Nous, les représentants des membres de l’Alliance Sahel, nous sommes réunis à Nouakchott le 10 juillet 2023, pour tenir la quatrième Assemblée générale de l’Alliance Sahel. Cette réunion nous a permis de rendre compte des réalisations enregistrées par l’Alliance en 2022. Nous avons également proposé des axes stratégiques prioritaires, alignés aux priorités de développement réaffirmées de nos partenaires du Sahel, pour maintenir, dans un environnement fragilisé et complexe, notre appui aux populations sahéliennes. Nous saluons l’adhésion fin 2022 de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) comme membre de plein exercice, qui mettra au service de l’Alliance son expertise et sa capacité d’intervention dans la sous-région. Nous tenons à remercier chaleureusement l’Espagne pour son fort engagement en qualité de présidence de l’Assemblée générale 3 années durant. Nous félicitons et souhaitons plein succès à l’Allemagne, qui par consensus, a été désignée pour lui succéder au sortir de cette Assemblée générale.
Fédérant l’action de 27 partenaires au développement bilatéraux et multilatéraux (18 membres de plein exercice1 et 9 observateurs2), l´Alliance Sahel constitue aujourd’hui le principal cadre de coordination renforcé des initiatives de coopération au développement au Sahel avec un portefeuille de projets en cours d’exécution d’un montant de 26,5 milliards d’euros au 31 décembre 2022. En augmentation de 15% depuis 2021, il témoigne de la priorité accordée par ses membres à la région du Sahel.
Le contexte sahélien reste préoccupant. L’augmentation et la multiplicité des facteurs d’insécurité, les transitions politiques en cours dans certains pays, les impacts croissants des chocs liés au changement climatique et à la guerre contre l’Ukraine affectent les acquis en matière de développement. Ils accroissent les déplacements forcés des populations3 ainsi que des niveaux déjà élevés d’insécurité alimentaire. L’ensemble de ces facteurs pèse sur la capacité d’accompagner efficacement les trajectoires de développement des États du Sahel, bien qu’un appui direct aux populations civiles, aux autorités et aux communautés locales ait toujours été recherché. Nous, membres de l’Alliance Sahel, marquons notre vive préoccupation quant à la détérioration de la situation sécuritaire, humanitaire dans certaines régions et reconnaissons la nécessité de renforcer et de coordonner davantage nos interventions pour mieux répondre aux besoins des populations. Nous réaffirmons que les actes qui violent le Droit humanitaire international compromettent le retour de la sécurité. Face au terrorisme et à la généralisation de l’extrémisme violent, nous soulignons l’importance des mesures de lutte contre la radicalisation. Bien qu’une réponse de court terme soit cruciale, elle ne peut suffire seule à résoudre les problèmes structurels de la région. Son articulation avec une réponse de moyen et long terme est seule capable de poser les fondations d’un avenir prospère et soutenable pour les populations de la région.
Nous reconnaissons le rôle premier de la bonne gouvernance. Au-delà du retour rapide à l’ordre constitutionnel, elle passe par le renforcement des institutions et de l’État de droit, y compris au niveau local. À ce titre, la promotion et la protection des droits humains, de l’espace civique, de la cohésion sociale ainsi que le renforcement de la participation citoyenne et la lutte contre la désinformation, nous semblent des vecteurs importants de la stabilité politique et d’un développement durable. Dans ce contexte, nous appelons donc à maintenir le dialogue afin de préserver les acquis et continuer à chercher des solutions. Aussi, il est important de poursuivre les échanges entre partenaires internationaux et avec les contreparties concernées, pour soutenir les structures communales, les initiatives locales, les organisations de la société civile, le secteur privé et les acteurs non étatiques engagées en faveur des populations du Sahel.
Nous soulignons la nécessité de mieux appréhender les interactions multiformes qui lient changement climatique, conflits et développement et de rechercher les moyens d’action coordonnés pour promouvoir la “sécurité climatique” par le financement de mesures de mitigation et d’adaptation et l’accompagnement de grandes initiatives régionales telles que la Grande muraille verte5.
Afin d’accroître l’efficacité de notre action, nous avons lancé en juin 2022 une revue indépendante pour (i) faire le point sur les résultats de l’Alliance Sahel ; (ii) identifier les opportunités pour renforcer son impact ; (iii) mettre en perspective sa valeur ajoutée, en recherchant un fonctionnement optimisé de nos instances de gouvernance. Les recommandations qui en découlent visent à prioriser les travaux de l’Alliance sur des thématiques et questions opérationnelles où l’Alliance Sahel offre une forte valeur ajoutée. À cette fin, il est préconisé de renforcer l’articulation entre les priorités et orientations stratégiques et opérationnelles établies par l’Assemblée générale et le Comité de pilotage opérationnel, l’agenda des groupes de travail et les besoins et priorités au niveau national et local. Une attention particulière sera portée au renforcement des plateformes de coordination pays, notamment dans leur fonction de dialogue avec les partenaires sahéliens. Ces recommandations guident les orientations de cette Assemblée Générale.
Dans cette perspective, nous, membres de l’Alliance Sahel réaffirmons notre engagement et encourageons l’ensemble des partenaires internationaux à renforcer leur soutien financier, technique et politique, tout en s’alignant aux priorités et aux stratégies définies par les pays du Sahel. Ensemble, nous pouvons surmonter les défis actuels et construire un avenir meilleur pour les populations de la région.
Nous, membres de l’Alliance Sahel reconnaissons :
1. L’importance du partenariat stratégique G5 Sahel-Alliance Sahel et de l’alignement de nos interventions aux stratégies et priorités sahéliennes
Nous sommes convaincus que l’intégration et la solidarité régionales demeurent essentielles pour répondre aux défis auxquels fait face la région. Nous réitérons notre plein soutien au G5 Sahel et saluons les conclusions du Sommet extraordinaire des chefs d’État du 20 février 2023 et de la réunion interministérielle qui s’est tenue le 9 juillet 2023. Nous soulignons les efforts entrepris par les États sahéliens et l’actuelle Présidence mauritanienne du G5 Sahel, dont la feuille de route vise à redynamiser l’institution régionale. Nous souhaitons continuer à renforcer le dialogue avec ce partenaire privilégié pour la coopération au Sahel, comme en témoigne la signature, ce jour, d’une version révisée du protocole de partenariat qui lie nos deux initiatives.
Nous nous engageons à appuyer le dialogue régional et à nous aligner avec les priorités portées par la nouvelle Stratégie Développement et Sécurité du G5 Sahel. À ce titre, nous saluons l’organisation en marge de cette Assemblée générale d’une session opérationnelle avec le Secrétariat exécutif du G5 Sahel autour de ce nouveau cadre stratégique et programmatique.
La promotion d’un cadre de dialogue renforcé au niveau régional et dans chaque pays contribuera à repenser les outils d’une redevabilité commune. Il sera le lieu pour échanger sur le respect des engagements réciproques pour maximiser les impacts des projets de développement soutenus par les membres de l’Alliance Sahel. Ce n’est qu’à travers un dialogue conjoint ouvert, sur les politiques publiques et les réformes prioritaires à engager, que nous pourrons accompagner efficacement les États dans leurs politiques de développement conformément à l’esprit de la Feuille de route de la Coalition pour le Sahel, validée lors du Sommet extraordinaire des Chefs d’État du G5 Sahel le 20 février 2023.
Nous soulignons également les efforts entrepris par le panel de haut niveau présidé par Mahamadou Issoufou, ancien Président de la République du Niger, à la demande des Nations Unies, de la Commission de l’Union africaine (UA), de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et du G5 Sahel pour mener une Évaluation stratégique conjointe visant à trouver des voies innovantes pour remédier aux défis sécuritaires, de développement et de gouvernance dans la région. Nous restons à l’écoute des recommandations qui pourraient contribuer à une meilleure articulation des différentes stratégies et initiatives mises en oeuvre dans la région.
2. La nécessité de répondre aux priorités identifiées par nos partenaires sahéliens selon un agenda sélectif et transformationnel
En alignement avec la nouvelle Stratégie Développement et Sécurité, les priorités du Programme d’Investissement Prioritaire du G5 Sahel et conformément aux recommandations de la revue indépendante, nous souhaitons accroitre notre engagement collectif et notre impact sur trois priorités stratégiques (i) la création d’opportunités d’emploi et de revenus par l’éducation, la formation, le développement des compétences et l’entrepreneuriat, (ii) la résilience aux chocs, notamment à travers l’appui aux dispositifs nationaux de prévention et de réponse aux crises, (iii) le développement des territoires et l’accès localement aux services de base en portant une attention particulière aux zones fragiles. Dans ce cadre, nous nous engageons à accélérer sur ces priorités, la mise en oeuvre des programmes structurants existants, passer à l’échelle les programmes performants et à lancer des initiatives conjointes de portée transformationnelle.
La création d’opportunités pour la jeunesse sahélienne par l’éducation, la formation et l’acquisition de compétences, placée en haut de l’agenda de la précédente Assemblée générale qui nous a réuni à Madrid le 4 avril 2022, est une priorité pour la région. Elle est au coeur de la Déclaration de Nouakchott sur l’éducation dans les pays du Sahel. Le portefeuille Alliance Sahel recense à ce jour près de 2 milliards d’euros6 sur ce secteur mais le faible niveau d’alphabétisation au Sahel (57% contre 77% en Afrique subsaharienne7), les nombreux facteurs d’exclusion tels que le genre, l’origine socio-économique ou encore les risques sécuritaires appellent à une mobilisation accrue pour renforcer les systèmes éducatifs et accroître le capital humain de la région. Nous nous engageons à accélérer la mise en oeuvred’initiatives communes existantes et à en promouvoir de nouvelles afin d’accroitre les opportunités pour la jeunesse sahélienne notamment par la création d’emploi décent dans le monde rural.
Les systèmes de protection sociale adaptative sont indispensables pour soutenir et renforcer les stratégies de réponses, d’adaptation et de résilience aux chocs des ménages les plus pauvres. Le side-event Alliance Sahel « Équiper ménages et Gouvernements en temps de crise » organisé en marge des Assemblées de Printemps de la Banque mondiale en avril 2023, a permis d’échanger sur comment renforcer les systèmes de protection sociale adaptative8 et le partenariat entre gouvernements et partenaires au développement. Nous nous engageons à poursuivre la coordination y compris autour du nexus humanitaire-développement et passer à l’échelle nos actions comme en témoigne la mise en oeuvre du Programme de Protection Sociale Adaptative au Sahel (PPSA) de la Banque mondiale soutenu par l’AFD, le Royaume-Uni, l’Allemagne (BMZ) et le Danemark et la préparation de sa nouvelle phase. L’Alliance Sahel se voudra l’enceinte privilégiée de réflexion autour d’actions conjointes dans ce domaine dont les contours et orientations ont été esquissées à l’occasion de la journée Sahel du Global Forum on Social Protection coorganisé par l’Allemagne (BMZ), la Banque mondiale, le Programme alimentaire mondial, l’UNICEF et la GIZ, le 16 juin 2023 à Berlin.
Les cycles d’insécurité alimentaire chroniques au Sahel entretenus par les dérèglements climatiques et l’insécurité croissante dans la région imposent une réponse urgente. Le secteur « Agriculture, développement rural et sécurité alimentaire » demeure, en 2022, le deuxième domaine d’intervention des membres de l’Alliance avec plus de 6 milliards d’euros de projets en cours d’exécution recensés dans le portefeuille, notamment en appui à l’initiative de la Grande muraille verte. Toutefois, les dernières projections du Réseau de prévention des crises alimentaires alertent sur l’urgence de changer de paradigme pour s’attaquer aux causes profondes des crises alimentaires et nutritionnelles en renforçant la résilience des systèmes agricoles. Le recours permanent à l’aide alimentaire d’urgence compromet la capacité d’investissement des gouvernements pour s’attaquer aux causes structurelles de la faim et de la malnutrition. Une réponse coordonnée est nécessaire, parallèlement à un engagement politique renforcé, pour trouver des moyens plus durables de faire face aux crises récurrentes et au besoin croissant d’aide alimentaire dans la région. Ceci implique une réorientation vers des investissements structurels de moyen et long termes axés sur le renforcement de la résilience par des approches systémiques et territoriales des questions alimentaires. À cet effet, nous nous engageons à renforcer notre action commune par la recherche de solutions visant à inverser les tendances d’insécurité alimentaire dans la région à travers le renforcement des systèmes de production agricole durables et une meilleure coordination avec les actions humanitaires. Une plus large mobilisation des outils de la finance climat sera recherchée.
Le sous-investissement dans les zones périphériques et fragile a pu contribuer au sentiment d’exclusion des populations. Fort de ce constat, nous pensons que le territoire doit être un des socles de nos interventions pour renforcer un accès inclusif aux infrastructures et services de bases, accompagner la décentralisation et ainsi restaurer le contrat social entre l’État et les populations. L’Approche territoriale intégrée (ATI) est au coeur des mécanismes de coordination terrain associant tous les acteurs. En Mauritanie, dans le Hodh El Chargui, les membres de l’Alliance Sahel mettent en oeuvre les engagements pris à la table ronde de Néma en novembre 2021 aux côtés des autorités locales et nationales. Au Burkina Faso, l’ATI est en train d’être réorientée sur les villes secondaires pour répondre aux défis de l’afflux des personnes déplacées internes (PDI). Au Niger dans la zone prioritaire de Tillabéri, les membres et les autorités ont décidé de concentrer la mise en oeuvre de l’ATI sur le département d’Ayorou particulièrement exposé à des risques humanitaires et sécuritaires. Au-delà, nous réaffirmons notre engagement à mettre en oeuvre l’Approche territoriale intégrée dans les zones prioritaires identifiées avec les pays sahéliens. Plus que jamais, l’Alliance Sahel doit être le lieu de partage et de recherche de solutions et d’adaptation des modes opératoires dans les zones fragiles.
Enfin, outre les priorités énoncées ci-dessus, nous nous engageons à poursuivre de manière transversale nos efforts en faveur des femmes et des filles. Nous appelons à la prise en compte de l’égalité des genres dans nos activités en vue d’une autonomisation renforcée des femmes dans les sphères politiques, sociales, et économiques, en lien avec l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité des Nations Unies. Nous nous engageons à mettre en oeuvre les recommandations élaborées par le groupe Genre de l’Alliance Sahel en conclusion du panel organisé lors du CPO de décembre 2022 et associant la plateforme des Femmes du G5.
3. L’importance de traiter les causes profondes des fragilités pour limiter l’expansion des crises sahéliennes vers les pays côtiers
Nous réitérons notre préoccupation face à l’expansion des crises sahéliennes vers les États côtiers d’Afrique de l’Ouest comme en témoignent les récentes attaques subies au Nord du Bénin et du Togo. Lors de la 3ème Assemblée générale de l’Alliance Sahel à Madrid, le 4 avril 2022, nous avions appelé à porter une attention accrue aux zones de prévention et nous nous étions engagés à intensifier nos efforts pour assurer aux populations sahéliennes vivant dans les zones fragiles périphériques des services essentiels et des opportunités économiques et d’emplois. Depuis, plusieurs initiatives ont été portées par les membres de l’Alliance Sahel, notamment dans les régions transfrontalières entre le Burkina Faso, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin et le Ghana.
La question de la propagation de l’extrémisme violent dans les pays côtiers interroge les stratégies de développement en matière de prévention. Un engagement collectif accru est nécessaire dans ces zones pour mettre en oeuvre des interventions multisectorielles, adaptées et sensibles aux conflits. Nous appelons à identifier avec les pays sahéliens et les pays côtiers les zones transfrontalières concernées et à y promouvoir l’ATI et l’utilisation de mécanismes de financement plus rapides et flexibles10. Une attention particulière sera portée à la préservation des corridors d’échange et de développement économique tels que ceux d’Abidjan-Ouagadougou ou de Cotonou-Niamey.
Ainsi, nous recommandons de :
1. Soutenir l’intégration et la solidarité régionales pour répondre aux défis auxquels fait face la région. À ce titre, nous réitérons notre plein soutien au G5 Sahel et nous nous engageons à nous aligner sur les priorités portées par la nouvelle Stratégie Développement et Sécurité du G5 Sahel et son Programme d’Investissements Prioritaires.
2. Renforcer et coordonner davantage nos appuis pour répondre aux besoins urgents des populations sahéliennes sur la base d’engagements réciproques clairement définis. Nous appelons en particulier à consolider, dans un esprit de transparence et de redevabilité mutuelle, le dialogue sur les politiques publiques de développement et les réformes prioritaires avec les États du Sahel. Nous annonçons à cet effet une refonte conjointe d’un cadre de redevabilité entre les membres de Alliance Sahel et les pays du Sahel.
3. Accroître notre engagement collectif et notre impact sur trois priorités stratégiques (i) la création d’opportunités d’emploi et de revenus par l’éducation, la formation, le développement des compétences et l’entrepreneuriat, (ii) la résilience aux chocs, en particulier liés aux effets du changement climatique (iii) le développement des territoires et l’accès aux services de base. Dans ce cadre, nous nous engageons à accélérer, sur ces priorités, la mise en oeuvre des programmes structurants existants, passer à l’échelle les programmes performants et à lancer des initiatives conjointes de portée transformationnelle. Nous rechercherons en particulier à accroitre l’efficacité de nos interventions et à améliorer la cohérence entre les actions humanitaires, sécuritaires et de développement pour plus d’impacts.
4. Renforcer l’efficacité et l’impact de l’Alliance Sahel comme plateforme de coordination et de dialogue par la mise en oeuvre des recommandations de la revue indépendante de l’Alliance Sahel. À cet effet, nous mandatons le Comité de pilotage opérationnel de l’Alliance Sahel pour établir un plan de travail annuel permettant de mettre en oeuvre les orientations de cette Assemblée générale.
5. Poursuivre nos efforts pour assurer aux populations vivant dans les zones fragiles périphériques particulièrement exposées à l’expansion de l’extrémisme violent, l’accès aux services essentiels et aux opportunités économiques et d’emploi décent. La promotion d’une Approche territoriale intégrée sera à cet égard privilégiée.