DÉCRYPTAGE. La question est posée alors qu’à son tour la Société générale, la plus implantée des banques françaises en Afrique, accélère son désengagement du continent.
La rumeur monte ces dernières semaines. La Société générale serait sur le point de quitter le Maroc. Rien n’est encore officiel, personne ne dément ni ne confirme. Et les détails pleuvent. L’accord porterait sur la cession de sa participation de 57 % au capital de sa filiale locale SG Maroc, pour un montant de 732,5 millions d’euros (8 milliards de dirhams). L’acheteur approché serait la holding marocaine Saham, dirigée par l’homme d’affaires Moulay Hafid Elalamy. La Société générale aurait mandaté la banque d’affaires Lazard pour mener à bien l’opération, qui serait soumise bien sûr à l’approbation des autorités marocaines.
Cette rumeur n’est pas infondée dans le sens où elle s’appuie sur une réalité et un contexte général. Depuis près d’une quinzaine d’années, les banques françaises se désengagent peu à peu du continent et le mouvement s’accélère. Présente depuis plus de 100 ans en Afrique, la Société générale est la dernière à entamer ce repli.
Repli stratégique
Depuis juin 2023, le groupe français a annoncé sa volonté de céder six de ses dix-sept filiales sur le continent (Burkina Faso, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale, Mauritanie, Mozambique et Tchad). Elle a même précisé qu’elle étudiait son départ de Tunisie. En revanche, jusqu’à maintenant, rien n’était prévu pour le Maroc.
Cette stratégie se dessine depuis l’arrivée au printemps 2023 du nouveau patron Slawomir Krupa à la tête du groupe Société générale. « 2023 était une année de transition et de transformation », mettait-il en avant à l’occasion de l’annonce des résultats financiers annuels.
Dès novembre, par une nomination en interne, François Bloch a repris la partie activité Afrique. S’il n’a jamais travaillé sur le continent, il est réputé pour son expertise dans la transformation des activités qu’il a menées en Europe de l’Est. Nommé directeur des réseaux bancaires internationaux en Afrique, dans le bassin méditerranéen et en outre-mer, il a donc pour mission « d’optimiser le dispositif et d’en accroître l’efficacité afin d’assurer une rentabilité durable tout en assurant une gestion des risques et de la conformité aux meilleurs standards », selon le communiqué de la Société générale. La Banque s’est aussi engagée dans un vaste plan de réduction des coûts – 1,7 milliard d’euros à l’horizon 2026 –, et près de mille suppressions de postes prévus en France.
Mouvement général
« Le mouvement de désengagement des banques françaises en Afrique a véritablement commencé après la crise financière de 2008. Face à de grosses pertes et au renforcement drastique des normes prudentielles qui ont suivi dès 2010, les établissements européens ont dû revoir leur stratégie. Que la Société générale, qui avait la plus large implantation en Afrique, entame ce process n’a rien d’étonnant », explique Estelle Brack, économiste, spécialiste des questions bancaires et financières.
Le Crédit agricole a été le premier établissement français à se séparer de ses filiales en Afrique de l’Ouest. Le groupe mutualiste BPCE (Banque populaire, Caisse d’Épargne, Natixis) a suivi, en cédant, en 2018, la quasi-totalité de ses filiales africaines. La BNP fait de même et cède nombre de ses participations sur le continent (Gabon, Mali, Comores…) et en 2022, elle se déleste de ses participations en Côte d’Ivoire (BICICI) et au Sénégal (BICIS).
Le constat est implacable. La présence en Afrique des banques françaises fond comme neige au soleil. Plus implantées dans les pays anglophones, les banques britanniques suivent la même route : Standard Bank réduit la voilure tout comme Barclays Bank.
Arbitrage risque-rentabilité
La véritable motivation réside dans la recherche de la rentabilité, dans un contexte économique dégradé et géopolitique tendu. En septembre 2023, dans son discours aux investisseurs, Slawomir Krupa a mis l’accent sur une allocation plus efficace des capitaux propres et une meilleure gestion des risques. « Cet arbitrage entre risque et rentabilité est au cœur du désengagement africain des banques françaises. Cela avait été le cas de BNP Paribas, qui a cédé six de ses filiales sur le continent depuis 2020 », commente Estelle Brack.
En matière de risque, les contraintes liées aux exigences prudentielles des établissements financiers ont été régulièrement renforcées depuis la crise financière de 2008. « Les ratios exigés par Bâle 3 incitent les banques à se concentrer sur le capital de bonne qualité et les activités à moindre risque. Même s’il existe une différence entre risque effectif et risque perçu, vue d’Europe, l’Afrique est considérée comme un continent cher en termes de capital prudentiel », explique Estelle Brack. Ainsi, en annonçant la cession de quatre de ses filiales en juin dernier (Congo, Guinée équatoriale, Mauritanie, Tchad) la Société générale anticipait « un impact positif d’environ 5 points sur le ratio CET1 [un des ratios de solvabilité les plus importants, NDLR] à leur date de finalisation ».
Changement de contexte économique et politique
Ces deux dernières décennies, l’Afrique surfait plutôt sur un trend de croissance dynamique et l’émergence d’une classe moyenne. La pandémie du Covid puis l’impact de la guerre en Ukraine ont bouleversé l’ordre économique mondial, entraînant une flambée de l’inflation et la montée des taux d’intérêt. « Le risque géopolitique est redevenu un facteur prépondérant dans l’analyse globale des risques. Dans certains de ces pays d’Afrique, il a tendance à demeurer plus élevé que sur d’autres marchés », rappelle Rafael Quina, analyste chez Fitch Ratings à l’Agefi. Les risques de conformité y sont également plus élevés. « Ce désengagement… C’est une suite logique », constate Estelle Brack. Il s’agit de répondre à des soucis de rentabilité, en cédant les franchises les plus risquées rentables pour réduire les coûts en capital au niveau de la maison mère, soumise à la supervision de la Banque centrale européenne (BCE).
Concurrence et opportunités
Sur le continent, tout a aussi changé. Les banques locales se sont développées et sont parties à la conquête d’autres marchés pour devenir de véritables institutions panafricaines. « Les banques marocaines ont profité de ces cessions de filiales pour bien se positionner et poursuivre leur implantation sur le continent. Elles ont compris qu’il était plus intéressant de regarder vers le Sud que vers l’Union européenne », constate Estelle Brack. « C’est aussi le bon moment. Sur le continent, de nombreux acheteurs potentiels sont prêts à payer un bon prix. La Société générale profite de l’opportunité de vendre à bon prix, et en même temps, les banques locales en Afrique sont prêtes à saisir un portefeuille clients de qualité au moment où, elles-mêmes en pleine expansion, elles cherchent à gagner de nouveaux marchés », conclut-elle.
Par Sylvie Rantrua (Pour Le Point Afrique)