À la suite de l’adoption de l’accord de l’OMS sur les pandémies et dans un contexte de suspension de financements américains dans le domaine de la santé et de la réduction de l’aide au développement, qu’en est-il de l’état des lieux de la coopération multilatérale en matière de santé ? Quels sont les grands enjeux actuels de la santé globale et comment l’OMS se positionne-t-elle pour y répondre ? Dans quelle mesure l’OMS intègre-t-elle aujourd’hui les acteurs de la société civile dans ses dispositifs de gouvernance et d’intervention ? Le point avec Nathalie Ernoult, chercheuse et co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale de l’IRIS, revient sur les principaux défis auxquels va être confronté le secteur de la santé à l’échelle mondiale.
Quelles décisions majeures ont été prises à l’issue de cette édition annuelle de l’Assemblée mondiale de la Santé ? Un premier accord mondial sur les pandémies a vu le jour. Que contient-il concrètement ? En quoi pourrait-il transformer la réponse internationale face aux crises sanitaires ?
Cette Assemblée mondiale a marqué l’aboutissement de trois ans de négociations, commencées au lendemain de la pandémie de Covid-19 et à l’issue desquelles a été adopté l’Accord sur les pandémies dont l’objectif est de mieux répondre collectivement et de façon équitable à la préparation et la réponse aux urgences pandémiques. Ce temps d’exécution pour trouver un accord est un record au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Malgré des équilibres difficiles, les États membres se sont finalement entendus. Cette soixante-dix-huitième session marque un important épisode de la collaboration internationale puisque malgré les dissonances, notamment autour des modalités et conditions de mise en œuvre d’un cadre visant à assurer une meilleure équité dans l’accès aux produits de santé en assurant des transferts de technologies et le partage des stocks, les différents pays ont réussi à s’accorder, à trouver un point d’entente.
Toutefois, le consensus n’est pas entier. Il reste une dernière dimension en suspens : une annexe de l’accès aux pathogènes et le partage des avantages. Elle doit être négociée cette année pour une adoption finale à l’Assemblée mondiale de la santé de 2026. Pour autant, de nombreux pays souhaitent que certains éléments de l’accord puissent d’ores et déjà être mis en œuvre au niveau national.
De nombreux sous-sujets ont été abordés, dont celui sur le transfert de technologie ou celui sur l’accès aux produits de santé qui seraient développés. Il semble que l’ensemble des pays qui ont discuté et négocié durant ces trois années ont finalement trouvé cet espace de consensus qui puisse satisfaire les uns et les autres a minima.
Cet accord n’est évidemment pas parfait. Sa mise en œuvre reste également sujette à des difficultés puisque de nombreuses mesures conclues sont des mesures volontaires. Or, on le sait avec l’expérience la pandémie de Covid-19, toute mesure volontaire se fait au bon-vouloir soit des pays, soit des industriels.
Par ailleurs, cette année aura lieu à New York une rencontre de haut niveau sur les maladies non transmissibles. Elle fera l’objet, en septembre, d’une déclaration politique des chefs d’État. En parallèle de ce processus, une série de discussions se sont tenues à l’OMS. C’est un moment assez important car elles redonnent de la visibilité à la question des maladies non transmissibles, qui restent une des principales causes de mortalité, et donc à celle de la nécessité d’agir pas seulement dans les pays à hauts revenus mais à l’échelle planétaire dans ce domaine-là. Ces discussions se sont également soldées par l’adoption d’un texte sur ce sujet, ce qui a permis d’alimenter la déclaration politique.
Parallèlement, des échanges concernant le changement climatique ont eu lieu, dans un climat toutefois tendu. Mais finalement, cette résolution mettant en place un plan d’action a été adoptée. Cela envoie un signe positif pour guider les pays vers la mise en œuvre d’actions particulières, notamment pour essayer d’atténuer les effets du changement climatique sur la santé.
L’Accord adopté engage une réforme de la question du financement de ces stratégies de lutte à l’échelle planétaire. Que faut-il comprendre de ce tournant et quelles en seraient les implications à long terme dans un monde confronté à l’urgence climatique et à l’émergence de potentielles nouvelles menaces sanitaires ? Enfin, quels sont les grands enjeux actuels de la santé globale et comment l’OMS se positionne-t-elle pour y répondre ?
La question centrale de la réforme du financement de l’OMS était au cœur des discussions, en particulier en raison du retrait des financements américains de l’organisation. Cela s’est traduit par une réorganisation de l’OMS et de ses départements, à la suite de la baisse du nombre de départements techniques, à la fusion de certains autres, au gel des recrutements mais aussi au départ de certains personnels. En outre, le budget de l’OMS présenté pour adoption, a été revu à la baisse avec une diminution d’environ 23 % du volume financier alloué au siège de l’institution et d’environ 14 % pour ses bureaux régionaux. Un budget qui a, malgré tout, été adopté dans ce contexte compliqué… Cependant, la « bonne » nouvelle est qu’un autre accord a été voté, visant lui à augmenter les contributions volontaires des États membres à plus de 20 %.
Le deuxième point autour de cette question du financement met en évidence l’augmentation croissante de la part de financements de certains pays donateurs, à l’image de la Chine. Pékin s’est véritablement démarqué en annonçant une augmentation de 500 millions de dollars alloués à l’OMS pour les prochaines années. On a également observé une hausse des contributions annoncées, en particulier du secteur privé. Ainsi, même si le budget global de l’OMS est revu à la baisse, la mobilisation des États membres persiste. On observe un tournant financier et géopolitique se faire, des pays prendre le relais ainsi que le secteur privé. Il sera donc important de suivre, dans les prochaines semaines, voire les prochaines années, l’impact de ces financements sur les décisions de santé mondiale.
À plus long terme, se pose aussi la question de savoir quelles fonctions vitales l’OMS devra préserver dans son cœur de métier et quelles sont celles qui pourraient être affectées par ces coupes budgétaires. Beaucoup de pays insistent sur l’importance de garder, en son sein, le rôle normatif de l’OMS et de le préserver.
Les ONG, les associations communautaires et les soignants de terrain jouent un rôle essentiel dans la gestion des urgences sanitaires. Dans quelle mesure l’OMS intègre-t-elle aujourd’hui les acteurs de la société civile dans ses dispositifs de gouvernance et d’intervention, notamment dans les pays à ressources limitées ?
Dans son cadre de fonctionnement, l’OMS intègre les organisations non gouvernementales dans ce qu’elle nomme « la constituante », plus communément appelés « acteurs non étatiques ». Beaucoup d’acteurs de la société civile, qui suivent et commentent les discussions de l’OMS notamment lors des grands moments de décisions politiques, à l’image de la réunion du Conseil exécutif en janvier ou de l’Assemblée mondiale de la santé, sont présents pour participer.
Les organisations de la société civile ne sont pas décisionnaires, mais elles peuvent contribuer aux échanges et aux discussions, soit directement en partageant leur position lors des réunions, soit en entrant en relation avec les délégations des pays pour partager ou échanger sur leurs expériences. Elles peuvent ainsi inciter des pays à prendre en compte telle ou telle dimension dans les décisions prises au sein de ces instances. Ainsi, au niveau de la gouvernance pure, les acteurs non étatiques sont représentés et ont par conséquent la capacité d’influencer certaines décisions en partageant leurs expériences et recommandations aux États membres.
Le rôle de l’OMS reste certes majoritairement normatif. Toutefois, il y a aussi une dimension opérationnelle dans les réponses aux urgences sanitaires. Et celle-ci se fait directement au niveau des pays avec, bien sûr, l’OMS, mais aussi avec le ministère de la Santé et donc, avec le tissu d’organisations présentes au niveau national. Concernant spécifiquement la réponse aux urgences sanitaires, elle implique un écosystème qui se met en œuvre pour y répondre. Et cet écosystème est lui aussi composé d’associations communautaires, de soignants de terrain, du ministère de la Santé comme des organisations internationales. Il existe également des partenariats publics/privés, tels que Gavi ou l’Alliance pour la vaccination, qui contribuent à la fourniture de produits de santé, en particulier des vaccins en ce qui les concerne, qui servent dans la réponse aux urgences. La réponse à l’urgence n’est donc pas le fait d’une seule organisation mais d’un tissu d’organisations actifs au niveau national.
Quelles places joueront, selon vous, ces acteurs non étatiques à l’avenir, au regard notamment de leur multiplication et de la diversification des sources de financements ?
Il est difficile de répondre car, si l’on se replace dans la lignée des coupes budgétaires américaines annoncées en début d’année et la cessation par ricochet de nombreux contrats, il apparait que les organisations communautaires vont être globalement impactées. En effet, nombre d’entre elles étaient des sous-récipiendaires de certains mécanismes de financement comme le Fonds mondial dédié à la lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et la malaria, subventionné en majorité par les États-Unis. La capacité de réponse de certaines organisations internationales est aussi affectée, notamment pour celles dépendant des financements américains, à hauteur pour certaines de 25 voire 30 % de leur budget. Donc on ne sait pas si la part des organisations de la société civile va augmenter dans les prochaines années. Toutefois une restructuration de l’architecture mondiale de la santé et un changement de paradigme semblent probables. D’ailleurs, au-delà des coupes budgétaires américaines, on observe déjà une baisse de l’aide publique au développement d’un certain nombre de pays. Cette tendance générale impacte globalement les organisations de la société civile, au même titre que les agences des Nations unies. Des priorités sont alors faites… C’est notamment le cas du côté américain, avec des coupes ciblant certaines thématiques dont les projets ne seront plus financés. Dans ces moments-là, la reconfiguration est envisageable. Une reprise en main beaucoup plus forte de la part de certains pays est déjà en route ainsi qu’un rôle accru des banques (en particulier des banques de développement) et du secteur privé dans la mise en place de stratégies de réponse en santé globale. Source : Iris