Six ans après la chute de son « califat », Daech n’a pas disparu. L’organisation terroriste mute, s’adapte, infiltre de nouveaux territoires et explore les angles morts de la technologie.
« La menace que représente Daech demeure volatile et complexe », prévient Vladimir Voronkov, Secrétaire général adjoint de l’ONU à la lutte contre le terrorisme, lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur les activités du groupe. Derrière les formules diplomatiques affleure une réalité brutale : l’Afrique est désormais l’épicentre des violences jihadistes, avec une intensité sans précédent dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest.
Au Mozambique, au Nigéria, au Mali, le groupe tisse ses réseaux logistiques, finance ses opérations depuis la Libye, et attire des combattants étrangers.
La ligne de front africaine
L’exemple somalien illustre cette expansion : Daech y a lancé une offensive d’envergure au Puntland, mobilisant des combattants venus d’ailleurs. Selon Natalia Gherman, à la tête du Comité contre le terrorisme – l’organe chargé de veiller à l’application des mesures antiterroristes du Conseil – l’organisation exploite les technologies numériques pour lever des fonds à travers le pays.
La riposte militaire somalienne a certes coûté la vie à 200 combattants terroristes du groupe, mais Daech conserve des relais régionaux. Et le cycle continue : pertes de territoire, adaptations, retour.
« Le continent concentre plus de la moitié des victimes d’attentats dans le monde », rappelle Mme Gherman. Ses équipes, envoyées du Cameroun à la Norvège, constatent partout la même chose : Daech profite des fragilités, recrute dans les zones grises, collecte des fonds à travers des plaques tournantes régionales et des réseaux transfrontaliers.
Dans le bassin du lac Tchad, l’organisation s’appuie sur des drones et des explosifs improvisés venus de l’étranger. Ailleurs, ses cellules se financent en « micro-dosant » la criminalité : petits délits, contrebande, détournements.
Même en Iraq, où son chef adjoint a été tué en mars, « le groupe pourrait compenser cette perte en moins de six mois », souligne Vladimir Voronkov.
Bombes à retardement
Au Moyen-Orient, en effet, l’organisation exploite les failles sécuritaires syriennes, attise les tensions confessionnelles et maintient la pression clandestine dans le désert de la Badia, dans le sud du pays.
Les regards se tournent également vers le nord-est syrien, où des dizaines de milliers de femmes et d’enfants vivent dans des camps saturés, notamment à al-Hol et Roj, qui accueillent des membres des familles de combattants présumés de Daech. M. Voronkovprévient : ces lieux présentent « un risque majeur de radicalisation » et rappellent que la lutte antiterroriste ne peut ignorer le droit humanitaire. La prévention, martèle-t-il, est « notre meilleure réponse ».
Suivre l’argent
Pour Elisa de Anda Madrazo, présidente du Groupe d’action financière (GAFI), le nerf de la guerre est l’argent. Depuis 2001, son organisation traque les flux qui financent le terrorisme. « En coupant l’accès aux ressources financières, nous asséchons leur approvisionnement vital », assène-t-elle. Mais les circuits évoluent sans cesse.
Les méthodes anciennes – comptes de dépôt, virements, cartes prépayées – persistent encore. Mais le véritable champ de bataille est désormais numérique. Actifs virtuels, plateformes de financement participatif, messageries cryptées : autant de canaux que les jihadistes détournent.
Le GAFI a documenté comment, en 2024, la branche afghane de Daech a multiplié l’usage de cryptomonnaies pour financer ses opérations. « Certains groupes emploient systématiquement ces actifs », détaille-t-elle, mettant en garde contre un monde où une campagne de dons en ligne peut devenir la caisse noire d’un attentat.
Et face à ce foisonnement, les États ne sont pas prêts. « Moins d’un tiers des pays mènent des enquêtes et des poursuites adéquates », avertit la présidente du GAFI.
Coopérer ou perdre du terrain
Tous, pourtant, s’accordent sur un point : seule une mobilisation collective peut freiner l’expansion de Daech. Vladimir Voronkov insiste sur le respect du droit international et sur l’implication des communautés locales. Natalia Gherman plaide pour un appui accru aux États africains, premiers frappés. Et Elisa de Anda Madrazo appelle à mobiliser le secteur privé et les géants du numérique.
Le contraste est saisissant : une organisation terroriste capable d’adopter l’intelligence artificielle pour sa propagande, et une communauté internationale encore lente à harmoniser ses dispositifs de lutte.
Au Conseil de sécurité, Mme de Anda Madrazo lance un ultime avertissement : « Les terroristes n’ont besoin de réussir qu’une fois pour atteindre leur but, tandis que nous devons réussir chaque fois pour les en empêcher