octobre 2, 2025
LA SOCIÉTÉ "MY MEDIA GROUP " SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU QUOTIDIEN "DAKARTIMES" DERKLE CITE MARINE N° 37. EMAIL: courrierdkt@gmail.com. SITE WEB: www.dakartimes.net.
Economie

Les sanctions économiques doivent être repensées : elles frappent les plus démunis

Les sanctions économiques sont largement considérées par les universitaires et les décideurs politiques comme une alternative préférable aux interventions militaires pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils modifient leurs politiques contestables. L’idée est simple : au lieu d’utiliser les armes, il faut exercer une pression économique sur l’élite au pouvoir jusqu’à ce qu’elle change de comportement.

Le recours aux sanctions économiques n’a cessé d’augmenter. Selon les données récentes de la Global Sanctions Database, le nombre de sanctions actives a augmenté de 31 % en 2021 par rapport à 2020, et cette tendance à la hausse s’est poursuivie en 2022 et 2023.

En Afrique, plusieurs pays font actuellement l’objet de sanctions imposées par les États-Unis, les Nations unies ou l’Union européenne. Parmi ces États africains figurent la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, la Libye, la Somalie, le Soudan du Sud et le Zimbabwe. Ce n’est pas une simple coïncidence si la plupart de ces pays figurent parmi les foyers de faim identifiés par le Programme alimentaire mondial.

Les sanctions peuvent avoir des conséquences imprévues pour les citoyens et ce sont généralement eux qui en paient le prix. Lorsque les sanctions touchent les systèmes alimentaires, l’impact peut être dévastateur.

J’étudie les sanctions économiques et leurs effets négatifs imprévus sur les pays en développement.

Dans une étude récente menée avec mes collègues, nous avons analysé l’impact des sanctions économiques sur la sécurité alimentaire dans 90 pays en développement entre 2000 et 2022. Nous voulions explorer les liens potentiels entre les sanctions et la famine dans un contexte de préoccupation mondiale croissante concernant l’insécurité alimentaire.

Nous nous sommes concentrés sur deux indicateurs clés : les prix des denrées alimentaires et la sous-alimentation (c’est-à-dire la proportion de personnes qui ne consomment pas suffisamment de calories pour mener une vie saine).

Nous avons mesuré les prix des denrées alimentaires à l’aide de l’indice des prix à la consommation des denrées alimentaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Cet indice reflète l’évolution du coût global des denrées alimentaires et des boissons non alcoolisées généralement achetées par les ménages.

Nous avons également utilisé le calcul de la prévalence de la sous-alimentation établi par la même organisation. Il s’agit d’un indicateur clé de l’objectif de développement durable 2.1, qui suit les progrès accomplis dans le monde pour éliminer la faim d’ici 2030.

Nos résultats donnent à réfléchir. Lorsque des sanctions sont en place, les prix des denrées alimentaires augmentent d’environ 1,2 point de pourcentage par rapport aux périodes sans sanctions. Cela peut sembler peu, mais dans les pays à faible revenu où les familles consacrent la moitié de leurs revenus à l’alimentation, même de légères augmentations rendent la vie plus difficile. Cela ne tient pas compte d’autres facteurs externes pouvant entraîner des hausses de prix, tels que les modèles de demande et d’offre.

Nous avons également constaté que la sous-alimentation augmente de 2 points de pourcentage pendant les périodes de sanctions. Pour les pays où des millions de personnes vivent déjà au bord de la famine, cela représente un fardeau supplémentaire considérable.

Pourquoi les sanctions aggravent l’insécurité alimentaire

Les sanctions ont des répercussions sur les économies de plusieurs façons, et l’alimentation est souvent prise entre deux feux.

Tout d’abord, les sanctions perturbent les importations alimentaires. Il s’agit d’un problème crucial pour de nombreux pays en développement qui dépendent fortement des marchés internationaux pour nourrir leur population. Entre 2021 et 2023, les importations alimentaires de l’Afrique ont totalisé environ 97 milliards de dollars américains.

Au niveau national, par exemple, l’Éthiopie et la Libye ont importé pour 3 milliards de dollars de denrées alimentaires, le Soudan pour 2,3 milliards et la République démocratique du Congo pour 1,2 milliard. Les sanctions peuvent restreindre davantage le commerce ou augmenter les coûts de transport, rendant les denrées alimentaires à la fois plus rares et plus chères.

Deuxièmement, les sanctions limitent l’accès aux intrants agricoles essentiels, tels que les engrais, les pesticides et les machines. Elles entravent également les transferts de technologie. Par exemple, les agriculteurs d’Afrique subsaharienne n’utilisent en moyenne que 9 kg d’engrais par hectare de terres arables, contre 73 kg en Amérique latine et 100 kg en Asie du Sud. Ces contraintes réduisent les rendements, augmentent les coûts de production et rendent plus difficile le maintien de la production pour les agriculteurs.

Troisièmement, les sanctions ébranlent les systèmes financiersréduisent les revenus des populations et encouragent la thésaurisation. Les ménages qui disposent déjà d’un budget serré sont contraints de réduire leurs dépenses ou de se tourner vers des aliments moins chers et moins nutritifs.

Enfin, les sanctions entraînent souvent une réduction de l’aide alimentaire, car les pays visés perdent leur accès à l’aide internationale. Par exemple, la récente suspension de l’aide humanitaire américaine au Soudan a contraint 80 % des cuisines d’urgence du pays à fermer. Cet impact est particulièrement grave étant donné que certains des plus grands donateurs alimentaires, tels que les États-Unis et l’Union européenne, sont également parmi les pays qui recourent le plus fréquemment aux sanctions.

Le résultat final est simple : des prix alimentaires plus élevés, moins de nourriture sur la table et plus de famine.

Toutes les sanctions ne se valent pas

Nous avons également constaté que le type de sanction a son importance :

  • Les sanctions commerciales qui bloquent les importations et les exportations sont celles qui font le plus augmenter les prix des denrées alimentaires. Les sanctions financières qui gèlent les avoirs ou coupent l’accès aux services bancairessont également préjudiciables, car elles perturbent indirectement le commerce agricole.
  • Lorsque les pays sont confrontés à la fois à des sanctions commerciales, financières et de circulation, les dommages sont considérables: les prix des denrées alimentaires augmentent de plus de 3,5 points de pourcentage et la faim augmente fortement.
  • L’identité de l’auteur des sanctions a également son importance. Les sanctions de l’Union européenne ont entraîné la plus forte hausse des prix alimentaires, tandis que celles de l’ONU ont eu le plus grand impact sur la faim, augmentant la sous-alimentation de près de 6 points de pourcentage.

La nourriture comme arme de guerre

L’ONU met en garde depuis des années contre l’utilisation de la nourriture comme arme. En 2018, la résolution 2417 a explicitement condamné la famine comme outil de guerre ou de pression politique. Pourtant, dans la pratique, les sanctions restreignent souvent l’accès à la nourriture, aux médicaments et aux intrants agricoles, même lorsque des « exemptions humanitaires » existent sur le papier.

L’insécurité alimentaire en Afrique s’aggrave. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une personne sur cinq sur le continent est confrontée à la faim, et le nombre de personnes sous-alimentées continue d’augmenter. Les sanctions aggravent cette crise.

Et le dilemme moral est évident. Les personnes les plus touchées – les familles pauvres, les petits agriculteurs et les enfants – sont celles qui sont les moins responsables du comportement qui déclenche les sanctions.

Si les sanctions visent à punir les régimes, elles punissent souvent les citoyens ordinaires à la place.

Ce qui doit changer

Les sanctions ne sont pas près de disparaître de la politique mondiale. Mais leur conception et leurs conséquences humanitaires doivent être repensées. Trois mesures pourraient réduire les dommages :

  • Premièrement, renforcer les exemptions humanitaires : veiller à ce que les denrées alimentaires, les engrais et l’aide puissent circuler librement, sans être bloqués.
  • Deuxièmement, suivre l’impact des sanctions : les agences internationales telles que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture(FAO) et le Programme alimentaire mondial (Pam) devraient surveiller l’impact des sanctions sur les systèmes alimentaires et tirer rapidement la sonnette d’alarme.
  • Troisièmement, repenser la stratégie : si les sanctions finissent par alimenter la faim, l’instabilité et les migrations, elles peuvent faire plus de mal que de bien à long terme.

Si le monde souhaite réellement éradiquer la faim d’ici 2030, il ne peut ignorer les conséquences imprévues des sanctions. Celles-ci doivent donc être repensées afin de protéger les plus vulnérables, sans quoi elles risquent de devenir non seulement un outil diplomatique, mais aussi un facteur de crises alimentaires. The Conversation

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *