mars 26, 2025
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Sécurité

Comment le Maroc gère la menace des cellules terroristes liées à Daech au Sahel

DÉCRYPTAGE. Les autorités marocaines annoncent le démantèlement d’une cellule terroriste liée à Daech au Sahel, empêchant une attaque d’individus radicalisés.

Ils avaient tout prévu. Repérages méticuleux, itinéraires calculés au millimètre, vidéos de revendications enregistrées à l’avance. Quatre hommes, dont trois frères, radicalisés sous l’emprise de Daech et connectés à ses réseaux sahéliens, étaient sur le point de passer à l’acte. Mais leur projet a été stoppé net. La cellule a été démantelée avant de passer à l’acte grâce au travail de fond du Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ), pilier de la lutte antiterroriste au Maroc depuis 2015.

Les suspects avaient adopté une approche redoutable : le « djihad individuel » et la tactique du « loup solitaire ». Un mode opératoire qui s’inscrit dans une tendance observée dans de nombreuses cellules démantelées au Maroc. « Les extrémistes arrêtés privilégient l’action en loup solitaire, misant sur des attaques à faible coût mais à fort impact. Leur arsenal repose sur l’utilisation d’engins explosifs improvisés, d’armes blanches ou à feu, ainsi que sur le piégeage de véhicules », observe Cherkaoui Habboub, le numéro un du BCIJ.

Cette affaire révèle une évolution stratégique majeure du terrorisme dans la région. Les groupes djihadistes sahéliens ne se contentent plus d’opérer dans leur fief, ils cherchent désormais à infiltrer le Maghreb.

Le Sahel, nouvelle base arrière du terrorisme

Dès le début de l’enquête, un élément clé est apparu : les liens étroits entre la cellule de Had Soualem et la mouvance terroriste sahélienne. Les suspects étaient en contact direct avec un cadre de Daech basé dans la région, qui les formait et les encadrait à distance. Mais ces échanges allaient bien au-delà du dogme idéologique. Il s’agissait d’un véritable programme d’entraînement, incluant la fabrication d’explosifs, des stratégies d’attaque et des techniques d’évasion.

Ce modus operandi s’inscrit dans une dynamique plus large : selon les services de renseignement, plus de 40 cellules affiliées à Al-Qaïda ou Daech ont été démantelées, toutes opérant selon un schéma identique : radicalisation en ligne, contacts avec des figures terroristes sahéliennes et planification d’attentats. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis fin 2022, au moins 130 extrémistes marocains ont rejoint les foyers djihadistes en Somalie et au Sahel. Certains ont gravi les échelons jusqu’à des postes de commandement, tandis que d’autres ont participé à des opérations majeures, comme l’attaque du 31 décembre 2024 contre une caserne militaire somalienne, où des Marocains ont été identifiés parmi les kamikazes.

Le Sahel est devenu une zone d’incubation du djihadisme et les branches sahéliennes de Daech ne cachent pas leurs ambitions d’expansion vers le Maghreb. Un danger d’autant plus préoccupant depuis la série de putschs militaires qui a fragilisé plusieurs pays de la région. « Depuis les putschs militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les groupes terroristes ne cessent de gagner en puissance, profitant de l’instabilité pour étendre leur emprise », alerte Cherkaoui Habboub. Et de poursuivre : « Ils tirent profit d’un terrain propice : des ressources abondantes, des territoires vastes et difficiles à contrôler, des conflits intercommunautaires exacerbés et le vide sécuritaire laissé par le retrait des forces internationales et régionales, comme la Minusma, Barkhane et le G5 Sahel. »

Pour contrer cette expansion, la coopération sécuritaire internationale s’impose plus que jamais comme un levier clé. « La DGST a formé des officiers de plusieurs pays africains, dont le Gabon, la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, Madagascar et la Tanzanie, partageant avec eux son expertise en matière de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent », souligne Cherkaoui Habboub.

Cependant, le Sahel n’est pas le seul foyer d’inquiétude. Les camps de Tindouf sont également devenus un refuge stratégique pour les groupes terroristes. Daech et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) y trouvent un terrain idéal pour recruter et organiser leur logistique en exploitant le manque de contrôle et la vulnérabilité des populations locales. L’exemple d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui en est l’illustration parfaite. Ancien membre du bureau dirigeant de l’Union de la jeunesse du Polisario (UJSARIO), chargé de l’accueil des délégations étrangères dans les camps de Tindouf, il a basculé dans l’extrémisme en rejoignant Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en 2008, avant de devenir l’un des leaders les plus redoutés de Daech au Sahel. Son parcours souligne l’existence de passerelles dangereuses entre certaines factions des camps de Tindouf et les groupes djihadistes opérant dans la région.

Cette montée en puissance des réseaux terroristes au Sahel, les services de renseignement marocains l’avaient anticipée bien avant qu’elle ne devienne une réalité. « Bien avant le 11 septembre 2001, la DGST avait déjà tiré la sonnette d’alarme : Al-Qaïda voyait dans la zone sahélo-saharienne son futur bastion opérationnel. Nous avions prévenu du danger que cette région devienne un “Malistan”, un nouvel Afghanistan du terrorisme », rappelle le directeur du BCIJ. Un avertissement qui résonne aujourd’hui plus que jamais. En effet, si les cellules sont régulièrement démantelées, la menace, elle, n’a jamais disparu.

Les groupes sahéliens continuent leur expansion, utilisant de nouvelles stratégies : la radicalisation familiale, l’exploitation des failles numériques et la mutation des modes opératoires.

Radicalisation familiale et cyberendoctrinement : les nouvelles menaces terroristes

Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la structure même de la cellule terroriste. Trois des quatre suspects arrêtés sont frères. Contrairement aux filières classiques qui recrutent dans des cercles élargis, leur endoctrinement s’est fait au sein du cercle familial.

Les enquêteurs ont également découvert que ces trois frères ne comptaient pas s’arrêter là. Une fois leurs attentats commis, leur plan était de rejoindre les camps de Daech au Sahel. Le frère aîné, figure centrale du groupe, avait même prévu d’emmener ses cinq fils dans cette zone, illustrant une stratégie alarmante des groupes terroristes : « offrir des conditions de vie et d’hébergement pour attirer non seulement les combattants mais aussi leurs familles », souligne notre interlocuteur.

Contrairement aux filières traditionnelles, qui laissent des traces et peuvent être infiltrées, ces noyaux familiaux fonctionnent comme des sanctuaires idéologiques, rendant leur détection d’autant plus difficile. C’est ici que l’expérience du BCIJ a joué un rôle déterminant. En scrutant minutieusement les moindres indices – mouvements suspects, achats inhabituels de produits chimiques, communications avec des individus surveillés –, les agents ont pu déjouer la cellule avant qu’elle ne passe à l’action.

Au-delà du recrutement familial, cette affaire met aussi en lumière un autre levier clé de la radicalisation : le cyberendoctrinement. Les réseaux sociaux et les plateformes de discussions cryptées sont devenus un terreau fertile pour le recrutement, où les vidéos de Daech circulent sans entrave, où les techniques d’attaque sont enseignées et où les liens entre les cellules terroristes se tissent.

Le BCIJ a identifié cette menace depuis plusieurs années et a mis en place une cellule spécialisée dans la surveillance et l’infiltration de ces espaces numériques. Grâce à cette vigilance, de nombreux attentats ont été avortés avant même qu’ils ne prennent forme. Depuis 2016, plus de 600 individus radicalisés via Internet ont été arrêtés au Maroc.

Une stratégie sécuritaire et idéologique pour contrer l’extrémisme

Mais le royaume ne se limite pas à une approche sécuritaire. Il a fait de la lutte contre l’idéologie extrémiste un axe stratégique majeur. Dès le début des années 2000, une réforme du champ religieux a été engagée pour promouvoir un islam modéré et tolérant. Ainsi, la création de conseils régionaux des oulémas a permis d’assurer un suivi religieux décentralisé. Le Conseil supérieur des oulémas a été désigné comme l’unique autorité compétente pour émettre des fatwas, assurant ainsi une cohérence doctrinale et limitant les dérives radicales.

Sur le plan carcéral, un programme de réhabilitation Moussalaha (« Réconciliation ») a été mis en place en 2017. Une initiative pionnière visant à offrir aux détenus islamistes une meilleure compréhension des textes religieux afin de les amener à renoncer à l’idéologie extrémiste et à se réconcilier avec eux-mêmes et avec la société. En 15 éditions, ce programme a soutenu 331 participants. Son impact concret se reflète dans les 177 bénéficiaires ayant obtenu une grâce royale et les 39 dont la peine a été commuée. Fait notable, aucun cas de récidive n’a été observé à ce jour, témoignant de l’efficacité et du succès de cette initiative.

En parallèle, le royaume chérifien s’est imposé comme un acteur clé de la formation religieuse en Afrique et au-delà. Des accords bilatéraux ont été conclus avec plusieurs pays, dont le Mali, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée, la Tunisie, le Tchad et la France. Ainsi, des centaines d’imams ont été formés dans les instituts marocains, dont l’Institut Mohammed-VI de formation des imams et des prédicatrices qui forme 150 imams et 50 prédicatrices par an, contribuant ainsi à la diffusion d’un islam du juste milieu dans des régions vulnérables à l’extrémisme.

Si Rabat peut compter sur une solide expérience, des services de sécurité performants et une approche proactive, les défis restent immenses. L’engagement sans faille du Maroc dans la lutte antiterroriste le place aussi face à des enjeux sécuritaires croissants. « Le Maroc fait face à une double menace : l’hostilité persistante de Daech, Al-Qaïda et autres groupes extrémistes en raison de son engagement indéfectible contre le terrorisme et sa proximité avec le Sahel, devenu un foyer majeur du djihad mondial », analyse le directeur du BCIJ.

Une situation géostratégique complexe, qui expose ce pays nord-africain à de nombreux défis sécuritaires mais qui n’entame en rien sa résilience ni sa capacité à s’adapter aux menaces émergentes. En effet, l’expertise marocaine en matière de lutte contre le terrorisme s’est imposée sur la scène internationale, faisant du pays un acteur incontournable dans la riposte mondiale contre l’extrémisme. « Ces dernières années, l’expérience marocaine en matière de coopération internationale a évolué au-delà du simple partage de renseignements pour inclure le traitement judiciaire conjoint de certaines affaires liées au terrorisme », souligne le patron de l’institution. C’est précisément cette philosophie proactive qui lui a permis, jusqu’ici, de tenir la menace à distance.

De notre correspondante à Rabat, Yasmine Tijani (Le Point Afrique)

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