avril 30, 2025
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Sécurité

Un accord pour mettre fin à la guerre à Gaza est-il encore possible ?

Alors que le Premier ministre israélien présente comme imminente une offensive de grande ampleur contre la ville de Rafah dans le sud de la bande de Gaza, les médiateurs qatari et égyptien, aux côtés des Américains, tentent de conclure un accord qui permettrait a minima un arrêt temporaire des combats et la libération d’une partie des otages israéliens et, sur le plus long terme, une sortie de crise. Mais les positions apparemment inconciliables de la partie israélienne et du Hamas, ainsi que les calculs de politique interne de Benjamin Netanyahu, rendent ces efforts extrêmement incertains.

Quelle est la situation sur le terrain dans la bande de Gaza ?

Le 7 février, le Premier ministre israélien a balayé d’un revers de la main la proposition du Hamas en réponse à une proposition d’accord-cadre israélien formulée à Paris fin janvier avec la médiation du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis. Il a jugé que seule « une pression militaire continue » pouvait conduire à la libération des otages israéliens et que « céder aux exigences délirantes du Hamas […] non seulement n’entraînera pas la libération des otages, mais invitera à un nouveau massacre […] ». Depuis lors, les négociations peinent à reprendre.

Benjamin Netanyahu a, dans la foulée, ordonné à son armée de préparer une offensive sur la ville de Rafah le long de la frontière égyptienne, seul centre urbain dans lequel l’armée n’a pas pénétré et présenté comme un des derniers bastions du Hamas (avec deux camps de réfugiés dans le centre de Gaza). Rafah est aussi la ville de 60 km² où se sont réfugiés 75 % des 2,3 millions de Gazaouis (cinq fois la population initiale de la ville), dont 600 000 enfants selon l’UNICEF. La plupart ont déjà été déplacés à plusieurs reprises au fil des opérations israéliennes dans la bande de Gaza, et sont désormais pris au piège entre la frontière égyptienne et l’armée israélienne. À ce jour, le prix payé par la population gazaouie est sans précédent : plus de 28 340 personnes tuées, en grande majorité des civils, dont 70 % sont des femmes et des enfants ; plus de 68 000 blessés ; 60 % des habitations détruites et destruction massive des infrastructures civiles ; ensemble de la population en grave pénurie d’eau potable, d’abris, de médicaments (64 % des hôpitaux sont hors d’état de fonctionnement) et en « situation d’insécurité alimentaire aiguë » selon le Programme alimentaire mondial.

Le Premier ministre campe ainsi sur sa position réitérée maintes fois ces dernières semaines, à savoir la promesse d’une victoire « totale » contre le Hamas, qu’il estime désormais être une affaire de « quelques mois ». Pour B. Netanyahu, l’offensive contre Rafah serait pratiquement le dernier effort militaire pour venir à bout du Hamas. Elle permettrait de mettre la main sur le leadership à Gaza et de détruire les derniers bataillons restants du mouvement, ce qui signerait, selon le Premier ministre israélien, la victoire décisive d’Israël. Mais ces déclarations semblent relever davantage de la nécessité, pour le Premier ministre, de construire un récit de victoire que de la réalité de terrain. Selon une source israélienne proche des milieux militaires, le cabinet de guerre israélien reconnaît en réalité que les progrès militaires engrangés ne sont effectivement pas ceux escomptés. C’est également l’évaluation faite par les renseignements américains, qui considèrent que si les capacités du Hamas ont été affectées, l’armée israélienne est loin d’avoir démantelé le mouvement. En outre, comme le montre la réémergence des forces de combat et de sécurité dans les zones d’où l’armée israélienne s’est retirée, le Hamas conserve des capacités opérationnelles et témoigne d’une certaine forme de résilience. Il semble donc qu’il n’y aura de victoire militaire claire pour aucune des parties. En outre, de l’aveu même du chef de l’État-Major israélien, les efforts militaires pour détruire le Hamas demeureraient vains sans horizon diplomatique de sortie de crise, exercice auquel le Premier ministre israélien refuse toujours de se plier malgré les pressions américaines en ce sens.

La victoire « totale » contre le Hamas promise par B. Netanyahu apparaît encore plus discutable sur le plan politique. En ébranlant le statu quo et en remettant la question palestinienne au centre de la diplomatie internationale, le Hamas a retrouvé une légitimité populaire qu’il avait perdue en tant que parti de gouvernance et se positionne, aux yeux des Palestiniens, comme le seul véritable mouvement de résistance face à l’occupation israélienne. C’est le schéma inverse qui caractérise le Fatah aujourd’hui. Le grand rival politique du Hamas s’est enlisé dans un projet d’État palestinien qui n’a jamais vu le jour. Et ses leaders, en premier lieu Mahmoud Abbas, perçoivent la guerre à Gaza comme une menace existentielle pour leur survie politique. Pour le moment, à l’opposé des objectifs affichés par Israël, un basculement du rapport de force sur la scène politique palestinienne semble s’opérer nettement en faveur du Hamas, assurant au mouvement un poids politique décisif sur la scène palestinienne dans les années à venir. En outre, ce sont bien les leaders du Hamas, et non pas ceux du Fatah, qui pèseront sur l’issue de la guerre dans la bande de Gaza, dont les paramètres reconfigureront inévitablement la question palestinienne. Enfin, pour assurer sa viabilité, tout projet d’instauration d’une gouvernance palestinienne à Gaza après la guerre, quelle que soit sa forme, nécessitera forcément un accord a minima avec le parti islamiste, ne serait-ce que pour des raisons sécuritaires.

 

Une offensive israélienne contre Rafah est-elle imminente ?

Pour le moment, selon une source proche des milieux décisionnaires israéliens, aucune décision finale n’a été prise concernant une offensive terrestre à Rafah. Mais la ville est déjà soumise à des bombardements intenses. Le Premier ministre israélien entendrait utiliser cette menace comme moyen de pression sur le Hamas pour obtenir un deal plus favorable à Israël. Selon cette même source, B. Netanyahu pourrait ordonner très prochainement des incursions terrestres limitées afin de rendre ces menaces encore plus « crédibles ». Sans accord, une offensive de l’armée israélienne de grande ampleur apparaît hautement probable.

Alors qu’une telle offensive dans la ville surpeuplée de Rafah aurait des conséquences dramatiques pour la population gazaouie, l’ensemble de la communauté internationale a tiré la sonnette d’alarme. Les États-Unis ont déclaré qu’ils ne soutiendraient pas une offensive contre Rafah si un « plan crédible » d’évacuation des civils n’était pas présenté par Israël, mais sans pour autant envisager d’utiliser leurs leviers pour dissuader le Premier ministre israélien de mettre sa menace à exécution. Face aux pressions internationales, B. Netanyahu assure qu’Israël mettra en place « un passage sécurisé » pour évacuer les civils. Plusieurs plans seraient à l’étude mais l’ONU a d’ores et déjà déclaré qu’elle ne participerait pas « à un déplacement forcé » de la population. En outre, l’ensemble des observateurs internationaux sur le terrain s’accordent pour dire qu’un tel plan est intenable, soulignant l’extrême fragilité de la situation humanitaire et l’absence de zones sûres dans la bande de Gaza. Pour Le Caire, une offensive à Rafah qui pourrait pousser des centaines de milliers de Gazaouis à tenter de fuir vers le Sinaï serait un scénario catastrophe qui risquerait de mener à des échanges de tirs de part et d’autre de la frontière. Mais ses moyens de pression vis-à-vis d’Israël demeurent très limités, d’autant plus que le chef de la diplomatie égyptienne semble avoir écarté toute remise en cause du traité de paix avec Israël. Selon une source proche des milieux décisionnaires israéliens, les Égyptiens seraient en train de construire actuellement un « sas » le long de la frontière avec Rafah. Ils espèreraient qu’un tel espace puisse leur permettre de faire face à un afflux de réfugiés en cas d’offensive israélienne tout en les prémunissant contre l’établissement de camps de réfugiés qui risqueraient de devenir « permanents », ce que Le Caire a toujours refusé depuis le début de la guerre.

C’est dans l’espoir de conclure une trêve avant une offensive à Rafah que le Qatar et l’Égypte, aux côtés de Washington, tentent de redonner corps à l’accord-cadre de Paris. Mais les négociations qui ont débuté le 13 février au Caire entre le directeur de la CIA, le directeur du Mossad, le chef des services de renseignements généraux égyptien et le Premier ministre qatari ont tourné court. B. Netanyahu, qui avait confié un mandat très limité à sa délégation, l’a rappelé dès le lendemain, provoquant l’ire des familles des otages en Israël. Le Premier ministre a déclaré qu’il refusait de réamorcer des négociations sur la base de la dernière proposition du Hamas, présentée comme un « point de non-départ ».

Comment les jeux de politique interne israéliens affectent-ils la possibilité d’un deal ?

S’il apparaît très difficile d’obtenir des éléments solides sur les négociations en cours, on peut néanmoins établir deux principaux constats.

Le premier est que, malgré l’engouement suscité par l’accord-cadre de Paris, un fossé demeure entre les lignes rouges de la partie israélienne et celles du Hamas. Les Israéliens, tous bords politiques confondus, n’entendent pas s’engager à mettre fin aux hostilités dans le cadre d’un accord. Ils tiennent à maintenir des forces dans l’enclave et se réserver le droit d’y mener des opérations. Pour le Hamas, tout accord doit acter que celui-ci mènera à un moment ou à un autre à un cessez-le-feu permanent et au retrait total des forces armées israéliennes. Selon un cadre du Hamas de Gaza, ces deux conditions sont non négociables. Ces positions jusqu’au-boutistes de part et d’autre s’expliquent par le fait qu’un nouvel accord, contrairement à celui conclu en décembre, façonnera de facto l’issue de la guerre. Pour les deux camps, renoncer aux lignes rouges exposées serait synonyme de défaite, ce qu’aucune des deux parties n’est prête à accepter. Lors des rencontres à Paris, les États-Unis ont déclaré publiquement soutenir l’exigence de leur allié israélien de ne pas être contraint à une cessation permanente des hostilités. Mais pour tenter de sortir de l’impasse, ils ont également fait passer le message au Hamas qu’une longue trêve, dans le cadre de la première phase d’un accord, pourrait leur permettre de convaincre Tel Aviv de s’engager dans une solution diplomatique à la crise et mettre fin à la guerre. Mais le Hamas exige des garanties solides.

Le deuxième constat est que les calculs de politique interne de B. Netanyahu réduisent considérablement les marges de négociation. Le Premier ministre israélien s’oppose à la position des deux autres membres du cabinet de guerre, B. Gantz et G. Eisenkot, qui privilégient une libération des otages sur les objectifs militaires et estiment que seul un accord avant toute nouvelle offensive pourrait y conduire. B. Netanyahu persiste à marteler que seule la pression militaire permettra de remplir l’ensemble des objectifs de guerre affichés (détruire le Hamas, libérer les otages, assurer la sécurité aux frontières israéliennes) et que signer un accord « trop coûteux » reviendrait pour Israël à perdre la guerre. Dans ce cadre, il cherche à se présenter comme le seul leader politique israélien en capacité de résister aux pressions internationales et d’empêcher toute forme de souveraineté nationale palestinienne. Mais derrière ce positionnement idéologique, le Premier ministre israélien tente avant tout d’assurer sa survie politique. Contrairement à ses adversaires, B. Netanyahu n’est pas pressé de conclure un accord. Alors qu’il devra nécessairement rendre des comptes en tant que Premier ministre pour ne pas avoir su prévenir les attaques du 7 octobre, la prolongation de la guerre lui assure une relative immunité politique. C’est surtout sur le maintien de sa coalition avec les leaders du parti fondamentaliste d’extrême-droite « Sionisme religieux », I. Ben Gvir et B. Smotrich, qu’il compte pour parvenir à rester au pouvoir. Or, ces deux alliés s’opposent fermement à tout arrêt total des combats pour une durée significative et à la libération de prisonniers palestiniens condamnés à perpétuité. Ils menacent de faire tomber le gouvernement en cas d’accord qu’ils estimeraient « irresponsable ». Fin janvier 2024, le chef de l’opposition israélienne, Yair Lapid, a tenté d’offrir une porte de sortie au Premier ministre pour essayer de sécuriser un accord sur la libération des otages. Il s’est dit prêt à remplacer le parti d’extrême-droite au gouvernement et de servir ainsi de « filet de sécurité » à B. Netanyahu. Mais cette proposition, fortement appuyée par les États-Unis, a été rejetée par le Premier ministre. Selon une source proche de ce dernier, celui-ci ne compte en aucun cas se reposer sur un partenaire comme Y. Lapid pour tenter de se maintenir en vie politiquement. En l’absence d’un accord, il y a fort à parier que B. Gantz et Eisenkot quitteront le cabinet de guerre. La légitimité de B. Netanyahu pour conduire cette guerre s’en trouverait certes encore plus écornée et les manifestations appelant à sa démission prendraient de l’ampleur. Mais le gouvernement actuel pourrait tout de même survivre.

Conclusion

Dans la configuration politique actuelle en Israël, les chances de voir aboutir les efforts du Qatar et de l’Égypte, aux côtés des Américains, pour parvenir à un accord acceptable par les deux parties sont minces. Pour autant, plusieurs facteurs pourraient encore modifier la donne : pressions sérieuses des États-Unis (mais ils ne semblent pas y être disposés), retour des manifestations de grande ampleur en Israël… À ce stade néanmoins, le scénario qui paraît désormais le plus probable demeure la prolongation de la guerre, avec une offensive israélienne à Rafah. 

Par Laure Foucher, Maître de recherche (FRS)

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