Aujourd’hui est une journée sans presse au Sénégal, mesure décidé par les représentants des médias pour alerter notamment sur leur situation financière. Le gouvernement réclame le paiement des arriérés d’impôts, une dette fiscale que l’ancien président Macky Sall avait promis d’effacer jusqu’en décembre 2023, mais la mesure n’avait jamais été appliquée. D’après certains membres du secteur, ces contraintes financières pourraient conduire à plusieurs fermetures de journaux. Le décryptage de notre invité Maguette Ndong, porte-parole du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal.
RFI : Quelle est la situation financière des médias dans le pays ?
Maguette Ndong : C’est une situation financière très difficile présentement. La plupart des entreprises de presse au Sénégal vivent des moments très difficiles. Elles n’arrivent même pas à honorer leurs engagements à la fin des mois, c’est-à-dire à payer les salaires. Nous savons aussi qu’il y a beaucoup de confrères qui ont des arriérés de salaire, qui peinent à être payés à la fin du mois. Cette situation fiscale a été mise sur la table par le gouvernement pour contraindre les patrons de presse à payer cette dette fiscale qui s’élève à 40 milliards de francs CFA. Il y a aussi des pertes d’emplois parce que des entreprises ont commencé à fermer.
Comme deux journaux sportifs, au début du mois, « Stades » et « Sunu Lamb ».
Effectivement, « Stades » et « Sunu Lamb », qui appartiennent à Mamadou Ibra Kane, qui est président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (Cdeps), le syndicat des patrons de presse au Sénégal, qui a préféré fermer parce que la situation est devenue intenable pour lui et pour son entreprise. C’est pourquoi il a décidé de fermer. Ensuite, il y a beaucoup d’autres entreprises qui se sont signalées, qui ont dit que leur situation était difficile aussi et qui ont menacé de fermer si rien n’était fait.
Les patrons de presse dénoncent des mesures « pas rassurantes », voire « hostiles » du gouvernement. De quoi parle-t-on exactement ?
Oui, nous avons constaté que, depuis l’installation de ce nouveau gouvernement, la situation de la presse est devenue difficile. C’est vrai qu’auparavant, sous le régime de Macky Sall, on avait connu des arrestations, des emprisonnements et des menaces à l’encontre de la presse. Mais avec ce régime-là aussi, il y a pratiquement cette situation qui revient… Parce qu’on a entendu récemment le Premier ministre menacer des journalistes qui n’auraient pas donné, selon lui, une « bonne information ». Ajoutez à cela cette pression fiscale et aussi de beaucoup de comptes bancaires d’entreprises de presse qui ont été fermés. Donc, tout cela nous amène à dire qu’il y a une situation très difficile que vivent les médias. Il fallait donc une réaction. Cette réaction, c’était cette « journée sans presse ».
Certains parlent même de menaces pour la liberté d’expression, pourquoi ?
Parce que c’est une menace pour la liberté d’expression dès lors que les journalistes ne peuvent plus, ne sont plus dans les conditions pour exercer leur travail. Parce qu’il y a une menace sur la liberté d’expression. Nous rappelons tout simplement que si on parle aujourd’hui de « démocratie sénégalaise », c’est parce qu’on a une presse qui est là, une presse professionnelle, dynamique qui fait son travail et qui a contribué aussi à la réalisation de ces alternances politiques qu’on a connu au Sénégal. Cette presse à un rôle déterminant à jouer dans la société sénégalaise et nous pensons que le gouvernement a un sursaut à faire à l’endroit de cette presse pour la protéger et permettre aux personnels que nous sommes d’exercer, de manière libre, notre métier qui est d’informer le peuple.
Qu’est-ce qui bloque dans les discussions avec le gouvernement ? Comment vous expliquez qu’il n’y ait pas de réponse du pouvoir ?
Nous avons écrit deux fois de suite au président de la République pour qu’il puisse nous recevoir, nous, acteurs responsables des médias. Mais jusqu’à présent, on nous oppose un « niet » catégorique. Nous ne savons pas ce qui est à l’origine de cela, mais nous pensons qu’avec cette « journée sans presse », qui a été vraiment suivie par l’ensemble des médias sénégalais, il y aura peut-être une réaction de la part du président de la République ou de son Premier ministre…
Pour sortir de la crise, quelles sont les pistes de solutions ? Cela peut passer par une fiscalité adaptée par exemple ?
Oui, pourquoi pas ? Nous avons toujours proposé une fiscalité adaptée à la presse. Parce que la presse, c’est un milieu dans lequel les investisseurs ne gagnent pas beaucoup d’argent. Il n’y a pas beaucoup d’argent à gagner dans le secteur de la presse, même s’il y a un peu de publicité… Mais cette publicité-là aussi doit être revue parce que c’est une publicité que captent, la plupart du temps, les médias de service public, c’est-à-dire la RTS, Le Soleil et l’APS, l’Agence de presse sénégalaise. Souvent, les médias privés ne bénéficient pas de cette publicité, nous pensons qu’il y a une réforme majeure à faire à ce niveau-là pour que les médias privés puissent bénéficier largement de cette publicité et que les entreprises de presse puissent souffler et redémarrer sur de bonnes bases.
SOURCE: RFI