mars 26, 2025
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Economie

DESINFORMATION ET GUERRE DE L’INFORMATION : Un défi stratégique pour les démocraties

Dans une note publiée par la Fondation pour la Recherche stratégique, Valérie Niquet, Maître de recherche à la FRS, explique le défi pour les démocraties à l’ère où la désinformation fait parler d’elle à travers le monde entier. De l’Europe en Afrique, en passant par l’Asie, les USA, entre autres, la désinformation est devenue un défi majeur pour ces démocraties. Pour la chercheuse de la FRS, le défi est renforcé par les politiques des grandes entreprises technologiques du secteur cyber.

En guise d’introduction de sa note intitulée « Désinformation et guerre de l’information : un défi stratégique pour les démocraties », Valérie Niquet souligne que la diffusion de la désinformation est devenue un défi majeur pour les démocraties et l’ordre libéral international fondé sur le partage de valeurs. Avec l’évolution rapide des technologies numériques, la désinformation est devenue un outil majeur pour façonner les opinions publiques, influencer les élections et déstabiliser les sociétés. Des acteurs étatiques et non étatiques exploitent les plateformes de médias sociaux pour diffuser de fausses informations, exacerbant les divisions au sein des sociétés et entre les États. Si la désinformation n’est pas un phénomène nouveau, l’ampleur et la rapidité avec lesquelles elle se propage à l’ère numérique la rendent de plus en plus difficile à combattre.

Le défi est renforcé par les politiques des grandes entreprises technologiques du secteur cyber. La décision de Meta de mettre fin à la vérification des faits sur Facebook et Instagram en 2025 suscite des inquiétudes quant à la prolifération incontrôlée de fausses informations. De même, les changements apportés aux politiques de modération des contenus sur X sous la direction d’Elon Musk ont entraîné une hausse du nombre d’informations fausses et non vérifiées. Une étude réalisée en 2023 par le Center for Countering Digital Hate a révélé que seuls quatre des 200 cas signalés de discours haineux et de désinformation liés au conflit entre Israël et le Hamas avaient été supprimés au bout d’une semaine, laissant la quasi-totalité des contenus signalés disponibles. Ces développements illustrent la nécessité de mettre en place des stratégies globales pour lutter contre la désinformation et sauvegarder les intérêts des systèmes démocratiques.

La nature et l’impact de la désinformation

Selon la chercheuse, la désinformation se propage six fois plus vite que les informations factuelles, ce qui rend les contre-mesures particulièrement difficiles. Des études montrent que, pour que la vérification des faits soit efficace, les corrections doivent être diffusées dans un délai d’une à deux heures après la diffusion de fausses affirmations. Cependant, même lorsque des vérifications de faits sont disponibles, elles n’atteignent pas le public le plus vulnérable aux opérations de désinformation. Au lieu de corriger les fausses croyances, la vérification des faits peut parfois les renforcer, en particulier chez les personnes qui la perçoivent comme étant motivée par des considérations politiques.

La politisation de la vérification des faits complique les efforts de lutte contre la désinformation. Aux États-Unis, les partisans de Donald Trump estiment souvent que la vérification des faits est biaisée, et des poursuites judiciaires contre les chercheurs et les organismes de vérification des faits peuvent être engagées. La perception selon laquelle les institutions médiatiques et les agences de vérification des faits ciblent sélectivement des groupes politiques spécifiques érode la confiance du public et profite aux propagateurs de désinformation. Cette dynamique souligne la nécessité de mettre en place des mécanismes de vérification de l’information transparents et impartiaux qui renforcent la confiance du public.

Influence étrangère et ingérence électorale

Valérie Niquet estime que les acteurs étrangers ont de plus en plus recours à la désinformation pour peser sur les processus démocratiques. L’élection présidentielle américaine du 5 novembre 2024 illustre la manière dont les régimes autoritaires utilisent la désinformation pour tenter de manipuler les résultats électoraux et accentuer les divisions sociétales. L’opération Spamoflage de la République populaire de Chine (RPC) a ciblé les membres du Congrès qui prônent une position plus dure à l’égard de Pékin, en particulier sur Taïwan. Le groupe de hackers soutenu par l’Iran Cotton Sandstorm, qui s’est également attaqué au journal satirique français Charlie Hebdo, visait à affaiblir la campagne de Donald Trump en créant la confusion et la méfiance parmi les électeurs. Les données de l’organisation Alliance for Securing Democracy indiquent que les efforts de désinformation se sont intensifiés au cours des mois précédant l’élection américaine. Les campagnes menées par des acteurs russes ou proches de la Russie se sont intensifiées en septembre, tandis que les opérations d’influence chinoises ont atteint leur apogée au début du mois d’octobre. Ces interventions soigneusement programmées soulignent la nature stratégique des efforts de désinformation étrangers, conçus pour exploiter les vulnérabilités des sociétés ouvertes. L’objectif n’est pas seulement d’influencer les résultats des élections, mais aussi de détruire la confiance dans les institutions démocratiques et de créer ainsi une instabilité à long terme.

L’utilisation stratégique de la guerre de l’information par la Chine

A en croire l’auteur, l’approche de la Chine en matière de désinformation et de guerre de l’information est profondément ancrée dans sa culture stratégique et idéologique. Le Parti communiste chinois (PCC) reconnaît depuis longtemps le pouvoir du contrôle narratif, s’inspirant à la fois des principes léninistes et des doctrines militaires traditionnelles telles qu’exposées dans L’art de la guerre de Sun Zi, qui souligne l’importance de la tromperie et de l’utilisation stratégique des espions. L’art de la guerre fait partie du programme des académies militaires de la RPC depuis sa redécouverte dans les années 1980. En ce sens, la tromperie et la guerre de l’information ne sont pas de simples outils, mais des principes fondamentaux de la pensée stratégique chinoise. L’approche du PCC en la matière est également profondément influencée par l’idéologie léniniste. Dans le modèle de gouvernance du PCC, la guerre de l’information a deux objectifs : sur le plan intérieur, elle renforce la légitimité du Parti par la censure et la propagande ; sur le plan international, elle façonne les perceptions pour faire avancer les objectifs géopolitiques et stratégiques de la Chine.

L’un des principaux ouvrages où ces concepts sont clairement expliqués et mis en pratique est la Science de la stratégie militaire, publiée régulièrement par l’Académie des sciences militaires depuis 1987. L’ouvrage souligne l’importance de gagner des conflits sans engagement militaire direct, « sans combattre » comme le dit Sun Zi, en façonnant les perceptions de l’adversaire par la domination de l’information.

Un aspect essentiel de la stratégie de guerre de l’information de la Chine est la doctrine des trois guerres, qui comprend la guerre psychologique, la guerre médiatique et la guerre juridique. La guerre psychologique vise à démoraliser l’adversaire par une désinformation et une propagande ciblées. La guerre médiatique utilise les médias d’État et les plateformes numériques pour façonner les perceptions en faveur de la Chine. La guerre juridique consiste à manipuler les lois et les normes internationales pour justifier les actions de Pékin tout en délégitimant ses détracteurs. Ces trois composantes fonctionnent ensemble pour créer un avantage stratégique dans les conflits géopolitiques.

La guerre de l’information menée par la RPC va au-delà de la stratégie théorique et se manifeste par des campagnes concrètes visant à influencer l’opinion mondiale. Ainsi, les messages du PCC concernant la présence militaire américaine au Japon en sont un exemple. Le 31 décembre 2024, un porte-parole du ministère chinois de la Défense a déclaré : « Depuis longtemps, les forces américaines au Japon (USFJ) sont accusées d’actes criminels. Leurs méfaits ont déclenché une forte anxiété et des protestations parmi les résidents locaux […] nous savons que si les troupes américaines partent, les habitants d’Okinawa obtiendront ce qu’ils espèrent ». Cette déclaration illustre la manière dont la Chine utilise les techniques de guerre de l’information pour alimenter le sentiment anti-américain et affaiblir les alliances régionales, et plus particulièrement l’alliance nippo-américaine dans le contexte d’un conflit possible avec Taïwan.

La Chine a d’ailleurs mené des campagnes de désinformation ciblant celle-ci. Lors de l’élection présidentielle de 2020, de fausses allégations de corruption à l’encontre de la présidente Tsai Ing-wen et des rapports trompeurs sur la gestion de la Covid-19 par le gouvernement ont été diffusés pour semer la confusion et la méfiance parmi les électeurs. De même, au Japon, les médias contrôlés par l’État chinois ont propagé de fausses allégations sur le rejet des eaux traitées de la centrale nucléaire de Fukushima et les risques sur les ressources marines dans l’ensemble du Pacifique. Ces récits ont pour objectif d’affaiblir la confiance dans les gouvernements démocratiques au niveau régional tout en renforçant l’influence mondiale de la Chine.

Contrer la menace de la désinformation

A ce titre, la chercheuse de la FRS, estime que pour contrer la menace croissante de la désinformation, les démocraties doivent adopter une approche globale et coordonnée. Il est essentiel de renforcer l’éducation aux médias et la sensibilisation au numérique pour donner aux citoyens les moyens de reconnaître et de rejeter les fausses informations et les stratégies de manipulation. Les gouvernements doivent investir dans des mesures de cybersécurité et développer des outils pour détecter et neutraliser les campagnes de désinformation. En outre, il est essentiel d’encourager la coopération internationale face à des menaces dont la caractéristique est d’être transnationales et d’attribution souvent complexe. Par ailleurs, même pour un pays longtemps isolé comme a pu l’être le Japon, au temps de l’IA, la barrière de la langue ne joue plus un rôle de protection naturelle contre les ingérences extérieures.

Pour conclure, Valérie Niquet explique la désinformation est devenue un champ de bataille central dans la compétition géopolitique moderne. Les stratégies employées par la Chine, la Russie et d’autres régimes autoritaires démontrent que le contrôle des récits peut procurer – même si son efficacité est aussi remise en cause – des avantages stratégiques sans qu’il soit nécessaire de recourir à un conflit militaire. Alors que les campagnes de désinformation deviennent de plus en plus sophistiquées, les démocraties doivent reconnaître la gravité de cette menace et prendre des mesures pour protéger leurs institutions. Sans un effort coordonné, l’utilisation de l’information comme arme continuera à affaiblir la confiance des populations des sociétés démocratiques et à accroître les risques de déstabilisation qui les menacent, en faveur des États autoritaires.

Awa BA

 

 

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