Une récente enquête d’Afrobarometer a notamment permis d’examiner la perception des Togolais du retrait des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de la gestion par leur gouvernement de la menace terroriste au nord du pays.
Koffi Amessou Adaba, l’un des auteurs de cette étude revient pour The Conversation Africa sur ses motivations, ses principales conclusions et les perspectives qu’elle ouvre pour le Togo.
Pourquoi cette étude et quels en sont les axes principaux ?
Cette enquête s’inscrit dans le programme d’Afrobarometer, un réseau panafricain, indépendant, non partisan et à but non lucratif. Depuis 1999, Afrobarometer mène des sondages d’opinion en Afrique pour donner une voix aux citoyens sur des thématiques essentielles telles que la démocratie, la gouvernance et la qualité de vie.
Au Togo, son partenaire national est le Center for Research and Opinion Polls (CROP), qui est chargé de réaliser les enquêtes Afrobarometer. Celles-ci sont conduites à partir d’un échantillon représentatif de la population adulte au Togo, avec des interviews réalisées dans la langue de choix des répondants. Le protocole garantit une marge d’erreur de plus ou moins trois points de pourcentage et un niveau de confiance de 95 %.
Concernant les axes principaux de l’étude, au-delà du questionnaire standard utilisé par Afrobarometer dans l’ensemble des pays participants, nous avons intégré des questions spécifiques au contexte togolais. Nous nous sommes intéressés à deux thématiques majeures entre autres pour cette édition :
- la perception de la gestion du terrorisme dans le norddu Togo;
- l’opinion des Togolais sur l’Alliance des États du Sahel (AES) et le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao.
Nous avons également abordé la perception de l’influence des grandes puissances étrangères au Togo, un sujet très sensible dans le contexte actuel ainsi que les discriminations envers les femmes et les jeunes filles.
Quelles sont les principales conclusions de votre enquête ?
Notre enquête montre que 64 % des Togolais estiment que le retrait des pays de l’AES de la Cedeao est « assez » ou « très justifié ». Cette opinion repose principalement sur trois facteurs :
- la perception que la Cedeao est sous l’influence de puissances extérieures;
- le rejet des sanctions imposées par la Cedeao aux pays de l’AES;
- le sentiment que la Cedeao a failli à son devoir de soutien militaire face aux crises sécuritaires traversées par ces pays.
De plus, 54 % des Togolais jugent bénéfique la présence de la Russie (ou du groupe Wagner devenu Africa Corps) auprès des États de l’AES. Cette confiance envers un acteur extérieur non occidental reflète une profonde évolution des perceptions géopolitiques dans la région.
Autre enseignement important de cette étude : 54 % des Togolais estiment que leur pays aurait intérêt à quitter la Cedeao pour rejoindre l’AES. Toutefois, sur l’impact de l’AES sur l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, les Togolais sont divisés : 39 % pensent que l’AES ne constitue pas un obstacle à l’intégration, contre 37 % qui estiment l’inverse.
Comment analysez-vous le souhait majoritaire des Togolais de quitter la Cedeao ?
Ce souhait est d’abord le reflet d’une contestation grandissante contre la Cedeao, perçue comme une organisation ayant perdu sa légitimité auprès des populations ouest-africaines. Pour les Togolais, la Cedeao est trop alignée sur des intérêts étrangers et n’a pas su défendre les États membres confrontés à de graves crises sécuritaires. La Cedeao aurait aussi déçu les Togolais dans ses diverses interventions dans la résolution des crises socio-politiques qui ont secoué leur pays.
Il faut replacer ce phénomène dans le contexte plus large de la montée d’un vent panafricaniste dans la région, avec un rejet accru des anciennes puissances coloniales et de leurs relais institutionnels.
Cela dit, il faut rester prudent : ce souhait de retrait est fortement lié aux réalités du moment. Il traduit un sentiment de frustration et un désir ardent des Togolais à un changement de situations politiques, mais il ne prend pas encore pleinement en compte les enjeux économiques et diplomatiques complexes liés à une telle décision.
Que disent les sondés sur le terrorisme dans le nord du pays ?
Une majorité relative – près de six répondants sur dix (59 %) – déclarent faire confiance au gouvernement pour contenir, voire éradiquer, la menace terroriste. Cette confiance témoigne d’un soutien global aux efforts des autorités, même si certains expriment des doutes sur la stratégie adoptée. En particulier, l’efficacité de la communication gouvernementale sur la crise divise l’opinion : certains la jugent insuffisante ou peu transparente, d’autres estiment qu’elle contribue à maintenir la vigilance sans créer de panique.
On peut percevoir l’inquiétude des Togolais par le fait qu’ils indiquent que la crise sécuritaire dans le Nord du pays accentue leur sentiment d’insécurité, même en dehors des zones affectées.
Quelle orientation le Togo devrait-il prendre face à l’AES et à la Cedeao ?
Le Togo, selon moi, a déjà trouvé un équilibre habile. Depuis le début des tensions, le pays a adopté une diplomatie de neutralité active : il n’a pas condamné ouvertement les pays de l’AES, tout en conservant son appartenance à la Cedeao. Cette stratégie a permis au gouvernement de rester aligné sur l’opinion nationale, majoritairement favorable aux États de l’AES, tout en préservant ses intérêts stratégiques et économiques.
Ce positionnement s’inscrit dans la tradition diplomatique togolaise, marquée par la recherche constante d’un équilibre entre différentes forces en présence. Le Togo a toujours privilégié une diplomatie pragmatique et indépendante, adaptée à ses intérêts nationaux.
Aujourd’hui, face à la recomposition régionale en cours, il est essentiel que le Togo poursuive sur cette voie en :
- maintenant des relations de coopération ouvertes tant avec la Cedeao qu’avec l’AES;
- préservant sa position stratégique comme hub logistique et commercial de la région, notamment à travers le port autonome de Lomé;
- renfonçant son image d’acteur de stabilité diplomatique en Afrique de l’Ouest.
Le Togo affiche une neutralité prudente face à l’AES tout en restant dans la Cedeao. Cette posture équilibriste est-elle tenable ?
De toutes les façons, cette position est tenable dans la mesure où personne ne peut prédire l’avenir de l’AES. Même en cas de bouleversement des régimes actuels en Afrique de l’Ouest, le Togo gardera toujours certains acquis de cette posture équilibriste. Si les pays de l’AES reviennent dans la Cedeao, le Togo gardera ses avantages. Il en sera de même aussi longtemps que les pays de l’AES resteront en dehors de la Cedeao.
En définitive, le Togo doit continuer à capitaliser sur sa politique d’équilibre, qui lui confère aujourd’hui une marge de manœuvre précieuse dans un contexte régional volatile. The Conversation Afrique