Par le Colonel (Er) Seyni Cissé Diop
Consultant Expert Défense & Sécurité
Depuis plus d’une décennie, surtout en cette année 2025 marquée par une menace d’asphyxie économique de Bamako centre décisionnel et symbolique, de nombreux observateurs et des media mainstream annonçaient l’effondrement programmé de l’état malien. La perte de certaines parties du territoire, les attaques contre les axes d’approvisionnement et les mouvements des populations reliant Dakar et Abidjan, le blocus du carburant, la pression multiforme du JNIM et l’isolement diplomatique semblaient annoncer la chute de l’État. Pourtant, contre toute attente, le Mali a résisté. Son armée a escorté des convois vitaux jusqu’à Mopti, l’état a consolidé son alliance avec le Niger et le Burkina Faso et affirmé une souveraineté nouvelle dans le cadre de l’Alliance des États du Sahel (AES). Et l’on assiste même au renforcement de l’AES, à la mise sur pied de sa banque d’investissement et de sa radio intercommunautaire, de l’unification de ses forces de défense et aux lancements de grands travaux dont l’autoroute Ouagadougou-Bobo Dioulasso.
Cette résilience n’est ni un miracle ni un accident. Elle est comprise par ceux qui se réfèrent à l’histoire, à la géopolitique, par ceux qui ne sont pas emportés par l’actualité mais prennent en compte les tendances lourdes et les continuités historiques qui en découlent. En fait, ce qui se déroule réellement au Mali et échappe à certains analystes mis souvent au-devant de la scène s’inscrit dans les lois profondes de la guerre, de la grande stratégie que Sun Tzu, Machiavel, les stratèges comme Tariq Ibn Ziyad en Espagne ou Cortés au Mexique , les théoriciens des guerres modernes comme Ronger Trinquier et David Galula ont pourtant bien expliqués ou démontré sur le terrain. En effet, il a été prouvé que les forces mercenaires et prédatrices tels que les groupes terroristes qui écument aujourd’hui le sahel central sont structurellement faibles et qu’une armée issue du peuple mise dos au mur devient à terme plus efficace qu’eux si elle est soutenue par sa population. En effet, un peuple placé sur un terrain désespéré mobilise une énergie exceptionnelle .Autant il a été observé aussi qu’un acteur déterminé qui brûle ses bateaux, comme Cortés, et qui fait penser à l’AES isolée, se donne toujours la force d’aller jusqu’au bout de la réussite ; d’autant plus qu’aucune autre voie ne lui est offerte.
Une lecture croisée des auteurs de référence si peu consultés à notre époque offre heureusement une clef de lecture qui facilite la compréhension de ceux qui croient en la victoire des peuples du Sahel dont le premier ministre actuel du Sénégal qui a affirmé sans ambages lors d’une déclaration publique que le Mali vaincra les hordes terroristes. Il ne diffère pas beaucoup de ce jeune malien , chauffeur routier civil confiant en l’avenir, volontaire pour conduire une citerne malgré la menace terroriste. Sont-ils guidés seulement par un pressentiment, l’optimisme ? la vision de monde meilleur qu’annoncent parfois prophètes et leaders éclairés ? la confiance au potentiel africain qui semble se réveiller d’une manière inattendue dans l’AES ?
- Machiavel, une clef de lecture de la défaite programmée des groupes terroristes dans leur guerre injuste au Sahel central
1.1 Les mercenaires, faibles par nature
Dans ‘’Le Prince’’, traité politique de référence paru en 1532 – dont les enseignements dépassent la relation entre le Prince et ses sujets – Machiavel affirme que les troupes mercenaires sont « inutiles et dangereuses » : elles n’obéissent qu’à l’argent, manquent de loyauté et se fragmentent selon les intérêts du moment. Machiavel défend mieux son argumentation dans ‘’ l’Art de la guerre ‘‘ paru en 1521, par l’entremise de Fabrizio Colonna un ancien condottiere (chef de mercenaire) qui prenant en référence son expérience démontre l’inefficacité des mercenaires. L’histoire l’avait amplement démontré par le comportement des mercenaires d’Hannibal qui ont finalement capitulé devant Rome lors de la 2ème guerre punique. L’échec des mercenaires engagés au Biafra sous la solde de puissants lobbies occidentaux en est aussi un exemple probant parmi tant d’autres ; nous poussant même à oser considérer tous les corps expéditionnaires étatiques qui se sont retirés de théâtres lointains après une défaite comme une forme de mercenariat.
1.2 La logique mercenaire des groupes terroristes du sahel
Les groupes terroristes sahéliens incarnent exactement ce modèle car dépendant surtout de financements criminels et d’appuis extérieurs . Ils manquent de projet politique légitime et ont des objectifs idéologiques non enracinés localement.
Soutenus moralement, médiatiquement et financièrement par des acteurs tapis dans l’ombre le JNIM et l’EIS qui sévissent au Mali et dans la sous-région montrent aussi des divisions internes et des rivalités qui entre autre démontrent leur faiblesse structurelle.
Face à eux, les États de l’AES disposent de forces nationales issues du peuple, cohérentes politiquement et enracinées territorialement : ce sont les “armes propres” de Machiavel, les seules capables de construire la victoire durable qu’il n’a cessé de recommander pour la sécurité de Florence basée à l’époque sur les mercenaires qui ne purent la défendre contre les différentes menaces.
- Par Sun Tzu, la détermination du peuple malien rapportée au terrain désespéré se comprend mieux
2.1 La théorie du terrain difficile, désespéré, sans issue
Sun Tzu explique dans ‘’l’Art de la guerre ‘’écrit vers 400 BC que lorsqu’une armée n’a plus d’échappatoire, elle révèle une énergie farouche : ses soldats ordinaires deviennent des guerriers farouches et se battent pour chaque pouce de sol comme le ferait un animal acculé. C’est pourquoi il conseille de ne jamais encercler complétement un ennemi et de lui laisser une issue de sortie. Les maliens – comme d’ailleurs tous les peuples de l’AES- n’ont pas d’issue de sortie. Et plus les terroristes tenteront de les étouffer, de les encercler, plus les voisins et la communauté internationale les ignoreront, plus leur énergie et leur volonté de se battre décupleront. Ainsi sur ‘’ce terrain désespéré’’ qui ressemble tant au théâtre malien, les FAMA sont redevenus des tigres et semblent avoir retrouvé leur âme guerrière.
2.2 Le Mali acculé, mais non soumis
Le Mali sans débouché sur la mer a connu les caractéristiques du terrain désespéré à travers le blocus imposé injustement auparavant en 2020 par la CEDEAO et aujourd’hui par les terroristes du JNIM, les attaques contre ses militaires et ses populations, l’isolement diplomatique, les privations d’énergie et de denrées endurées par sa population.
Mais loin de s’effondrer, le Mali peu soutenu par ses voisins de la CEDEAO et ignoré par l’occident a développé une résilience collective. Et cette résistance a montré un niveau insoupçonné de solidarité des populations, la détermination de son appareil militaire malgré les graves pertes que soutiendraient peu d’armées de la sous-région. Et au final cette situation a aussi renforcé la coopération avec le Niger et le Burkina Faso et développé un rejet croissant de la domination terroriste par les populations. Sun Tzu l’avait bien annoncé : la contrainte extrême décuple les forces et produit la mobilisation extrême de tous les segments d’un état et d’une armée.
2.3 ‘’les bateaux brûlés’’ engagent l’AES dans un point de non-retour
En se détachant de l’ordre ancien représenté par la CEDEAO et en créant une confédération politique, économique et militaire, l’AES composée du Burkina Faso, du Niger et du Mali a franchi un seuil historique. Elle a politiquement “brûlé ses bateaux” comme fit Cortés débarquant au Mexique face aux aztèques qu’il finit par dominer et les conquérant arabes après la traversée du détroit de Gibraltar.
Cette rupture de l’AES signifie qu’un retour en arrière dans la lutte contre le terrorisme est impossible car l’échec serait catastrophique pour les trois États.
L’AES avec le Mali au centre du dispositif tant au plan symbolique, géographique et politique se trouve désormais engagée dans une lutte existentielle pour la survie, impossible à perdre car ils profitent d’une vraie profondeur stratégique.
III. la population, véritable profondeur stratégique :
Dans toutes les guerres longues et asymétriques, la force décisive n’est pas la technologie, ni même la tactique, mais la capacité du peuple à résister. Si la population endure, soutient l’effort national et refuse la domination de l’ennemi, alors la victoire n’est plus seulement possible, elle est assurée. David Galula très référencé par les américains avait bien raison de clamer que pour contrer un mouvement insurrectionnel comparable à plus d’un titre aujourd’hui avec celui mené par les groupes terroristes du sahel, il importe de s’assurer plus du soutien de la population que de l’élimination des insurgés.
Les exemples historiques sont nombreux :
- Le Viêt-Minh a finalement vaincu la France en 1954 et les États-Unis en 1975 parce que le peuple vietnamien a accepté des sacrifices extrêmes pour son indépendance.
- Les États-Unis ont perdu au Vietnam aussi parce que leur propre population, lassée, s’est détournée de la guerre.
- En Algérie, le FLN n’aurait jamais gagné sans l’appui massif et résilient des populations rurales et urbaines.
- En Afghanistan, ni l’URSS ni les États-Unis n’ont pu vaincre des insurgés soutenus par une population produisant des résistants persuadés que le temps jouerait pour eux.
Ces cas illustrent une loi stratégique fondamentale : Un mouvement soutenu par son peuple finit toujours par vaincre, tandis qu’une force sans base sociale comme c’est aujourd’hui le cas des terroristes du sahel finit par s’épuiser à plus ou moins long terme.
En effet, au Mali la population endure le blocus, les pénuries, les attaques, tout en maintenant un soutien politique majeur aux autorités politiques et à son armée. La cohésion entre le peuple, l’Armée et le gouvernement crée une profondeur stratégique que les groupes terroristes, isolés socialement et politiquement, sont incapables d’égaler.
Cette résilience populaire, véritable centre de gravité de l’État malien rend la victoire, certes lente et coûteuse, mais garantie à long terme.
Conclusion
Le Mali et l’AES résistent parce qu’ils incarnent un phénomène stratégique profond. Machiavel, Sun Tzu , Scipion , Galula entre autres nous en fournissent les clefs :
- les groupes terroristes, forces mercenaires dépourvues de légitimité sociale, ne peuvent vaincre un État soutenu par son peuple ;
- un pays, un état, une armée6 et un peuple placés sur un terrain désespéré révèlent des ressources de courage et de cohésion inattendues ;
- une alliance qui brûle ses bateaux et s’engage dans une lutte existentielle devient extrêmement difficile à renverser.
Mais la victoire totale, durable dépendra aussi de la capacité à reconstruire les ponts avec les pays côtiers, et en particulier du rôle du Sénégal, acteur naturel de stabilisation et de médiation qui ne doit pas rater cette opportunité stratégique pour jouer son rôle de puissance. Une Initiative sénégalaise mesurée en soutien au Sahel avec un volet diplomatique, militaire, économique et communicationnel ne peut qu’honorer et permettre à notre pays de jouer un rôle qu’aucun pays de la sous-région ouest africaine ne peut égaler.
Ainsi, si la population malienne qui endure les rebellions meurtrières bien avant même son indépendance politique demeure résiliente et si la région parvient à se réunifier autour d’une vision commune, alors la victoire totale sur les groupes terroristes n’est pas seulement envisageable : elle est plus que probable, et même inévitable. Le Sénégal peut soit rester spectateur comme certains pays de la CEDEAO non contraints par leur géographie, leur histoire ou leur économie ou choisir la voie d’un état stratège conscient des enjeux géostratégiques, qui par son engagement responsable aux côtés du Mali pourra siéger au banc des vainqueurs.
Dakar le 26 Décembre 2025
Colonel (Er) Seyni Cissé Diop
Consultant expert Défense & Sécurité
scdiop@yahoo.fr

