juin 10, 2025
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TRUMP-POUTINE : Logiques et perspectives d’une négociation sur l’Ukraine

Comme prévu, le nouveau président américain, Donald Trump, semble se montrer conciliant avec son homologue russe, Vladimir Poutine, dont les objectifs restent maximalistes. Poutine n’est pas si pressé que les Occidentaux se sont plu à le croire pour se rassurer : soit Trump aide le Kremlin à atteindre ses objectifs maximalistes, soit les négociations échoueront. La Russie, convaincue de pouvoir l’emporter sur le champ de bataille, continuera cette guerre. Poutine cherche à réaliser ce qu’il a su faire à Minsk, en 2014-2015 : pousser les Occidentaux à « faire le sale boulot » en forçant l’Ukraine à accepter l’inacceptable. Ce stratagème du Kremlin a le triple avantage d’affaiblir Kiev, de salir l’image de l’Occident et d’accentuer le ressentiment des Ukrainiens envers ce dernier. Il n’est pas trop tard pour l’Union européenne mais le Dialogue mélien  a déjà commencé ; il serait temps qu’elle s’en rende compte et qu’elle agisse en conséquence. Voilà quelques points saillants d’une note de Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Ifri et docteur en histoire des relations internationales de Sorbonne Université. L’étude est intitulée : « Trump-Poutine : Logiques et perspectives d’une négociation sur l’Ukraine ».

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Comme prévu, le nouveau président américain, Donald Trump, semble se montrer conciliant avec son homologue russe, Vladimir Poutine, dont les objectifs restent maximalistes : cession de territoires, changement de régime, finlandisation et démilitarisation de l’Ukraine. Après avoir rejeté en décembre 2024 les propositions avancées par la nouvelle administration américaine – acceptation de facto des annexions, création d’une zone démilitarisée gardée par des forces de maintien de la paix européennes, renoncement à l’entrée de l’Ukraine dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) à un horizon de 15-20 ans –, V. Poutine a annoncé le 12 février qu’il acceptait l’ouverture de négociations avec les États-Unis. Dans l’intervalle, en janvier, D. Trump a montré des signes d’irritation qui se sont traduits par un langage peu diplomatique et même des menaces (sanctions, droits de douane, emploi des avoirs russes gelés) contre Moscou, auxquels V. Poutine a eu l’habileté de répondre par la flatterie. Les termes de l’équation ont-ils changé entre décembre 2024 et février 2025 ? Il semble que D. Trump ait accepté de céder sur la faible proposition qu’il avait faite à V. Poutine (et déjà inacceptable pour Moscou, ce qui était prévisible). Ainsi, depuis le 12 février 2025, il n’est plus question de retarder l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN de 15 à 20 ans, mais bien de clore le dossier – c’est probablement dans cette nuance que se situe la véritable concession à la Russie. En outre, Washington confirme vouloir laisser aux Européens la responsabilité – s’ils le souhaitent – de créer une force de garantie de sécurité à l’Ukraine – ce qui semble peu probable, aussi bien parce que Moscou la refusera catégoriquement que parce que la pusillanimité des Européens les empêchera d’agir sans couverture américaine. Par ailleurs, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et les dirigeants Européens, avec lesquels la Russie souhaite depuis longtemps se retrouver en tête à tête (sans leur protecteur américain), semblent exclus des négociations. L’absence, parmi les négociateurs américains, de l’envoyé spécial de Washington pour l’Ukraine, Keith Kellogg, probablement jugé « inamical » par le Kremlin, est aussi révélatrice.

La stratégie du Kremlin

  1. Trump est-il vraiment en train de céder à V. Poutine ? Quel est l’objectif de D. Trump ? Obtenir un deal rapidement pour être sacré faiseur de paix, ce que Moscou n’ignore pas. Quel est l’objectif de V. Poutine ? Soumettre politiquement l’Ukraine, ce que D. Trump ne semble toujours pas avoir compris (hier encore, il prétendait que Moscou avait envahi l’Ukraine pour des « terres »). Il devra toutefois le comprendre assez vite s’il souhaite vraiment faire un deal avec V. Poutine. Ce dernier est en train de réaliser ce qu’il a su faire à Minsk, en 2014-2015 : pousser les Occidentaux à « faire le sale boulot » en forçant l’Ukraine à accepter l’inacceptable – c’est aussi ainsi qu’il faut comprendre la déclaration de D. Trump sur l’Ukraine, qui pourrait bien « devenir russe ». Ce stratagème du Kremlin a le triple avantage d’affaiblir Kiev, de salir l’image de l’Occident et d’accentuer le ressentiment des Ukrainiens envers ce dernier. V. Poutine n’est pas si pressé que les Occidentaux se sont plu à le croire pour se rassurer : soit Trump aide le Kremlin à atteindre ses objectifs maximalistes, soit les négociations échoueront ; la Russie, convaincue de pouvoir l’emporter sur le champ de bataille, continuera cette guerre.

Pour l’instant, V. Poutine a utilisé une méthode « douce » avec D. Trump : il sait que le président américain est indifférent au sort de l’Ukraine, qu’il souhaite arrêter tout financement et même se rembourser avec les ressources de l’Ukraine ; V. Poutine sait aussi que D. Trump se moque des Européens, tétanisés à l’idée de voir s’évaporer les garanties de sécurité américaines. La « main » de D. Trump est faible depuis le début, car il n’y a aucun autre enjeu pour lui que de faire la paix, qu’importent les conditions pour l’Ukraine et l’Europe. Il se satisfera de maquiller d’importantes concessions en « meilleur deal de toute l’histoire de l’humanité ». Malgré les déclarations peu diplomatiques de D. Trump en janvier – le président américain avait alors accusé son homologue russe de détruire la Russie en refusant de négocier –, V. Poutine a publiquement montré des signes de respect au nouveau président ainsi qu’une ouverture aux négociations : V. Poutine a su manœuvrer D. Trump, ce qui n’était pas si difficile compte tenu de l’asymétrie des enjeux entre les deux chefs d’État. D. Trump ne veut utiliser aucun des leviers de pression dont il dispose sur la Russie : il ne souhaite pas continuer d’aider l’Ukraine financièrement et militairement, ni envoyer des soldats américains sur le terrain, pas même dans le cadre d’une mission de maintien de la paix. Sa seule menace crédible, à savoir un renforcement des sanctions, n’a par ailleurs aucune chance de faire céder le Kremlin, dont l’économie s’est tant bien que mal adaptée aux sanctions (avec un horizon interne 2026-2027 certes difficile si la guerre continue) et dont les enjeux en Ukraine sont jugés existentiels. Ou bien D. Trump est un raccourci permettant de se rapprocher des objectifs politiques décisifs russes en Ukraine (vassalisation et démilitarisation de l’Ukraine), ou bien ses gesticulations seront ignorées.

La « méthode » de V. Poutine semble avoir fonctionné : souffler le froid en privé en refusant catégoriquement les propositions américaines – certes faibles mais déjà inacceptables – (novembre-décembre), consolider démonstrativement les alliances et partenariats de la Russie avec la Chine, l’Iran et la Corée du Nord (janvier), souffler le chaud en public en flattant D. Trump et son « common sense », en épousant son récit sur la guerre selon lequel celle-ci n’aurait jamais eu lieu s’il avait été à la place de Joe Biden – ce que V. Poutine croit peut-être sincèrement, mais cyniquement car il estime que D. Trump aurait cédé sous la pression – (janvier-février). Flatter D. Trump n’est pas déterminant : ce qui est déterminant c’est l’indifférence de D. Trump au sort de l’Ukraine et de l’Europe ; la flatterie est un moyen pour le Kremlin de manœuvrer.

Quelles négociations à venir ?

Alors que les négociations n’ont même pas encore commencé, certains objectifs maximalistes de Moscou ont été théoriquement atteints : acceptation de fait des annexions en Ukraine et « finlandisation » de l’Ukraine (non-adhésion à l’OTAN), incluant une interdiction de livrer des armes et d’y installer des infrastructures militaires américaines (ce qui serait une formalisation de ce que D. Trump ne voulait pas faire de toute manière). L’exclusion de Volodymyr Zelensky des négociations et la mention par D. Trump de mauvais sondages de popularité du président ukrainien en Ukraine sont un pas vers l’acceptation d’une autre exigence fondamentale de Moscou : le regime change. Ces éléments ne devraient être que formalisés pendant la négociation, qui portera d’abord et avant tout sur la réduction de la taille de l’armée ukrainienne, la levée partielle ou totale des sanctions occidentales et la création d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe, incluant un recul de l’OTAN. Ce dernier point pourrait faire l’objet d’une « concession » (temporaire) par Moscou, puisque ce dernier comprend que l’OTAN et le lien transatlantique sont aujourd’hui considérablement affaiblis. Le Kremlin pourrait estimer être en mesure d’atteindre cet objectif par d’autres moyens ou attendre que l’Alliance se désintègre. Grâce à D. Trump, le Kremlin est en passe d’atteindre les trois grands objectifs de la politique étrangère soviétique et russe : démanteler l’OTAN – ce principal obstacle à l’expansion russe en Europe –, déconnecter les États-Unis et l’Europe, et maîtriser l’espace post-soviétique.

Maintenant que V. Poutine a montré à D. Trump qu’il n’était pas aussi pressé de faire la paix que ce dernier l’a cru, et que Moscou a fait la grâce à Washington d’accéder à son désir pressant de faire la paix – D. Trump se montrant ouvert aux arguments de Moscou –, le Kremlin va tenter d’accroître son emprise sur le président américain et continuer à se servir de lui, sans avoir d’illusions sur l’issue de ces négociations : rappeler les lignes rouges et peut-être en imposer de nouvelles, montrer aux opinions publiques européennes et aux pays du Sud global que V. Poutine souhaite la paix, faire traîner en longueur si nécessaire, et employer une rhétorique plus menaçante (Troisième Guerre mondiale, apocalypse nucléaire…) envers D. Trump si celui-ci se montre obtus voire hostile. Le président américain pourrait ne pas accepter les exigences de la Russie, décider d’intensifier les sanctions contre Moscou, voire de faire acheter aux Européens et à l’Ukraine des armes et du matériel militaire américains ; laisser, en somme, les Européens et les Ukrainiens « se débrouiller ». Les plans de la Russie ne changeraient pas, ni à court terme, ni à moyen terme, tandis que le mandat de D. Trump ne durera que quatre ans.

Certains prétendent qu’il s’agit d’une humiliation pour D. Trump, qui se montrerait faible et « lâche » en ne défendant pas l’Ukraine, mais cette analyse ne tient pas compte de la façon dont D. Trump voit les choses. Ce qui est faible et lâche, selon lui, c’est de continuer à financer la guerre en Ukraine alors qu’il n’y voit aucun intérêt et qu’il estime pouvoir tirer plus de profit d’une bonne entente avec la Russie, en tentant de l’éloigner de la Chine. Il faut inverser le raisonnement : l’humiliation serait pour lui de ne pas parvenir à faire la paix ; pour y parvenir, il semble prêt à accepter et tenter de faire accepter à l’Ukraine d’importantes concessions, qui résonnent chez nous comme une capitulation. Ces reproches en disent plus long sur l’incapacité de l’Union européenne à être un acteur géopolitique que sur les États-Unis de D. Trump. D’aucuns, y compris en Ukraine, sont désespérés par les annonces américaines sur le refus de faire adhérer l’Ukraine à l’OTAN mais c’est plutôt la valeur sécuritaire d’une adhésion à l’OTAN ou de la protection américaine dans le double contexte de l’impérialisme russe et de l’élection de D. Trump qu’il faut interroger. Que fera Washington quand Moscou décidera de « secourir » les russophones des pays baltes ? De fortes inquiétudes existaient déjà sous une administration démocrate. Ces craintes ne peuvent que s’accroître sous une administration Trump.

De sombres perspectives pour l’Ukraine  et l’Union européenne

L’Ukraine aura le choix entre la peste et le choléra : refuser les conditions négociées par D. Trump et V. Poutine, et continuer une guerre qu’elle a peu de chances de remporter sans un soutien ferme de l’Occident, ou accepter ces conditions et donc renoncer, tôt ou tard, à son indépendance. L’hostilité des Ukrainiens envers la Russie est légitimement et durablement enracinée, mais le ressentiment envers Washington et, peut-être encore davantage, envers l’Europe, sera fort. La perspective d’un coup d’État militaire ou même d’une tentative désespérée d’obtenir l’arme nucléaire ne peut être exclue. La lassitude et l’acceptation, au moins temporaire, d’une férule prorusse ne doivent pas être exclues non plus – que ces nouveaux Critias arrivent à la suite de négociations qui auraient abouti, après une victoire militaire russe en Ukraine ou à plus long terme, comme ce fut le cas en Géorgie. Écœurés par les Occidentaux, certains membres de l’élite ukrainienne pourraient aussi tenter de dialoguer directement avec la Russie en excluant les Occidentaux de l’équation et en renonçant eux-mêmes aux partenariats de toute sorte avec ces derniers. Le Kremlin serait probablement ravi et peut-être plus « clément ». La volonté de la population ukrainienne sera de toute façon décisive ; rien ne se jouera en dehors d’elle.

Les scénarios catastrophes ne doivent jamais être exclus : Washington et Moscou pourraient s’accorder pour se partager une Ukraine exsangue (un gouvernement ukrainien conciliant avec Moscou, qui pourrait devenir prorusse au fil des ans, suivant le scénario géorgien, et des ressources minérales pour les États-Unis) dans un premier temps, puis l’Europe dans un second temps. Faute de stratégie commune et de leadership, elle n’aurait même plus le luxe de choisir un protecteur non fiable au détriment des valeurs qu’il porte, comme c’est le cas aujourd’hui (États-Unis ou Russie), mais soit : 1) devenir un acteur géopolitique dans l’année qui vient, 2) en tirer les conséquences pour la construction européenne, 3) accepter une soumission (collective ou individuelle, par État) à l’un ou l’autre des hégémons. L’élection de partis d’extrême droite en France et en Allemagne pourrait paradoxalement (puisque ces partis se présentent comme les champions de la souveraineté) rendre ce processus de soumission beaucoup plus supportable pour les États européens, qui seraient désormais gouvernés par des élites conservatrices, réactionnaires et/ou nationalistes, enclines à voir en D. Trump et V. Poutine des modèles. Le seul espoir des Européens serait de pouvoir tirer quelques maigres avantages d’une concurrence entre Washington et Moscou pour le partage de l’Europe.

Il n’est pas trop tard pour l’Union européenne mais le Dialogue mélien a déjà commencé ; il serait temps qu’elle s’en rende compte et qu’elle agisse en conséquence.

 

Synthèse de Awa BA

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