Par Abderrafie Hamdi
La question posée lors de la première séance plénière de la 14ᵉ édition de l’Atlantic Dialogues, organisée à Rabat par le think tank Policy Center for the New South, « La démocratie peut-elle être efficace dans un monde post-trust ? », s’est imposée d’emblée comme l’un des fils directeurs de ce dialogue de haut niveau.
En réunissant d’anciens chefs d’État, d’anciens ministres des Affaires étrangères, des chercheurs universitaires et des experts internationaux, cette rencontre a confirmé la vocation du forum : faire du Sud global un espace légitime de production d’idées et de réflexion stratégique sur les mutations contemporaines de la gouvernance démocratique.
Nous vivons un moment paradoxal. Jamais la démocratie n’a été aussi largement reconnue comme norme de légitimité politique, et jamais elle n’a suscité autant de doutes quant à sa capacité à répondre aux attentes concrètes des citoyens. Dans les démocraties établies, cette défiance se traduit par l’abstention électorale, la fragmentation du champ politique, la montée des discours populistes et une remise en cause croissante des institutions. Dans les démocraties émergentes, elle prend souvent une forme plus radicale : celle du doute sur la promesse démocratique elle-même, perçue comme incapable de produire justice sociale, inclusion et développement.
Les causes de cette crise de confiance sont multiples et largement partagées. L’aggravation des inégalités économiques et territoriales, la polarisation idéologique et la prolifération de la désinformation dans les espaces numériques ont profondément fragilisé le lien entre citoyens et gouvernants. À cela s’ajoute un sentiment diffus d’impuissance des États face à des crises globales – sanitaires, climatiques, sécuritaires ou géopolitiques – qui semblent échapper aux mécanismes classiques de la décision démocratique.
Dans ce contexte, la question centrale n’est plus seulement de défendre la démocratie comme valeur, mais d’en démontrer l’efficacité comme mode de gouvernance. Les échanges ont mis en évidence le rôle déterminant de certaines réformes institutionnelles : transparence de l’action publique, reddition des comptes, indépendance de la justice et lutte crédible contre la corruption. Là où ces principes cessent d’être incantatoires pour devenir opérationnels, la légitimité démocratique tend à se renforcer.
Mais l’institutionnel, à lui seul, ne suffit plus.
La participation citoyenne apparaît désormais comme un pilier essentiel de la résilience démocratique. Budgets participatifs, dispositifs de démocratie locale, consultations publiques élargies ou plateformes numériques de dialogue traduisent une évolution profonde : la démocratie ne peut plus se limiter au seul moment électoral. Elle doit devenir un processus continu, capable d’associer les citoyens à la définition des priorités et à l’évaluation des politiques publiques.
L’Afrique, souvent abordée à travers le prisme de ses fragilités, mérite à cet égard un regard renouvelé. Le continent est aussi un laboratoire d’innovations démocratiques et sociales.
Dans plusieurs pays africains, des formes hybrides de gouvernance associent institutions publiques, société civile et acteurs économiques pour répondre à des besoins essentiels : accès aux services de base, inclusion des jeunes, autonomisation des femmes ou gestion équitable des ressources.
Ces expériences rappellent une évidence souvent négligée : la confiance ne se reconstruit pas par le discours, mais par la capacité à améliorer concrètement la vie des citoyens.
C’est dans cette logique que s’inscrit le projet royal marocain sur l’Atlantique, qui ambitionne de repenser l’espace atlantique africain comme un espace de coopération, de développement partagé et de stabilité.
En articulant gouvernance, intégration régionale et développement humain, cette vision illustre une approche proactive de la démocratie, consciente que la légitimité politique se renforce aussi par l’ouverture, la coopération et la projection stratégique.
Enfin, le débat a rappelé que la crise de la confiance dépasse largement les cadres nationaux. La coopération internationale demeure un levier essentiel pour restaurer la crédibilité démocratique, notamment à travers le partage de bonnes pratiques, la régulation des espaces numériques et la réaffirmation de standards communs de gouvernance.
Repenser la démocratie depuis le Sud global n’est ni un slogan ni une posture idéologique. C’est une nécessité intellectuelle et politique. Dans un monde post-trust, la démocratie ne se sauvera ni par l’incantation ni par la nostalgie. Elle ne pourra regagner la confiance qu’en prouvant, concrètement, sa capacité à produire des résultats, à inclure les citoyens et à répondre aux défis du présent.

