juillet 26, 2025
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Politique

Qu’est-ce que l’islamophobie ?

« (…)nous constatons une montée inquiétante du sectarisme antimusulman : qu’il prenne la forme de profilage racial, de politiques discriminatoires qui violent les droits humains et la dignité, et même de violence pure contre des personnes et des lieux de culte. Ce phénomène s’inscrit dans une tendance plus vaste de montée de l’intolérance et des idéologies extrémistes, et de multiplication des attaques visant des groupes religieux et des populations vulnérables. Lorsqu’un groupe est attaqué, les droits et libertés de tous sont menacés. En tant que communauté mondiale, nous devons rejeter et éradiquer le sectarisme. Les gouvernements doivent favoriser la cohésion sociale et protéger la liberté de religion. Les plateformes en ligne doivent limiter les discours haineux et le harcèlement. Et nous devons tous nous élever contre le sectarisme, la xénophobie et la discrimination.[1] » António Guterres Secrétaire général de l’ONU.

« Nous assistons à une montée inquiétante du racisme et de la discrimination contre les musulmans en Europe. Cette situation est alimentée par les conflits au Moyen Orient et aggravée par la rhétorique antimusulmane déshumanisante que nous observons sur l’ensemble du continent. Au lieu de semer la division dans nos sociétés, nous devons veiller à ce que tous les citoyens de l’UE se sentent en sécurité, inclus et respectés, indépendamment de leur couleur de peau, de leur origine ou de leur religion .[2]» Sirpa Rautio, directrice de l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA).

« J’ai constaté avec inquiétude l’augmentation sans précédent des crimes et des discours de haine contre les musulmans. Les musulmans subissent des pratiques discriminatoires et inconstitutionnelles, allant de la surveillance à l’emprisonnement, en passant par une diminution des garanties procédurales contre les lois antimusulmanes. De telles actions ne portent pas seulement atteinte à la liberté des musulmans de pratiquer leur religion, mais elles les marginalisent en les empêchant de devenir des citoyens engagés.[3] » Jimmy Carter, ancien Président des Etats Unis d’Amérique.

 « L’islamophobie n’est pas un problème musulman, mais une atteinte à l’humanité entière. Elle représente une violation fondamentale des droits de l’Homme et de la dignité humaine.[4] » Houda Abadi, Directrice adjointe du Programme de résolution des conflits du Centre Carter.

 « L’objectif de l’industrie de l’islamophobie / du lobby israélien est de créer une impression immuable de sociétés arabes et musulmanes (y compris palestiniennes) qui sont statiques et toujours bloquées dans la fixité sociale et culturelle et qui, par conséquent, sont une exception aux autres sociétés qui sont censées être dynamiques et en constante mutation sociale. » Rabab Ibrahim Abdulhadi, Chercheuse principale et directrice des études sur les ethnies et les diasporas arabes et musulmanes, Professeure agrégée des études ethniques et des études sur les races et la résistance (San Francisco State University).

 La création de l’ONU et l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme ont ouvert la voie à la démocratisation des sociétés. Avec la codification des droits humains, de nombreux progrès, en particulier dans le domaine législatif, ont été enregistrés, même si leur mise en œuvre n’est pas encore une réalité pour toutes et tous et partout dans le monde. La non-discrimination, avec son corollaire qu’est l’égalité, a une place particulière dans les dispositifs des droits humains, étant donné que tous les droits humains (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels) doivent être mis en œuvre pour tout un chacun, sans aucune discrimination et en toute égalité[5]. Les instruments internationaux en matière de droits humains interdisent toute distinction, exclusion, restriction ou tout autre traitement différencié au sein d’une communauté donnée – mais aussi entre des communautés – qui ne se justifient pas et qui compromettent la jouissance des droits humains par toutes et tous sur la base du principe de l’égalité[6].

Lorsque l’on observe le monde contemporain dans cette optique, on constate que des centaines de millions de personnes continuent d’être discriminées à travers le monde du fait de leur appartenance à un peuple ou à une ethnie, de leur langue, de leur croyance, de leur situation sociale et/ou économique, de leur ascendance, de leur opinion politique etc. Il faut noter à ce propos qu’un pays considéré comme un Etat de droit[7],[8] ,[9] selon les critères internationaux, peut en même temps pratiquer la discrimination à l’égard de la majorité de sa population comme nous l’avons observé en Afrique du Sud sous le régime d’Apartheid[10].

Tout en brouillant les repères nationaux, la mondialisation néolibérale est loin d’avoir réduit les discriminations. Elle les a plutôt déplacées. Ces discriminations sont à certains égards moins franchement ouvertes, plus sournoises, mais parfois aussi exacerbées, s’exprimant avec une brutalité policée indicible. Cette mondialisation a non seulement affaibli les Etats, remettant en cause les services publics universels, mais de plus elle a favorisé l’expression de discriminations sous de nouvelles formes au sein des sociétés.

D’ailleurs, l’éclatement et/ou la poursuite de nombreux conflits, y compris armés, dans diverses régions du monde, l’augmentation de la migration internationale et des déplacements forcés internes, mais aussi la régression sociale et l’émergence de partis politiques clairement xénophobes et/ou « racistes »[11] (en Europe en particulier), les inégalités à tous les niveaux… constituent autant d’illustrations de cette discrimination[12].

« La guerre permanente », proclamée contre le terrorisme a également exacerbé le racisme et les discriminations. Cette dernière a été par ailleurs exploitée par de nombreux autres gouvernements pour criminaliser leurs oppositions politiques. En effet, si la guerre anti-terroriste nord-américaine visait en particulier les arabo-musulmans, considérés comme de « potentiels terroristes », elle a servi de prétexte à de nombreux autres Etats pour réduire au silence leurs opposants politiques[13] mais aussi marginaliser, discriminer, persécuter au sens plein du terme, souvent et malheureusement, en se servant même de l’appareil Etatique une partie des citoyens d’une même République au nom des prétendues et mystérieuses « valeurs de la République ». C’est le cas de l’islamophobie qui prend une tournure inquiétante ces dernières.

Par ailleurs, il est fondamental de rappeler que l’islamophobie n’est pas une série d’incidents aléatoires, incohérents, accidentels ou anhistoriques que des activistes antiracistes associent ensemble de façon conspiratrice en raison de leur tendance paranoïaque ou pour élever les préoccupations des musulmans au-delà d’autres questions urgentes et critiques. L’islamophobie doit plutôt être perçue comme une guerre institutionnalisée, structurée et systémique contre la population musulmane et toute personne considérée comme étant associée à l’islam, à la religion musulmane et à ses problèmes. Ainsi, elle constitue une forme systémique de racisme et de discrimination raciale[14].

En effet, le fait de qualifier l’islamophobie de racisme et de discrimination raciale structurés élimine la perception erronée selon laquelle la lutte contre l’islamophobie et le racisme anti-arabes et anti-palestiniens fait partie d’un ensemble de questions d’intérêt particulier qui ne concernent que les Arabes et les musulmans. Cela serait aussi absurde que de suggérer que le racisme n’a trait qu’aux Noirs par exemple.

L’islamophobie n’est pas non plus un phénomène nouveau. Ses racines historiques remontent aux croisades européennes du XIe au XIIIe siècle (1095- 1291)[15],[16] et à l’expulsion des Arabes musulmans et des Africains d’Andalousie à la fin du XVe siècle qui a fait de l’année 1492 un important repère historique.

Cette période a été marquée par deux autres développements connexes qui continuent d’avoir une incidence sur le monde d’aujourd’hui, à savoir, l’inquisition contre les Juifs séfarades d’Andalousie et le début du projet du colonialisme de peuplement dans la région occidentale. Le projet du colonialisme de peuplement dans les Amériques doit être considéré comme partie intégrante de l’institutionnalisation des projets de consolidation de l’État européen islamophobe et une expansion de ce plan[17].

Elle trouve ses racines dans les projets européens de colonialisme de peuplement et de colonisation et en fait partie intégrante. Ainsi, la montée de la suprématie blanche, en particulier (mais pas exclusivement) en Amérique du Nord, est institutionnellement structurée et idéologiquement tirée de l’interprétation cynique de la Bible pour justifier le génocide des nations autochtones, l’en­lèvement et la réduction en esclavage des peuples africains et la colonisation de l’Afrique et de l’Asie. De même, attribuer à un « commandement donné par Dieu » la création de l’État d’Israël, en tant qu’État juif exclusiviste édifié aux dépens du peuple palestinien, est une affirmation tout aussi cynique qui rejette les revendications d’autodétermination du peuple pales­tinien, tout en portant un coup à la lutte historique et contemporaine contre l’antisémitisme[18].

Cette dernière est aussi conceptuellement enra­cinée dans le paradigme orientaliste qui établit le binaire Est/Ouest dans lequel « l’Ouest » définit « l’Est » comme opposé et inférieur à sa propre percep­tion de soi. En établissant des binaires qui opposent la « sauvagerie » à la « civilisation » et la « moder­nité » au « Moyen-Age », au « sous-développement » ou à « la préhistoire », le discours du « choc des civilisations » est délibérément invoqué par les isla­mophobes pour être inconsciemment consommé par l’opinion publique et internalisé par les sujets colo­niaux qui reproduisent des perceptions dénigrantes et humiliantes de leurs communautés.

En outre, l’orientalisme se manifeste dans la manière dont l’industrie de l’islamophobie / du lobby israélien exploite des concepts racistes et colonialistes axés sur le genre et la dynamique sexuelle pour présenter les hommes musulmans et arabes (y compris les Palestiniens) comme des terroristes sexistes, miso­gynes et sanguinaires. En revanche, les femmes arabes et musulmanes (et palestiniennes) sont dépeintes de façon dichotomique en opprimées, dociles et illettrées qui ignorent leur environnement, leurs besoins et leurs droits.

L’objectif de l’industrie de l’islamophobie / du lobby israélien est de créer une impression immuable de sociétés arabes et musulmanes (y compris palesti­niennes) qui sont statiques et toujours bloquées dans la fixité sociale et culturelle et qui, par conséquent, sont une exception aux autres sociétés qui sont censées être dynamiques et en constante mutation sociale[19].

Selon ce postulat, les sociétés arabes et musul­manes ne sont pas seulement perçues comme étant intrinsèquement et exceptionnellement incapables de changer de l’intérieur, mais sont également définies comme des sociétés risquant de ne jamais connaître de changement social si elles sont laissées à elles-mêmes. Les sociétés arabes et musulmanes (y compris palestiniennes) sont donc perçues comme enfermées de manière permanente dans un statut de « mineur », ce qui exige un renforcement de la tutelle des puissances occidentales.

Une telle configuration n’aboutit qu’à une seule conclusion raisonnable et logique à cette situation difficile, à savoir la nécessité que des agents de l’Occident libéré, mobile, éclairé et civilisé sauvent des personnes (arabes, musulmanes et palestiniennes) opprimées en raison de leur genre et leur dynamique sexuelle des griffes de leurs propres communautés. Sur la base de ce cadre analytique, la démystifi­cation des mécanismes du racisme, de l’orientalisme et du colonialisme n’est plus un luxe politique ni un luxe intellectuel. Cela doit se faire en moment opportun et dans l’urgence[20].

Définitions conceptuelles

La discrimination : c’est le fait de traiter différemment deux personnes, ou groupes de personnes, qui se trouvent dans une situation comparable. A l’inverse, traiter de manière égalitaire deux personnes ou groupes de personnes qui sont dans des conditions différentes peut également constituer une discrimination. Les instruments internationaux en matière de droits humains interdisent toute distinction, exclusion, restriction ou tout autre traitement différencié au sein d’une communauté donnée – mais aussi entre des communautés – qui ne se justifient pas et qui compromettent la jouissance des droits humains par toutes et tous sur la base du principe de l’égalité .

Discrimination systémique : est une discrimination qui « […] peut être comprise comme un ensemble de règles juridiques, de politiques, de pratiques ou d’attitudes culturelles prédominantes dans le secteur public ou le secteur privé qui créent des désavantages relatifs pour certains groupes, et des privilèges pour d’autres groupes.[21]»

 Discrimination structurelle : il s’agit des «règles et normes, procédures, démarches et comportements habituels des institutions et autres structures de la société qui, consciemment ou inconsciemment, empêchent certains groupes ou individus de bénéficier de l’égalité des droits et de l’égalité des chances et les désavantagent au final par rapport à la majorité de la population »[22].

 La discrimination peut donc avoir plusieurs formes. La discrimination religieuse par exemple désigne l’action de distinguer de façon injuste ou illégitime, comme le fait de séparer un individu ou un groupe social des autres en le traitant moins bien, à cause de sa religion[23]. C’est aussi l’action de traiter différemment une personne ou un groupe de personnes en raison de leurs croyances, de leurs pratiques religieuses. La discrimination religieuse a pour effet de faire subir des désavantages à la personne ou au groupe de personnes qui en sont victimes (refus d’un propriétaire de louer un logement, accès restreint à certains emplois, etc.)[24].

C’est une distinction opérée entre les personnes à raison de leur appartenance ou leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une religion déterminée. Cette discrimination peut être directe (c’est-à-dire fondée sur un critère interdit comme les opinions religieuses) ou indirecte (c’est-à-dire se présentant comme basée sur un critère neutre qui entraîne des effets défavorables à l’égard d’une certaine catégorie de personnes)[25]. La discrimination religieuse est un concept clé dans les sciences économiques et sociales. Cette forme de discrimination peut se manifester dans divers aspects de la vie, que ce soit dans le cadre du travail, de l’éducation, ou de la vie publique. Elle peut inclure des actes tels que le refus d’embauche, le harcèlement sur le lieu de travail, ou encore des attitudes de rejet et d’exclusion. Il est crucial de comprendre que la discrimination religieuse est une violation des droits fondamentaux et est souvent interdite par les lois nationales et internationales[26].

Elle est influencée par plusieurs facteurs. Comprendre ces causes peut aider à identifier les moyens de contrecarrer ce phénomène social. Elle peut être enracinée dans des préjugés historiques, politiques, culturels ainsi que personnels. Les religions, en tant que systèmes de croyances, peuvent parfois être mal interprétées ou utilisées à mauvais escient, menant à des désaccords et tensions entre différents groupes.

Islamophobie : ces dernières années, l’islamophobie est devenue un terme du langage populaire et politique courant. Elle sature les titres des médias et des journaux, est omniprésente dans les recherches, se manifeste souvent dans les discours des politiciens et des experts, et suscite de plus en plus l’intérêt des conférences et des colloques juridiques[27]. La discrimination et l’intolérance envers les musulmans s’intensifient de jour en jour. Les politiciens populistes tendent de libérer la haine à l’égard des musulmans en profitant des sentiments négatifs et inquiétudes suscités par le grand mouvement des réfugiés et des migrants, alimentant ainsi autant la peur que la colère[28]. Il est important de rappeler que c’est un terme assez complexe et très controversé.

Etymologiquement, elle signifie la peur de l’islam. Mais ce néologisme du début du XXe siècle est aujourd’hui employé par des personnalités publiques et des organisations qui lui donnent des significations variées. Selon le Larousse, l’islamophobie est « l’hostilité envers l’islam, les musulmans.» La Commission nationale consultative des droits de l’Homme française définit quant à elle l’islamophobie comme une « attitude d’hostilité systématique envers les musulmans, les personnes perçues comme telles et/ou envers l’islam ».

Le mot « islamophobie » a fait son apparition en 1910 : Alain Quellien, auteur de la Politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, la définissait comme un « préjugé contre l’islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne ». Le mot réapparaît dans le débat public au début des années 2000, notamment dans le contexte post-11 septembre, avec des définitions extensibles[29]. A SUIVRE

Ces phénomènes peuvent donc conduire, voire ont conduit à la provocation, à l’hostilité et à l’intolérance, qui se manifestent par le biais de menaces, de harcèlement, d’abus et d’intimidation envers des musulmans. Motivée par une hostilité institutionnelle, idéologique, politique et religieuse qui peut se transformer en racisme structurel et culturel, l’islamophobie cible les symboles et les pratiquants de la religion musulmane.

Cette définition insiste sur la corrélation entre les niveaux institutionnels de l’islamophobie et les manifestations de telles attitudes déclenchées par la visibilité ou la perception de l’identité musulmane de la victime. Cette approche interprète également l’islamophobie comme une forme de racisme, dans laquelle la religion, la tradition et la culture islamiques sont considérées comme une « menace » pour les « valeurs occidentales[30]. »

Il y a plusieurs théories relativement à la notion de la discrimination religieuse. Ces théories offrent un cadre d’analyse pour comprendre pourquoi et comment elle persiste dans la société :

 la théorie du bouc émissaire : Cette théorie suggère que les individus ou groupes peuvent projeter leurs frustrations sur des minorités religieuses, considérées comme responsables des problèmes sociaux ou économiques.

la théorie du conflit : Proposée par Karl Marx, elle explique la discrimination religieuse comme une conséquence des affrontements entre groupes sociaux ayant des intérêts différents. Ici, la religion peut être vue comme une institution de maintien du statu quo.

la théorie de l’identité sociale : Un concept développé par Henri Tajfel et John Turner qui souligne que l’identification à un groupe religieux peut mener à la discrimination. Les individus cherchent à renforcer leur estime de soi via leur appartenance à un groupe, ce qui peut accroître les discriminations envers les membres d’autres confessions[31]. Ces théories constituent des outils utiles pour analyser la complexité de la discrimination religieuse et les dynamiques sociétales sous-jacentes.

L’étude sur le concept de l’Islamophobie trouve ainsi, toute sa pertinence au regard de l’ampleur du phénomène et particulièrement de ses diverses conséquences sur les communautés musulmanes ou non partout dans le monde. Par le biais de l’écriture, nous tentons d’apporter un éclairage modeste sur le concept, ses différentes implications notamment.

L’islamophobie peut donc avoir principalement trois dimensions : la politique structurelle, l’animosité individuelle et le processus dialectique qui permet à la première de légitimer et de mobiliser le sectarisme latent et manifeste d’individus et d’acteurs privés. Le résultat est beaucoup plus vaste et complexe qu’une simple « peur et aversion » à l’égard de l’islam et des musulmans.

La dimension individuelle de l’islamophobie

 Ce postulat définit l’islamophobie individuelle comme étant la peur, la suspicion et l’attaque violente des musulmans par des individus ou des acteurs privés. Cette animosité se traduit généra­lement par le recours d’acteurs non étatiques à des insultes religieuses ou raciales, à des manifestations, à des rassemblements de masse, ou à des actes de violence contre des sujets musulmans. Bien que l’islamophobie individuelle soit éclairée par la politique et les programmes du gouvernement, elle englobe les activités et le comportement antimu­sulmans d’entités non affiliées à l’État[32].

Analyse :

le 13 novembre 2015, « trois équipes d’assaillants affiliés à l’État islamique ont, à l’unisson, commis des attaques terroristes à Paris», tuant 129 personnes et blessant 352 autres. Environ trois semaines plus tard, deux coupables (supposés) musulmans ont abattu quatorze innocents au Inland Regional Center de San Bernardino, en Californie, ce que le président Barack Obama a déclaré être un acte de terrorisme. Ces deux attentats ont mis en évidence un climat déjà hostile à l’égard des musulmans aux États-Unis, attisé par des semeurs de haine et des politiciens qui recherchent des boucs émissaires[33].

Ces attaques ont entraîné une augmentation frappante des crimes de haine contre les musulmans pour des motifs religieux et racistes[34] (l’identité musulmane est généralement considérée par les acteurs privés comme faisant partie d’une identité ethno-raciale, ce qui se reflète dans la caricature des musulmans qui sont réduits au profil d’immigrés, d’étrangers et d’arabes).

Les crimes de haine contre les Américains musulmans et les mosquées aux États-Unis ont triplé à la suite des attaques terroristes de Paris et de San Bernardino, en Californie, et des dizaines d’entre eux se sont produits en un mois seulement. Combinées aux discours politiques dominants, les représentations des musulmans et de l’islam sur les médias traditionnels et sociaux renforcent aussi les stéréotypes populaires de la religion et de ses fidèles et, après chaque crise, déchaînent l’animosité et la violence des acteurs privés[35].

Bien que le sectarisme populaire envers les musul­mans soit de plus en plus condamné par les médias traditionnels et rejeté par (certains) politiciens, il émane de tropes profondément enracinées dans les institutions de l’État et est en harmonie avec les pratiques policières et les mesures de profilage telles que la «  Loi de 2001 pour unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme » (PATRIOT Act), les politiques de lutte contre l’extrémisme violent (LCEV)[36].

Dans une étude importante réalisée par le Center for American Progress, l’islamophobie individuelle est considérée comme « la peur, la haine et l’hostilité exagérées envers l’islam et les musulmans … entretenues par des stéréotypes négatifs qui donnent lieu à des préjugés contre les musulmans et à leur discrimination, leur marginalisation et leur exclusion de la vie sociale, politique et civile des États-Unis.»

La définition note effectivement la relation entre les stéréotypes existants et l’animosité qu’elle justifie et facilite. Cependant, sa large version n’explique pas le rôle des acteurs du droit, de la politique et du gouvernement dans la permission « des préjugés, de la discrimination, de la marginalisation et de l’exclu­sion ». En outre, la description de l’islamophobie comme étant une « peur exagérée » illustre l’accent mis sur l’islamophobie individuelle, en la définissant comme une activité déviante ou aberrante plutôt qu’un comportement rationnel ou stratégique servant les intérêts de l’État[37]. Or, l’islamophobie individuelle n’est pas exclusi­vement une question de perspectives aberrantes ou de comportements déviants. L’islamophobie englobe également des idées et des activités qui sont compa­tibles avec le message antimusulman qui émanent de la politique de l’État et, le plus criard aujourd’hui, des armes de la sécurité nationale de l’État.

L’islamophobie Structurelle

 Ici, il est question des sentiments de peur et de suspicion que les institutions — notamment les organismes gouverne­mentaux — éprouvent envers les musulmans et qui se manifestent par la mise en œuvre et le soutien de certaines politiques. Ces politiques sont fondées sur la présomption que l’identité musulmane est associée à une menace pour la sécurité nationale et, bien qu’elles soient généralement formulées de manière neutre à première vue, elles visent les musulmans de manière disproportionnée, compromettant, freinant et restreignant leurs libertés civiles (la loi PATRIOT est l’ exemple parfait de l’islamophobie structurelle)[38].

Bien que présenté comme une nouvelle forme de sectarisme, le concept de l’islamophobie structurelle souligne que l’islamophobie est une extension moderne de « l’orientalisme », un discours de maître qui place l’islam — une religion, un peuple et une sphère géographique imaginée — à l’opposé de la civilisation de l’Occident. Pour comprendre l’islamophobie structurelle, il est tout d’abord essentiel d’établir un lien entre l’islamophobie et l’orientalisme, l’épistémologie qui a donné naissance aux représentations modernes et erronées des musulmans. En d’autres termes, il est impossible de comprendre le fondement et la trajectoire de l’isla­mophobie (moderne) sans analyser et comprendre l’orientalisme[39].

Analyse :

Après les attentats terroristes du 11 septembre, le professeur Leti Volpp a observé à quel point les attentats terroristes impliquant un coupable musulman entraînaient une « recrudescence immédiate des tropes orientalistes ». Ces tropes sont ancrés dans la culture populaire, mais plus particulièrement, ils sont ancrés dans la mémoire institutionnelle des organismes gouvernementaux, y compris le pouvoir judiciaire et désormais, dans la mémoire du département américain de la Sécurité intérieur (DHS) et des autorités chargées de l’application de la loi antiterroriste[40].

Dépeignant l’islam et l’identité musulmane comme étant inassimilables, subversifs et violents et ayant une propension inhérente au terrorisme, ces tropes incitent les organismes de l’État à adopter des poli­tiques — comme celles qui ont été élaborées pendant la longue « guerre contre le terrorisme » — qui visent à surveiller et poursuivre les musulmans et à leur refuser toute entrée au pays. De telles politiques font peser une présomption de culpabilité sur l’ensemble des musulmans et portent atteinte à leurs libertés civiles. Bien que bon nombre de politiques gouverne­mentales modernes s’inscrivent dans la catégorie de l’islamophobie structurelle l’exemple le plus marquant aux Etats Unis reste la loi PATRIOT.

Il convient de rappeler qu’au lendemain du 11 septembre, l’administration Bush a créé le DHS dont la mission principale était d’élargir son programme antiterroriste, en se concentrant spécifiquement sur « l’extrémisme islamique », ce qui a abouti à la promulgation de la loi PATRIOT deux mois après les attentats du 11 septembre[41]. Plus que jamais, la loi PATRIOT a légalement permis au gouvernement d’empiéter « sur les droits civils des Américains en … étendant les pouvoirs du gouverne­ment en matière de surveillance électronique » qui touchent disproportionnellement les musulmans.

La loi PATRIOT a permis de surveiller de près des citoyens et des non-citoyens soupçonnés de terrorisme ou de liens avec des entités transnationales considérées comme des organisations terroristes, ce qui a grave­ment paralysé les activités religieuses et politiques des Américains arabes et musulmans ; ces groupes démographiques sont systématiquement synonymes de menaces à la sécurité nationale. Sans doute, l’effet le plus déplorable de la loi PATRIOT sur les libertés civiles, en particulier pour les Américains arabes et musulmans, est l’assouplissement des normes que les forces de l’ordre doivent respecter pour contrôler, fouiller et saisir les personnes et leurs biens ». Après le 11 septembre, le lien établi entre l’identité musulmane et le terrorisme a été resserré, ce qui a permis à l’État de contourner les garanties constitutionnelles lorsque le sujet était musulman[42].

En outre, à l’instar de la loi PATRIOT, les pratiques policières formalisées de LCEV reposent sur la notion même que l’identité musulmane et l’expression de cette identité sont un signe de radicalisation ou de radi­calisation potentielle. De plus en plus, l’État tente de poursuivre les radicaux et de réaliser son objectif inatteignable d’identifier tous les musulmans qui risquent de sombrer dans la radicalisation, en parti­culier après les attentats notamment en Belgique, à Paris et à Orlando. Ce qui illustre bien ce phénomène, c’est l’expansion de la présomption structurelle selon laquelle l’identité musulmane est étroitement liée au terrorisme[43].

L’islamophobie dialectique

Le discours sur la radicalisation alimente l’islamophobie qui existe déjà aux États-Unis, légitimant ainsi le senti­ment hostile aux musulmans[44]. En effet, l’islamophobie est aussi une dialectique systémique, fluide et profondément politisée entre l’État et ses citoyens : une dialectique selon laquelle le premier forme, modifie et confirme les points de vue ou les attitudes de l’opinion publique vis-à-vis de l’islam et des musulmans à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Amérique[45].

La pierre angulaire de l’islamophobie dialectique est l’adhésion de l’État aux stéréotypes de l’islam et des musulmans qui sont largement répandus dans la société, par l’adoption de programmes de surveillance, de procédures de profilage religieux et racial et de politiques d’immigration plus strictes. Cet échange — par lequel l’opinion publique absorbe les soupçons que l’État fait peser sur les musulmans par le biais de politiques (islamophobes structurelles) telle que la loi PATRIOT et façonne ensuite sa vision des musul­mans conformément à l’image sous-jacente que ces politiques dessinent — est une dialectique perma­nente qui fait le lien entre la politique de l’État et la haine et la violence exprimées par les citoyens[46].

Au lieu de remettre en cause ces stéréotypes, les programmes de surveillance raciale et religieuse les affirment et les appuient, en assurant aux individus islamophobes que leur peur, leur suspicion et leur colère sont justifiés. Lorsque l’islamophobie struc­turelle s’intensifie face à un éventuel extrémisme islamique, comme la menace de l’État islamique (ISIS) et la radicalisation endogène, les politiques islamophobes structurelles encouragent les individus islamophobes à se livrer à la violence contre des personnes ou des institutions musulmanes, au nom de la vengeance, de la citoyenneté et du patriotisme.

En effet, les programmes et les politiques isla­mophobes structurels pourraient également être considérés comme des appels à l’action (latents), avertissant les citoyens de la nécessité d’être vigilants et d’agir face aux musulmans radicalisés ou en voie de radicalisation. En conséquence, l’islamophobie dialectique est une troisième illustration de la manière dont l’islamophobie s’infiltre dans l’esprit des citoyens. Elle montre comment les politiques de l’État interagissent avec l’animosité indivi­duelle — enracinée dans des tropes séculaires et réifiée par la « guerre contre le terrorisme » — nour­rissant l’antipathie et la violence à l’égard des musulmans[47].

Par ailleurs, étant donné que les individus islamophobes se créent une image des musulmans dans un cadre racial ou civilisationnel excessivement inclusif, les stratégies visant à lutter contre ce genre d’animosité devraient se pencher sur un travail de sensibilisation et viser les communautés comprenant non seulement des musulmans, mais également des groupes habituellement confondus avec les musul­mans. Par exemple, les hommes sikhs (dastar) américains sont généralement perçus comme des musulmans par les individus islamophobes et, par conséquent, comptent parmi les victimes les plus vulnérables et les plus ciblées de l’islamophobie individuelle.

C’est pourquoi, le turban sikh devient une principale cible pour les islamophobes, qui « supposent à tort que leurs turbans sont le signe d’un solide attachement à la religion islamique ». Les hommes sikhs qui portent des turbans, sont barbus et ont la peau brune, correspondent plus à la caricature stéréotypée du « terroriste musulman » que la majorité des hommes musulmans, ce qui a fait de ces personnes des victimes de profilage, de crimes haineux et d’assassi­nats ciblés.

De plus, les apparences phénotypiques des Sud-Asiatiques, des Latins, des Noirs, et des hommes et des femmes métis non musulmans sont souvent assimilées à une identité musulmane. En conséquence, l’islamophobie individuelle menace des non-musulmans aussi bien que des musulmans prati­quants, ce qui nécessite une définition et un cadre permettant la protection, la défense des droits et la formation de coalitions entre différentes religions. Cela doit passer nécessairement par un travail de sensibilisation sur notamment le droit à la non-discrimination à tous les niveaux.

Le déni de l’islamophobie, un danger pour la démocratie

Comme d’autres formes de préjugés, stéréotypes, discriminations et violences à l’encontre de groupes minoritaires, l’islamophobie constitue un danger pour la démocratie. En contribuant à la marginalisation d’un groupe et des individu.es qui le composent, en banalisant des formes de discriminations et de violences sous prétexte qu’elles  ne ciblent qu’un groupe limité – présenté par les personnes relayant ouvertement l’islamophobie et par nombre de médias et élites politiques tour à tour comme dangereux, extérieur au corps national ou n’étant pas digne de droits équivalents –, l’islamophobie rompt avec les principes fondamentaux des démocraties libérales et, dans le cas français, du républicanisme : rupture d’égalité et limitation des libertés d’une minorité[48].

Cette violence sociale et politique est redoublée par le déni de l’islamophobie qui constitue lui aussi, à l’instar des fakes news, un déni de réalité et un danger pour la démocratie. En effet, le déni de l’islamophobie, le refus de la nommer, outre qu’il accentue la légitimation sociale des violences contre les personnes et les groupes musulman.es ou supposé.es tel.les, est rendu possible par l’exclusion des personnes concernées des arènes du débat public, politique et scientifique[49].

A titre d’illustration, les tentatives d’intimidation et d’exclusion des candidates musulmanes voilées pour des élections locales en France relève ainsi d’une logique islamophobe discriminatoire, et jamais dénoncées comme telle puisque les appels à l’exclusion se parent de l’apparence d’une défense de la laïcité, qui pourtant n’a rien à faire en la matière[50].

Ne pas pouvoir nommer cette discrimination qui vise à empêcher une personne, en raison de sa croyance religieuse, d’accéder à des fonctions de représentation politique participe à masquer la rupture avec ce principe démocratique inscrit dans l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :  « tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Ne pas pouvoir nommer, c’est déjà entraver la possibilité de combattre la discrimination. Exclure le terme du débat public c’est aussi, dans le même temps, exclure celles et ceux qui sont porteur.es d’un projet de justice sociale qui a besoin de dire l’islamophobie pour la combattre. Ainsi, taire le mot c’est aussi faire taire celles et ceux qui se battent pour une société démocratique et juste[51].

Dans le contexte des attaques contre de nombreuses libertés démocratiques, les chercheurs en sciences humaines et sociales doivent faire preuve de rigueur scientifique et de clairvoyance politique. Les attaques contre les recherches en sciences sociales produites sur l’islamophobie, la race, visent en réalité toute entreprise scientifique en sciences sociales qui ne poursuivrait pas le but de légitimer l’ordre établi. Nous payerons tous et toutes le prix fort si nous ne pouvons pas nous accorder sur les mots, et donc sur la réalité. Il est donc important de définir les mots avec précision et une honnêteté intellectuelle implacable dans ce contexte. Comme l’a écrit Charles Eisen Mann, « il faut nécessairement commencer par résoudre clairement le problème de fixation des concepts qui forment l’armature d’un thème, sinon on discuterait dans l’obscurité en vain.[52]»

Le meurtre odieux d’ABOUBAKAR en France, un crime islamophobe incontestable

Alors que certains responsables politiques refusent encore de qualifier le meurtre d’Aboubakar Cissé de meurtre islamophobe, il est urgent de souligner la pertinence de ce terme, dans la mesure où la dimension théologico-politique à l’œuvre dans cet assassinat ne peut être subsumée sous le terme de racisme. De fait, l’islamophobie fait passer des agressions verbales et physiques pour des « actes de résistance » face à un islam décrit comme « intrinsèquement violent » et soi-disant incompatible avec les valeurs de la République[53].

En France, le déni du racisme sous toutes ses formes ne date pas d’aujourd’hui. L’islamophobie est aussi ce racisme qui n’est que rarement considéré comme un racisme, condamné seulement du bout des lèvres. Il s’agit d’un racisme par dénégation. Le meurtre de Cissé nous rappelle l’irresponsabilité de ce déni, car oui l’islamophobie – comme le sexisme et le racisme qu’elle contribue à intensifier dans nos sociétés – tue[54].

Les intellectuels ont pour devoir de faire cesser cette dénégation s’ils veulent éviter le pire. Si l’enquête concernant le meurtre d’Aboubakar Cissé est encore en cours, un fait est néanmoins remarquable : bien qu’une part non négligeable de la classe politique française ait mobilisé le terme d’islamophobie pour décrire le crime, son usage demeure encore contesté, éminemment polémique voire tout simplement proscrit. Cet essai propose de définir le type de racisme et de violence qui s’autorise d’un discours sur l’islam et les musulman·es. Il s’agit de mieux en cerner les contours et de lutter contre ce que je propose de décrire avant tout comme un dispositif de racialisation de l’islam[55].

Quel que soit le terme employé, le racisme qui en procède a pour singularité de ne pas racialiser seulement la couleur de la peau. On peut être arabe ou noir, athée ou religieux et subir cette racialisation de l’islam car ce n’est pas la foi mais ce sont d’abord les signes de l’appartenance religieuse réelle ou supposée qui sont en cause. D’où cette proposition de définition : l’islamophobie ou le racisme antimusulman est ce racisme qui racialise une religion, l’islam – en stigmatisant ses signes et symboles supposés ou réels. Elle peut donc s’abattre sur toutes et tous dès lors qu’il ou elle est musulman(e)) présumé(e).

Rappelons que Cissé est Malien et que le racisme antinoir est nourri par la montée de l’islamophobie que l’on réduit à tort à un racisme anti-arabe, malgré l’évidente centralité de ce dernier dans la fabrique de la racialisation en cause. En vertu de notre définition, l’islamophobie est aussi comparable à l’antisémitisme. Ce qui est racialisé par ces deux « racismes culturels » est un ensemble d’héritages qui peuvent être religieux ou non. La racialisation consiste justement à les assigner sans autre forme de procès à un religieux essentialisé et arbitrairement identifié à la violence. Notons qu’il y a racialisation, aussi, lorsque les universitaires sont immédiatement soupçonnés de dissimuler un « projet secret » dès lors qu’ils sont perçus comme « musulmans ». C’est le thème du « musulman » comme un « loup dans la bergerie » dont on mesure le danger aujourd’hui. Il a donné lieu à ce syntagme d’islamo-gauchisme qui constitue un réel danger pour qui se rappelle les atrocités commises par Anders Breivik[56].

Il y a 20 ans, Oriana Fallaci affirmait dans une interview au Wall Street Journal : « l’Europe n’est plus l’Europe, c’est Eurabia, une colonie de l’islam, où l’invasion islamique ne se fait pas seulement au sens physique, mais aussi au sens mental et culturel ». Dès lors que de tels propos sont tenus, l’agression verbale ou physique des musulman·es est justifiée, perçue comme le seul moyen de se défendre et de protéger la civilisation judéo-chrétienne « occidentale ». Projeter la violence sur le corps de l’autre, c’est autoriser à exercer la violence contre lui.

La violence est alors considérée comme une réponse à une autre violence, comme une « autodéfense » légitime. L’auteur de l’attaque terroriste de Christchurch contre plusieurs mosquées, Brenton Tarrant, a publié un manifeste intitulé Le grand remplacement. Il y justifie le massacre de musulman·es comme une défense contre ce qu’il appelle ouvertement un « génocide blanc ». Tarrant fait constamment référence à la France comme source d’inspiration de son action. Plus généralement, le discours de l’extrême droite française, depuis la création du Front national, influence les mouvements et partis d’extrême droite en Occident. La notion de grand remplacement a elle-même été inventée par un idéologue français d’extrême droite du nom de Renaud Camus.

Hantée par ce qui est vécu comme une disparition de « l’homme blanc » et le crépuscule d’une virilité perçue comme assiégée, l’islamophobie participe aussi de fantasmes à tendance eugéniques qui s’articulent parfaitement avec une politique régressive de remise en cause des droits des femmes. De ce point de vue, cibler le « machisme supposé intrinsèque » de l’islam est une aubaine qui cache mal le sexisme forcené qui existe derrière ces discours. Dès lors qu’elle définit l’islam comme un projet d’invasion qui menacerait l’Europe et le monde, l’islamophobie formule un appel implicite : « résister » à celui qui est perçu comme l’occupant[57].

En conséquence, l’agression verbale et physique de musulmans réels ou présumés est jugée légitime, dans la mesure où ils sont soupçonnés d’être les sources de la violence. Le passage à l’acte islamophobe se perçoit comme une contre-violence, comme une réponse légitime à la supposée violence qu’il met sans cesse en scène. L’exercice de la violence à l’encontre des musulmans tend donc à se présenter comme un acte de résistance à une colonisation « islamique », à une violence supposée intrinsèque à l’islam, fondée sur son essence théocratique. D’où le potentiel mortifère de l’islamophobie en ce qu’elle légitime l’exercice de la violence contre autrui, de l’agression verbale jusqu’à l’anéantissement physique[58]. Or, la non-discrimination est un droit consacré par plusieurs instruments universels.

La non-discrimination, un droit consacré…

Le droit à la non-discrimination constitue l’un des principes fondamentaux non dérogeables des droits humains et a été consacré dans des instruments internationaux et régionaux. Il est issu du

postulat général de l’égale dignité de tous les êtres humains qui a été affirmé aussi bien par la Charte des Nations Unies[59] et la Déclaration universelle des droits de l’homme[60] (DUDH) que par tous les instruments internationaux en matière de droits humains. Il convient de souligner que la non-discrimination couvre aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels[61].

Il faut aussi rappeler que parmi les buts et principes de l’ONU figure la réalisation de « la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion.[62] »

L’article 2.1 de la DUDH interdit toutes formes de discrimination qui vont au-delà des critères mentionnés dans la Charte de l’ONU : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

D’autres dispositions de la DUDH interdisent également la discrimination dans des domaines spécifiques tels que le travail, la fonction publique ou la justice : « Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal[63]. »

L’interdiction de la discrimination raciale a par exemple acquis le statut de norme impérative du droit international[64] et d’obligation erga omnes[65]. Les États ne peuvent pas déroger à ces obligations sans violer le droit international – même en cas d’urgence[66].

L’interdiction de la discrimination raciale la plus complète se trouve dans la   Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Cette dernière est la première convention internationale en matière de droits humains avec laquelle les Etats ont commencé à codifier les droits figurant dans la DUDH. Elle constitue également le principal instrument international portant sur la discrimination « raciale ».

 Dans son article 1.1 de cette Convention définit l’expression « discrimination raciale », de manière large et non limitée à la couleur de peau ou à l’origine ethnique, de la façon suivante : « Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique[67]. »

En outre, dans leurs discussions sur les obligations des États en matière d’égalité et de non-discrimination, les organes des traités des Nations Unies ont fréquemment déclaré que les droits consacrés par les traités internationaux relatifs aux droits humains doivent généralement être garantis à tous, y compris aux personnes appartenant à des minorités nationales, religieuses, raciales et ethniques[68].

A titre d’illustration, en vertu de la CIEDR, les États parties se sont engagés à poursuivre la réalisation d’une communauté nationale et internationale exempte de toute forme de racisme[69]. L’article 2 de la CIEDR stipule que pour faciliter la réalisation effective de l’égalité raciale, les États parties doivent s’assurer qu’ils ne prennent part à aucun acte de discrimination raciale et qu’ils ne favorisent pas des programmes conduisant à l’inégalité raciale[70].

Par ailleurs, lorsque le racisme, l’inégalité raciale ou la discrimination raciale existent, ils ont l’obligation de prendre des mesures efficaces et immédiates pour les éliminer[71]. Cette obligation d’agir est absolue. L’obligation des États parties de lutter contre l’inégalité raciale et la discrimination raciale leur impose non seulement de prendre des mesures correctives, mais aussi des mesures préventives[72].

Les obligations de réaliser l’égalité raciale et de garantir la non-discrimination s’étendent à tous les domaines de la politique et de l’influence gouvernementales, y compris à tous les aspects du maintien de l’ordre. Les États doivent veiller à ce que les groupes raciaux et ethniques jouissent pleinement de leurs droits fondamentaux, tels qu’ils sont énoncés à l’article 5 de la CIEDR et dans chaque traité relatif aux droits humains[73].

La vision de l’égalité dans le dispositif international des droits humains est substantielle et exige des États qu’ils prennent des mesures pour lutter contre la discrimination raciale intentionnelle ou volontaire, et contre la discrimination raciale de fait ou involontaire. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) a précisé que l’interdiction de la discrimination raciale prévue par la CIEDR ne peut être interprétée de manière restrictive et souligne que la convention s’applique à la discrimination intentionnelle ou délibérée, ainsi qu’à la discrimination de fait[74] et à la discrimination structurelle[75].

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