Le Sénégal était connu comme une démocratie majeure en Afrique de l’Ouest. Un pays paisible dans une sous-région instable. Néanmoins, depuis deux ans, les tensions sont vives entre le pouvoir en place et une opposition radicalisée. Et le procès pour diffamation contre du leader de Pastef, Ousmane Sonko, renvoyé jeudi au 30 mars prochain, envenime une situation déjà tendue. Et pourtant, le Président de la République, Macky Sall, peut ramener le calme et la sérénité dans ce pays de 17 millions d’habitants, en renonçant à une troisième candidature très contestée. A coup sûr, le Chef de l’Etat sortirait par la grande porte. Mais, qui pourrait-il désigner comme dauphin pour assurer ses arrières ?
La sécurité et la stabilité sont nécessaires pour bâtir une économie prospère. Mieux encore, le Professeur Cheikh Anta Diop soutenait que « la sécurité précède le développement ». Et un pays qui se veut émergent ne peut continuer à vivre sous haute tension. Des manifestations autorisées ou non par les autorités sont organisées par une opposition radicalisée de manière récurrente depuis deux longues années. Une démocratie et un pays sûr pour les investissements, notre image de marque, est remise en cause. On compte les morts depuis mars 2021 où notre nation avait failli basculer dans le chaos. L’image du pays se retrouve ternie sur la scène internationale. Heureusement que nos régulateurs sociaux ont su ramener à la raison tous les acteurs politiques. Mais, il faut reconnaitre que depuis deux longues années la tension va crescendo.
Le président Macky Sall, maitre du jeu politique
La destruction des biens publics mais surtout privés, notamment ceux des multinationales occidentales, est devenue quasiment inévitable à chaque manifestation non-autorisée de l’opposition. Les dégâts se chiffrent en plusieurs milliards de nos francs. Et les différentes poursuites judiciaires contre du chef de file de l’opposition, Ousmane Sonko, ne concourent pas à ramener la paix sociale dans notre pays. Après la plainte d’Adji Sarr, Sonko est poursuivi pour diffamation, injures et faux par le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang. En vrai dire, en cas de condamnation,Ousmane Sonko risque d’être déclaré inéligible pour la Présidentielle du 25 février 2024. Sonko et ses supporteurs dénoncent une instrumentalisation de la justice par le pouvoir pour l’éliminer politiquement. Mame Mbaye Niang, le ministre Pape Malick Ndour et les autres tenants du pouvoir soutiennent que le maire de Ziguinchor utilise la rue pour échapper à la justice. Depuis trois ans notre pays est presque à l’arrêt en raison des violentes manifestations de l’opposition. Mais un homme et pas n’importe lequel a le pouvoir de mettre un terme à cette vive tension qui règne dans le pays. En effet, le Président de la République, MackySall, peut bel et bien renoncer à son projet de 3ecandidature dans l’intérêt supérieur de la nation si tel est le cas. Quand on a eu à lutter farouchement contre la dévolution monarchique et le 3e mandat voulus par l’ancien président Abdoulaye Wade, on ne peut pas faire volteface sans se discréditer soi-même en cherchant coûte que-coûte un 3e mandat. Certes, la grande partie des responsables de l’APR appelle le Président Sall à briguer un 3e mandat mais force est de reconnaitre qu’une bonne partie des électeurs sont hostiles même à l’idée d’une 3e candidature source principale de la tension politique. Il ne faut pas oublier que si la plupart des régimes de l’Afrique centrale sont voués aux gémonies, c’est en raison du refus des chefs de d’Etat en exercice depuis plusieurs décennies de céder le pouvoir même à des caciques de leur parti. Et si le PDS a perdu le pouvoir en 2012, c’est en grande partie dû au refus systématique du Pape du Sopi de désigner un dauphin légitime en mesure de porter le flambeau. Idrissa Seck, l’homme de toutes les batailles du PDS dans la longue marche pour accéder au pouvoir, a été jeté en prison, écarté du parti comme un malpropre, au profit du fils d’Abdoulaye Wade, Karim Wade. Le peuple souverain du Sénégal, dans sa ferme volonté de rejet du projet monarchique du président nonagénaire d’alors, a porté de manière résolue son choix sur le président de l’APR, Macky Sall, en 2012. Depuis lors, le PDS se meurt. Certains chefs d’Etat lucides et pondérés ont choisi de respecter la limitation des mandats fixée dans la Charte fondamentale de leur pays. Ainsi, ils ont cherché et trouvé des dauphins légitimes qu’ils ont soutenus et portés au pouvoir.
Les exemples mauritanien, nigérien et nigérian
Ces Chefs d’Etat démocrates et soucieux de la stabilité de leur pays sont légion. Et le président Macky Sall peut s’en inspirer en faisant confiance à un des ténors de son parti ou de sa coalition. Après tout, le président Mohamed Ould Ghazouani doit beaucoup à son prédécesseur Mohamed Ould Abdel Aziz, En effet, après avoir dirigé l’Armée mauritanienne pendant 10 ans, le général Ghazouani été nommé ministre de la Défense de 2018 à 2019. Au cœur du pouvoir, il s’est forcé une réputation. Il construit une politique de défense mauritanienne qui a fait du pays une exception au Sahel, n’ayant subi aucun attentat depuis 2011. Après un an dans le gouvernement de son prédécesseur, il se présente aux élections présidentielles à sa suite et est élu président de la République avec 52,01% des voix. Il a été soutenu par le président de la République sortant Mohamed Ould Abdel Aziz à l’élection présidentielle de juin 2019. Il devance son principal challenger BiramDah Abeid, qui n’avait recueilli que 18,59 %. Et que serait la vie de Mohamed Bazoum sans Mahamadou Issoufou ? Beaucoup l’ignorent. Mais à coup sûr, il ne serait pas l’actuel président en exercice du Niger. Compagnon de route de Mahamadou Issoufou depuis trois longues décennies, le ministre de l’Intérieur Bazoum a été désigné, le 31 mars, candidat à sa succession pour la présidentielle de 2021. Il avait enchaîné les réunions de sécurité, les rencontres diplomatiques et les comités du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), dont il était le président. Bazoum a été officiellement désigné par le parti au pouvoir le 10 février 2021 candidat pour briguer la succession du président sortant Mahamadou Issoufouen 2021. Il faut reconnaitre à Issoufou sa grandeur d’âme et son respect scrupuleux des dispositions de la Constitution du Niger qui fixait la limitation des mandats à deux. « La continuité pour un avenir meilleur », telle était la promesse du candidat Mohamed Bazoumdont l’élection à la présidence du Niger a été confirmée par la Cour constitutionnelle. Par un arrêt paru dimanche 21 mars 2021, l’institution nigérienne a validé sa victoire avec plus de 55 % des suffrages lors de la présidentielle du 21 février 2021. On a assisté au même scenario au Nigeria, dans le pays le plus peuplé d’Afrique. Une élection transparente et un dauphin qui remplace son mentor, le président sortant Muhamed Buhari. « C’est mon tour », n’avait-il de cesse de répéter durant la campagne. Bola Tinubu, le candidat du parti au pouvoir, a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle au Nigeria. Bola Tinubu, vainqueur de l’élection, a été accueilli par ses partisans criant « Jagaban » (« chef ») à son siège de campagne, peu après l’annonce de son succès. Après trois jours de contestation du scrutin, la commission électorale a annoncé que Bola Tinubu, du Congrès des progressistes (APC), avait cumulé plus de 8,8 millions de voix, remportant l’une des élections les plus disputées de l’histoire démocratique du Nigeria. Atiku Abubakar, le candidat de la principale formation de l’opposition (le PDP qui dirigea le pays de 1999 à 2015), a recueilli 6,9 millions de voix. L’outsider Peter Obi, du Parti travailliste (LP), dont la popularité auprès des jeunes a donné un nouvel élan à cette campagne, a remporté 6,1 millions de voix. Le Président Macky Sall ne manque pas d’hommes de qualité dans son parti voire dans sa coalition pour prendre la relève.
Amadou Ba, pour son expérience et son carnet d’adresse
Sorti de l’Ecole nationale d’administration et de la magistrature (ENAM), Amadou Ba est l’un des hommes forts du parti au pouvoir. Premier ministre du Sénégal depuis le 17 septembre 2022, le natif de Dakar est l’un des ténors de l’APR pressentis pour prendre la relève au cas où le Président en exercice ne se lance pas pour un 3e mandat à la tête du pays. Agé de 61 ans, Amadou Ba est avant tout un technocrate qui connait bien tous les rouages de la haute administration. Il ne serait pas un novice à la tête de l’Etat si toutefois il est soutenu adoubé par le Président Macky Sall pour aller à la conquête des suffrages de Sénégalais. C’est un homme affable, avisé, pondéré et au contact des militants. Il est respecté et craint par ses rivaux dans l’appareil de l’APR. Ancien ministres des affaires étrangères, il s’est forgé une dimension internationale avec un carnet d’adresse très envié. Il a la carrure et le charisme pour être le dauphin du Président en exercice.
Abdoulaye Daouda Diallo et Moustapha Ba, depotentiels candidats
Le 17 septembre 2022, après plus de trois années à la tête du Ministère des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo a passé le relais à son successeur, Mamadou Moustapha Ba, nommé à ce poste. Le Ministre des Finances et du Budget sortant avait tenu à remercier le Président de la République, Macky Sall, pour lui avoir renouvelé sa confiance depuis 2012 en le nommant Ministre d’Etat, Directeur de Cabinet. Abdoulaye Daouda Diallo avait assuré qu’il s’évertuerait à mériter encore cette confiance dans ses nouvelles fonctions. C’est un technocrate tout comme Moustapha Ba. Néanmoins, il faut souligner que Abdoulaye Daouda Diallo a une base solide dans le nord du pays. C’est un compagnon fidèle qui ne fait pas beaucoup de bruit. Un homme fiable qui pourrait être désigné comme le dauphin de Macky Sall. Il a la carrure pour assumer la fonction de chef de parti en cas de retrait de Macky Sall de la scène politique.
Moustapha Ba est moins connu du grand public. Mais, l’actuel ministre des Finances et du Budget est aussi un homme de valeurs avec des relations à tous les niveaux dans le parti au pouvoir. Il pourrait bien être la surprise du Chef. Mansour Faye pourrait également être désigné comme le candidat officiel de l’APR pour la Présidentielle de 2024. Le ministre et grand-frère de la première dame semble être celui qui inspire plus de confiance au Chef de l’Etat.
Idrissa Seck, un probable fédérateur de la famille libérale
Ancien Premier ministre, ancien maire de Thiès et actuel président du Conseil économique, social et environnemental, Idrissa Seck a occupé presque toutes stations prestigieuses. Celle qui lui reste, c’est la présidence de la République en tant que Chef de l’Etat. L’ancien « actionnaire majoritaire » du PDS fera partie des candidats pour la Présidentielle de 2024. Néanmoins, il tient à être non pas le candidat de son parti Rewmi mais de la coalition Benno Bokk Yaakar. Il souhaite que le Président Sall se retire et le soutienne financièrement mais surtout l’adoube pour qu’il puisse bénéficier de toutes ses chances pour être le prochain Président du Sénégal. Les deux personnalités politiques se connaissent bien depuis deux décennies. Ils sont en intenses négociations pour arrondir les angles. D’ailleurs, lors de Thiès de la tournée économique du patron de l’APR, Idrissa Seck, a demandé dans un langage certes soutenu à Macky Sall de sortir par la grande porte en évitant se représenter à sa propre succession. Le Thiésois de 63 ans pourrait être le réunificateur de la grande famille libérale pour aller à la reconquête du pouvoir. Après tout, c’est bien lui qui était arrivé à la 2e position lors de la Présidentielle de 2012 bien qu’il n’avait pas eu le temps de sillonner tout le pays. Mais ne pas investir un membre de son propre parti pour aller encenser et faire compagne pour Idrissa Seck, c’est bien possible que Macky Sall le fasse mais c’est peu probable. Toute de même, on n’est jamais à l’abri d’une surprise sur la scène politique sénégalaise.
Mamadou DIALLO