Mathieu Pellerin, expert de Crisis Group s’est penché sur l’aggravation de la sécurité au Burkina Faso suite à l’assaut sur Djibo. Le chercheur a notamment révélé des défaillances militaires ayant conduit à une centaine de morts dont des civils, des soldats et des paramilitaires.
Mathieu Pellerin rappelle que le 11 mai, la principale insurrection djihadiste du Burkina Faso, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), a attaqué et temporairement pris le contrôle de la ville de Djibo, dans le nord du pays. La province du Soum, où se trouve Djibo, est un bastion du JNIM depuis 2015, et bien que le groupe bloque la ville depuis 2020 et la fasse régulièrement valoir, l’ampleur de l’offensive était sans précédent.
Selon l’expert, cet assaut a été particulièrement vicieux. Des sources indiquent à Crisis Group que le JNIM a tué plus d’une centaine de civils, de soldats et de paramilitaires. Les djihadistes ont également enlevé des dizaines de soldats et de civils, dont des femmes. Des vidéos du JNIM sur les réseaux sociaux montrent des insurgés pillant et détruisant le camp militaire, la gendarmerie et le quartier général de la police de Djibo. Des membres du groupe djihadiste ont également incendié un centre médical, une pharmacie et un marché, pillant des stocks de nourriture rares.
Mathieu Pellerin souligne que le JNIM a occupé Djibo de 5 heures à 14 heures, soit plus longtemps que la précédente offensive contre la ville le 26 novembre 2023. Les autorités burkinabè ont dépêché un avion de chasse, mais celui-ci a fait demi-tour face aux tirs du JNIM. Pour des raisons inconnues, l’armée n’a pas utilisé ses drones armés. Après la décision du JNIM de se retirer, les autorités ont déployé des dizaines de soldats dans la ville à l’aide d’hélicoptères, que le gouvernement a depuis repris. Mais sans véhicules, artillerie ou avions, ces troupes restent vulnérables aux attaques du JNIM alors que la pression djihadiste sur Djibo se poursuit. Dans une vidéo diffusée deux jours plus tard, Ousmane Dicko, le numéro deux de la branche burkinabé du JNIM, a exhorté les civils à évacuer la ville.
Par ailleurs, le chercheur rappelle que depuis le début de l’année 2025, le Burkina Faso connaît des assauts quotidiens de la part du JNIM, entraînant des pertes record en vies humaines et en équipements militaires. Ce groupe, créé en 2017 et opérant dans tout le Sahel central, a fait du Burkina Faso une cible de choix, mobilisant même des renforts depuis le Mali. Il a également commencé à s’en prendre aux zones urbaines, affichant de manière inquiétante une photo de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, dans la vidéo mentionnée ci-dessus. La lutte pour le contrôle des villes représenterait un changement stratégique majeur pour le groupe, qui ciblait principalement les villages et les petites villes jusqu’à récemment. Deux jours après l’offensive de Djibo, le JNIM a attaqué et pris temporairement le contrôle de la ville de Diapaga, dans la région de l’Est.
Malgré la rhétorique d’autosatisfaction du gouvernement sur ses victoires sur le djihadisme, cette série d’attaques a montré à quel point le régime militaire, qui est arrivé au pouvoir en 2022, doit ajuster de toute urgence son approche militaire pour vaincre les insurgés. Les autorités n’ont pas encore réagi à cette agression, mais des militants alignés sur le régime ont reconnu la bataille sur les réseaux sociaux. Conformément à la propagande gouvernementale, ils affirment que l’armée a mis en déroute les djihadistes.
Pour finir, Mathieu Pellerin souligne qu’il est inquiétant de constater que les forces armées pourraient aggraver les dégâts en cherchant à se venger des civils vivant près de Djibo. Ils ont pris pour cible ces communautés, soupçonnées de complicité avec les djihadistes à la suite de l’attaque de novembre 2023. L’armée a également massacré des centaines de civils dans des circonstances similaires ailleurs. Pourtant, chaque nouveau massacre n’a fait qu’alimenter le recrutement de djihadistes.
Awa BA