Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
La séance est ouverte à 11 h 20
·Projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal, et de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal (n° 213) (M. Sylvain Maillard, rapporteur)
Monsieur le président Jean-Louis Bourlanges. Je laisse à notre rapporteur le soin de nous présenter son analyse sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal, et de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal, dont notre commission est saisie.
M. Sylvain Maillard, rapporteur. Il m’appartient de vous présenter les conventions d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale conclues avec le Sénégal et dont il vous est demandé d’autoriser l’approbation. Ces conventions, négociées à la demande du Sénégal, ont été signées à Paris en 2021.
La France est actuellement liée au Sénégal par un accord de coopération judiciaire signé en 1974. Toutefois, depuis cette époque, des évolutions notables sont intervenues. La criminalité organisée s’est internationalisée et complexifiée, avec des réseaux de trafics d’êtres humains, de stupéfiants, d’armes, de cybercriminalité, qui exercent leurs activités dans la bande sahélo-saharienne et ont des ramifications en Europe. La visite du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin à Dakar en décembre 2022 a été l’occasion, pour les autorités de nos deux pays, de faire le point sur les réseaux d’immigration ainsi que sur le trafic international de crack, dont nous connaissons les répercussions dans certains quartiers de Paris.
Les pays de la région font face, depuis plusieurs années et dans des proportions inédites, à une menace terroriste qui continue malheureusement à faire de nombreuses victimes. Le Sénégal a été pour l’instant épargné par les attentats, et l’islamisme radical ne semble pas s’y être implanté sérieusement. On le doit peut-être à la forte présence des confréries religieuses, d’inspiration soufie, qui promeuvent certes un islam aux principes plutôt conservateurs, mais tolérant et sans lien avec la violence de type djihadiste. Tel n’est pas le cas, en revanche, de pays voisins comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger. Comme l’a rappelé le 19 janvier le général Babacar Gaye, ancien chef d’état-major général des armées du Sénégal ayant exercé des responsabilités militaires dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies (ONU) : « Il y a bien une crise sécuritaire dans le Sahel qui ébranle tous les ordres établis, tous les équilibres ». Dans ce contexte, la porosité de la frontière sénégalo-malienne, de près de 500 kilomètres, est de nature à fragiliser l’Est du Sénégal, région déjà pauvre et relativement délaissée.
La criminalité organisée et le terrorisme ont tendance à s’entremêler. Les autorités françaises peuvent avoir à connaître de ce type d’affaires, soit que des ressortissants français figurent parmi les victimes, soit qu’au contraire ils soient mis en cause, soit encore que les dossiers concernés soient susceptibles d’avoir des répercussions pour la sécurité de notre pays. En sens inverse, les autorités sénégalaises peuvent avoir besoin de la coopération des juridictions françaises dans certains dossiers d’envergure.
L’accord bilatéral de 1974 n’apparaît plus adapté, dans bien des domaines, aux nouveaux défis posés par la criminalité organisée et par le terrorisme. L’exécution des demandes françaises d’entraide et d’extradition se révèle ainsi particulièrement lente. Les présentes conventions visent donc à rénover un cadre juridique devenu obsolète, en vue notamment de favoriser une exécution plus rapide et plus efficace des demandes. Elles visent aussi à prendre en compte les bouleversements techniques et technologiques intervenus depuis 1974, en particulier la généralisation du numérique et de la dématérialisation.
Ces conventions organisent de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes d’entraide et d’extradition, notamment dans les cas les plus urgents. Elles posent expressément une obligation de célérité. Je rappelle à toutes fins utiles – et pour éviter toute ambiguïté – que l’extradition n’a rien à voir avec l’expulsion, ni avec le droit des étrangers. Elle est une procédure à caractère judiciaire visant à remettre l’auteur d’un délit ou d’un crime à un autre État pour qu’il puisse y être jugé ou y exécuter sa peine. Elle a pour objet d’empêcher que l’auteur d’une infraction d’une certaine gravité aille chercher refuge dans un autre État pour ne pas avoir à répondre de ses actes.
La convention d’entraide judiciaire, en particulier, permet de recourir aux techniques modernes d’enquête telles que les auditions par vidéoconférence, les demandes d’informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d’avoirscriminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d’infiltration, autant de domaines qui n’étaient pas couverts par l’accord de 1974 et qui constituent aujourd’hui des outils essentiels dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme.
Ces conventions prévoient – et c’est essentiel – les garanties indispensables qui doivent entourer ce type de procédures. L’entraide peut ainsi être refusée si la demande se rapporte à des infractions politiques. Les témoins, experts ou personnes poursuivies, qui sont appelés à comparaître devant les autorités judiciaires du pays demandeur, bénéficient d’immunités précisément définies.
De même, l’extradition ne saurait être accordée lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, ou s’il existe des raisons sérieuses de croire que l’extradition a été demandée en vue de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de genre, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques. Par ailleurs, en vertu du principe dit de spécialité, une personne ne pourra être poursuivie pour un fait autre que celui ayant motivé son extradition.
Une clause excluant l’extradition lorsque l’infraction concernée fait encourir la peine de mort figure aussi dans la convention, bien que le Sénégal ait aboli la peine capitale en 2004 et que la dernière exécution y remonte à 1967, dix ans avant la France. Les deux conventions comportent également des garanties pour la protection des données personnelles.
Ces textes ont fait l’objet d’une élaboration attentive, largement inspirée des mécanismes de coopération de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Ils sont très proches des conventions signées avec le Burkina Faso et le Niger en 2018, dont l’Assemblée nationale avait autorisé l’approbation et qui sont déjà entrées en vigueur.
Il me paraît important que cette modernisation du cadre juridique s’accompagne d’une disponibilité de notre pays à aider le Sénégal à s’approprier les nouveaux outils. La France a commencé à le faire par l’intermédiaire de son magistrat de liaison en poste à Dakar. Par ailleurs, un projet, mis en œuvre par Expertise France depuis un an, tend à développer au Sénégal un bureau de l’entraide pénale internationale (BEPI), sur le modèle du bureau français. La France a aussi contribué à la création de l’École nationale de cybersécurité à vocation régionale de Dakar. Elle déploie en outre des programmes de formation des magistrats étrangers, notamment africains.
La coopération judiciaire entre la France et le Sénégal peut s’appuyer sur une culture juridique et administrative en grande partie commune. Nos organisations judiciaires sont en effet largement similaires, elles comportent un double degré de juridiction, une cour suprême connaissant des recours en cassation, un conseil constitutionnel, une cour des comptes et un conseil supérieur de la magistrature, pour ne citer que ces exemples. Les principes classiques du droit pénal français, tels que la légalité des délits et des peines, ont également été repris dans le code pénal sénégalais de 1965, complété depuis par de nouvelles incriminations.
Cette coopération, au-delà même du cadre juridique qui nous rapproche, peut s’appuyer sur des liens d’amitié particulièrement anciens et solides. Rappelons que la langue officielle du Sénégal est le français, ou encore que les deux tiers des étudiants sénégalais à l’étranger se trouvent en France, où ils constituent le premier contingent d’étudiants étrangers francophones. Autre fait significatif, le Sénégal est le seul pays d’Afrique subsaharienne avec lequel la France organise un séminaire intergouvernemental, alternativement à Dakar et à Paris, dont la cinquième édition s’est tenue le 8 décembre 2022. Les visites bilatérales des autorités sont nombreuses et peuvent être, si nécessaire, l’occasion de se dire les choses lorsque nos vues ne concordent pas, comme en 2020, lorsque le Sénégal a signé la déclaration de consensus de Genève. La France sera également attentive, dans le respect bien entendu de la souveraineté du Sénégal, aux conditions de déroulement de l’élection présidentielle de 2024.
En résumé, compte tenu des enjeux de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme et des liens forts qui nous unissent au Sénégal, l’approbation de ces conventions me paraît particulièrement opportune et bienvenue. C’est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi qui l’autorise.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Alain David (SOC). Le Sénégal entretient depuis l’accord de coopération judiciaire de 1974 des relations de coopération significatives avec la France. Les traités internationaux conclus dans le cadre de l’ONU que le Sénégal a ratifiés et qui l’engagent dans le cadre de la coopération judiciaire avec notre pays sont nombreux : la convention unique sur les stupéfiants, la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la convention contre le trafic illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes, la convention contre la criminalité transnationale organisée, adoptée par la résolution 55/25 de l’Assemblée générale des Nations Unies, et la convention contre la corruption.
La France est le principal demandeur en matière de coopération judiciaire ; ainsi, depuis 2011, notre pays a formulé 108 demandes d’entraide judiciaire, dont 40 sont toujours en cours d’exécution, et 14 dénonciations officielles Les délais restent parfois longs et l’on peut former le souhait que ces textes accélèrent les procédures et facilitent les démarches.
En tout état de cause, le groupe Socialistes et apparentés votera le projet de loi autorisant l’approbation de ces conventions, qui ne sont pas seulement techniques et qui constituent un indéniable progrès.
M. Sylvain Maillard, rapporteur. Nous sommes sur la même longueur d’onde et je reste à votre disposition dans l’éventualité où votre groupe aurait des questions plus précises.
Mme Stéphanie Kochert (HOR). La France, engagée depuis dix ans au Sahel, se doit de disposer d’outils juridiques appropriés avec ses partenaires de la région pour lutter efficacement contre le terrorisme. La demande de modernisation du cadre fixé par la convention de 1974, qui émanait du Sénégal, représente une opportunité d’adapter notre coopération en matière pénale aux nouveaux enjeux. Ces deux conventions incluent en effet des stipulations spécifiques visant à favoriser les auditions par visioconférence et à octroyer des moyens d’action plus importants dans le cadre des missions d’infiltration des réseaux criminels.
La convention d’entraide judiciaire en matière pénale et celle d’extradition sont parfaitement cohérentes avec nos engagements internationaux. Elles sont relativement similaires aux conventions existantes au sein de l’Espace économique européen (EEE) et entre les pays du Conseil de l’Europe. Elles préservent de même notre souveraineté en offrant suffisamment de garanties pour refuser une entraide ou une extradition pour des raisons d’ordre politique ou touchant à la sécurité nationale. Le groupe Horizons et apparentés votera donc en faveur de ce projet de loi.
Vous revenez brièvement dans votre rapport sur le regain de conservatisme dans la société civile sénégalaise ; vous faites notamment référence à la signature par le Sénégal de la déclaration de consensus de Genève, texte ouvertement hostile à l’avortement. Cette recrudescence du conservatisme pourrait-elle avoir un impact sur les conventions que nous examinons aujourd’hui et sur leur application future ?
M. Sylvain Maillard, rapporteur. Nous devons porter un regard extrêmement attentif à ces prises de position. La situation politique est actuellement complexe au Sénégal mais il y aura une étanchéité entre l’application de ces conventions et d’éventuelles évolutions de l’action gouvernementale. L’idée est de normaliser les relations et de protéger le cadre régissant l’entraide judiciaire et les extraditions contre des modifications politiques, par le gouvernement actuel ou les suivants, de la doctrine suivie. La déclaration de consensus de Genève, que j’ai citée dans ma présentation du projet de loi, constitue à nos yeux une dérive, mais elle ne doit pas entacher les bonnes relations que nous avons traditionnellement avec le Sénégal.
M. Aurélien Taché (ÉCOLO-NUPES). Il faut rappeler tout d’abord la relation spécifique qui unit le Sénégal à la France ; elle est complexe car le Sénégal était notre plus ancienne colonie africaine. Plus de soixante ans après l’indépendance de ce pays, nous assistons à la montée d’un sentiment antifrançais dans toute une frange de la population. Il convient donc de traiter ce dossier avec la hauteur de vue nécessaire, en considérant notre histoire commune et en faisant preuve d’humilité et de respect.
Les termes de la première convention relative à l’entraide judiciaire ne semblent pas poser de problème particulier. Elle permettra de lutter plus efficacement contre le trafic de drogue et le terrorisme. Il existe en effet de nombreux accords identiques, comme vous l’avez rappelé, Monsieur le rapporteur. Si la convention peut permettre de faciliter des enquêtes judiciaires, nous ne pouvons que nous en réjouir.
Il convient en revanche de regarder de plus près le second texte. Qu’il s’agisse de l’exécution d’une peine ou de poursuites pénales, la convention stipule que si les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, le refus de l’extradition est obligatoire. Quel est cependant le périmètre exact d’une infraction politique dans un pays où le pouvoir exerce un contrôle de plus en plus autoritaire sur ses citoyens ? Le président de la République Macky Sall semble peu enclin à laisser son siège à l’occasion de l’élection présidentielle de 2024, alors que la Constitution sénégalaise limite le nombre de mandats consécutifs à deux. La stabilité de ce pays, souvent présenté à l’extérieur comme un modèle de démocratie dans la région, est ainsi mise à l’épreuve. Alors qu’une opposition se forme, les responsables de celle-ci ont presque tous eu affaire à la justice au cours des dernières années. Le gouvernement n’a pas hésité à utiliser des blindés contre la foule et le ministre de l’intérieur a traité les manifestants de terroristes avant de suspendre deux chaînes de télévision qui avaient diffusé des images des manifestations et de couper internet à plusieurs reprises. Enfin, la dizaine de morts et les centaines d’arrestations témoignent de la violence de la répression. Certains leaders politiques ont d’ailleurs été arrêtés durant la manifestation du 17 juin 2022 à Dakar : c’est le cas de Diarra Fam et de Déthié Fall, députés, et d’Ahmed Aïdara, maire. Ce dernier attend le verdict de son procès pour participation à un attroupement non armé : il a été requis à son encontre une peine d’un mois de prison avec sursis et une amende de 50 000 francs CFA.
Ces dérives m’inquiètent profondément pour la suite. La voix de la France n’est pas neutre car notre pays est le premier partenaire commercial du Sénégal et l’Agence française de développement (AFD) est l’un des premiers bailleurs du pays, son engagement total s’élevant à 1,4 milliard d’euros. Notre rôle n’est certes pas de nous mêler des affaires de politique intérieure du pays mais la France doit rester garante des principes démocratiques qui construisent notre image à l’international. En ce sens, sommes-nous absolument certains, malgré les garde-fous du texte, que la convention d’extradition ne pourra pas être utilisée d’une manière ou d’une autre par le gouvernement actuel comme un élément d’une stratégie de conservation du pouvoir ?
Alors que notre image en Afrique de l’Ouest est au plus mal, il faut éviter à tout prix de l’abîmer davantage en laissant prospérer l’idée que nous pourrions entraver d’une quelconque manière l’autodétermination des peuples. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste-NUPES s’abstiendra lors du vote sur le projet de loi.
M. Sylvain Maillard, rapporteur. Dans le cadre d’une entraide judiciaire, c’est le juge français qui décidera de l’application de la convention. Du côté français, les garanties sont apportées par l’impartialité de notre justice. Je m’associe en revanche complètement au regard que vous portez sur la situation politique au Sénégal.
Mme Amélia Lakrafi (RE). Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre intervention qui nous permet de resituer les enjeux de ces deux conventions. Vous l’avez rappelé, le Sénégal est un partenaire essentiel de la France en Afrique de l’Ouest : la relation est dense dans le domaine des échanges culturels et éducatifs mais également du point de vue humain, grâce à la nombreuse communauté française sur place et à la diaspora sénégalaise implantée en France de longue date. Notre pays est le premier partenaire commercial et investisseur étranger au Sénégal. Sur le plan politique, vous l’avez également rappelé, un séminaire intergouvernemental et un cadre légal et conventionnel portant sur différentes matières structurent nos relations.
ll en est ainsi de la convention de coopération en matière judiciaire, qui date de 1974. L’environnement dans lequel se trouve le Sénégal, proche de la zone d’instabilité de la bande sahélo-saharienne mais aussi de flux importants du trafic de stupéfiants, nécessite l’élaboration de nouveaux outils nous permettant d’affronter les nouvelles menaces en matière de terrorisme, de trafic de drogue et de cybercriminalité. Par ailleurs, les moyens techniques ont également évolué et ont modifié les pratiques en matière de coopération judiciaire.
Ces deux conventions d’entraide judiciaire et d’extradition fournissent de nouveaux outils pour nous adapter au contexte et aux pratiques actuels. Je salue par ailleurs l’appui que la France apporte à la création d’un bureau de l’entraide pénale à Dakar par le biais d’Expertise France.
Le rapport évoque la criminalité reposant sur les arnaques en ligne, parfois l’œuvre de ressortissants sénégalais, qui estmédiatisée notamment à la télévision française, où elle a fait l’objet de plusieurs reportages ces dernières années. Des dispositifs spécifiques de lutte contre cette cybercriminalité sont-ils déployés au Sénégal et font-ils l’objet d’une coopération policière dédiée ?
Le groupe Renaissance votera bien entendu en faveur de ce projet de loi.
M. Sylvain Maillard, rapporteur. La cybercriminalité ne faisait évidemment pas partie du champ de la convention de 1974. Elle s’est largement développée, sous des formes multiples, et cet accord nous permettra de poursuivre plus facilement ceux qui s’y adonnent, qu’ils soient français ou sénégalais. Il est essentiel de disposer d’outils adéquats pour ne pas laisser la cybercriminalité s’organiser et pour empêcher un Sénégalais opérant en France, par exemple, de passer entre les mailles du filet judiciaire.
M. Kévin Pfeffer (RN). Ce texte technique sur l’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Sénégal va dans le bon sens, celui d’une lutte commune contre la criminalité et du développement des relations franco-africaines. Il serait d’ailleurs souhaitable que le Gouvernement négocie des conventions d’entraide et d’extradition similaires avec tous les pays africains pour la bonne exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), lesquelles surgissent tant de fois dans l’actualité souvent malheureuse de notre pays.
Ces conventions ne sont qu’une étape dans la construction et le développement de nos relations. Le Gouvernement actuel et ceux qui l’ont précédé ont délaissé les amitiés franco-africaines, et nous en payons actuellement le prix, comme le montrent nos déboires maliens et l’actualité au Burkina Faso, exemple extrême de notre perte d’influence et, pire, de notre perte de considération. Cependant, il existe encore une envie de France en Afrique et le Rassemblement national souhaite amplifier nos relations avec ce continent. Il soutient ainsi la francophonie – nous en avons parlé la semaine dernière avec Mme Chrysoula Zacharopoulou – pour en faire un véritable outil de développement industriel et de coopération économique. Le Sénégal pourrait être un acteur majeur de l’approfondissement des relations que nous appelons de nos vœux.
Nous portons une attention toute particulière à ce pays, que notre présidente, Marine Le Pen, a visité la semaine passée. Elle a pu réaffirmer au président Macky Sall notre vision d’une relation franco-sénégalaise plus riche, plus amicale et plus étroite. Nous proposons depuis longtemps, pour améliorer la stabilité du monde, de cesser de dénier à l’Afrique la place légitime qui doit lui revenir dans l’organisation de la communauté internationale. Ce continent devrait bénéficier d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies : le Sénégal, État de droit respectueux des alternances politiques, pays uni autour de ses cultures séculaires et doté d’une diplomatie rayonnante, pourrait assumer cette charge.
J’ai volontairement élargi mon propos pour insister sur le fait que nous nous félicitons que des mesures soient prises pour améliorer les relations entre la France et le Sénégal. Le groupe Rassemblement national votera donc en faveur du projet de loi.
M. Sylvain Maillard, rapporteur. Je suis certain que le président Macky Sall a été très intéressé par la vision stratégique de Marine Le Pen.
M. Kévin Pfeffer. Il l’a été, en effet.
M. Sylvain Maillard, rapporteur. Les OQTF n’ont rien à voir avec cette convention. Nous avons signé le même type d’accords avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger : deux d’entre eux s’appliquent déjà depuis 2018.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES). Nous soutenons par principe ce type de textes car la coopération judiciaire est fondamentale à l’échelle internationale. Pour autant, en l’état actuel du projet de loi, nous voterons contre son adoption.
Je ne vous rejoins pas, Monsieur le rapporteur, quand vous dites que l’on peut séparer le politique du judiciaire. L’opposition sénégalaise est extrêmement inquiète des dérives du président Macky Sall, lesquelles risquent de s’aggraver puisque l’on sait qu’il envisage d’effectuer un troisième mandat ; elle nous supplie de ne pas approuver ces conventions en l’état. Cela ne signifie pas qu’il faille les rejeter en bloc, et l’opposition propose des amendements visant à mieux définir le terrorisme. Pour Macky Sall, tout opposant politique est un terroriste. J’entends ce que vous dites sur le fait que ce sera au juge français de décider mais, si la situation de départ est aussi confuse, il y a tout lieu de s’inquiéter de la manière dont s’opéreront les extraditions. Amnesty International nous alerte également sur l’extension de la définition du terrorisme au Sénégal. Monsieur Taché a rappelé les morts pendant les manifestations et l’interdiction systématique des rassemblements d’opposition. Ce texte intervient au mauvais moment et avec le mauvais interlocuteur.
Il y a un grand malentendu sur la question de la coopération entre la France et l’Afrique : l’immense majorité des peuples africains n’ont rien contre la France en général mais ils lui reprochent de soutenir des dirigeants qu’ils détestent. Au Sénégal, les vagues de violences antifrançaises, que je dénonce, sont alimentées par des gens comme Kémi Séba, mais elles se sont formées au moment où la France donnait, à tort ou à raison, l’impression de soutenir Macky Sall contre une opposition qui est, à mon avis, majoritaire dans le pays. Le déplacement de madame Le Pen ne changera rien à l’affaire car les populations ne reprochent pas à la France d’être en Afrique mais de soutenir certains régimes. Il s’est d’ailleurs passé la même chose au Tchad.
Ce texte intervient au plus mauvais moment et il n’est pas rédigé comme il faudrait. Voilà pourquoi nous avons demandé de sortir du cadre de la procédure d’examen simplifiée. Il importe d’avoir un vrai débat sur la coopération entre la France et les pays africains.
M. Sylvain Maillard, rapporteur. J’entends votre propos politique et nous pourrions discuter des causes du sentiment antifrançais ; nous n’aurions peut-être pas la même approche car il me semble être le produit de nombreux facteurs. À nos yeux, il est important de rénover la convention actuelle, même si le processus a été enclenché à la demande du Sénégal, mais il se peut que j’apporte de l’eau à votre moulin avec cette précision. Madame Lakrafi a évoqué des délits comme la cybercriminalité, qui rendent utile l’actualisation de notre coopération. Le sujet n’est pas uniquement politique : il convient de lutter contre la criminalité ou le trafic de drogue en renforçant notre coopération et nos liens.
Il faut se montrer extrêmement vigilant sur les points que vous avez soulevés et rappeler qu’il y aura toujours le regard du juge français, ce qui nous permet d’avoir confiance dans le dispositif, d’autant que ces conventions sont rédigées sur le fondement de modèles de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Toutes les garanties existent donc mais nous pourrons continuer d’échanger sur le sujet si vous le souhaitez.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je ne crois pas que les sentiments antifrançais qui se sont exprimés assez fortement à l’occasion de divers troubles aient un quelconque lien avec une complaisance particulière de la France envers Macky Sall. Il s’agit plutôt d’un levier facilement exploitable par les opposants, quels qu’ils soient. Au cours de l’entretien d’une heure qu’il m’avait accordé en mars dernier, le président Macky Sall n’avait pas ménagé ses critiques envers notre pays ; cela s’était d’ailleurs traduit par l’abstention du Sénégal sur la résolution relative à l’Ukraine, ce qui avait été une petite surprise. Il avait notamment dénoncé la responsabilité de la France dans l’opération en Libye, qui fut selon lui l’une des causes du développement du mouvement terroriste depuis la Libye jusqu’au golfe de Guinée. Je pense qu’il s’agit de deux variables indépendantes.
Mme Laurence Vichnievsky (DEM). J’espère que mon expérience de juge apportera un autre éclairage. L’objet de ces accords est de moderniser la convention de 1974 relative à la coopération judiciaire, laquelle comprenait déjà l’extradition dans son champ d’application. Quand on voit ce qui se passe à la porte de la Chapelle, quand on pense à l’immigration clandestine et à la menace terroriste dans la bande sahélo-saharienne, on ne peut qu’être favorable à un renforcement de la coopération judiciaire. La France et le Sénégal disposent de systèmes juridiques assez proches, d’une organisation judiciaire et de codes similaires ; il y aura un magistrat de liaison, ce qui est assez novateur ; un bureau d’entraide est en train de se créer : je ne comprends pas comment on peut ne pas être favorable à ces accords.
J’appartiens à une génération qui apprenait les poésies de Léopold Sédar Senghor, qui fut le premier président de la République du Sénégal après avoir été ministre en France. Certes, les relations entre les deux pays ont évolué mais, si la situation politique au Sénégal est problématique, il faut aussi faire confiance au juge. Le politique n’est pas le juge, et inversement. Connaissant bien la procédure d’extradition, je crois que nous n’avons pas à nourrir de crainte excessive en la matière.
Monsieur le rapporteur, pensez-vous que le renforcement de cette coopération puisse avoir une incidence sur les critiques dont l’action de la France dans la région du Sahel fait l’objet ?
M. Sylvain Maillard, rapporteur. L’histoire nous le dira, mais je ne le pense pas. Ce qui est certain, c’est qu’il faut moderniser la convention existante, afin qu’elle réponde aux enjeux de notre siècle. Le sentiment antifrançais, qui – comme le président vient de le rappeler – est largement instrumentalisé, ne se fondera pas uniquement sur cette modernisation. Les accords que nous examinons sont très importants pour les mois et les années à venir.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Frédéric Petit. Je voudrais appeler l’attention de la commission sur la contradiction que ma collègue Laurence Vichnievsky a relevée. Je suis rapporteur pour avis du programme 185 de la mission budgétaire Action extérieure de l’État. Cela fait cinq ans que nous nous battons pour que le Gouvernement remette en question le fonctionnement en silos qui empêche la France d’agir de manière globale. La modernisation de la convention existante non seulement est nécessaire, mais elle accompagne la modernisation de notre administration et de notre diplomatie d’influence, qui a été engagée depuis trois ou quatre ans par l’intermédiaire de Justice Coopération Internationale (JCI) et d’Expertise France et qui permet le maintien d’une coopération. Je suis surpris que la solution proposée par certains soit de solder les comptes, de s’en aller et de recommencer le match. La France est encore présente et elle dispose d’un outil adapté et modernisé. Je ne comprends pas qu’on puisse voter contre ce projet de loi autorisant l’approbation de ces deux conventions.
Mme Ersilia Soudais. La menace terroriste ne doit pas servir de prétexte pour couvrir les velléités de maintien hégémonique d’un pouvoir qui se meurt. Nous ne pouvons ignorer les dérives du gouvernement sénégalais et la criminalisation des opposants politiques. En mars 2021, Amnesty International dénonçait une vague d’arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, la mort de Cheikh Coly, victime de la répression, et la suspension de deux chaînes de télévision durant soixante-douze heures. Et que dire de la récente arrestation du journaliste Pape Alé Niang pour des motifs qui étaient, selon la coordination des associations de presse du Sénégal, fantaisistes et politiques ? Dans ce contexte, comment garantir que les oppositions politiques ne seront pas davantage muselées et que l’on n’assistera pas à une recrudescence des emprisonnements politiques, sous couvert de lutte antiterroriste mais dans l’objectif de préserver le système autocratique ? Approuver ces conventions en l’état ne contribuera-t-il pas à nourrir le sentiment antifrançais, qui traduit le rejet d’un système perçu comme oppresseur ?
M. Sylvain Maillard, rapporteur. Il est vrai que la situation au Sénégal est difficile. Les autorités françaises seront très attentives à ce qui va se passer dans les mois et les années à venir, notamment à l’approche de l’élection présidentielle. Macky Sall va-t-il tordre le bras à la Constitution pour pouvoir se représenter une troisième fois ?
Les deux textes qui nous sont soumis n’ont toutefois rien à voir avec la situation politique au Sénégal. Au contraire, ils garantissent une meilleure entraide entre nos deux pays.
Ils actualisent la convention en vigueur et toutes les garanties ont été prises pour qu’ils ne soient instrumentalisés ni dans un sens, ni dans l’autre. Le juge français, en lequel nous avons toute confiance, conserve un droit de regard plein et entier. C’est pourquoi je vous invite à prendre position en leur faveur.
Article 1 er (ratification de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale du 7 septembre 2021 entre le Gouvernement de la République du Sénégal et le Gouvernement de la république française).
La commission adopte l’article 1 er non modifié.
Article 2 (ratification de la convention d’extradition du 7 septembre 2021 entre le Gouvernement de la République du Sénégal et le Gouvernement de la république française).
La commission adopte l’article 2 non modifié.
Elle adopte ensuite l’ensemble du projet de loi sans modification.
SOURCE : Commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale de France