« Promouvoir une exploration approfondie et variée de notre Afrique »
Pour Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées du Maroc
Président de la Fondation nationale des musées du Maroc, Mehdi Qotbi en dresse les challenges, relevés ou à venir, marocains et continentaux.
Alors que la question muséale est devenue de plus en plus prégnante à travers le continent africain, la Fondation nationale des musées du Maroc célèbre ses 12 ans d’existence. Dans un jeu de miroirs temporels où l’histoire tient une place centrale, le royaume chérifien va célébrer la 24e Fête du trône de son souverain actuel : Mohammed VI. Un moment particulièrement fort, donc, pour parler des musées et de leur apport dans l’édifice de la mémoire collective et dans leur capacité à être parmi les meilleurs témoins et gardiens du temps. Officier de l’Ordre du trône, également récipiendaire de plusieurs décorations françaises, dont la dernière de grand officier du mérite national décernée par le président de la République française, premier président de la Fondation nationale des musées du Maroc, Mehdi Qotbi partage, dans cet entretien, au-delà du bilan des actes posés par son institution depuis ses débuts, sa conviction de l’apport incommensurable des musées pour les populations, son engagement pour la multiplication des échanges entre musées en général, entre musées africains en particulier, enfin sa conscience de l’utilité de la restitution des œuvres d’art aux pays d’origine.
Le Point Afrique : Pourquoi est-il pertinent de s’interroger et d’agir aujourd’hui en Afrique sur la question muséale ?
Mehdi Qotbi : L’Afrique, en tant que berceau de l’humanité, abrite une richesse inestimable d’héritages ancestraux, de traditions et de savoirs qui méritent d’être préservés, valorisés et transmis. C’est là que les musées trouvent leur raison d’être, car ce sont les gardiens du temps, de notre mémoire collective, et des fenêtres ouvertes sur notre passé, notre présent et notre avenir.
La question muséale en Afrique s’impose, aujourd’hui, au centre des priorités pour faire rayonner la culture de notre continent à l’échelle mondiale. En investissant dans la conservation, la formation, la recherche et la mise en valeur du patrimoine africain, nous célébrons notre identité commune, où chaque Africain peut puiser dans ses racines pour mieux comprendre et transmettre son histoire. La richesse patrimoniale de l’Afrique est une source d’inspiration pour le monde, et les musées jouent un rôle important. C’est pourquoi il est essentiel de poursuivre cette politique de développement culturel.
Il y a 12 ans, la fondation que vous présidez était portée sur les fonts baptismaux. Quel chemin a été parcouru depuis ?
Au cours des vingt-quatre ans de règne de Sa Majesté le roi Mohammed VI, le Maroc a connu une transformation remarquable qui a propulsé le pays vers les sommets de l’excellence dans tous les domaines, y compris le domaine muséal. Depuis sa création, il y a 12 ans, la Fondation nationale des musées (FNM) a parcouru un chemin riche en réalisations et contributions au rayonnement culturel au Maroc et à l’étranger. Elle se place aujourd’hui comme une institution culturelle de référence, grâce à la vision éclairée de Sa Majesté.
Les musées ont désormais franchi une nouvelle étape marquée par une volonté de s’ancrer dans chaque ville et région du royaume pour permettre aux Marocains de découvrir et de s’approprier leur riche patrimoine. Des musées ont ouvert presque partout – à Tanger, Tétouan, Marrakech, Rabat, Safi, Meknès, Agadir et Azilal – et d’autres ouvriront à Fès et dans d’autres villes du Maroc.
Comment peut-on qualifier la réaction des populations face aux initiatives prises dans le champ muséal ?
Dans la rue, il m’arrive de croiser des gens qui expriment unanimement leur profonde reconnaissance envers Sa Majesté le roi d’avoir donné la possibilité aux Marocains de visiter des musées de qualité par la mise en valeur de leur patrimoine. Cet élan de reconnaissance témoigne aussi de cet impact positif ressenti auprès du public.
Tous nos espaces muséaux suscitent un vif engouement et attirent les visiteurs de tous âges, dépassant même nos attentes ; 65 % de nos visiteurs sont des jeunes. Nous sommes ravis de voir les yeux des petits et grands fascinés devant la beauté des bâtiments et des expositions. Ce qui renforce notre engagement et nous encourage à poursuivre nos efforts pour la diffusion et la démocratisation de l’art et de la culture pour continuer à fidéliser un public de plus en plus large.
Au-delà de la variété des thèmes et des contenus des musées, il y a leur capacité à recevoir des expositions internationales d’œuvres d’envergure venues de collections d’autres grands musées mais aussi de celles de personnes privées. Comment la question des normes est-elle abordée au sein de la fondation ainsi que dans les échanges avec les autres musées ?
Pour qu’une culture prospère et s’épanouisse, elle doit constamment s’ouvrir aux autres et à l’environnement international. Consciente de ce fait, la FNM a établi des collaborations avec des institutions sur le plan mondial afin de créer des liens pour maintenir un climat de confiance propice à des coopérations fructueuses. Cela a permis l’organisation de grandes expositions, présentées pour la première fois sur le continent et dans le monde arabe, comme celles de Giacometti, Picasso, Delacroix, Goya, Renoir, Monet, Manet, Van Gogh…
De plus en plus de généreux mécènes soutiennent la fondation par des dons et contribuent à enrichir nos collections, offrant ainsi des expériences exceptionnelles aux visiteurs. Nous recevons des collections ainsi que de grandes expositions internationales où la question des normes est prise avec une approche rigoureuse. Cela implique une coordination minutieuse pour assurer que les œuvres d’art soient transportées, conservées et exposées dans les meilleures conditions.
Nous sommes heureux de continuer à offrir des expositions de qualité et accessibles à tous. Les partenariats mis en place se nourrissent d’un engagement mutuel pour favoriser la formation, le partage d’expertise et la création d’un lien durable.
Concrètement, comment les musées marocains collaborent-ils avec ceux des autres pays africains ?
Dans le sillage du discours de Sa Majesté le roi Mohammed VI lors du 28e sommet de l’Union africaine et de la dynamique nationale engagée pour le développement continental, la FNM s’est engagée à partager son expérience et son expertise avec les musées africains.
Le Maroc est la porte d’entrée en Afrique. Dans ce cadre, plusieurs expositions ont été organisées, comme « L’Afrique en capitale », « Lumières d’Afriques », « L’Afrique vue par ses photographes, de Malick Sidibé à nos jours », « Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui : de la restitution à la révélation. Volet contemporain ». Elles ont toutes contribué à faire connaître la créativité vibrante et contemporaine de tout un continent.
L’idée centrale est de promouvoir une exploration approfondie et variée de notre Afrique afin de mieux comprendre et appréhender sa richesse culturelle. Le Maroc occupe une place particulière dans cette initiative grâce à son savoir-faire reconnu en matière de préservation et de conservation du patrimoine. Ce qui nous motive à partager nos connaissances pour une meilleure compréhension de notre histoire commune. À travers ces collaborations, nous espérons favoriser l’émergence d’une conscience collective continentale, et construire ensemble un avenir culturellement prometteur et épanouissant.
Quel regard posez-vous sur la restitution des objets culturels aux pays africains ?
Le sujet de la restitution des objets culturels est au cœur de l’actualité et semble être repensé dans plusieurs pays qui revendiquent le retour de leur patrimoine. Je pense que cette question est essentielle pour préserver la mémoire collective de l’Afrique, permettre de rétablir les liens culturels et transmettre une histoire plus complète aux générations futures. En rendant ces objets à leur contexte, cela permet de reconstruire l’héritage africain dans toute sa richesse et sa diversité afin de favoriser une compréhension plus profonde du passé, ouvrant ainsi la voie à une meilleure appréhension du présent et du futur.
Quels sont les axes de développement que vous comptez mettre en chantier prochainement ?
Portée par une vision résolument tournée vers l’avenir, sous l’impulsion de Sa Majesté le roi Mohammed VI, la FNM s’apprête à franchir de nouveaux horizons. Forte de ses réalisations passées, elle nourrit l’ambition de poursuivre ses missions pour faire rayonner le patrimoine culturel marocain.
La fondation projette d’ouvrir prochainement le musée national du Football à Rabat, le musée Al Batha de l’art de l’islam et le musée de la Mémoire juive, à Fès. Un futur complexe muséal sera installé au cœur de Rabat et abritera un centre de conservation du patrimoine, un laboratoire, une résidence d’artistes, un centre de formation panafricain dédié aux métiers de la conservation et de la restauration, et deux nouveaux musées qui viendront enrichir la palette muséale du royaume : un musée dédié au continent et un autre, à la ville de Rabat. Enfin, à la FNM, nous partageons cette passion pour le développement de la culture qui anime notre quotidien. Puissions-nous rester constamment inspirés et guidés par la lumière de l’art pour l’épanouissement culturel.
Propos recueillis par Malick Diawara (Le Point Afrique)