Selon Timbuktu Institute, dans une étude intitulée « AU-DELÀ DE LA CRIMINALITÉ : Perceptions juvéniles de la radicalisation et de l’extrémisme violent au Nord du Bénin », la région septentrionale du Bénin est confrontée à une situation complexe caractérisée par l’émergence de l’insurrection djihadiste née de la radicalisation et de la montée de l’extrémisme violent dans le rang des jeunes. Cependant, cette situation est la résultante des décennies de tensions intercommunautaires, des conflits fonciers, des actes de marginalisation sociale, politique et économique et des divisions religieuses qui prévalent dans la région. Ces différents facteurs ont tous eu des impacts négatifs sur les jeunes. D’une éventualité, la radicalisation et l’extrémisme violent sont devenus pour la plupart de ces jeunes un rempart, une porte de sortie ou encore, un idéal de vie. Cette situation a même atteint les proportions les plus inimaginables d’autant que pour la plupart de ces jeunes, rejoindre le camp des éléments des groupes armés terroristes serait une délivrance. L’analyse des différents facteurs de radicalisation entrainant les jeunes vers cette voie, a révélé un lien étroit entre leur motivation et la situation socio-économique et politique du pays. Et face à l’urgence, il urge que des solutions tangibles soient apportées pour éviter d’accroitre la menace contre la paix, sécurité et le développement de cette région. L’enjeu majeur est l’amélioration des conditions de vie de ces jeunes. La réponse militaire que l’Etat donne à un phénomène qui tire sa source des problèmes sociaux, politiques, économiques et communautaire, semble être disproportionnée. Il est crucial de reconnaître les risques d’une dégradation accrue de la situation sécuritaire dans cette partie du Bénin et d’apporter des solutions adaptées et novatrices pour une stabilité.
Les études sur la radicalisation des jeunes et l’extrémisme violent se sont multipliées ces dernières années notamment dans la région sahélienne avec la recrudescence du phénomène terroriste en tant que menace à la paix et la stabilité des États de la région. De phénomène perçu, à l’origine, comme l’antichambre du basculement vers la violence terroriste, la radicalisation revêt de plus en plus d’aspects qui en font évoluer les définitions et les perceptions. Les approches successives d’un tel phénomène se sont enrichies de la diversité des expériences, selon les pays, qui a poussé les experts à analyser la radialisation comme la résultante d’un processus, de facteurs ou de conséquences politiques, économiques, sociales, idéologiques etc. Cette radicalisation se manifeste par l’usage de la violence comme moyens d’affirmation, d’expression ou de revendication les plus diverses. Mais, très vite, l’étude du phénomène de radicalisation va être victime d’une part de la popularité d’un « sujet parfait » pour le sensationnel médiatique surfant sur le caractère spectaculaire des attaques terroristes qui tendent à déborder de l’épicentre sahélien vers des zones insoupçonnées comme le golfe de Guinée.
De l’autre, la diversité des expériences et la rapidité des mutations ont eu comme corollaire, la multiplication des angles d’approches souvent empreintes des préoccupations que des experts projettent sur le phénomène qui finit par ne plus être étudié en soi. Enfin, les spécialisations d’analystes qui, naguère, étaient focalisés sur des sujets comme la gouvernance, la criminalité ou encore les violences urbaines, ont déteint sur de nombreuses études allant, par exemple, jusqu’à dénier au phénomène ses dimensions idéologique ou encore intercommunautaire etc. Ainsi, la prédominance des analyses criminologiques au point d’induire les États de la région vers des approches strictement sécuritaires, s’est accentuée avec des études s’intéressant le plus souvent aux acteurs du « second cercle » tels que les trafiquants, les convoyeurs d’assistance logistique etc. Pendant ce temps, ces études négligent les acteurs du premier et du troisième cercle. Le premier cercle est constitué des entrepreneurs idéologiques/communautaires dont le rôle est fondamental dans le recrutement, l’incitation et l’instrumentalisation des griefs. Le troisième cercle auquel les études à dominante criminologique n’ont souvent pas accès, est celui des acteurs prédisposés au basculement dans la violence extrémiste ou pouvant y préparer idéologiquement : les recruteurs, les personnes déjà endoctrinées et enclines à passer à l’action. Le plus souvent, c’est dans l’univers carcéral qu’ils les interrogent ou dans des situations de « remords » où de nombreux biais viennent fausser l’analyse sur les motivations réelles. Il s’y ajoute que les outils de l’approche criminologique ne sont souvent pas adaptés pour rendre compte des subtilités du discours extrémiste avec sa charge idéologique et ses références qui nécessitent un décryptage, voire une exégèse souvent hors de portée d’experts démunis des concepts-clés permettant une intelligence des symboles, des allusions et des codes langagiers. C’est souvent après le passage à l’acte que beaucoup d’analystes niant la dimension idéologique accèdent aux sujets en question soit en prison ou dans une situation sur laquelle pèse lourdement l’environnement sécuritaire, la pression carcérale ou des acteurs de la criminalité accentuant ainsi le biais criminologique malgré les efforts de documentation. Pour ne pas s’encombrer d’un listing ou croisement des définitions dans le cadre de cette étude, on pourrait renvoyer aux différentes publications de l’Institut ayant abordé le phénomène de radicalisation dans des contextes variés soit dans le cas de pays déjà touchés par la violence extrémiste ou par une approche prospective pour d’autres présentant des risques ou encore sous une certaine pression sécuritaire. Le biais criminologique ayant eu son effet sur l’approche du phénomène de la radicalisation au Sahel, n’a pas épargné certaines études suite au débordement de l’épicentre de la violence extrémiste vers les pays du Golfe de Guinée. Beaucoup d’entre elles souffrent du non renouvellement des outils conceptuels de même que l’empressement à « documenter » un phénomène multidimensionnel et souvent diffus dans des contextes où on projette un regard orienté par les réalités d’ailleurs. De plus, face à la pression sécuritaire et politique pour l’élaboration de réponses, il a dû échapper à nombre d’analystes, le tournant paradigmatique de l’accentuation de la communautarisation de la violence extrémiste concomitante aux premières phases visibles du débordement de l’épicentre du terrorisme du Sahel central vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. C’est ainsi que, dans le cas de certains pays côtiers, les réponses politiques fortement inspirées par des conclusions issues de l’approche criminologique semblent ne pas apprendre des erreurs du Sahel en s’orientant vers des solutions à dominante sécuritaire, Ces dernières réduisent, même parfois le phénomène extrémiste à un « simple » problème criminel alors que la criminalité n’est pas en soi la racine du mal mais un des symptômes entre autres. Pour le cas du Bénin, plusieurs études font état de sa proximité géographique avec les pays sahéliens victimes de l’insurrection des groupes armés terroristes, la porosité des frontières, la faible présence de l’État dans certaines régions, les conflits communautaires, le chômage des jeunes, la corruption, l’injustice, les inégalités sociales et bien d’autres facteurs. Malgré les dispositions, les efforts et les mécanismes mis en œuvre par l’État pour contrer cette avancée, la situation sécuritaire se dégrade progressivement dans les départements de l’Alibori et de l’Atacora.
Depuis la première attaque terroriste enregistrée en 2019, le nombre d’incidents terroristes sur le sol béninois, notamment dans le septentrion, est en hausse avec un nombre de morts croissant, de blessés et de déplacés. S’inscrivant dans une démarche compréhensive et à partir de la perception des populations locales, Timbuktu Institute a mis à profit plusieurs missions de terrains dans les départements1 de la Donga, de l’Alibori et de l’Atacora afin de conduire des entretiens qualitatifs auprès de 270 jeunes habitant les différentes localités et communes. En plus de ces entretiens individuels, une dizaine de focus groupes ont été organisés sur site. Afin d’éviter des interviews « one shot », nous avons adopté la démarche consistant à faire de l’observation continue sur le temps long. Ainsi, les témoignages et réponses recueillies et sur lesquels se fonde la présente analyse, sont issus d’un travail de terrain étendu sur la période de Mars – Mai 2023 à juin 20242 dirigé, sur place, par Dr. Bakary Sambeissus La démarche consistait aussi à ne pas se contenter des seules équipes d’enquêteurs envoyées sur place, mais à être présents sur le terrain pour ajuster et compléter, si nécessaire, l’approche pour plus d’agilité et de contact direct avec la réalité du terrain. Ces interviews et focus groups sont menés à partir de trois questionnements majeurs : • Les facteurs potentiels de radicalisation des jeunes des départements du Nord du Bénin avec une approche différenciée prenant en compte la spécificité de chaque département et même des localités et communes ; • L’appréciation des réponses étatiques nationales à partir d’un point de vue local ; • Le rôle des interactions entre communautés peuplant le Nord du pays dans la radicalisation de certaines franges ; • Les perspectives dans les départements comme le Borgou pour l’heure relativement épargné mais se situant sur un continuum socioculturel lui faisant subir ’impact de la transfrontalité avec notamment le Nigeria (dans un prochain rapport spécialement dédié au département du Borgou). Ainsi, le présent rapport portant spécifiquement sur les facteurs de radicalisation tels que perçus par les jeunes des départements du Nord du Bénin est le premier d’un cycle de trois études. Il s’articule en trois parties, traitant chacune d’un département et couvrant la Donga, l’Alibori et l’Atacora. Pour chaque département, il s’agira dans un premier temps d’en présenter d’abord les spécificités et les données socioéconomiques et humaines 3 puis les facteurs de radicalisation tels que perçus par les jeunes dans un second temps, en s’appuyant sur les témoignages et constats fournis par les populations locales durant les entretiens semi-structurés ou encore les focus -groups que l’équipe a voulus les plus localisés possibles.
Facteurs de radicalisation dans la Donga : Entre griefs sociopolitiques, vulnérabilités et choc des modèles religieux
La ville de Djougou est le chef-lieu du département. Les groupes ethnicoculturels majoritaires de la Donga sont le Yoa(28%), le Lopka (18%), les Peulh (11%) et les Dendi (5%). L’Islam est la religion la plus pratiquée (78%) dans le département suivi du catholicisme (12%). Dans le domaine des infrastructures sociocommunautaires, les 177 villages du département de la Donga disposent de 14 maternités, de 2 centres de santé communale, de 19 centres de santé d’arrondissement et de 15 dispensaires. Sur le plan éducatif, il existe environ 438 écoles primaires publiques, 26 collèges à 1er cycle et de 14 collèges de 2nd cycle. Cependant, l’accès à l’eau potable est un véritable défi pour les populations Étendu sur une superficie de 11.126 Km2 pour une population de 543 130 d’habitants en 20134 , le département de la Donga est situé au centreOuest du Bénin. Il est limité au Nord par le département de l’Atacora, au sud par le département des Collines, à l’Est par le département du Borgou et à l’Ouest par le Togo.La Donga compte quatre communes que sont Djougou, Bassila, Copargo et Ouaké. Ces quatre communes sont subdivisées en 26 arrondissements et en 177 villages et quartier de ville. La ville de Djougou est le chef-lieu du département. Les groupes ethnicoculturels majoritaires de la Donga sont le Yoa (28%), le Lopka (18%), les Peulh (11%) et les Dendi (5%). L’Islam est la religion la plus pratiquée (78%) dans le département suivi du catholicisme (12%). Dans le domaine des infrastructures sociocommunautaires, les 177 villages du département de la Donga disposent de 14 maternités, de 2 centres de santé communale, de 19 centres de santé d’arrondissement et de 15 dispensaires. Sur le plan éducatif, il existe environ 438 écoles primaires publiques, 26 collèges à 1er cycle et de 14 collèges de 2nd cycle. Cependant, l’accès à l’eau potable est un véritable défi pour les populations. Seulement un tiers (33%) du département à accès à l’eau potable. Concernant les activités économiques, l’agriculture, la pêche et la chasse sont les activités prédominantes (62%) suivie du commerce et de la restauration (14%). Sur le plan agricole, le département de la Donga est considéré comme le « grenier du pays » en raison de sa forte culture du sorgho, du maïs, de l’arachide etc. Les marchés urbains du département, notamment ceux de Djougou, Bassilaet Ouaké facilitent l’approvisionnement et l’écoulement des produits agricols et artisanaux entres les villes et villages du département et aussi avec les pays voisins comme le Togo et le Burkina Faso.
La radicalisation et l’extrémisme violent sont souvent conçus par les jeunes interrogés comme « un refuge notamment pour faire face aux différents problèmes socio-politiques, socio-économiques et socioculturels », telle que décrit par A.D, originaire de la commune de Ouaké.
L’écueil de l’insertion socioéconomique Au cœur des inégalités, des frustrations et des défaillances
Dans un climat social fragilisé par la pauvreté, l’injustice, la corruption, le népotisme, les querelles intercommunautaires, religieuses, des « rivalités ethniques » avec des soubassements politiques, les jeunes posent la question de leur « avenir » qui selon certains, serait relégué au second plan : « Nous jeunes sommes carrément les oubliés du système. A la fin des études, il n’existe aucune politique d’insertion professionnelle », s’indigne un jeune lycéen de la ville de Djougou. La question de l’insertion socioprofessionnelle s’invite aussi avec une dimension contestataire de l’ordre politique qui serait marqué par un certain « népotisme ». Pour ce jeune responsable associatif de la commune de Djougou : « Pour avoir du travail, il faut connaitre quelqu’un ou être un partisan actif d’un parti politique de la mouvance (présidentielle, ndlr). Cela sous-tend qu’il faut être du cercle restreint de ceux qui dirigent le pays ».
Inadéquations ou dualité du système éducatif en cause ?
Cette situation des jeunes du département s’expliquerait, en grande partie, par le manque de débouché après les études. Pour nombre de jeunes, « la formation donnée dans les écoles et les universités ne répond pas à la demande du monde de l’emploi ». « Les politiques d’auto-emploi prônées par les différents gouvernements pour répondre à la question du chômage des jeunes sont jusque-là restées à la phase théorique », remarque un jeune journaliste d’un média local pour qui, « les quelques initiatives personnelles des jeunes, faute d’accompagnement se sont heurtées aux réalités du monde entrepreneurial. Ils finissent par jeter l’éponge. Ainsi, toute autre proposition d’emploi, qu’elle soit légale ou illégale est la bienvenue ».
Un sentiment croissant d’insécurité
À cette situation s’ajouterait une atmosphère sécuritaire exacerbée par les violences, les braquages, les enlèvements, le banditisme, les trafics d’armes et de stupéfiants d’après de nombreux témoignages. L’insécurité dans les localités urbaines comme rurales serait en hausse.
« Face à l’accroissement des oppressions, des frustrations, des exclusions et des marginalisations dans presque tous les domaines et surtout face à l’absence d’une réelle politique de développement, la couche juvénile qui compose la bonne partie de la population de la Donga va commencer à cultiver des idéologies radicales et extrémistes », avertit cet autre jeune. Pour lui, oubliés par le ‘’système’’ les jeunes vont chercher le moyen le plus accessible pour pouvoir « s’affirmer et exister » socialement.
Accumulation des frustrations et tentations radicales
« Lorsque tu as des ambitions et que tu fais de ton mieux pour arriver à tes fins mais sans aucune suite, tu es désespéré. J’ai toujours voulu être un militaire ce qui m’a poussé à participer à des concours, admis, j’ai été recalé, parce que je ne pouvais pas soudoyer les agents recruteurs. Je suis victime d’une injustice » laissait entendre un jeune de Ouaké, un village du département de la Donga qui ne cachait pas son « désir de rejoindre un groupe extrémiste » par « revanche sociale » et recherche d’une justice sociale faisant défaut au mode de gouvernance dans son pays. Un interlocuteur actif dans le domaine de l’éducation explique que : « Ces jeunes ont pour la plupart étudié dans des conditions très peu reluisantes, mais tant bien que mal, ont pu arriver au bout de leur cursus et les voici désormais au chômage et une fois encore à la merci des parents et à la risée de leurs camarades qui jadis avaient abandonné l’école ». Dans un département où la croissance démographique est l’une des plus importantes du pays, « ne pas pouvoir s’affirmer socialement ou tout au moins subvenir à ses besoins est un échec », analyse un jeune étudiant.
Organisations islamiques étrangères et humanitaire religieux à la rescousse ?
Il faut rappeler que la croissance démographique qui marque ce département, rime avec certaines difficultés sociales et une saturation des services sociaux de base. Des centres urbains jusqu’aux périphéries, l’accès aux services sociaux de base est difficile ou quasi impossible. Pour combler le vide, « ce sont les pays du Golfe qui a travers des projets font des dons d’infrastructures aux villages ou aux communes. Aujourd’hui dans le département, nous avons des centaines de forage d’eau, de puits, d’écoles franco-arabe et des mosquées », explique un natif du département sur la façon dont les « étrangers » se sont érigés en « sauveur face au laxisme de l’État ». Des jeunes expliquent lors d’un focus groupe à Ouaké que souvent, dans ce département, deux possibilités s’offrent : « l’immigration ou la lamentation ». Tellement l’opportunité de trouver un travail reste rare au point que « le jeune ne passera ses jours que pour se lamenter sur son sort ou prendre la mer pour l’exode », conclut cet habitant de Copargo.
L’activité agricole face aux conflits locaux : la résilience bousculée ?
L’agriculture qui a toujours été une importante activité économique pourvoyeuse de revenus dans la Donga, fait de plus en plus face aux conséquences des conflits autour de la terre. Comme l’explique un jeune originaire du village de Badjoudè, « cette activité qui devrait servir de rempart ou de porte de sortie à ces jeunes est empesté dans l’éternel conflit entre agriculteurs et éleveurs, ou dans des conflits domaniaux ». Ces conflits ont tendance à s’accentuer face à la raréfaction des ressources et aux effets perceptibles des aléas climatiques. « Il ne se passe une journée, une journée je vous dis sans qu’au cours de la saison pluvieuse on n’enregistre pas un cas de destruction de champ ou de plantation par les animaux d’un bouvier », informe un agriculteur de Copargo. Un autre habitant récemment dépossédé de son champ ajoute : « Si c’était seulement des problèmes entre agriculteurs et éleveurs, ce serait encore mieux, mais aujourd’hui, nous nous battons pour sauvegarder nos terres. Depuis que le gouvernement a demandé à chacun d’enregistrer ses terres, tout le monde veut avoir de la terre, d’où les problèmes ».
Cependant, même si certains jeunes rencontrés avaient l’intention de se reconvertir dans l’agriculture, la problématique de l’accès à la terre se pose désormais avec acuité. « Les domaines ne sont plus accessibles à tous », explique un jeune agriculteur. Les populations du département semblent dénoncer les politiques publiques en matière agricole et de gestion du foncier. Elles évoquent de récentes mesures jugées contreproductives et affectant même la résilience économique des communautés.
En effet, le gouvernement à travers le décret N° 2022-568 du 12 octobre 2022 portant interdiction de l’exportation de soja grain et fixant les conditions de mise en œuvre de l’interdiction d’exportation des noix brute de cajou et du soja graine en République du Bénin, avait déjà interdit l’exportation du soja et de la noix de cajou à compter du 1er avril 2024. Cette décision prise pour la deuxième fois, avait, pour certains, « fragilisé le pouvoir économique des agriculteurs car ces deux produits constituent les plus grandes sources de revenus après le coton », comme explique ce jeune agriculteur des environs de Ouaké. Du point de vue des populations locales, « aucune alternative réelle n’est définie pour ces jeunes malgré leur volonté ou leur droit à l’émancipation ». Face à cette impasse, cet autre habitant de Ouaké explique que « les jeunes laissés pour compte ne vont que se tourner vers des solutions alternatives pour pouvoir assurer leur survie ».
Des jeunes de la Donga à la portée de recruteurs ?
Les jeunes interrogés lors de focus groupes à Djougou, soutiennent que d’autres facteurs sont à prendre, également, en compte dans l’analyse des risques de basculement vers la radicalisation en évoquant, notamment, « la position géographique de la Donga qui s’ouvre aux pays dont les situations sécuritaires sont dégradantes ». Pour eux, « cette situation est très favorable à l’installation d’un climat où les jeunes qui, dans leur soif d’une émancipation ou d’une autonomie sociale, sont susceptibles d’être recrutés par des groupes terroristes ». Un autre témoignage glaçant en dit long sur cet état d’esprit : « il existe des agents recruteurs qui viennent dans les villages du département de la Donga, en provenance du Burkina Faso, à la recherche des jeunes, soi-disant que c’est pour les travaux champêtres alors que ces derniers sont formés en tant que éléments des groupes armés terroristes. Les frontières des pays étant très perméables et aussi avec la ressemblance des groupes socioethniques, la mobilité à travers les autres pays est très facile. La plupart des pays de la sous-région partagent les mêmes communautés et aussi les mêmes réalités sociales ».
La Donga : Entre poids du religieux, ingérences et expérimentation de stratégies prédicatives
Outre le facteur géographique, celui religieux occupe une place de choix au sein des communautés d’un département où le poids du religieux crée une spécificité par rapport aux autres localités du Nord du Bénin. La composition religieuse de ce département fait qu’au sein d’une communauté musulmane fortement majoritaire (80%), différents courants s’affrontent constamment. Des factions salafistes-wahhabites qui s’autoproclament « Sunnites » et détentrices de la tradition islamique « authentique », s’opposent à des communautés se réclamant de la confrérie soufie Tijaniyya. « Chaque courant se veut plus conformiste et rigoriste aux prescriptions divines et veut s’assurer une part représentative au sein de la société », témoigne ce jeune éducateur exprimant son inquiétude face à une telle tendance qui prend de l’ampleur. En effet, le département de la Donga subit de plein fouet les effets de la concurrence des modèles religieux dans un contexte de mondialisation du croire et des connexions transnationales.
Tout indique que les stratégies de la Da’wah (prédication, appel) internationale s’appuyant sur le développement d’activités caritatives se déploient dans ce département en s’appuyant sur des relais locaux. « Financé par les royaumes arabiques, chaque camp met ses stratégies en œuvre pour attirer le plus de fidèles. Allant de la construction des mosquées, des forages d’eaux, des assistances financières et des prises en charge financières, tous les moyens sont utilisés pour maintenir le fidèle dans le cercle religieux », signale ce jeune actif dans le milieu associatif local. En fait, on se retrouve dans le schéma mixte entre Da’wah et humanitaire qui a prospéré dans beaucoup de pays du Sahel et qui a favorisé une implantation durable des groupes salafistes et/ou wahhabites bien avant l’éclosion du phénomène du recours à la violence extrémiste. Bien qu’il n’y ait pas un lien de causalité systématique entre salafisme et engagement djihadiste, les effets de la polarisation religieuse peuvent avoir des répercussions négatives sur la cohésion sociale. Les populations semblent lire dans cette situation une forme d’offensive idéologique du salafisme surfant sur les déficits des politiques étatiques en matière d’éducation, de santé ou social : « Si l’intention derrière ces œuvres de charité est la quête du paradis, l’objectif de l’embrigadement idéologique est palpable. En conséquence, l’instrumentalisation de la religion pour des fins personnelles devient le dogme », précise cet autre jeune. Cette situation de polarisation idéologique et de fragmentation interne de la communauté musulmane, semble être le signe de l’érosion des liens communautaires originels face à l’émergence de nouveaux types de revendications d’appartenances surfant sur une concurrence des modèles religieux : « Aujourd’hui dans notre commune nous avions plusieurs courants islamiques. Nous avions ceux qui prient à 13 heures et d’autres à 14 heures et dans cette différence, les deux camps se livrent une véritable bataille. Et il faut noter que chaque camp à ses sponsors du côté des pays arabes qui leur fournit argent et autres pour continuer à combattre leurs adversaires », explique un fidèle résidant à Djougou. Les nombreux témoignages recueillis, de même que les discussions ouvertes lors des focus groupes, indiquent que dans la perception de ces jeunes, la radicalisation naît de l’accumulation des frustrations et des « différents problèmes auxquels les victimes n’arrivent pas à trouver une solution ». Des jeunes interrogés font état d’autres originaires de la Donga qui avouent avoir déjà rejoint des éléments extrémistes : « Beaucoup de jeunes rencontrés après avoir rejoint les éléments ont presque tous les mêmes réponses ou les mêmes motivations, ils n’avaient pas le choix, c’était la seule option pour améliorer leur situation ». D’après les témoignages recueillis, « ils seraient originaires des villages environnants de Copargo ou de la commune de Djougou et de Ouaké ».
L’Alibori au carrefour des conflictualités : Entre tensions intercommunautaires et offensive des prêcheurs
Situé au Nord- Est du Bénin, le département de l’Alibori couvre une superficie de 26 242 km2 (23% du territoire national). Il est limité au Nord par le Burkina Faso et la République du Niger, à l’Est par la République fédérale du Nigéria, au Sud par le département du Borgou et à l’Ouest par le département de l’Atacora. En 2013 (dernier recensement général disponible), le département de l’Alibori comptait 867 463 habitants soit 8,7% de la population béninoise Six (06) communes composent ce département à savoir : Banikoara ; Gogounou, Kandi, Karimama, Malanville et Ségbana avec un total de deux cent vingt-neuf (229) villages. La ville de Kandi constitue le chef-lieu du département. L’Alibori est majoritairement peuplé par des Bariba, des Peulhs, des Dendiet des Mokolé. Les populations de ce département pratiquent, pour la plupart, l’Islam (81%), le catholicisme (9%) et l’animisme (4%). L’accès à l’eau potable constitue un véritable problème. Très peu d’arrondissements dispose d’adduction d’eau ou de forages publics. Dans le secteur éducatif, l’Alibori présente un faible taux d’alphabétisation. En 2013, seulement 18% des personnes de plus de 15 ans savent lire et écrire.
L’économie du département est dominée par des activités agricoles notamment la production cotonnière et vivrière. Outre l’agriculture, l’élevage de gros et de petits bétails est très rependu dans le département ainsi que la pêche. L’indice de pauvreté humaine est plus élevé dans la commune de Karimama (60,1%) et plus faible dans la commune de Kandi (52,8%). Les communes de Karimama et de Ségbana sont les plus touchées par toutes les formes de pauvreté alors que la commune de Kandi est la moins impactée du département. Le marché international de Malanville est le plus attractif du département suivi de celui de Banikoara et de Gamia. Le Parc W, une réserve de biosphère transfrontalière partagée entre le Bénin, le Niger et le BurkinaFaso, constitue le plus grand atout touristique du département de l’Alibori. Mais depuis 2020, l’Alibori fait face à une incursion des éléments des groupes armés terroristes impactant négativement la paix et la quiétude des populations. Le Parc national W qui occupe 8000 km2 dans le département, est considéré par certains analystes sécuritaires comme étant la base arrière et le centre de commandement de ces éléments des groupes armés terroristes.
Les facteurs de radicalisation dans l’Alibori sont largement déterminés par la situation socio-économique, politique et ethno-culturelle de cette région. Dans un contexte social qui rime avec les conflits communautaires, ethniques, politiques et religieux, l’avenir des jeunes s’avère « hypothéqué » d’après certains témoignages. « Dans notre région, nous avons tous les problèmes de ce bas monde. Chaque jour, vous devez apprendre une situation dramatique dans le département. Le mal chez nous est très profond et ne date pas d’aujourd’hui », confie un jeune étudiant de Karimama.
L’Atacora, entre vulnérabilités et débordement de l’insécurité : Vers un nouvel épicentre côtier au Nord du Bénin ?
Toucountouna et regroupe 384 villages. Natitingou est le chef-lieu du département. L’Atacora est majoritairement peuplé de groupes ethnico-culturels comme les Otamari (59%), les Bariba (19%) et les Peulh (12%). Les pratiques religieuses sont dominées par l’Islam suivi du catholicisme et des autres religions traditionnelles. Concernant les infrastructures sociocommunautaires, la couverture sanitaire est mitigée. On dénombre pour les 384 villages du département une vingtaine de dispensaire et de maternité. Le département dispose également de plus d’une quarantaine de complexe de santé d’arrondissement.
Le département de l’Atacora d’une superficie de 20 499 km2, pour une population de 772 262 habitants (7,7% de la population nationale) est situé au Nord-Ouest du Bénin. Il est limité au Nord par le Burkina-Faso et le département de l’Alibori, à l’Ouest par le Togo, à l’Est par le département du Borgou et celui de l’Alibori au sud par le département de la Donga. L’Atacora compte neuf (09) communes que sont Boukoumbé, Cobly, Kérou, Kouandé, Pehunco, Matéri, Natitingou, Tanguiéta. Toucountouna et regroupe 384 villages. Natitingou est le chef-lieu du département. L’Atacora est majoritairement peuplé de groupes ethnico-culturels comme les Otamari (59%), les Bariba (19%) et les Peulh (12%). Les pratiques religieuses sont dominées par l’Islam suivi du catholicisme et des autres religions traditionnelles. Concernant les infrastructures sociocommunautaires, la couverture sanitaire est mitigée. On dénombre pour les 384 villages du département une vingtaine de dispensaire et de maternité. Le département dispose également de plus d’une quarantaine de complexe de santé d’arrondissement. Pour ce qui est de l’accès à l’eau potable, plus de la moitié des villages, quartiers et villes de l’Atacora dispose d’au moins d’adduction ou de forages publics. Dans le domaine éducatif, en 2013, le taux de scolarisation est inférieur à celui du niveau national de 13 points soit 65%. Considéré comme le grenier du Bénin en sorgho et en riz, l’agriculture constitue la principale activité de rente des populations de l’Atacora (74% de la population). Outre l’agriculture, le commerce occupe également 16% des activités économiques du département. L’Atacora dispose d’une panoplie de sites touristiques qui attirent des milliers de touristes chaque année. Le panorama et l’habitat (Tata somba, village Tanéka, site panoramique de Koussoucoingou), le paysage montagneux (grotte sacrée des Tanéka, pleine de Boukoumbé, les cascades de Tanougou et de Kota) et les zones cynégétiques de Porga et de l’Atacora, le parc Pendjari, offrent de pittoresques tableaux aux touristes. Cependant, depuis 2019, le département de l’Atacora connait une incursion des éléments des groupes terroristes sur son territoire. De nombreuses attaques contre les positions des forces de défense et de sécurité, des enlèvements de civils et des vols de bétail ont été enregistrés. Malgré les dispositions prises par les autorités béninoises, la situation sécuritaire dans le département reste critique.