doit impérativement faire preuve de pragmatisme.
Nous devons autoriser la pêche étrangère sur les stocks disposant de reliquats exploitables scientifiquement prouvés. Il s’agit de concilier les impératifs économiques avec la sauvegarde de la biodiversité marine, socle de la durabilité.
Tirer les leçons des accords passés
Historiquement, les accords ont essentiellement porté sur des espèces pélagiques (sardinelles, chinchards, maquereaux, thon) et, à moindre échelle, sur le merlu. Ce dernier, espèce benthique carnivore vivant entre 100 et 1 500 mètres de profondeur, n’est pas ciblé par la pêche artisanale au Sénégal, mais capturé de manière accessoire.
Les pélagiques, quant à eux, migrent selon les saisons, influencés par les courants marins et les conditions environnementales. Leur exploitation nécessite une maîtrise fine des dynamiques océaniques et de la régulation des flux de pêche.
Concernant le thon, son exploitation est régie par l’ICCAT (Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique), qui distribue des quotas de pêche aux pays côtiers. Chaque pays membre dispose ainsi d’un quota spécifique qu’il peut exploiter n’importe où. Il est important de rappeler que le Sénégal ne vend pas du thon dans les accords actuels. Il loue son espace maritime. Cela se traduit par un manque à gagner significatif, car les technologies satellitaires permettent aux flottes européennes de suivre les bancs de thons et de les pêcher ailleurs si nos eaux leur sont fermées.
Le bon sens et la défense des intérêts nationaux plaident pour un appel d’offres international transparent, avec des critères techniques et environnementaux stricts, afin de sélectionner les partenaires les plus avantageux pour notre pays.
Une pêche artisanale marginalisée dans l’accès à la ressource
Il est inacceptable que la pêche artisanale, qui représente environ 80 % des débarquements officiels, n’ait potentiellement accès qu’à moins de 10 % des ressources pélagiques migratrices, du fait de limitations géographiques et techniques : pas au-delà de 100 km des côtes ni de 50 m de profondeur pour les pêcheurs aux filets.
Cette situation compromet non seulement la justice sociale dans l’accès à la ressource, mais aussi la durabilité économique d’un secteur vital pour des milliers de familles sénégalaises.
Pour une stratégie ambitieuse de réforme du secteur
Une stratégie de semi-industrialisation progressive, adossée à une évaluation rigoureuse des accords passés et à une mise à jour des données scientifiques intégrant les effets du changement climatique, s’impose.
C’est pourquoi je recommande la mise en place d’une Commission technique ad hoc, réunissant :
- des experts du Ministère,
- des chercheurs du CRODT,
- et des représentants des organisations professionnelles.
Ses missions prioritaires seront les suivantes :
- Vulgariser la lettre de politique sectorielle de développement de la pêche et de l’aquaculture ;
- Finaliser la relecture du Code de la pêche maritime (loi 2015-18 du 13 juillet 2015) et de son décret d’application ;
- Élaborer des mesures urgentes d’aménagement des pêches, afin de restaurer les stocks menacés ;
- Poursuivre les concertations inclusives avec les acteurs artisanaux et industriels ;
- Restructurer et renforcer les services déconcentrés pour améliorer l’efficacité de la gestion locale ;
- Identifier les moyens nécessaires à la mise en œuvre du Suivi, Contrôle et Surveillance (SCS) des pêches, en lien avec les politiques nationales ;
- Et enfin, émettre un avis technique indépendant sur l’octroi des licences de pêche industrielle, afin d’ancrer chaque décision dans une base scientifique et économique solide.
Conclusion
Il ne s’agit pas d’un combat personnel. Il s’agit d’un engagement patriotique. Le secteur de la pêche est une richesse nationale. Il mérite d’être géré avec vision, rigueur, transparence et ambition. Telle est la voie d’un développement durable, juste et souverain pour le Sénégal.
Ce n’est pas une dénonciation. C’est une alerte. C’est un appel.
Un appel à retrouver notre souveraineté halieutique.
Un appel à protéger les générations futures.
Un appel à reconstruire une filière équitable, moderne, durable et compétitive.
Un appel à rendre au Sénégal le contrôle de ses mers.
Je parle ici en tant que citoyen engagé, patriote et serviteur de l’État, convaincu qu’une autre voie est possible.
L’histoire jugera. Faisons-en sorte qu’elle retienne notre courage, pas notre résignation.
Mamadou Lamine DIOP