Dans cette note, Michael Mugah Sitawa, Chercheur à l’Observatoire d’Afrique centrale sur le crime organisé et la violence, de l’Institut d’études de sécurité de l’Afrique, met le curseur sur l’approche militaire entre le Tchad et le Cameroun. Le chercheur déplore la faiblesse qui caractérise cette approche. A l’en croire, les stratégies basées sur des opérations purement militaires peuvent souvent aliéner les populations mêmes qu’elles cherchent à protéger.
Michael Mugah Sitawan souligne que l’accord de défense signé par le Tchad et le Cameroun le 23 septembre constitue une étape bienvenue pour sécuriser leur frontière de plus de 1 000 km, mais nécessite l’adhésion des communautés concernées.
Selon le chercheur, l’insécurité dans la zone frontalière prend la forme de violences Boko Haram, de rivalités intercommunautaires et de divers types de crime organisé tels que des enlèvements contre rançon, le vol de bétail, le trafic d’armes, de drogue et d’êtres humains, ainsi que le braconnage.
Cette instabilité perturbe la pêche, l’agriculture, le commerce et les chaînes d’approvisionnement, entraînant la fermeture de marchés tels que le marché du bétail à Banki, dans le nord-est du Nigeria. Le taux de chômage des jeunes dans l’extrême nord du Cameroun atteint jusqu’à 75 %, une situation qui incite les jeunes à rejoindre des groupes extrémistes violents. Du côté tchadien, la province de l’État islamique d’Afrique de l’Ouest (ISWAP) est activement impliquée dans des activités terroristes et d’autres crimes transfrontaliers.
De nombreuses communautés frontalières dans les deux pays souffrent de négligence étatique et d’une absence de services essentiels tels que la santé, l’éducation et la sécurité. La situation est aggravée par le fait que les gouvernements sont contraints de canaliser des ressources – qui pourraient autrement être mises en développement – vers des efforts militaires pour combattre les groupes armés.
La rareté des ressources sous-tend les affrontements intercommunautaires, et les opportunités économiques limitées poussent les communautés au trafic d’armes, le Cameroun servant de principale voie de trafic d’armes entre le Tchad et la République centrafricaine. Le vol de bétail est une autre menace croissante, facilitée par un réseau complexe d’acteurs exploitant des frontières poreuses et des territoires non gouvernés.
Le Cameroun et le Tchad ont une histoire de coopération militaire conjointe, comme la Force opérationnelle internationale multinationale (MNJTF) créée par la Commission du bassin du lac Tchad en 1994, qui inclut le Nigeria, le Niger et le Bénin. La force opérationnelle a pour mission de combattre Boko Haram dans la région.
S’appuyant sur des collaborations militaires précédentes, l’ambitieux accord du 23 septembre souligne la nécessité d’opérations et de formations conjointes à la frontière, d’une coopération accrue et d’un partage d’informations amélioré. Le partenariat vise à synchroniser les efforts de lutte contre le terrorisme, à contrôler la transhumance pour réduire les conflits entre migrants pastoraux armés et à réprimer la criminalité transfrontalière.
L’accord présente plusieurs points forts, notamment l’expérience acquise grâce à la collaboration avec MNJTF et la fourniture d’une plateforme pour mutualiser les ressources. Cependant, il ne prend pas en compte le rôle des communautés dans la stabilisation de la zone frontalière tchad-camerounaise. Pour que des opérations de ce type réussissent, les communautés concernées doivent être impliquées dès le début – dès les phases de planification. Cette approche de pouvoir doux est un complément vital à la posture de pouvoir dur des forces de sécurité.
Attirer les communautés renforce leur confiance, augmentant les chances de succès du pacte militaire conjoint. Cette approche entraîne également des coûts opérationnels et des pertes réduits, car un partage amélioré du renseignement permet des opérations cinétiques plus précises, réduisant ainsi les dommages collatéraux. Les frappes de précision basées sur le renseignement réduisent également les dépenses en puissance de feu, allégeant ainsi les pressions budgétaires.
Des stratégies qui reposent trop sur des actions militaires dures peuvent aliéner les populations mêmes qu’elles cherchent à sécuriser. Dans les zones opérationnelles, des malentendus surviennent souvent entre les forces de sécurité et les communautés en raison de dommages collatéraux lors des opérations et d’un usage excessif de la force lors des interrogatoires des suspects. En conséquence, les communautés concernées considèrent souvent les opérations militaires comme contre-productives et une menace pour leur bien-être.
Le soft power désigne la capacité d’exercer une influence par la persuasion et l’attirance, plutôt que par l’usage de la force, de l’intimidation ou des incitations financières. La doctrine établit généralement une structure de coordination civilo-militaire soudée qui permet d’exprimer les griefs de toutes parts, facilitant ainsi la résolution des conflits. Cette structure aide également à identifier et à mettre en œuvre des projets de développement à fort impact dans les communautés concernées.
Le soft power est tout aussi important pour contrer les récits radicaux propagés par des groupes terroristes comme Boko Haram. Des canaux de communication fiables et dignes de confiance entre les forces de sécurité et les communautés permettent de discuter et de contrer les opinions anti-gouvernementales et extrémistes religieuses. Cela peut aider à empêcher que des individus soient recrutés dans des groupes extrémistes.
Les forces de sécurité peuvent également utiliser les relations établies avec les communautés pour mettre en œuvre des programmes qui renforcent la résilience des communautés face aux messages négatifs et sensibilisent le public aux mesures de sécurité qu’elles peuvent adopter.
La complexité des défis sécuritaires dans les zones frontalières tchad-camerounais rend d’autant plus important que l’accord militaire conjoint inclue des mécanismes de consultation et de retour d’information communautaires. Cela aidera les autorités à adapter les réponses aux préoccupations de sécurité dominantes de certaines zones, qui sont susceptibles de varier d’une communauté à l’autre dans cette vaste région frontalière.
Il est également nécessaire de renforcer la compréhension et la capacité des leaders religieux locaux, des femmes et des jeunes sur les objectifs de l’accord de défense. Leur implication peut faciliter l’échange d’informations, la résolution de conflits et la réalisation de projets de développement et d’assistance militaire lors des interventions de crise, de la gestion des catastrophes et des évacuations médicales.
Avec ISS

