septembre 10, 2025
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Sécurité

Une divergence croissante de narratifs autour de la sécurité au Burkina Faso

Les conditions sécuritaires, économiques et humanitaires du Burkina Faso continuent de se détériorer sous la junte militaire, malgré une campagne d’information de grande envergure.

Depuis sa prise de pouvoir par un coup d’État militaire en septembre 2022, la junte au pouvoir au Burkina Faso, dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré, a pour priorité de contrôler les narratifs émanant de ce pays sahélien de 23 millions d’habitants. Avec l’aide d’un réseau d’influenceurs, d’agents liés aux services de renseignement et de pages de médias affiliées, la junte de Traoré a vanté ses réalisations en tant que leader transformateur, à l’instar de l’emblématique Thomas Sankara.

Au cours de l’année écoulée, ces allégations ont pris de l’ampleur et se sont étendues au-delà du Burkina Faso à des publics cibles en Afrique de l’Ouest et la diaspora africaine dans le monde entier.

Avec le soutien de conseillers russes, ces allégations sont orchestrées par les deux frères de Traoré, qui dirigent respectivement les portefeuilles de l’économie et de la communication numérique de la junte. Ces campagnes ont présenté la junte comme ayant réussi à reprendre des territoires aux insurgés islamistes militants, à promouvoir l’innovation économique et à protéger les civils burkinabès. Infusées de thèmes anti-occidentaux et anti-Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ces campagnes cherchent à célébrer le régime militaire, à miner l’engagement populaire en faveur des principes démocratiques et à présenter la Russie comme un partenaire de confiance pour l’avenir de l’Afrique.

Au cours de l’année écoulée, ces allégations ont pris de l’ampleur et se sont étendues, au-delà du Burkina Faso, à des publics cibles d’Afrique de l’Ouest et de la diaspora africaine dans le monde. Selon ces narratifs, Traoré aurait reçu le soutien d’un large éventail de personnalités internationales, dont Beyoncé, Rihanna et le pape Léon XIV. Largement diffusées par le biais de vidéos générées par l’intelligence artificielle, d’approbations fabriquées de toutes pièces et d’une amplification hautement coordonnée sur les médias sociaux, ces campagnes ont permis de cultiver une image de succès fabriquée numériquement et touchant des millions de téléspectateurs.

Compte tenu de la fréquence et de l’ampleur de ces allégations, ainsi que de leurs profondes implications en matière de sécurité et de gouvernance pour la région, il est essentiel d’examiner plus en détail la situation au Burkina Faso.

 La sécurité

  • Depuis que Traoré a pris le pouvoir à la fin du mois de septembre 2022, linsécurité au Burkina Faso est en fait devenue plus meurtrièreet plus répandue. Les morts liés à la violence des groupes islamistes militants ont presque triplé au cours des trois dernières années, atteignant 17 775 morts. Ce chiffre est à comparer aux 6 630 morts enregistrées au cours des trois années précédant le putsch de Traoré.
  • La violence contre les civils aux mains des groupes islamistes militants s’est intensifiée sous le régime de la junte. Depuis le coup d’État militaire de Traoré, les groupes islamistes militants sont responsables de la mort d’au moins 2 823 civils, ce qui représente une augmentation de 87 % par rapport aux 1 511 civils tués au cours de la même période avant le putsch de Traoré.
  • Ces statistiques sur la détérioration de la sécurité sont probablement plus alarmantes étant donné que la junte a activement tenté de supprimer les reportages des médias indépendants.

La létalité de ces attaques perpétrées par les islamistes militantes semble suivre une tendance croissante. Trois de leur cinq attaques les plus meurtrières au Burkina Faso depuis le début de cette violence en 2016 ont eu lieu au cours de l’année écoulée. Il s’agit notamment d’une embuscade contre un convoi militaire près de Nassougou, qui a fait 158 morts, d’une attaque contre la ville de Djibo, y compris sa caserne militaire, qui a fait au moins 210 morts, et d’une attaque contre la ville de Barsalogho, qui a fait au moins 310 morts, pour la plupart des civils.

  • L’armée burkinabè est souvent sur la défensive lors de ces attaques, les groupes islamistes militants ayant déclenché l’année dernière quatre fois plus de batailles contre les forces burkinabèes que l’inverse. En 2025, les islamistes militants ont organisé des attaques majeures contre des casernes militaires à Di, Diapaga, Djibo, Foutouri, Lanfiera, Solenzo, Sollé, Thiou, Yamba.
  • Au cours du premier semestre 2025, des groupes islamistes militants (principalement leFront de Libération du Macina, Ansaroul Islam et Katiba Hanifa ) ont lancé au moins 42 attaques au cours desquelles 10 soldats ou plus ont été tués. Huit des dix attaques islamistes les plus meurtrières contre l’armée ont eu lieu depuis le coup d’État de Traoré.
  • Ces statistiques sur la détérioration de la sécurité sont probablement plus élevées étant donné que la junte a activement tenté de supprimer les reportages des médias indépendantssur lesquels reposent une grande partie de ces données.
  • Les forces de sécurité burkinabèes sont également liées à une augmentation de la violence contre les civils sous Traoré. Les forces de sécurité, y compris les milices d’autodéfense alliées, seraient responsables de la mort de 2 121 civils depuis l’arrivée au pouvoir de la junte. Cela représente une augmentation de 132 % par rapport à la période précédant le coup d’État.
  • Selon les estimations, les forces militaires burkinabèes continuent de perdre le contrôle du territoire et opèrent désormais librement dans seulement 30 % du pays, les 70 % restants étant contestés. À titre de comparaison, en 2022, le gouvernement en contrôlait environ la moitié. Utilisant des tactiques de siège, les groupes islamistes militants ont encerclé environ 130 villes burkinabèes et coupé les principales artères entre Ouagadougou et le Togo, le Bénin, le Niger, le Mali et la Côte d’Ivoire.
  • Les communautés qui subissent la violence des militants islamistes sont plus nombreuses qu’en 2022. On estime que 165 000 kilomètres carrés de territoire ont connu plus de violence depuis l’arrivée au pouvoir de Traoré qu’au cours des trois années précédant le coup d’État de septembre. Ceci reflète une intensification de la présence des militants islamistes dans le nord du Burkina Faso et une expansion vers l’ouest et le sud endirection des frontières des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest que sont le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire.

L’économie

  • L’or représente environ 70 % des recettes d’exportation du Burkina Faso. Avec une production de 66,9 tonnes, évaluée à 7,18 milliards de dollars, l’or représentait environ 16 % du produit intérieur brut du Burkina Faso en 2023. Depuis, la production d’or a considérablement diminué en raison de l’insécurité croissante, qui a conduit à la fermeture de 7 des 17 mines industrielles du pays (Inata, Taparko, Karma, Boungou, Youga, Nétiana, Yaramoko). La junte a également nationalisé cinq mines. La production industrielle d’or a alors chuté de 20 % pour atteindre 53,4 tonnes. L’impact économique de cette situation serait plus important sans la flambée mondiale des prix de l’or de ces dernières années.
  • [Au cours de l’année écoulée], les groupes islamistes militants ont déclenché quatre fois plus de batailles contre les forces burkinabèes que l’inverse.

La production de coton, qui est historiquement la principale exportation agricole du Burkina Faso, s’est également effondrée depuis l’arrivée au pouvoir de la junte, enregistrant les rendements les plus faibles de la dernière décennie. L’insécurité a rendu de nombreux champs de coton inaccessibles et a entraîné le déplacement massif des agriculteurs de la principale région productrice de coton dans l’ouest du Burkina Faso.

  • Les flux d’investissements directs étrangersau Burkina Faso ont chuté précipitamment depuis le coup d’État militaire, passant de 670 millions de dollars enregistrés en 2022 à 83 millions de dollars en 2024.
  • Le classement du pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International est passé de 77 (sur 180 pays) en 2022 à 82 en 2024.

Déplacements de population et conditions de vie 

 Une disparité croissante entre les narratifs et les événements sur le terrain

Les données montrent que depuis le coup d’État de Traoré en septembre 2022, le Burkina Faso a souffert d’une détérioration constante de la sécurité, de l’économie et des conditions de vie du pays. Cela met en évidence une disparité croissante entre la réalité empirique et les narratifs véhiculés par la junte et ses partisans.

Plus cet écart se creusera, plus il est probable que la junte tendra à vouloir contrôler les narratifs. Cela explique en partie pourquoi la junte militaire a si agressivement tenté de faire taire les reportages indépendants et de marginaliser les voix locales et internationales crédibles. Les juristes, les journalistes et les acteurs de la société civile qui tentent d’attirer l’attention sur la détérioration des conditions sont systématiquement arrêtés et envoyés sur le front dans la lutte contre les islamistes militants.

La junte aura très probablement tendance à exercer un contrôle narratif toujours plus important.

Le volume et la sophistication de ces campagnes trompeuses reflètent un modèle plus large d’ingérence dans l’information en Afrique parrainée par l’étranger. Les acteurs russes ont joué un rôle de premier plan en alimentant et en amplifiant de faux récits autour de la junte burkinabèe. La junte, à son tour, a été l’un des plus ardents défenseurs de la présence sécuritaire croissante de Moscou en Afrique. L’influence de la Russie dans la sphère de l’information s’appuie sur des années d’investissement dans des opérations médiatiques secrètes et des réseaux d’influence au Sahel qui visent à paraître locaux et crédibles. Les agents et les organisations de façade liés à la Russie, qui opèrent souvent sous le couvert de mouvements panafricanistes ou anti-impérialistes, ont régulièrement renforcé leur présence dans l’écosystème de l’information du Burkina Faso et dans la région.

Pour relever les défis en matière de sécurité au Burkina Faso et dans la région, il sera nécessaire de naviguer entre les disparités entre ces récits et les réalités sécuritaires sur le terrain.

 

Par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique

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