Avec 38 % des réserves gazières mondiales, la Russie est un acteur majeur du marché mondial du gaz. Aussi, son invasion de l’Ukraine et les sanctions qui l’accompagnent vont désorganiser ce marché. L’objet de cette étude est d’analyser les conséquences de cette désorganisation pour l’Afrique, en distinguant le marché mondial du gaz naturel (I) de celui du marché du gaz africain (II), et ce avant la crise ukrainienne. Ce qui nous conduira à tirer les conséquences et les enseignements de cette désorganisation pour le marché du gaz africain à court, moyen et long termes.
Les conclusions de cette étude montrent que le continent africain ne devrait pas manquer de gaz, mais que le prix à payer est celui des cours gaziers qui s’emballent, tout en rappelant que cette embellie commence avant le conflit ukrainien. Un autre double constat, celui de la nécessité de diversifier ses fournisseurs et d’éviter d’être dépendant d’un seul pays pour son indépendance énergétique en gaz, et celui d’éviter pour son approvisionnement d’être dépendant des seuls gazoducs. Ce conflit a confirmé la part croissante du GNL sur ce marché, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose pour le continent. Comme ne le sont pas davantage des prix soutenus du gaz pour les leaders africains: Algérie, Nigeria, Mozambique et, demain, Sénégal et Mauritanie.
Bien avant la crise ukrainienne, le prix du gaz naturel s’envole, faisant passer le million de BTU / British thermal Unit/ de 1,75 dollar en mars 2020 à 4,91 dollars en septembre 2021 aux Etats-Unis, ou encore de 5,58 dollars à 19,71 dollars, sur la même période en Europe. Si les cours du gaz naturel n’ont donc pas attendu la crise ukrainienne pour s’emballer, cette dernière va cependant en amplifier les cours et modifier les conditions de son approvisionnement pour les pays importateurs. Cette étude est donc consacrée aux conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour l’Afrique et son marché /production, importation, exportation, prix /de gaz naturel. Ce qui va nous conduire à rappeler, tout d’abord, les données générales de ce marché, aux niveaux mondial (I) africain (II), précisant ensuite les conséquences attendues de ce conflit pour le marché du gaz africain (III).
I. DONNÉES GÉNÉRALES SUR LE MARCHÉ MONDIAL DU GAZ NATUREL AVANT LE CONFLIT UKRAINIEN
A. Des réserves prouvées estimées à 198,8 billions de m3 en 2018, réparties à hauteur de 82 % entre 11 pays
Par réserves prouvées, il faut entendre les stocks de gaz naturel souterrains, disponibles pour l’exploitation, qu’elles soient déjà en cours d’exploitation ou seulement identifiées. Elles varient donc d’une année à l’autre, en fonction de la consommation qui les fait baisser, et d’éventuelles nouvelles réserves qui les fait augmenter. Ainsi, entre 2017 et 2018 les réserves prouvées vont augmenter de 5,3 billions de m3. Le tableau 1 ci-dessous regroupe les onze pays qui, par ordre d’importance décroissante détiennent 82 % des réserves prouvées mondiales en 2018. Source BP.
B. Une production mondiale avec 20 pays contrôlant plus de 85 % de la production
Le tableau 2 ci-dessous regroupe, par ordre d’importance décroissante, en pourcentage, les vingt pays qui, tous regroupés, contrôlent plus de 85 % de la production mondiale, en 2020. Si 20 pays contrôlent 85 % de la production mondiale de gaz, alors qu’onze (11), pas nécessairement les onze premiers en termes de production, en détiennent 82 %. Cela signifie que le marché de la production est moins concentré qu’on pouvait le penser à partir des réserves prouvées. Pour autant, comme nous allons le voir, deux pays (Etats-Unis et Russie) à eux seuls contrôlent plus de 40 % de la production mondiale, et 10 pays, à l’inverse, y contribuent individuellement à moins de 2 %. Enfin, le tableau 3 précise la répartition régionale, inter continentale de cette production, entre 7 grandes régions.
L’analyse du tableau 2 montre que plus de 40 % de la production mondiale avant la crise ukrainienne sont assurés par deux pays, les Etats-Unis et la Russie. Et parmi les dix premiers on trouve l’Algérie, avec 2 % de la production mondiale. Deux autres pays africains sont respectivement au rang quatorze, avec 1,5 %, l’Egypte, et au rang 16 le Nigeria, avec 1,3 %. Notons également un incontournable de ce marché, le Qatar, pays de 2 millions d’habitants dont les réserves le situent au quatrième rang mondial. Enfin, la comparaison entre le classement des Etats selon leurs réserves ou selon leur production est aussi instructive, si on prend les onze premiers pays producteurs :concernant les trois premiers (Russie, Iran et Qatar) ils sont deuxième, troisième et cinquième rangs des réserves mondiales, rien de plus normal donc, même constat pour la Chine ou l’Algérie respectivement au quatrième rang pour sa production avec des réserves au sixième rang et au onzième rang pour ses réserves et au dixième rang pour sa production. Par contre, comme souvent les Etats-Unis sont au premier rang mondial des pays producteurs, mais seulement au cinquième rang des réserves mondiales. Situation inverse pour le Turkménistan, seulement au treizième rang pour sa production, mais au quatrième rang des réserves mondiales.
Concernant la répartition régionale intercontinentale de la production, elle confirme les positions dominantes de l’Amérique du nord, de la CEI, du Moyen Orient et de l’Asie et à contrario la faiblesse de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique du sud.
C. Des cours mondiaux du gaz qui s’envolent dès janvier 2021, désolidarisant désormais des cours du pétrole
1. Des cours mondiaux qui s’envolent dès 2020
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les cours du gaz ne cessent de battre record sur record, laissant à penser que le conflit ukrainien en est à l’origine. C’est oublier que depuis mars 2020 ces cours connaissent une croissance quasi exponentielle, passant par exemple de 4 dollars en un an à 19 dollars sur le marché européen (septembre 2020-septembre 2021), bien avant donc le conflit ukrainien, avec une déconnexion des cours du gaz et du pétrole qu’il faut souligner. Notons, enfin, que cette flambée des prix est mondiale, observée sur ces trois grands marchés que sont ceux de l’Europe, de l’Asie et des Etats-Unis.
Les raisons de cet emballement, antérieures à la crise ukrainienne, permettent de mieux comprendre le fonctionnement d’un marché, de nature oligopolistique certes, mais s’éloignant chaque jour davantage des conditions de prix habituelles propres à ce marché. Pour la plupart des experts, cet emballement est la conséquence d’une triple conjonction: économique, climatique et aléatique.
• Economique tout d’abord, avec une reprise économique dynamique venant d’Asie, portée principalement par la Chine et la Corée du Sud. Et comme toujours en pareil cas, lorsque la demande explose, l’offre ne suit pas immédiatement, attendant pour y répondre un horizon de certitude quant à sa durabilité. Et, dans ce cas, si les premières demandes venant d’Asie vont trouver une offre, en gaz naturel liquéfié (GNL) répondant à leurs attentes venant des EtatsUnis et du Qatar, tel n’est pas le cas quand les signes de reprise se manifestent en Europe, quelques semaines plus tard, faute d’une offre suffisante, faisant flamber les cours. Ainsi, selon la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) l’Europe en juillet 2021 ne va recevoir que 13 tankers GNL, soit deux fois moins qu’en juillet 2020.
• Climatique, ensuite, avec le risque de séisme, conduisant à fermer progressivement, au plus mauvais moment, l’exploitation du gisement de Groningue, aux Pays- Bas, gisement souvent utilisé comme soupape de sécurité en cas de besoin. Climatique toujours, avec un hiver européen 2020, plus long et plus froid, consommant plus d’électricité, et un été très chaud aux Etats-Unis, entraînant un usage accru des climatiseurs, alimentés à 40 % par de l’électricité produite par des centrales à gaz.
• Aléatiques, enfin, comme l’incendie qui a frappé le gazoduc russe Yama-Europe, un des deux gazoducs de distribution de gaz russe vers l’UE, réduisant fortement ses livraisons, participant ainsi à un déséquilibre accru entre l’offre et la demande, contribuant à l’embellie des cours. Plus généralement, la crise ukrainienne va révéler les faiblesses de ce marché et en amplifier les conséquences. Parmi ces faiblesses, on retiendra celles liées à un manque d’investissement concernant la production, celles liées au mode d’approvisionnement de cette production et celles liées à l’absence de diversification de ses fournisseurs.
• Le manque d’investissements, justifié longtemps par des prix bas, pèse aujourd’hui sur l’offre. Comme le rappelle Thierry Bros, Professeur à Sciences Po, « si le secteur n’investit pas, sa capacité de production se ralentit en moyenne de 8 % par an ». Or depuis le début de l’épidémie, les investissements ont baissé, ce qui réduit la capacité de production alors que la demande est revenue à des niveaux d’avant la pandémie. De plus, la tentation est grande, lorsque les prix augmentent d’en profiter, en n’augmentant pas la production afin de soutenir cette embellie. Vision de court terme certes, mais trop souvent observée sur les marchés gaziers ces dernières années, à l’image de Gazprom, le géant russe qui, malgré la fin de la construction du gazoduc Nord Stream 2, décidait de ne pas augmenter pour autant, de façon significative, sa production.
• Si on considère un mode de distribution binaire, GNL et Gazoduc, on constate, au niveau mondial, une augmentation croissante du GNL, venant essentiellement du Qatar, des EtatsUnis et de l’Australie, seule façon pour ces pays de développer leurs exportations. Ce qui leur permet, tous les trois, de contrôler 50 % des exportations mondiales de GNL. Comme le GNL a un prix de revient supérieur à celui des gazoducs, cela contribue aussi à faire monter les cours.
• Celle, enfin, liée à l’absence souvent constatée de diversification de ses fournisseurs. A titre d’exemple, on rappellera que le Maroc importe quasi exclusivement du gaz algérien et que l’Allemagne importe l’essentiel de son gaz de Russie. En cas de difficulté avec un pays fournisseur, cela conduit à de nouveaux contrats, avec des prix revus à la hausse.
2. Des cours qui se désolidarisent des cours du pétrole
Longtemps en lien étroit avec les cours du pétrole, les cours du gaz s’en sont progressivement et régulièrement désolidarisés durant la dernière décennie. A la remorque du cours du pétrole au début du vingt et unième siècle, le marché du gaz, en part de marché énergétique s’en approche régulièrement et pourrait atteindre les 25 % du pétrole horizon 2035, si on en croit l’AIE. Principale raison de ce rapprochement : une sécurité assumée et une énergie moins polluante, avec moins d’émissions de CO2. Pour autant, des conditions d’utilisation et de transport différentes, un second souffle d’un marché dopé par le GNL conduisent à conforter et à accélérer cette désolidarisation.
• Des conditions d’utilisation et de transport différentes Pour beaucoup de consommateurs potentiels, le gaz dans son utilisation est plus dangereux que le pétrole, et ses conditions de transport le distinguent du pétrole, avec des cours qui explosent. On distingue aujourd’hui deux transports possibles, par méthanier avec le GNL, et par gazoduc. Par gazoduc, le coût du transport est estimé à 4/5 fois supérieur à celui du transport par pipeline. On en connait les causes: les gazoducs, pour des raisons de sécurité, sont généralement enterrés, avec des stations de compression tous les 120/150 kilomètres, afin d’assurer une meilleure circulation du gaz. Ajoutons que les gazoducs peuvent être terrestres, comme ceux qui composent le réseau russe, ou sous-marin comme ceux qui relient les gisements norvégiens aux terminaux européens ou à l’Afrique du Nord. Rien de bon marché ! Par méthanier pour le GNL, méthanier qui, outre un coût d’investissement élevé, suppose des installations portuaires adaptées pour le livrer et/ou le stocker. Sans oublier, bien sûr, les augmentations du gazole qui confortent cette augmentation.
• Un marché dopé par le GNL Marché contrôlé à 50 % par les Etats-Unis, le Qatar et l’Australie, répondant à un des aspects négatifs du gazoduc, à savoir être un moyen de transport de point à point. Celui des méthaniers est d’être de port à port, donc beaucoup plus souple, mais toujours plus coûteux. Ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, de donner un second souffle au marché du gaz.
II. DONNÉES GÉNÉRALES DU MARCHÉ DU GAZ AFRICAIN AVANT LE CONFLIT UKRAINIEN
Les données statistiques reprises dans ce document sont celles de l’AFREC (Commission Africaine de l’Energie) publiées dans une note d’orientation politique, consacrée au « gaz naturel dans le paysage énergétique africain », en juillet 2021.
A. Les réserves gazières africaines
L’évaluation des réserves gazières, africaines ou non, donnent toujours lieu à des incertitudes et à des différences selon les sources. Sachant que ces estimations varient d’année en année, les publications officielles, par exemple de l’OPEP, de l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) et de BP (British Petroleum) ne suivent pas nécessairement à la lettre le même calendrier annuel de référence. En volume, BP les estime à 14,7 trillions de m3, soit 8 % des réserves mondiales, au-dessus en % de celui de la production africaine de gaz, comparé à la production mondiale, de l’ordre de 6 % .(tableau 3).
1. Une répartition très variable selon les régions Le tableau 4, ci-dessous, précise cette répartition entre les différentes régions d’Afrique (de l’Ouest, du Nord, du Sud, du Centre et de l’Est, par ordre d’importance. :
Comme on peut le constater, l’Afrique du Nord détient un peu moins de 50 % des réserves du continent, suivie de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique du Sud, loin devant l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Est.
2. Une répartition où 7 pays concentrent 90 % des réserves du continent Le tableau 5 précise, par ordre d’importance, ces pays et leur montant en milliards de m3.
Le Nigeria est le pays qui détient les réserves les plus importantes d’Afrique, 30 % et 5500 milliards de m3, suivi de l’Algérie, 25 % et 4500 m3, et du Mozambique,15 % et 2800 m3. A eux seuls ces trois pays regroupent 70 % des réserves gazières du continent. Et si on y ajoute les réserves égyptiennes, libyennes, marocaines et camerounaises, on arrive à 90 % des réserves du continent. Ce tableau confirme enfin le rôle leader du Maghreb, avec 4 pays parmi les 7: l’Algérie, l’Egypte, la Libye et le Maroc. Un ratio important à analyser, celui du rapport réserves/production sur les dernières décennies. L’évolution de ce rapport a été estimée, pour les 30 dernières années par BP. Certes il diminue, passant de 110 ans en 1990 à 60 ans aujourd’hui. Ce qui montre que l’exploitation du gaz en Afrique progresse. Mais comparé aux autres régions du monde, le continent africain se situe au troisième rang, derrière le Moyen-Orient (110 ans) et la communauté des Etats Indépendants (75 ans). Ce qui montre aussi que le continent peut, s’il le souhaite, jouer un rôle de plus en plus important sur le marché mondial du gaz.
B-Une production qui progresse régulièrement, 87 % de cette production provenant de l’Algérie, de l’Egypte et du Nigeria
Entre 2000 et 2019, on passe de 5 300 000 térajoules3 à 8 700 000 térajoules en 2019 (AFREC), production record déjà atteinte en 2012. A partir de 2012, cette production va ralentir jusqu’en 2015 (7000 térajoules) pour ensuite repartir à la hausse régulièrement.
1. Une production régionale allant de 0 % à 71 % Le tableau 5 précise cette répartition, en distinguant toujours 5 territoires, par ordre d’importance décroissante.
L’analyse de ce tableau montre une contribution de l’Afrique du Nord à 71 %, suivie de celle de l’Ouest, à hauteur de 23 %, ces deux régions regroupant 94 % de la production continentale. Notons enfin que l’Afrique de l’Est, parmi les 5 régions, est la seule à ne pas en produire.
2. Une production par pays où trois d’entre eux assurent 87 % de la production totale
Dix huit pays produisent aujourd’hui du gaz en Afrique. On distinguera, comme le fait l’AFREC, les pays grands producteurs, les pays moyens producteurs et les pays petits producteurs.
Les pays grands producteurs Au nombre de trois (Algérie, Nigeria, Egypte), ces pays produisent en 2020 :4 000 000 de térajoules (Algérie),1 900 000 térajoules (Nigeria) et 1 800 000 térajoules (Egypte). Ces trois pays représentent à eux seuls 87 % de la production totale, l’Algérie en assurant à elle seule plus de 50 %.
Les pays moyens producteurs Au nombre de cinq (Libye, Angola, Mozambique, Tunisie, Côte d’Ivoire) ils produisent, par ordre décroissant:400 000 térajoules (Libye) ,150000 térajoules (Angola) 100 000 térajoules (Mozambique),100 000 térajoules (Tunisie et Côte d’Ivoire).Ces cinq pays représentent aujourd’hui 11 % de la production continentale, venant s’ajouter aux 87 % des pays grands producteurs.
Les Pays petits producteurs Au nombre de dix, ils participent à hauteur de 2 % de la production nationale. Par ordre alphabétique, ce sont: L’Afrique du Sud, le Cameroun, le Congo, le Gabon, le Ghana, la Guinée équatoriale, le Maroc, la République démocratique du Congo, le Sénégal et la Tanzanie. Un seul de ces pays dépasse les 40 000 térajoules, l’Afrique du Sud, proche des 60 000 térajoules, dont la production est loin de son niveau record de 2005, dépassant alors les 100 000 térajoules. Plus généralement, parmi les huit premiers pays producteurs de gaz du continent, trois ont connu, depuis 2010, une augmentation significative de leur production, progressant de plus de 50 %:l’Angola, le Mozambique et le Nigeria. A l’inverse, l’instabilité politique de la Libye a entraîné, depuis 2010, une baisse de l’ordre de 40 % de sa production.
C. Des exportations assurées à 86 % par l’Algérie et le Nigeria en 2020
1-Les sept pays exportateurs de gaz du continent africain en 2020
En 1970, deux pays africains étaient exportateurs de gaz: Algérie et Libye. Aujourd’hui, ils sont sept. L’Algérie et la Libye ont été rejoints par le Nigeria, le Mozambique, l’Angola, l’Egypte et la Guinée équatoriale. Le tableau 6 précise leurs contributions respectives en %.
L’analyse de ce tableau montre le recul de la Libye et la montée en puissance du Nigeria, de loin le premier pays exportateur du continent. Le Nigeria et l’Algérie représentent 86 % des exportations africaines.
2-Des exportations majoritairement à destination de l’Europe, de plus en plus privilégiant le gaz naturel liquéfié (GNL)
A l’origine, les exportations se faisaient par des gazoducs depuis l’Algérie et la Libye, à destination de l’Europe. Le recours au GNL va permettre à l’Algérie et à l’Egypte de conquérir de nouveaux marchés et au Nigeria et à l’Angola de commencer à exporter. Le tableau 7 précise la destination inter et intra continentale4 des exportations africaines de gaz, en 2019 (Source:analyse statistique de BP).
Ce tableau confirme que l’Europe est bien le premier destinataire des exportations de gaz du continent, avec 62 % du total, loin devant la Région Asie/Pacifique (23 %) et l’Afrique (exportations intra continentales-10%), regroupant à elles seules 95 % des destinations. Autre constat, celui d’une part croissante et désormais majoritaire du GNL/ : 62 % des exportations. A titre de comparaison, les exportations de GNL étaient inférieures à 50 % en 2001, mais vont progresser à partir de 2018 avec les exportations du GNL en provenance du Cameroun. Pour autant, si on regarde l’évolution mondiale des exportations du GNL, on constate que la part du GNL africain diminue, du fait d’une progression beaucoup plus rapide encore des exportations GNL du Qatar, de l’Australie et des Etats-Unis.
D. Un usage variable du gaz selon les pays
En Afrique, la production de gaz répond à deux objectifs: celui de produire de l’électricité et celui de répondre aux besoins des entreprises et des ménages, ce qu’on appelle « consommation finale ».En fonction de différences d’échelle dans leur production et de leurs besoins immédiats en électricité, ces 18 pays producteurs vont produire pour exporter, vont produire et importer, vont produire pour leur utilisation personnelle ou produire pour à la fois exporter et leur utilisation personnelle.
1. Approche globale: une répartition entre électricité et consommation Finale, stable autour de 60 % (électricité) 40 % (consommation finale)
Aujourd’hui, le gaz naturel, bien que combustible fossile, est considéré comme celui répondant au mieux aux critères d’énergie propre, avec des émissions de C02 très inférieures à celle du pétrole ou du charbon. Ce qui en fait l’énergie par excellence de transition, en attendant qu’il ne soit remplacé par des énergies renouvelables, totalement décarbonées. En 2006, la production de gaz était destinée à hauteur de 25 % à la production d’électricité,17 % étant réservée à la consommation finale et 58 % à l’exportation. Onze ans plus tard, en 2017, la part destinée à l’électricité progresse et atteint 38 %, celle destinée à la consommation finale des ménages et des entreprises, également, atteignant 27 %, faisant passer les exportations de 58 % à 35 % (source AFREC).
Sur la période 2006-2017, la part des exportations diminue, passant de 58 % à 35 %, alors que la production augmente. Ce qui signifie que le gaz africain est davantage consommé sur place, au sein du continent africain. C’est une bonne nouvelle. Concernant le rapport entre électricité et consommation finale, il reste stable un peu moins de 60 % en faveur de l’électricité en 2007, un peu plus de 58 % en faveur toujours de l’électricité en 2017. Cette tendance est celle déjà amorcée dès 2000, où 9 pays seulement utilisaient le gaz pour produire leur électricité, passant à 15 en 2010 et à 18 en 2018. A cette époque,16 de ces pays produisaient du gaz. Aujourd’hui, l’Angola utilise son propre gaz, étant devenu un pays « moyen producteur du continent », dans un premier temps, et le Bénin l’importe sur le marché africain pour produire de l’électricité.
2. Approche pays: quatre stratégies à préciser
L’usage fait par les 16 pays africains producteurs de gaz, dans le cadre de cette étude, met en évidence les quatre stratégies suivantes : produire pour exporter, produire pour sa consommation finale et exporter, produire pour sa consommation finale, produire et importer. Chacune de ces stratégies tient compte naturellement des environnements démographique, économique et socio-économique de ces pays.
a-La stratégie du tout exporter:
Nigeria, Mozambique, Guinée équatoriale Par stratégie du tout exporter, il faut entendre stratégie où l’essentiel de la production de gaz est exportée. Bien que disposant de réserves gazières très importantes, au neuvième rang mondial, le Nigeria exporte l’essentiel de sa production. On pourrait s’en étonner si on oublie que le géant africain, plus de 200 millions d’habitants, a des capacités de production et de distribution d’électricité très insuffisantes, ce qui rend l’usage du gaz pour la produire très problématique. De plus, la dépendance très élevée de son économie aux recettes pétrolières et gazières (80 % de ses recettes d’exportation) le pousse, à court terme, à exporter. Concernant le Mozambique, on est dans une configuration sensiblement identique depuis 2010 et les immenses ressources gazières découvertes au large de ses côtes, avec une différence majeure, celle d’être un pays de 31millions d’habitants. Reste la Guinée -équatoriale et son million quatre d’habitants, aux ressources gazières et pétrolières importantes et aux activités primaires et secondaires des plus modestes ,conduisant le pays à vivre sur ses recettes essentiellement pétrolières et gazières.
b-La stratégie mixte, produire pour sa consommation finale et exporter:
Algérie, Egypte Angola, Libye La présence de l’Algérie dans ce groupe est tout sauf une surprise, compte tenu de ses réserves de gaz et de pétrole, les plus importantes d’Afrique. Ajoutons que la dépendance de son PIB aux Hydrocarbures, de l’ordre de 50 %, confirme également une contribution de son gaz à l’économie intérieure du pays. Situation très différente de l’Egypte, pays de plus de 100 millions de personnes, qui dispose d’un potentiel gazier important à Zohret dont les maigres recettes d’exportations de son activité manufacturière conduisent le pays à exporter l’essentiel de son gaz. Avec l’Angola, on a un des pays pionniers du GNL, ce qui le conduit à exporter sa production de gaz. Et ce d’autant plus que son endettement public est très élevé, comme l’est le chômage ou comme le sont les inégalités sociales. Reste la Libye, pays qui comme l’Algérie dispose de très importantes réserves de pétrole et de gaz, mais qui, avec seulement 6 millions d’habitants, consacre une partie de sa production de gaz à sa consommation finale et à l’exportation.
c-La stratégie du tout consommer:
Cameroun, Congo, Sénégal, Gabon,Tanzanie et Côte d’Ivoire Par stratégie du tout consommer, il faut entendre des pays qui se satisfont de leurs ressources gazières, n’important pas de gaz. A l’exception de la Côte d’Ivoire, classée par l’AFREC pays moyen producteur, les cinq autres pays sont classés pays petits producteurs.
Pays de 27 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire est le premier pays producteur de cacao et de café, aussi la découverte d’hydrocarbures a été une bonne nouvelle pour un pays en plein essor trouvant sur place de quoi utiliser son gaz. Pays de 58 millions d’habitants, la Tanzanie dispose de richesses minières importantes, or et cuivre particulièrement. Depuis 2010, avec la découverte d’un important potentiel gazier, offshore, la Tanzanie fait partie des pays petits producteurs de gaz africain, ce qui explique pourquoi sa production gazière est consommée sur place. Situation comparable avec celle du Sénégal et du Cameroun. Le Sénégal avec ses 17 millions d’habitants dispose d’importantes réserves de gaz naturel au large de ses côtes, peu exploitées mais suffisamment cependant pour considérer le pays comme petit producteur de gaz africain, consommé sur place. C’est le cas également pour le Cameroun (27 millions d’habitants) qui dispose de ressources diversifiées, avec une économie qui peine à réduire une pauvreté qui touche 25 % de la population. Reste deux pays, le Congo et le Gabon, peuplés respectivement de 5 millions et de 2 millions d’habitants, disposant de ressources naturelles importantes dont le gaz. Le Congo consomme l’essentiel de son pétrole sur place, comme le Gabon.
d- Des pays producteurs et aussi importateurs:
Maroc, Tunisie,Ghana, Afrique du Sud, RDC Parmi ces cinq pays, un seul est classé « moyen producteur », la Tunisie, les quatre autres (Afrique du Sud, Ghana, République démocratique du Congo, Maroc) étant classés « petits producteurs ». La Tunisie, pays de 12 millions d’habitants, dispose de ressources gazières significatives à l’échelle du pays, mais insuffisamment exploitées pour répondre aux besoins d’une économie en voie de diversification. Ce qui place le pays en situation d’importation de gaz. Situation différente en Afrique du Sud, pays de 60 millions de personnes, disposant de ressources de charbon importantes, alimentant principalement les centrales électriques du pays. A l’échelle du pays, les ressources gazières sont faibles, l’obligeant à importer du gaz pour répondre aux coupures fréquentes d’électricité. Situation différente au Ghana, pays de 31 millions d’habitants aux importantes ressources gazières, avec des lacunes importantes avec ses infrastructures, ne lui permettant pas d’exploiter encore pleinement ses ressources gazières, d’où sa position importatrice dans le domaine du gaz. Pays de 90 millions d’habitants, la République Démocratique du Congo, compte tenu de ressources gazières modestes à l’échelle du pays, parmi les plus pauvres du continent avec un PIB par habitant de 544 dollars, se trouve donc logiquement en position importatrice de gaz naturel. Le Maroc, enfin, avec ses 36 millions d’habitants, dispose d’un potentiel gazier significatif qui progresse, dans un pays leader des énergies renouvelables du continent. Mais pour alimenter ces centrales thermiques au gaz, préféré au charbon quand cela était possible, le royaume doit l’importer, essentiellement de l’Algérie.
III. CONSÉQUENCES ET ENSEIGNEMENTS À TIRER DE L’INVASION DE L’UKRAINE PAR LA RUSSIE POUR LE MARCHÉ DU GAZ AFRICAIN
Le marché du gaz africain est bien sûr affecté par la guerre de la Russie en Ukraine. Guerre qui va modifier considérablement la capacité à produire et à exporter le gaz russe en Europe, par exemple, conduisant la Russie à diversifier davantage sa clientèle, pour compenser l’abandon programmé du gaz russe à destination de l’UE, jusqu’alors son principal client. Peu importe que cela soit le pays exportateur qui refuse désormais tout paiement en euro, ou l’UE qui souhaite tourner la page de Nord Stream II, au titre des sanctions économiques imposées à la Russie, le résultat incontestable de cette situation est la désorganisation du marché mondial du gaz, se traduisant par exemple par l’embellie de son cours. Aussi, dans cette troisième et dernière partie de cette étude nous verrons tout d’abord quelles sont les conséquences de ce conflit pour le marché du gaz africain et son approvisionnement (A). Ce qui nous permettra ensuite de préciser, compte tenu de ces nouvelles conditions de marché, quels sont les pays du continent qui vont le plus en bénéficier (B).
A. Un continent qui ne devrait pas manquer de gaz, des cours gaziers soutenus à moyen terme, des fournisseurs et des techniques d’approvisionnement (gazoduc et liquéfaction ) à diversifier
La guerre en Ukraine peut-elle conduire le continent à manquer de gaz ? Quel en sera le prix à payer pour le consommateur africain ? Quel support privilégier (pipeline ou méthanier) pour son approvisionnement ? Ces trois interrogations sont directement et indirectement induites par la désorganisation du marché mondial du gaz, suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
1-Un continent qui ne devrait pas manquer de gaz
Malgré la désorganisation du marché mondial du gaz, le continent africain ne devrait pas en être pour autant affectépour trouver le gaz dont il a besoin. Et ce pour les trois raisons suivantes: l’Afrique ne dépend nullement aujourd’hui du gaz russe. Les besoins en gaz du continent, à court et moyen termes, sont « toutes choses égales par ailleurs » beaucoup moins importants que ceux d’autres continents. Il existe aujourd’hui en Afrique une offre potentielle capable de répondre à ces besoins. Revenons sur ces deux derniers constats :les besoins de l’Afrique en gaz sont moins importants que ceux d’autres continents. Il existe en Afrique une capacité continentale à les satisfaire.
• En Afrique, l’essentiel du gaz est utilisé pour la production d’électricité. Certes la part de l’électricité produite à partir du gaz ne cesse d’augmenter, dépassant maintenant les 40 %, mais semble désormais se stabiliser. C’est pourquoi, même si elle progresse, la plupart des experts estiment que cette progression sera modeste. Précisons que pour qu’elle augmente cela nécessitera un renforcement du réseau gazier, ce qui va prendre du temps.
• Le continent dispose d’une capacité d’augmentation de son offre en gaz naturel importante, compte tenu des réserves gazières de l’Algérie et du Nigeria qui, à eux deux, représentaient, en 2018, 86 % des exportations africaines de Gaz. L’Algérie, 58 % des exportations africaines, a déjà fait offre de service à l’UE, pour compenser éventuellement une rupture d’approvisionnement de gaz provenant de Russie, en réponse aux mesures prises pour sanctionner son économie suite à l’invasion de l’Ukraine. Précisons également que l’Algérie dispose, ce qui est rare en Afrique, à la fois de différents gazoducs et de ports capables de transporter le GNL. Concernant les gazoducs, on en recense pas moins de trois à partir de Hassi R’mel, le plus grand centre de gaz naturel du pays: le GME (gazoduc Gaz Maghreb Europe), traversant le Maroc jusqu’à Cordoue en Espagne; le gazoduc MEDGAZ, reliant le port algérien de Béni Saf à Almeria; et le gazoduc Trans Med, traversant la Tunisie à destination de l’Italie via la Sicile. Le Nigeria, 28 % des exportations africaines, dispose des réserves gazières les plus importantes du continent, voit ses exportations progresser régulièrement depuis 2010, et pourrait en cas de besoin accélérer encore cette progression. Enfin, pour les ports africains capables d’accueillir des méthaniers, l’accès au gaz algérien ou gaz nigérian, sur le plan technique, ne pose pas de problème. Et en cas de besoin, le Mozambique, la Mauritanie et le Sénégal pourraient eux fournir du gaz aux pays africains qui en feraient la demande, essentiellement sous forme GNL.
2-Un continent qui devra accepter de payer un prix du gaz durablement soutenu Le prix mondial du Gaz est bien sûr celui qui s’appliquera aux pays importateurs de gaz du continent. Comme rappelé déjà, sur les cinquante-quatre pays que compte l’Afrique, dix-huit seulement produisent aujourd’hui du gaz, trois étant considérés comme des pays grands producteurs, cinq étant des pays moyens producteurs et dix des pays petits producteurs. Trente-six pays sont donc des pays considérés, aujourd’hui, comme totalement dépourvus de gaz, étant obligés de l’importer pour répondre si nécessaire à leurs besoins. Bien qu’énergie fossile, le gaz naturel est considéré comme une ressource énergétique propre, rejetant une faible quantité de CO2. Ce qui en fait l’énergie idéale pour beaucoup de la transition énergétique. C’est pourquoi on constate une demande croissante du gaz naturel sur les marchés mondiaux, et plus particulièrement concernant le GNL, dont la demande augmente beaucoup plus vite que celle du gaz naturel non liquéfié. Désormais incontournable de la filière gazière, le GNL permet aux pays équipés pour le re-gazéifier, d’accéder à cette énergie non renouvelable, mais très peu polluante. Précisons aussi que la technique de liquéfaction à moins 160 degrés son volume d’un facteur 600 kilos de gaz devenant un kilo de GNL, avec le même pouvoir calorique. Ce qui permet d’en réduire les coûts de transport par voie maritime, où le volume est contraint par la taille des méthaniers. En Afrique, depuis 2016, les exportations de GNL progressent chez les pays africains exportateurs de gaz, mais la part de l’Afrique sur le marché mondial du GNL diminue sous l’impulsion du Qatar, des EtatsUnis et de l’Australie qui, à eux seuls, représentent plus de 50 % du marché mondial, à comparer aux 12 % des exportations africaines de GNL. C’est pourquoi le prix du gaz, à moyen terme, devrait au mieux rester à son niveau d’avant la crise ukrainienne, et ce pour les raisons suivantes :
• une demande en augmentation constante ne peut que faire pression sur les marchés pour maintenir son cours à son niveau de septembre 2021, et ce d’autant plus que la demande en GNL est celle qui tire le marché vers le haut ;
• un approvisionnement en GNL qui coche pratiquement toutes les cases des coûts de production et de transport à la hausse: le GNL, ce sont des installations sur site d’exploitation coûteuses, ce sont des méthaniers souvent alimentés en gazole, dont les cours eux aussi s’envolent, ce sont des installations portuaires nécessitant des investissements lourds, installations portuaires souvent défaillantes, voire inexistantes en Afrique ;
• enfin, ne pas oublier que le gaz n’est pas une énergie renouvelable, en en faisant le combustible de la transition énergétique, on réduit la période de son utilisation à 30/40 ans, et durant cette période, plus on épuise la ressource, plus on justifie des prix revus régulièrement à la hausse. Pour le continent africain, pour les pays d’Afrique subsaharienne, principalement, le risque n’est pas de manquer de gaz, mais de n’avoir pas les ressources financières pour l’acheter à n’importe quel prix. Ce qui pourrait conduire certains pays d’Afrique australe à continuer à faire fonctionner leurs centrales thermiques au charbon dont ils disposent localement.
3-Un continent qui doit diversifier ses fournisseurs et ses sources d’approvisionnement La probable mise à l’arrêt forcé de Norstream II, suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, illustre cette nécessité de diversifier ses fournisseurs et de ne pas privilégier le seul approvisionnement par gazoduc. Même conclusion avec la décision d’octobre 2021 du gouvernement algérien de ne pas reconduire le contrat GME avec le Maroc. Une des premières leçons à retenir de l’invasion de l’Ukraine par la Russie concerne la dépendance à un seul fournisseur et à une seule technique de transport, en l’occurrence ici le gazoduc. Pour les Allemands, la transition énergétique imposait de fermer la page du nucléaire et de choisir le gaz comme source énergétique de la transition climatique. Et pour cela, on va construire le gazoduc Nord Stream 2, destiné à doubler la capacité de transport de gaz russe. Ce projet consiste en deux lignes de gazoduc, longeant Nordstream I, reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique, et un trajet soumarin de 1230 kilomètres. Ce projet, de l’ordre de 9 milliards d’euros, financés à parts égales par Gazprom et cinq sociétés européennes, dont deux allemandes, va susciter de nombreuses réserves, tantôt américaines, tantôt venant d’Europe centrale. Malgré les sommes considérables engagées et la fin des travaux officialisés fin 2021, ce projet risque fort de rester à l’état de projet terminé. La guerre russo-ukrainienne est passée par là, conduisant par exemple l’Allemagne, dépendante pour son approvisionnement en gaz à 80 % de la Russie, à rechercher d’autres fournisseurs et à s’équiper de terminaux GNL pour accueillir, en réponse éventuellement à l’embargo européen sur le gaz russe, décidé dans le cadre des sanctions économiques imposées à la Russie, le GNL norvégien et /ou américain, pour respecter les sanctions. Ce qui était inimaginable il y a encore quelques mois est devenu une triste réalité, dont la première leçon à tirer est d’inciter les pays dépendants du gaz à diversifier ses fournisseurs et à équiper leurs ports, s’ils ont une frontière maritime de terminaux GNL, même s’ils ont accès à des gazoducs. Même constat cette fois observé sur le continent africain, avec la décision unilatérale des autorités algériennes de ne pas renouveler le contrat GME avec le Maroc. Contrat GME signé entre les deux pays depuis1996 permettant au Maroc d’importer la totalité du gaz dont il a besoin à des conditions avantageuses et de bénéficier de la redevance transit, estimée à 50 millions de dollars, payés en gaz, le gazoduc GME traversant le Royaume jusqu’à Cordoue, en Espagne. Compte tenu de cette dépendance à 100 % vis à vis de l’Algérie, il fallait une réponse immédiate, ce sera le cas le 3 février 2022 avec l’accord signé avec l’Espagne, permettant l’utilisation en sens inverse du gazoduc GME, à partir de l’Espagne et utilisant du GNL acheté sur les marchés internationaux, re-gazéifié dans une unité de regazéification espagnole et alimentant le GME pour sa partie marocaine. Précisons également que les autorités marocaines en ont profité pour diversifier leurs fournisseurs en signant fin novembre 2021 un contrat Sound Energy, prévoyant la fourniture de 350 millions de m3 de GNL pendant 10 ans, conduisant à accompagner ce contrat de construction d’un terminal GNL dans le port de Mohammedia, près de Casablanca.
B. Les principaux pays bénéficiaires de cette embellie des cours du gaz
Parmi les pays qui bénéficient le plus de cette embellie des cours gaziers et de l’augmentation de la demande, on distinguera ceux qui font partie des pays grands producteurs de ceux qui peuvent tirer profit de cette embellie pour mieux exploiter des ressources gazières encore aujourd’hui sous exploitées.
1-Deux pays classés grands producteurs du continent:
a-L’Algérie, leader incontesté du marché du gaz africain
L’Algérie est le leader incontesté du marché du gaz africain. Quelques chiffres le rappellent: au premier rang des producteurs africains, avec une production représentant 2 % de la production mondiale, loin devant le Nigeia,1,3 % de la production mondiale. Mais aussi au deuxième rang des réserves africaines, avec 4,3billions de m3, juste derrière le Nigeria, 5,4 billions de m3. A joutons également que l’Algérie dispose du plus important réseau gazoduc du continent, lui permettant d’être la tête de pont du gaz africain à destination de l’Europe. La flambée des cours gaziers ne peut donc être que tout bénéfice pour l’Algérie, lui permettant de se reconstituer une trésorerie et de relancer le gazoduc transsaharien de 4000 km, s’étendant du Nigeria jusqu’en Algérie, en passant par le Niger.
Ce projet est censé connecter les champs de production et d’extraction nigérians aux pipelines algériens et au marché européen. Projet ancien remontant aux années 1980, connu aussi sous le nom de projet TSGP /Trans Saharan Gaz Pipeline /signé dès 2009 à Abuja. L’embellie des cours du gaz, à supposer qu’elle se confirme dans le temps, permet à ce projet d’être de nouveau d’actualité.
b-Le Nigeria: un second qui a tout pour être un leader
Avec les réserves prouvées les plus importantes du continent -5,4 billions de m3 /an, au deuxième rang de la production du continent, loin cependant derrière l’Algérie, toujours au deuxième rang des pays exportateurs de gaz africain, avec 28 %, toujours loin derrière l’Algérie (58 %-, celui qu’on surnomme le géant africain a tout pour être le principal bénéficiaire de ce printemps gazier. Pour autant, le pays a aujourd’hui plusieurs défis à relever, démographique et industriel, d’abord. Démographique pour un pays de plus de 200 millions d’habitants, dont la population devrait doubler à l’horizon 2050. Industriel, où l’activité demeure essentiellement agricole et où les coupures d’électricité sont le quotidien d’une grande partie de la population. Ce qui explique que l’essentiel de la production de gaz est tournée vers l’exportation. Comme avec l’Algérie, le pays a entériné la construction d’un gazoduc, cette fois avec le Maroc. Projet entériné en décembre 2016, à l’occasion d’une visite royale de Mohammed VI à Abuja. D’une longueur totale de quelques 5000 kilomètres, ce qui en ferait le plus long des gazoducs du continent, ce projet s’inscrit dans la continuité du « West African Gas Pipeline », reliant depuis 2010 le Nigeria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo. Projet qui au minimum devrait nécessiter une enveloppe budgétaire de plus de 10 milliards de dollars. A terme, horizon 2050, il concernera plus de 500 millions d’habitants et apparaît dès maintenant comme un projet accélérateur de l’électrification de l’Afrique de l’Ouest, répondant à un besoin croissant de l’Europe, amplifié depuis l’invasion de l’Ukraine, de diversifier ses sources d’énergie, mettant fin au monopole algérien de l’exportation de gaz vers l’Europe. L’embellie des cours gaziers, mais aussi pétroliers, ne peut donc qu’être profitable à ce projet. Reste que la balle est aujourd’hui dans le camp Nigérian qui devra choisir entre un partenariat algérien ou un partenariat marocain, étant peu réaliste d’imaginer qu’ils puissent mener de pair ces deux projets.
2-Trois pays aux ressources sous-exploitées:
a-Le Mozambique, futur Eldorado africain
Avec des ressources gazières estimées à 4,8 milliards de m3, guère moins que celles du Nigeria, le Mozambique regroupe les plus grandes réserves de gaz d’Afrique de l’Est, région la moins pourvue du continent (tableau 5). Ses réserves se situent dans la province de Gago Delgado, sur deux blocs off-shore. Leur exploitation va mobiliser des investissements considérables, estimés aujourd’hui à 55 milliards de dollars pour les seuls projets gaziers (source IFRI). Depuis juin 2019, l’Américain Anardako porte le projet « Mozambique GNL », évalué à 25 milliards de dollars, comprenant le pompage du gaz, son acheminement par pipeline vers une unité de liquéfaction implantée à Palma, le GNL étant ensuite exporté par bateau méthanier. Début 2020, Anardako est repris par Occidental Pétroleum, et en septembre 2020 TOTAL annonce avoir finalisé l’achat des parts d’Anardako dans « Mozambique GNL » pour un montant de 3,9 milliards de dollars. Désormais, le projet est en ordre de marche et les premières livraisons sont attendues pour 2024, au rythme annuel de 12 millions de GNL. A terme, d’ici 2030, les plus optimistes prévoient de voir cette production atteindre, voire dépasser les 50 millions de tonnes annuellement. Nul doute que l’embellie des cours, ainsi qu’une augmentation mondiale de la demande en GNL y soient pour beaucoup dans cette prévision qui placera le Mozambique, toutes choses égales par ailleurs, dans le 10 mondial des producteurs de GNL.
b-Un projet Sénégalo-Mauritanien dont l’exploitation pourrait démarrer en 2023
Ce projet, c’est celui du GTA (Grande Tortue Ahmeyin) dont les réserves estimées à 1400 milliards de m3 s’étendent de part et d’autre de la frontière maritime du Sénégal et de la Mauritanie, faisant de ce projet un des plus importants en cours de réalisation, avec des recettes attendues estimées à 80/90 milliards de dollars sur 20 ans. Recettes que ces deux pays ont accepté de se partager. C’est un projet issu de la liquéfaction de gaz de gisement ultra profond et qui a nécessité des investissements conséquents. Il est piloté par BP, qui après avoir racheté la majorité des parts du projet à l’américain Kosmos Energy, en décembre 2016, vient d’investir plus de un milliard de dollars, pour la première phase du projet qui en compte 3, première phase achevée aujourd’hui à plus de 60 %, ce qui permet d’espérer les premières livraisons de m3 en 2023, d’un gisement situé en eau profonde à 65 kilomètres des côtes, au nord-ouest de Dakar. D’autres investissements, à hauteur de 3-4 milliards devraient accompagner les phases 2 et 3 de ce projet, sur une durée d’exploitation de trente ans. Là, encore, l’embellie des cours gaziers tombe au meilleur moment, pour un projet qui, il faut le souligner, a été initié bien avant le conflit ukrainien.
CONCLUSION GÉNÉRALE/RECOMMANDATIONS
La lutte contre le réchauffement climatique a fait du gaz l’énergie à privilégier pour la période dite de la transition énergétique. C’est, bien sûr, une chance pour les pays qui en détiennent dans leur sous- sol, et à ce titre l’Afrique est loin d’être le continent le moins bien loti, avec des réserves nigérianes et algériennes respectivement au top 10 et au top 1I mondiaux. Longtemps à la remorque des cours pétroliers, les cours gaziers ne permettaient pas de financer les investissements conséquents nécessaires à l’exploitation de réserves de moins en moins accessibles, principalement en ce qui concerne les exploitations gazières offshore. Le conflit ukrainien va confirmer et accélérer une embellie des cours amorcée dès 2020, permettant de se projeter dans les moyen et long termes. Cette étude montre que le continent africain pourrait bien être un de ceux qui pourrait tirer le meilleur bénéfice de cette embellie, permettant à des projets fédérateurs, comme celui reliant le Maroc au Nigeria, de retrouver vie et actualité. Mais cette période difficile est celle des leçons à tirer, nous en retiendrons deux sous forme de recommandations :
• La première concerne la nécessité de diversifier ses fournisseurs, en ne confiant pas à un seul pays la responsabilité de son indépendance énergétique.
• La seconde concerne la technique d’approvisionnement: pipeline et ou GNL. Là, encore, les conséquences de ce conflit sont éclairantes, si on veut bien se rappeler que l’Allemagne est très peu pourvue en installations portuaires GNL. Aussi, partout où on a une façade maritime, il faut accompagner les ports concernés d’installations GNL, cette recommandation vaut bien sûr et surtout dans le cadre de cette étude pour l’Afrique.
Par Henri-Louis Vedie