juin 4, 2025
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Villes nouvelles, villes politiques : Diversification des acteurs et recentralisation du pouvoir étatique dans le cas de Diamniadio

Le nouveau terminus « Diamniadio » du train express régional venant de Dakar est désert ce dimanche après-midi de juin. Le vaste hall avec ses guichets neufs et son architecture moderne aux formes arrondies est vide. Devant l’entrée s’ouvre une grande allée dépourvue de passagers et de véhicules. Mis à part le son des véhicules venant de l’autoroute VDN (voie de dégagement nord), le pôle urbain reste inanimé. Le nombre de constructions inachevées couvertes de poussière, l’absence de piétons et de vie de quartier, mais aussi le vide qui s’impose entre les grandes infrastructures mises en place (telles que le stade Abdoulaye Wade, la Dakar Sport Arena, la sphère ministérielle) évoquent l’idée d’une ville fantôme.

Le pôle urbain de Diamniadio est l’un des nombreux projets de « villes nouvelles » annoncés depuis la fin des années 1990 dans de multiples pays de l’Asie, du Moyen-Orient, et plus récemment sur le continent africain. Des vidéos de promotion présentant des plans 3D avec des formes architecturales futuristes, des écoquartiers aux standards internationaux ou des centres de finance hypermodernes ont attiré l’intérêt des médias, des experts et du secteur privé3. L’idée de faire sortir de terre des quartiers flambant neufs dans des pays, dont les villes ont la réputation d’être « chaotiques », « informelles » et « non-planifiées » intrigue. En effet, ce modèle d’urbanisme s’inscrit dans une lecture binaire – et limitée – des villesafricaines, selon laquelle l’une des réponses aux enjeux de l’urbanisation désordonnée et non-contrôlée serait de faire table rase de l’existant et de bâtir des quartiers à partir du néant. À travers la construction de villes nouvelles, modernes et fonctionnelles, le potentiel des villes africaines en tant que catalyseurs économiques pourrait ensuite être exploité.

Ces mégaprojets futuristes ou utopies urbaines ont fait l’objet de débats et de controverses notamment quant à leur utilité et leur accessibilité pour une population urbaine largement pauvre5. Le cas du pôle urbain de Diamniadio (PUD), officiellement initié par le président Macky Sall en 2014, ne fait pas exception. Initialement promu comme un pôle pour « désengorger» Dakar, proposant une large offre de logements sociaux, le pôle repose aujourd’hui sur quelques infrastructures phares et une zone industrielle.

S’inscrivant dans les réflexions autour des enjeux de la gouvernance urbaine en Afrique subsaharienne, cette étude propose une analyse critique du concept des villes nouvelles8. En s’appuyant sur le cas sénégalais du PUD, deux arguments clés sont portés qui invitent à questionner le concept : premièrement, le modèle de ville nouvelle n’est pas un instrument technique et neutre. Il s’agit plutôt de projets mis en oeuvre à des fins politiques, qui incitent des jeux de pouvoir autour de la gestion du territoire. Au Sénégal, le PUD est porté par le président de la République et mis en oeuvrepar une multitude d’acteurs, notamment privés. Il est conçu comme une enclave territoriale et administrative qui permet à l’État central et la présidence en particulier de déployer son pouvoir sur des territoires gérés par les collectivités. Deuxièmement, l’étude questionne l’idée même de construire des quartiers urbains ex nihilo qui pourraient exister de manière isolée de leur environnement. En retraçant les grandes étapes du développement et de l’aménagement du territoire sur lequel est érigé le PUD, nous démontrons qu’il s’inscrit dans une trajectoire longue de politique d’aménagement du territoire qui gravite finalement autour de l’hypercentre urbain du Sénégal : Dakar, la capitale.

Les villes nouvelles africaines : ouverture à l’économie internationale ?

La pratique d’ériger des villes nouvelles sur des terrains soi-disant vierges est ancienne et remonte au moins à l’Antiquité. Dans l’Occident, la fondation de villes a permis de manifester l’assise politique, de territorialiser le pouvoir étatique, de faciliter les échanges économiques et de développer les activités industrielles. Sur le continent africain, où des formations urbaines ont eu lieu pendant la période précoloniale, de nombreuses villes ont été créées nouvellement par les pouvoirs coloniaux afin d’y établir des cités administratives ou des pôles économiques. Au lendemain des Indépendances, plusieurs chefs d’État ont pris la (ré)organisation territoriale à bras-le-corps. Une vague de proclamation de nouvelles villes capitales a eu lieu, tantôt pour marquer l’empreinte politique d’un président et de souligner la formation de l’État-nation indépendant, tantôt pour alléger la pression démographique sur des pôles urbains existants, toujours pour marquer une rupture avec l’ordre colonial. Les projets de nouvelle capitale démontrent des gouvernements indépendants en quête de modernité et cherchant à rattraper les pays occidentaux en matière de développement. Souvent soutenus par l’expertise des architectes et aménageurs internationaux, ces initiatives urbaines illustrent l’idée d’États développeurs qui les portent et les financent, notamment en recourant aux bailleurs internationaux.

Si le concept de ville nouvelle n’est donc pas nouveau, on peut constater un engouement plus récent de plusieurs gouvernements africains pour cet outil d’urbanisme qui a pris forme par une série d’annonces de constructions de méga infrastructures urbaines. Cette récente vague de villes nouvelles observée depuis les années 2000 repose sur de nouveaux discours et référentiels idéologiques plus articulés autour des villes et de la technologie comme moteurs de la croissance économique et de la libéralisation. Cette vision se traduit notamment dans les modalités de financement et de mise en oeuvre de ces projets basés sur un recours plus affirmé de l’État au secteur privé. Ainsi, les villes efficientes représenteraient non seulement des catalyseurs de la croissance, mais aussi un moyen pour les pays africains de participer à la compétition économique et technologique internationale.

Un flou conceptuel autour d’une tendance urbanistique commune

Au Nigéria, le quartier Eko Atlantic City vise à rendre la mégalopole de Lagos plus attractive aux investisseurs et notamment aux secteurs financier et immobilier. La ville de Konza Technopolis, située à une soixantaine de kilomètres de Nairobi se veut être un centre de traitement de données, d’où son surnom « Silicon Savannah ». En Tanzanie, c’est le secteur du tourisme qui est visé par le projet Safari City, loalisé stratégiquement entre deux aéroports internationaux et à proximité de la ville d’Arusha. Depuis le début des années 2000, une quarantaine de projets allant de la conception de quartiers à la construction de villes entières ont au moins été annoncés sur le continent, y compris dans les pays de l’Afrique du Nord.

Les plans digitaux qui accompagnent ces communications font écho aux images des villes futuristes qui sortent de terres dans plusieurs villes du Moyen-Orient et de l’Asie. Le groupe d’îles artificielles de Diya Al Muharraq au royaume de Bahreïn, la ville désertique de Masdar aux Émirats Arabes Unis, la Forest City malaisienne ou encore l’initiative immobilière de 170 km traversant le désert saoudien, The Line, ne sont que quelques exemples parmi la centaine de projets de ville nouvelle repérée par Sarah Moser dans lesdits pays du Sud, en plus de ces quarantaines d’initiatives recensées sur le continent africain. La multiplication d’annonces de projets de villes nouvelles a donné lieu à une littérature foisonnante qui interroge l’engouement des gouvernements  africains pour ces « fantaisies urbaines ». Ces travaux s’intéressent aux « villes entièrement nouvelles [qui] sont créées à partir du néant, sous la forme d’enclaves autonomes planifiées, situées à la périphérie des villes existantes». Les débats manquent cependant d’une définition claire de ce phénomène. Certains chercheurs renoncent à l’utilisation du terme de « ville nouvelle » et se concentrent sur des caractéristiques spécifiques des projets, telles que leur dimension matérielle ou la rapidité de leur réalisation (« fast cities»). Plutôt qu’un concept scientifique, le terme de « ville nouvelle » est utilisé comme un buzzword à des fins communicationnelles, notamment pour attirer l’attention des médias et des investisseurs.

Toutefois, les projets qui s’inscrivent dans cette tendance urbaine partagent un certain nombre de caractéristiques.

La dimension territoriale : quand ces projets urbains ne sont pas conçus en tant que quartiers de villes existantes (comme Eko Atlantic City au Nigéria), elles se situent souvent dans les « franges » métropolitaines, non loin des principaux centres urbains. En tant que villes satellites, elles sont censées renforcer les poumons économiques du pays. Positionnées dans les zones péri-urbaines, avec relativement peu de constructions, ces villes sont bâties sur des terrains dits « non-utilisés », voire « vierges » et sont conçues comme un point relais des zones d’activités économiques et industrielles principales.

La dimension fonctionnelle : des fonctions spécifiques sont adossées à ces formations urbaines. Ainsi, elles portent différentes étiquettes faisant référence à leurs vocations. Les « villes intelligentes » promeuvent l’importance des secteurs technologique et du savoir, les « villes vertes » priorisent les enjeux écologiques et les « villes du futur » véhiculent l’image de la modernité.

La dimension temporelle : les discours qui sous-tendent ce choix urbanistique s’appuient sur un vocabulaire de l’urgence. Ainsi, il serait indispensable de construire des villes nouvelles afin de prévenir des crises socio-économiques urbaines. L’édification des infrastructures routières, des bâtiments élevés voire de quartiers entiers dans un laps de temps limité, présente un contraste par rapport au rythme de l’évolution naturelle et progressive des villes qui s’agrandissent et se transforment suivant la dynamique de l’activité humaine et de la croissance démographique.

La dimension anhistorique : les projets de villes nouvelles sont présentés comme des approches d’aménagement qui rompent avec les formes d’urbanisme jusqu’alors dominantes et dysfonctionnelles. L’image véhiculée est celle de terrains neutres, permettant de penser des quartiers à construire ex nihilo et s’appuyant sur des formules en rupture radicale avec les formes urbaines du passé.

La dimension axée sur les solutions : les villes nouvelles sont souvent promues comme une solution clé en main pour répondre aux différents défis liés à l’urbanisation rapide en Afrique. Elles sont présentées comme des formations urbaines à part entière et autonomes contenant tous les services et fonctions nécessaires pour évoluer indépendamment d’autres villes. Martin Murray décrit ces projets comme des « villes instantanées, clés en main».

À travers l’édification de villes nouvelles, les gouvernements africains poursuivent différents objectifs qui vont au-delà de la formulation des réponses aux enjeux que représentent la croissance urbaine rapide pour leurs populations et économies.

Participer à la compétition économique internationale

L’intérêt croissant pour la construction des villes nouvelles est stimulé par différents facteurs qui peuvent être distingués par leurs aspects internationaux et nationaux.

Les initiatives de villes nouvelles africaines s’inscrivent dans des politiques urbaines internationales qui visent à diffuser des solutions applicables à différents contextes. Ces politiques se traduisent concrètement par des modèles urbanistiques fabriqués par des experts de réseaux internationaux et diffusés à travers différents pays et régions. Ainsi, certaines nouvelles villes annoncées sur le continent africain s’inspirent des formes architecturales et des pratiques d’aménagement des projets urbains de prestige qui ont vu le jour dans les grandes villes des pays du Golfe et dont les gouvernements sont parfois à l’origine de leur financement. L’incitation de construire des villes dites modernes, orientées vers le futur et correspondant aux standards d’urbanisme internationaux s’inscrit dans une course des gouvernements à bâtir des villes de classe mondiale afin de participer à l’économie internationale. Les villes deviennent un point de jonction où interagissent les économies nationales et internationales, facilitées par des infrastructures de grande envergure.

Les projets de villes nouvelles sur le continent africain se sont multipliés notamment après la crise financière de 2007-2008, un moment où les acteurs financiers internationaux se sont réorientés vers des objets d’investissement fixes, tels que lesinfrastructures et le foncier. Cet épisode de l’économie internationale coïncide avec un changement de paradigme au sein de l’industrie du développement qui met l’accent sur le caractère indispensable des infrastructures pour stimuler la croissance économique.

Ces dynamiques économiques internationales s’enchevêtrent avec des transformations idéologiques, politiques et socio-économiques au sein des pays africains promouvant l’idée du développement par le biais urbain. Les projets de villes nouvelles s’insèrent dans des programmes de politiques publiques plus larges tels que le Plan Sénégal Emergent 2035, la Vision Kenya 2030 ou encore le programme Vision de développement 2025 en Tanzanie. Ils sont promus explicitement comme des instruments de politiques publiques, qui permettent de lever de l’investissement et d’atteindre certains objectifs de ces programmes transsectoriels visant à stimuler la croissance économique et à réduire les taux de pauvreté.

Ce discours sur l’émergence s’appuie sur une partie de la rhétorique des experts d’organismes internationaux qui promeuvent les villes comme un moteur du développement humain et socio-économique : la croissance urbaine, observée dans l’ensemble des pays du continent, serait transformée en un catalyseur de la croissance économique, à travers la fabrique des villes minutieusement planifiées, efficaces et productives. Par le biais de projets urbains et d’infrastructures, les gouvernements africains cherchent à dépasser les discours et à donner une matérialité palpable à l’idée d’économies émergentes.

De plus, généralement, ces villes ne constituent pas des projets isolés, mais s’inscrivent dans des réseaux d’infrastructures plus larges, tels que les zones économiques spéciales ou les corridors de développement. En tant que zones exceptionnelles offrant des incitations économiques, telles que des exonérations fiscales et un accès bon marché aux terrains, divers financements internationaux sont ciblés. Les gouvernements s’adressent à différents types d’acteurs, dont les investisseurs étrangers et le secteur privé national, mais aussi aux couches sociales plus aisées. Des programmes immobiliers comprenant des logements de standing sont censés susciter l’intérêt des membres de la classe moyenne mais aussi celui de la diaspora à la recherche d’opportunités d’investissements dans leurs pays d’origine. Des référentiels afro-optimistes sont mobilisés dans les nouveaux narratifs des gouvernements visant à se débarrasser de l’étiquette de la pauvreté.

Le « nouveau Pôle Urbain de Diamniadio » au Sénégal

Le nouveau pôle urbain de Diamniadio (PUD) s’inscrit parfaitement dans cette tendance d’urbanisme. Depuis 2012, l’année de l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall, le projet est promu comme la « nouvelle ville » du Sénégal, qui crée une « rupture » avec les approches d’urbanisme conventionnel en mettant l’accent sur l’innovation, la technologie, le développement durable, la mixité ou encore la création de richesses et d’emploi. Ces objectifs et fonctions socio-économiques ont été intégrés dans le plan d’urbanisme sous-jacent : le pôle a été subdivisé en quatre clusters thématiques, favorisant l’économie événementielle (cluster 1), l’économie de la connaissance et du savoir (cluster 2), la logistique et l’industrie (cluster 3), les activités financières (cluster 4) (voir graphique 1).

L’objectif primaire adossé au projet d’ériger un nouvel espace urbain sur un terrain de 1 644 hectares de sol argileux à 30 km de Dakar, est d’alléger le poids démographique de la capitale. La macrocéphalie urbaine tant soulignée par les experts du gouvernement et les promoteurs du PUD qui consiste en la trop forte concentration démographique et économique à Dakar (voir graphique 1) est identifiée comme l’un des principaux défis de l’urbanisme du Sénégal. Couvrant des parties de quatre communes voisines, à savoir Bargny et Diamniadio, puis Bambilor et Rufisque (voir graphique 2), le PUD est connu pour sa position stratégique entre trois grands centres urbains (Dakar, Thiès et Mbour). À l’horizon 2035, le PUD est censé fournir 40 000 logements et devenir la résidence principale de 300 000 personnes. La promotion de pôles urbains plus ou moins excentrés permettrait un rééquilibrage territorial. C’est dans cette problématique de monopole urbain, caractéristique de nombreuses villes africaines, que s’ancre le discours sur la nécessité des villes nouvelles au Sénégal.

Le PUD représente un instrument de mise en oeuvre et un « laboratoire urbain et architectural» de la stratégie décennale, le Plan Sénégal Émergent (PSE), lancé en 2014 et se projetant à l’horizon 2035. À travers ce programme national de développement, le Sénégal vise à hisser son économie et se diversifier – via une plus forte implication du secteur privé. La mise en place de grands projets d’infrastructures (de transport, d’énergie, économiques, etc.), le développement (urbain) durable, mais aussi la mise à disposition de logements sociaux, s’inscrivent dans les objectifs du PSE prenant forme matériellement à travers le projet de création d’une ville nouvelle. La construction du Centre international de conférence Abdou Diouf (CICAD), finalisé en 2014, est souvent présentée comme la pierre fondatrice du PUD et considérée comme le point de départ du PSE.

Le flou définitionnel, si caractéristique des projets de ville nouvelle, s’observe également à travers le cas du PUD de Diamniadio pour lequel les experts et acteurs du gouvernement utilisent des désignations multiples : « ville nouvelle », « future ville », « ville satellite » – la diversité de sens et de qualifications attribués à Diamniadio montrent combien les objectifs et les fonctions de ce projet fortement publicisé restent vagues et mouvants.

Graphique 2 : Le pôle urbain de Diamniadio situé à cheval sur quatre communes

Le gouvernement sénégalais promeut la solution urbaine « de fabriquer des villes par une approche de table rase», telle qu’elle a été observée dans d’autres pays du continent et régions du monde. Cependant, l’idée selon laquelle des formations urbaines peuvent sortir de terre ex nihilo est trompeuse dans la mesure où ces projets s’inscrivent toujours dans des trajectoires territoriales, sociales, économiques et politiques. Le cas du PUD est un exemple pertinent pour comprendre comment ces projets aux contours changeants font partie d’un ensemble d’initiatives de politiques publiques et d’aménagement du territoire.

Villes nouvelles, continuités territoriales : La trajectoire (géo)politique du projet du PUD

Le 25 juillet 2013, le président de la République du Sénégal fonde par décret le « nouveau Pôle de développement urbain de Diamniadio Nord autoroute à péage », en déclarant cet espace d’utilité publique. Un autre décret définit les limites territoriales du pôle urbain qui correspond à « une superficie d’environ 1 644 hectares». L’arrivée au pouvoir de Macky Sallet l’adoption du décret n°2013-1043 sont souvent présentées comme les moments fondateurs du PUD. Cette communication politique conforte l’idée selon laquelle la construction des villes ex nihilo, basée sur une décision politique verticale, est possible. D’importantes infrastructures façonnant le PUD ont effectivement vu le jour pendant les deux mandats de Macky Sall. Cependant, le projet d’ériger un pôle urbain à Diamniadio n’est pas complètement nouveau. Il s’inscrit plus globalement dans une série d’initiatives d’aménagement de la commune de Diamniadio et de la région dakaroise.

Diamniadio, une ville carrefour au sein de la région métropolitaine

Diamniadio n’est pas seulement le nom du nouveau pôle urbain, mais est aussi celui d’une « petite ville» composée de neuf quartiers qui a obtenu le statut de commune en 2002. Le PUD est cependant assis sur plusieurs communes, dont celles de Diamniadio, Bargny, Bambilor et Rufisque. Le terrain fondant la commune de Diamniadio est utilisé, depuis la période coloniale, pour des pratiques agricoles saisonnières, puis pour la traite arachidière organisée par les pouvoirs coloniaux. La construction des axes routiers Dakar-Mbour (RN1) et Dakar-Thiès au début des années 1950 transforme Diamniadio en un carrefour et une zone de transit, avec sa situation stratégique au sein d’un triangle métropolitain, composé de trois piliers urbains (Dakar, Thiès, Mbour). C’est à partir de la mise en place de ces infrastructures que les descendants de différents groupes ethniques (Peulh, Wolof, Sérères, Diola, Manjak et Maures) s’installent progressivement et de manière durable : « en un demi-siècle […], Diamniadio a réalisé des transitions qualitatives majeures en devenant successivement campement agricole, village, bourg et petite ville». Ce lieu tampon et périurbain devient une plateforme commerciale et de transport qui crée un lien entre la région métropolitaine de Dakar et les parties rurales de l’intérieur du pays. La disponibilité des infrastructures en plus de la proximité de la commune par rapport à la capitale du Sénégal fait de Diamniadio un endroit attractif pour l’économie, le commerce et l’industrie. Ainsi, l’on ne peut pas lire l’évolution de la commune de Diamniadio sans prendre en considération la relation intrinsèque avec la capitale et, plus globalement, avec la région métropolitaine.

 

ENCADRE… ENCADRE… ENCADRE… ENCADRE

Enjeux d’urbanisation dans la région de Dakar

Avec 51 % de la population vivant en ville, le Sénégal aréalisé sa transition urbaine. Le taux de croissance urbaine annuel est relativement stable depuis 2000 (environ 3,8 %), ce qui a conduit à la multiplication de la population urbaine par deux entre 2001 et 2021. La plupart des citadins résident dans la région dakaroise.

La capitale sénégalaise est située sur la presqu’île du Cap-Vert, bordée par l’océan Atlantique. Étant donné ces limites naturelles à l’ouest, Dakar s’étend vers l’est du pays, formant une région métropolitaine qui englobe cinq départements : Dakar, Pikine, Keur Massar, Guédiawaye et Rufisque. La croissance démographique et les activités économiques se concentrant largement dans cette région, qui représente pour autant moins d’un pourcent du territoire du pays, mène à ce que les spécialistes appellent la « macrocéphalie de Dakar ».

En effet, on estime que la région de Dakar abrite 23 % des 14 millions d’habitants du Sénégal. Si le développement économique au Sénégal est porté par les villes, qui produisent 75 % du produit intérieur brut (PIB), Dakar en est le catalyseur en représentant à elle seule, deux tiers du PIB44. Ainsi, à Dakar, se produisent environ 65 % des activités commerciales, 90 % des industries et 80 % des infrastructures45. Face à cette tendance démographique clairement urbaine et à l’inégalité spatiale entre la zone côtière et le reste du territoire, le gouvernement sénégalais a pris plusieurs initiatives pour rééquilibrer cette tendance.

Une ville au coeur d’initiatives politiques d’aménagement métropolitain

Eu égard à son positionnement géoéconomique et stratégique, la commune de Diamniadio fait l’objet d’une série de projets d’aménagement urbain et de réalisations d’infrastructures. Ce territoire porte un héritage d’action publique qui nourrit l’initiative du pôle urbain de Diamniadio, promu par le gouvernement de Macky Sall. Les séquences de cette trajectoire de politique publique reflètent non seulement des changements territoriaux, mais aussi des transformations politiques : premièrement, elles permettent de saisir le nouvel engouement pour le développement des infrastructures depuis l’alternance politique en 2000 et l’ouverture du régime vers les principes de l’économie du marché. Deuxièmement, ces projets soulignent un fort interventionnisme de l’État central en matière d’aménagement du territoire. Cette tendance interroge dans la mesure où l’adoption des politiques de décentralisation en 1996 prévoit une délégation des compétences aux collectivités territoriales qui sont finalement peu impliquées dans les initiatives urbaines autour de Diamniadio.

La plateforme du millénaire, ou l’engouement d’Abdoulaye Wade pour les infrastructures

L’objectif d’établir à Diamniadio un pôle d’infrastructure urbaine apparaît pour la première fois dans le Plan d’urbanisme de détail de Diamniadio de 1999. La création d’une « structure régionale urbaine équilibrée» et d’un pôle de communication entre les grandes villes de Dakar, Thiès et Mbour est prévue afin de diminuer la concentration économique et démographique à Dakar. Porté par le ministère de l’Urbanisme et de l’aménagement du territoire, ce projet s’inscrit dans la promotion de villes secondaires stratégiques en appui des pôles urbains régionaux. Même si l’accent est mis sur les fonctions de décharge des activités industrielles et économiques focalisées à Dakar, l’idée de construire une ville nouvelle, comprenant une zone d’habitat, est donc inscrite dans le Plan d’urbanisme de détail de 1999.

Cette ambition est accompagnée par l’annonce d’une série de projets d’infrastructures de grande envergure, portés par le président Abdoulaye Wade. Son élection en 2000 marque la première alternance politique du Sénégal après 40 ans de règne ininterrompu du parti socialiste et déclenche le début d’une transition vers un régime économique libéral. Connu pour son « appétit pour les infrastructures», la présidence de Wade pose au moins les fondements de plusieurs projets ambitieux qui changent le visage de la région dakaroise et qui impactent les dynamiques d’urbanisation entre Dakar et Diamniadio : l’autoroute à péage, reliant Dakar, Diamniadio et l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD) (mise en service en 2013), mais aussi la construction d’un port minéralier à Bargny sont dus au gouvernement de Wade.

La volonté de promouvoir l’émergence économique à travers la création de pôles urbains49 et d’infrastructures est ancrée dans le régime du Président Wade. En 2000, c’est une zone d’aménagement concerté de 2 500 hectares qui est retenue, en 2004, pour un financement par le fonds américain Millenium Challenge Account (MCA) afin de mettre en place une plateforme industrielle, la plateforme millénaire de Diamniadio. Les objectifs de cette entreprise se calquent sur ceux du projet de ville inscrit dans le Plan d’urbanisme de détail de 1999. Dans le but d’insérer le Sénégal dans la compétition autour des investissements internationaux après quatre décennies de règne socialiste, Wade sollicite de multiples financements internationaux et les met en concurrence : lorsqu’il autorise, en 2005, la société privée dubaïote Jebel Enterprise à réaliser sur le même site, une zone économique spéciale intégrée (ZESI), le MCA se retire du financement de la plateforme millénaire.

Finalement, ni la plateforme millénaire soutenue par le fonds américain, ni la ZESI portée par Jebel Enterprise ne voient le jour. Cependant, cette série d’initiatives d’action publique démontre que le territoire de Diamniadio est au coeur des politiques d’aménagement de la région dakaroise, depuis plus de deux décennies. Seulement quelques mois avant l’élection de son successeur Macky Sall, Wade souligne sa vision de « faire de Diamniadio un des pôles les plus attractifs du pays d’ici quelques années ». Par ailleurs, le président Wade alimente la fantaisie d’une « nouvelle ville moderne, future capitale politique et administrative du Sénégal », qu’il envisage non pas à Diamniadio, mais dans sa région d’origine, à Lompoul-Diogo, située entre Dakar et Saint-Louis.

Ces différentes idées urbaines imaginées, amorcées et concrétisées par Wade, sont reprises et mises à jour par son successeur Macky Sall qui promeut à son tour le développement urbain comme moteur de l’économie émergente sénégalaise.

 

Le nouveau pôle urbain – la continuité d’une politique d’aménagement du territoire par le haut

Entre la cité administrative et l’unique projet résidentiel jusqu’alors finalisé du pôle urbain de Diamniadio, la SD City, se trouve une grande affiche démontrant le président MackySall qui s’adresse à la population sénégalaise et aux investisseurs : « Ceci est mon legs pour les générations futures » (voir photo 1). La mise en place du PUD, tel qu’il est déterminé à travers le décret n°2013-1043, est présentée comme un projet phare du mandat de Macky Sall. À travers la communication politique autour du pôle urbain de Diamniadio, la présidence véhicule une double rupture à la fois avec les formes d’urbanisme conventionnel et le régime politique précédent.

Une continuité apparaît également au niveau des approches de gouvernance de ces méga infrastructures qui s’articulent fortement autour de la figure du président. Non seulement, Wade et Sall utilisent le projet de ville nouvelle à Diamniadiopour laisser des empreintes politiques et territoriales fortes. Mais à travers ces « grands projets du chef d’État», ils consolident également des processus de décision verticaux, qui n’impliquent les collectivités locales qu’à la marge. Le PUD est créé et géré par décret (voir supra) qui le déclare d’utilité publique. Ce dispositif permet à la présidence de gouverner sur cette zone sans avoir à impliquer ni les acteurs décentralisés, tels que les communes, ni les ministères en charge des questions urbaines. Des organes de gestion sont établis explicitement pour faciliter et accélérer la mise en oeuvre des décisions de la présidence. En 2014, un décret ordonne la création de la Délégation générale de promotion des pôles urbains (DGPU). Cet organe directement rattaché à la présidence a pour mission de promouvoir et de gérer le PUD tout en exécutant les décisions présidentielles. La DGPU constitue l’interface directe avec les investisseurs souhaitant acquérir du foncier et mettre en oeuvre des projets au sein du périmètre du PDU.

Pour réaliser son principal projet urbain, Macky Sall s’entoure également d’une diversité d’acteurs privés et essentiellement internationaux qui représentent à leur tour une cartographie complexe d’acteurs visant à déployer leurs intérêts et leur expertise. Un parc industriel, situé au nord-ouest du PDU et financé par la Banque chinoise d’import-export est construit par le groupe de construction CGC Overseas. Des entreprises françaises spécialisées dans les infrastructures, y compris numériques, réalisent des plans d’aménagement et soutiennent l’initiative encore incertaine du projet de ville intelligente Diamniadio (« Smart City Diamniadio»). Puis, un nombre important d’infrastructures est financé, réalisé ou du moins finalisé par des acteurs turcs. Après avoir érigé le premier bâtiment du PUD, le CICAD, dans un délai de seulement onze mois, l’entreprise de construction turque Summa ne quitte plus Diamniadio et réalise un nombre important des bâtiments les plus imposants (cf. graphiques 5 et 6).

L’implication étroite de la Turquie dans la réalisation des superstructures du PDU reflète ses relations intensifiées avec le Sénégal. Macky Sall et son homologue turc Recep TayyipErdoğan réaffirment régulièrement leur intérêt mutuel à renforcer leur partenariat économique. La Turquie est considérée comme un partenaire privilégié qui représente une alternative attractive aux relations complexes avec des partenaires traditionnels porteurs.

Plusieurs résultats ressortent de cette analyse de la trajectoire des politiques d’aménagement à Diamniadio qui peuvent alimenter les discussions sur les villes nouvelles au Sénégal, comme ailleurs. Premièrement, le cas de Diamniadio permet de nuancer le discours sur les villes nouvelles comme des constructions ex nihilo et cloisonnées. Les initiatives de transformation de la commune de Diamniadio en un hub économique et urbain régional remontent au moins jusqu’à la fin des années 1990 et forment une véritable trajectoire de politique urbaine. Ces différents projets d’aménagement territorial ont d’ailleurs toujours été pensés par rapport à l’évolution de la capitale de Dakar. Il serait donc erroné de concevoir le PUD comme une ville clé en main, détachée de son environnement urbain. Ce pôle contribue plutôt à une dynamique de métropolisation de la région dakaroise.

Le projet de construire à Diamniadio une ville nouvelle est enfin utilisé par Macky Sall tout comme par Abdoulaye Wade comme un instrument (géo)politique pour attirer et mettre en compétition l’intérêt des investisseurs étrangers et pour mobiliser le soutien des électeurs qui sont concentrés dans la région dakaroise. Ce statut de priorité des projets urbains autour de Diamniadio dans les mandats des deux présidents se traduit par une forte concentration du pouvoir sur l’aménagement territorial au sein de la région dakaroise et plus largement, autour de la figure du président. Ce présidentialisme se décline, en effet, en une série de « grands projets de chefs d’État », y compris le site de méga infrastructures que représente le PUD La mise à l’écart des acteurs des collectivités territoriales dans la fabrique et la mise en oeuvre du PUD impacte son appropriation par les citoyens et consommateurs ciblés.

La mise en oeuvre discontinue d’une fantaisie urbaine

Presque dix ans après l’adoption du décret portant sur la création du « nouveau Pôle de développement urbain de Diamniadio Nord autoroute à péage », le nombre des chantiers finalisés reste limité. De grandes infrastructures, telles que le nouveau stade Abdoulaye Wade aux couleurs éclatantes, la cité administrative ou l’imposante Maison des Nations Unies, sont reliées par des routes goudronnées. Entre ces bâtiments épars qui se situent à plusieurs centaines de mètres les uns des autres se trouvent des espaces vides et quelques chantiers en cours de construction. Les distances entre les différents sites sont parcourues par voiture ou motocycle et la rencontre de piétons reste l’exception. Si l’existence de constructions et d’infrastructures routières est indéniable, l’absence d’habitants et de lieux sociaux, autrement dit de vie urbaine quotidienne est criant, ce qui empêche le visiteur de concevoir ce paysage quelque peu austère comme une future ville animée. Il s’agit dans cette partie de revenir sur l’appropriation limitée du PUD. Celle-ci s’explique premièrement par le décalage entre les grandes visions urbaines du gouvernement d’une part, et les besoins en termes d’infrastructures sociales des habitants de la ville, d’autre part. Deuxièmement, ce qui affecte la réalisation du PUD est la gouvernance et le transfert des compétences en matière d’aménagement du territoire et d’allocation des terres, des collectivités à l’État central.

« Le chef d’État a mis la charrue avant les boeufs57 » : une appropriation locale limitée

Depuis 2018, le quartier administratif du PUD et plus particulièrement la « sphère ministérielle 2 » sont relativement animés du lundi au vendredi entre huit et dix-sept heures. À ce jour, sept ministères ont dû déménager leurs locaux de Dakar à Diamniadio et huit administrations supplémentaires doivent suivre ce mouvement58. Pendant la semaine, la sphère ministérielle devient le poumon social et économique, lorsque des agents ministériels majoritairement basés à Dakar travaillent, consomment et se déplacent au sein du PUD. La sphère est équipée d’une supérette, de cafétérias et d’autres espaces de service et de vente. À la fin de l’après-midi et du vendredi au dimanche, la ville reprend son caractère fantôme.

Dakar – un dortoir des agents publics de Diamniadio

La décision du gouvernement sénégalais de déplacer une partie de l’administration à Diamniadio a fait l’objet de controverses : l’absence de moyens de transport pratiques et abordables est un premier point critique. Avant la mise en place du nouveau train express régional (TER), en 2021,reliant Dakar avec Diamniadio, les agents publics n’avaient que deux options ayant chacune des inconvénients. Un bus professionnel gratuit a été mis en place mais, en récupérant les agents dans leurs différents lieux d’habitation, celui-ci fait des détours et provoque des retards. La plupart des agents effectuent donc le trajet Dakar-Diamniadio-Dakar avec leurs véhicules privés ou en covoiturage, cependant ils sont confrontés à des frais considérables, alors que la gare de TER de Diamniadio est encore dépourvue d’un système de transport de rabattement régulier.

La difficile mise en place des logements, des infrastructures et d’une vie urbaine

La question du transport est d’autant plus importante que le PUD ne propose pas de conditions de logement suffisamment satisfaisantes pour inciter les agents dakarois à s’installer à Diamniadio. Le manque d’infrastructures de base (électricité, eau, assainissement), mais aussi de services de santé et sociaux tels que les écoles et les hôpitaux, empêche ces usagers temporaires du PUD de se projeter dans une vie résidentielle à Diamniadio et de quitter Dakar.

L’offre de logements sociaux a été au coeur des premières annonces de promotion faites au sujet du PUD. En tant qu’instrument de mise en oeuvre du PSE, la provision de logements ciblant les couches sociales moins aisées était au départ au centre du pôle urbain tel qu’il était pensé par MackySall63. Aujourd’hui, la zone reste principalement inhabitée et le peu de projets résidentiels qui voient le jour ciblent plutôt les classes moyennes et plus aisées. Malgré l’enthousiasme initial des agences immobilières et des promoteurs, peu de projets ont été finalisés. Seule l’entreprise SenegIndia qui porte le complexe résidentiel SD City en face de la sphère ministérielle a finalisé un premier volet de son projet. L’entreprise a pris le soin de mettre en place elle-même les infrastructures de base (électricité, eau, assainissement) afin d’offrir à ses clients des conditions d’habitat convenantes. Néanmoins, la plupart de ces appartements ne sont pas habités. Certaines unités sont louées occasionnellement lors d’événements (sportifs, conférences, etc.) à Diamniadio, d’autres ont été achetées par des étrangers ou par des membres de la diaspora sénégalaise qui ne résident pas sur place.64

Le manque d’infrastructures publiques, mais aussi les conditions de construction difficiles – le sol de Diamniadioétant composé d’argile gonflante qui entraîne des coûts de construction plus importants – ont découragé certaines entreprises immobilières. Ainsi explique une agente immobilière : « Diamniadio est une ville fantôme. Au début, nous étions tous enthousiastes à l’idée d’investir dans le nouveau pôle urbain. Mais aujourd’hui, si vous voulez encore finaliser votre projet, il vous faut beaucoup d’argent65 ». Cette réaction critique souligne le doute et la désillusion qui entourent le potentiel du projet de PDU d’offrir une réelle alternative urbaine.

Le décalage entre la construction des méga infrastructures d’une part et la faible appropriation du site urbain par les agents publics et les propriétaires immobiliers laisse l’observateur du PUD songeur. Le transfert de certains ministères est une première tentative d’entraîner un mouvement de populations vers Diamniadio. L’ouverture de la Maison des Nations Unies qui est censée regrouper l’ensemble des 1 800 agents issus d’une trentaine d’agences des Nations Unies actuellement basés à Dakar, s’inscrit dans la même veine. Le manque de logements, d’écoles et de vie sociale correspondant aux standards de la diplomatie internationale provoque une forte réticence de la part des expatriés de s’installer au PUD qui envisagent des options alternatives66.

Si le déplacement des administrations nationales et internationales est une initiative pour stimuler la « fixation » de la population dakaroise à Diamniadio, elle provoque pour l’instant l’effet inverse : Diamniadio a été conçue pour éviter l’effet dortoir entre les zones périurbaines et le centre-ville de Dakar, mais la capitale est devenue une « chambre à coucher » pour les agents publics dont le lieu d’affectation est Diamniadio.

L’appropriation locale limitée du PUD ne se mesure pas seulement à travers la consommation des services urbains au sein des périmètres du pôle.

La mise en oeuvre doit également être étudiée au regard des relations entre le PUD avec les acteurs des communes avoisinantes, auxquelles il s’impose. Ces relations sont marquées par de fortes incertitudes concernant la gouvernance et par des tensions autour de l’accès au foncier.

Décentralisation vs prérogatives de l’État central : Enjeux de gouvernance et du foncier

Le statut du PDU en tant qu’entité politique et administrative, ainsi que ses relations avec les communes avoisinantes restent flous. En déterminant une zone de 1 644 hectares qui est ensuite déclarée d’utilité publique, le gouvernement procède à un isolement administratif du pôle urbain. Le pouvoir de décision en matière d’aménagement territorial revient alors à l’État central et, plus précisément, à la présidence, représentée par la DGPU.

Une ville sans maire ? La difficile question de la gouvernance du PUD

Les municipalités locales ne disposent pas de l’autorité sur les activités d’aménagement et surtout d’allocation des terrains sur la zone récupérée par l’État central. C’est la DGPU agissant au nom du président de la République qui reçoit, étudie et tranche sur les projets d’investissement présentés au pôle urbain. D’autres structures indépendantes représentant la vision du chef de l’État, telles que la Société de gestion des infrastructures publiques des pôles urbains de Diamniadio et du Lac Rose (SOGIP), en charge de la coordination des infrastructures publiques et l’Agence de gestion du patrimoine et du bâti de l’État, responsable de la sphère ministérielle, participent aux décisions prises et contribuent au chevauchement des compétences.

Cet isolement administratif allant de pair avec la recentralisation du pouvoir sur la gestion territoriale conduit à une confusion politique, mais aussi à des tensions sociales, en particulier autour de l’accès au foncier et son contrôle. Les acteurs municipaux et la société civile soulignent ne pas avoir été impliqués dans les décisions clés autour de la réalisation du PUD. Ces choix comprennent par exemple la définition des paramètres territoriaux du pôle mais aussi les réflexions autour du statut administratif et politique du pôle et ses relations avec les municipalités environnantes. Les leaders municipaux décrivent une incertitude en ce qui concerne leurs fonctions et responsabilités. Le PUD s’étend sur une partie de leurs anciens territoires : ainsi, il n’est pas clair, par exemple, quelle structure est chargée de la collecte des impôts et des taxes notamment ceux issus des activités des diverses entreprises étrangères, dont une partie devrait être reversée aux collectivités.

Se pose ensuite la question de la représentation politique et de la formation institutionnelle au sein du PUD. Une ville nouvelle nécessite-t-elle d’un nouveau maire et d’une municipalité à part entière ? Une fois que la mission de la DGPU sera achevée, quel statut administratif et politique aura cette ville nouvelle ? Dix ans après le lancement du projet du PUD, la question de la représentation politique des citoyens qui vivent, travaillent et se déplacent au sein du pôle urbain est encore ouverte. Comme le souligne un agent de la municipalité de Diamniadio : « les citoyens – bien qu’ils soient aussi des électeurs – n’ont aucun accès politique au pôle urbain, puisqu’il n’a pas de maire! ». La structure politique du PUD n’est ainsi pas déterminée. En 2018, la DGPU commande un rapport à un expert juriste ayant circulé dans les organisations internationales et qui a pour mission de rédiger un rapport dégageant différents modèles de gouvernance pour cette ville nouvelle. Plusieurs propositions sont alors formulées. Il s’agit 1) de former une administration conjointe où les responsabilités seraient réparties sur différentes municipalités, 2) d’une approche collective où les mairies partagent l’ensemble des fonctions et 3) de la création d’une toute nouvelle mairie exclusivement en charge du PUD. Quatre ans après la remise du rapport à la DGPU, aucune décision n’est encore prise. À l’instar de nombreux projets de construction au PUD, la question de la gouvernance est en suspens.

Des enjeux fonciers multiples

Le renforcement institutionnel et du pouvoir présidentiel s’observe ensuite dans le secteur foncier qui représente le fondement de ce projet urbain La compétence de gestion et d’attribution foncière qui constitue, depuis l’adoption de la politique de décentralisation, une prérogative des collectivités, est de nouveau inscrite dans les missions de l’État central, au nom duquel le terrain est immatriculé. La distribution des titres fonciers aux investisseurs qui versent à l’État une somme symbolique de 270 FCFA par mètre carré et par an, est exclusivement gérée par la DGPU sous la supervision directe de la Présidence. Toutes les propositions impliquant un transfert de plus de 2 500 hectares de terres nécessitent une approbation directe par le président lui-même.

Depuis l’annonce du projet de PUD, entraînant l’attente d’une augmentation de la valeur foncière, les transactions et la spéculation dans les zones avoisinantes se sont multipliées. L’implantation du PUD et l’imposition de nouvelles frontières ravivent des conflits fonciers intercommunaux, notamment entre les municipalités de Bargny et de Diamniadio. Alors que les dirigeants de Bargny se plaignaient de l’expansion de la commune voisine de Diamniadio sur leur territoire depuis la création de cette dernière, ces tensions se sont amplifiées depuis l’arrivée du projet du PDU. Pour réguler ces conflits, les frontières administratives des municipalités concernées sont redessinées et consolidées par décret présidentiel. Cette imposition de nouvelles limites communales constitue un exemple supplémentaire des prises de décisions administratives verticales à Diamniadio.

Des conflits fonciers se multiplient également au Sud-Est du PUD entre les investisseurs portant des projets le long de la frontière de la zone et les propriétaires fonciers issus de la commune avoisinante de Bargny. Ces derniers revendiquent les droits fonciers légitimes le long de cette partie de la frontière du pôle urbain.

En plus des conflits frontaliers, des expropriations ont eu lieu au sein du périmètre du PUD afin de permettre la mise en oeuvre du projet. Des recherches démontrent que les terrains du site du projet ont été utilisés avant la démarcation des limites du PUD. Il s’agit d’anciennes terres d’agriculture saisonnière cultivées selon des normes coutumières par les agriculteurs bargnois, ces terrains avaient alors déjà fait l’objet de projets de lotissements et des titres fonciers avaient été approuvés et accordés. À la suite de la création du PUD par décret, ces terrains sont devenus inaccessibles pour les détenteurs de ces titres ainsi que pour les agriculteurs.

L’insécurité des droits d’accès au foncier par les habitants des communes environnantes dans un contexte où la spéculation et l’investissement fonciers deviennent une activité économique attractive, est un enjeu central de la mise en oeuvre du PUD. Non seulement ce marché foncier implique des intérêts politiques et économiques, mais il reflète également des inégalités socio-économiques entre les habitants des communes d’une part, et les investisseurs et spéculateurs d’autre part.

Cette centralité des enjeux fonciers marque les missions des agents de la DGPU. La médiation et la résolution de ces tensions se situent au coeur des déplacements hebdomadaires des équipes dont les bureaux – l’ironie le veut – se situent à Dakar et non pas à Diamniadio.

Enfin, ces enjeux fonciers alimentent la question de la gouvernance du PUD. En extrayant le foncier de quatre communes pour l’immatriculer au nom de l’État, les acteurs du gouvernement central – et la présidence en particulier – s’adjugent du pouvoir de décision principal sur le pôle urbain alors que les acteurs des communes perdent leurs compétences en matière de gestion et d’administration foncière.

La mise en oeuvre de l’initiative du PUD est rythmée par des retards de livraison, un manque de transparence76, des décisions verticales et une faible appropriation du projet par la population, y compris les passagers temporaires et les résidents des municipalités voisines. Si les variables de cette implémentation discontinue sont multiples, les enjeux de gouvernance représentent un facteur clé. La réalisation du PUD repose sur des décisions du cercle présidentiel qui semble prioriser les liens avec le secteur privé, notamment étranger, au détriment de la participation des municipalités et populations locales.

Cette centralité des enjeux fonciers marque les missions des agents de la DGPU. La médiation et la résolution de ces tensions se situent au coeur des déplacements hebdomadaires des équipes dont les bureaux – l’ironie le veut – se situent à Dakar et non pas à Diamniadio.

Enfin, ces enjeux fonciers alimentent la question de la gouvernance du PUD. En extrayant le foncier de quatre communes pour l’immatriculer au nom de l’État, les acteurs du gouvernement central – et la présidence en particulier – s’adjugent du pouvoir de décision principal sur le pôle urbain alors que les acteurs des communes perdent leurs compétences en matière de gestion et d’administration foncière.

La mise en oeuvre de l’initiative du PUD est rythmée par des retards de livraison, un manque de transparence76, des décisions verticales et une faible appropriation du projet par la population, y compris les passagers temporaires et les résidents des municipalités voisines. Si les variables de cette implémentation discontinue sont multiples, les enjeux de gouvernance représentent un facteur clé. La réalisation du PUD repose sur des décisions du cercle présidentiel qui semble prioriser les liens avec le secteur privé, notamment étranger, au détriment de la participation des municipalités et populations locales.

objectif de développer une trentaine de pôles urbains supplémentaires, basés sur une approche a priori plus inclusive, en commençant par le pôle de Daga Kholpa. À travers ces infrastructures urbaines, le gouvernement sénégalais cherche non seulement à asseoir son pouvoir étatique territorial, mais aussi à tisser des liens avec de nouveaux partenaires (Turquie, pays du Golfe, Chine, etc.). Ainsi, les villes nouvelles doivent être conçues comme des projets éminemment (géo)politiques.

Enfin, et en raison de l’inscription étroite du PUD dans le projet politique du Président Sall ainsi que du caractère inachevé de ce mégaprojet urbain, de nombreux Sénégalais, y compris des experts du gouvernement, se posent la question du futur de cette ville nouvelle une fois son second mandat présidentiel terminé (2024). Même si Macky Sall n’a pas officiellement annoncé qu’il ne briguerait pas un troisième mandat, l’incertitude quant à la durabilité et au soutien politique apporté à Diamniadio existe. Cette étude démontre cependant que le PUD représente la suite d’une série de projets d’aménagement territoriaux et d’infrastructures prévus à Diamniadio depuis la fin des années 1990. Si le pôle urbain est l’empreinte politique de Macky Sall, les graines du projet avaient été semées avant le mandat de son prédécesseur Abdoulaye Wade. L’intérêt politique pour ce territoire stratégique va sans doute persister durant les futurs mandats présidentiels. En revanche, l’on peut s’interroger sur la conservation du label de « ville nouvelle » pour désigner les futures entreprises urbaines à Diamniadio.

Sina SCHLIMMER (Institut français des relations internationales (Ifri)

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