juillet 16, 2025
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Jusqu’où iront les tensions entre le Niger et le Bénin autour de l’exportation du pétrole ?

REPORTAGE. Le refus du Niger de rouvrir sa frontière avec le Bénin bloque depuis plusieurs semaines l’acheminement du pétrole nigérien par le littoral béninois. Explications.

La tension est de plus en plus vive entre le Niger et le Bénin. Samedi 8 juin, cinq Nigériens appartenant à la société pétrolière chinoise Wapco-Niger ont été arrêtés au port béninois de Sèmè-Kpodji, où le brut en provenance du Niger doit être chargé afin d’être livré à l’international. Le régime militaire au pouvoir au Niger a aussitôt accusé le Bénin d’avoir « kidnappé » ses ressortissants, qu’il dit en mission dans ce pays pour contrôler le chargement de pétrole, indique un communiqué du pouvoir en place depuis un coup d’État le 26 juillet 2023.

La fermeture des frontières entre le Niger et le Bénin, à la suite des lourdes sanctions imposées par la Cedeao après le coup d’État du 26 juillet à Niamey, n’avait pas empêché l’inauguration de l’oléoduc géant devant acheminer du brut des gisements de pétrole d’Agadem (Sud-Est) par la China National Petroleum Corporation (CNPC) jusqu’au Bénin. Long de près de 2 000 kilomètres, il devait changer la donne pour le Niger, qui ne dispose pas d’un accès direct à l’océan, en lui permettant d’écouler pour la première fois son brut sur le marché international, via le port de Sèmè-Kpodji au Bénin voisin. L’objectif à terme est d’acheminer 90 000 barils par jour, ce qui pourrait représenter jusqu’à 12,36 milliards d’euros pour Niamey, selon les estimations de la Banque mondiale. L’enjeu est donc vital pour le pays sahélien enclavé désormais dirigé par une junte militaire. Il faut dire que les autorités nigériennes s’attendent à ce que l’industrie pétrolière génère à terme un quart du PIB et près de 50 % des recettes fiscales. Mais rien ne s’est passé comme prévu.

Un conflit frontalier inédit

Alors que la Cedeao a finalement levé ses sanctions le 25 février dernier, les deux pays voisins n’ont pas réussi à s’entendre. En cause, la décision des autorités nigériennes de maintenir leurs frontières fermées invoquant des raisons sécuritaires, au grand dam du Bénin. Niamey est allé plus loin en accusant Cotonou d’abriter des bases militaires avec présence de soldats étrangers, notamment français sur son sol. Aussi, les autorités nigériennes craignent-elles une intervention militaire de la France depuis le Bénin. Et la visite en décembre dernier du général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises, n’a fait que renforcer la suspicion de la junte nigérienne. Toutefois, le général français a démenti ces allégations : « Regardez ce qui se passe et vous verrez qu’il n’y a pas de base militaire française au Bénin », avait-il affirmé. Selon certaines indiscrétions, les armées française et américaine se rapprocheraient du côté de Cotonou pour le redéploiement de leurs forces dans la sous-région après leur retrait précipité du Sahel.

Autant d’accusations démenties par le Bénin. « Il faut que les autorités nigériennes annoncent officiellement que la fermeture de leurs frontières terrestres fait exception au pétrole », a déclaré Patrice Talon, lors d’une conférence de presse, jeudi 30 mai dernier, dans un dernier épisode du bras de fer qui oppose les deux pays. « Une telle clarification serait susceptible de permettre un traitement juridique différencié du pétrole venant du Niger. À défaut de ce minimum, toutes formalités douanières de transit du pétrole restent légalement impossibles entre le Bénin et le Niger », a ajouté le président béninois, un temps partisan d’une ligne dure contre les putschistes qui ont renversé Mohamed Bazoum en juillet dernier.

Une médiation chinoise

Une déclaration tenue 48 heures après une réunion à Niamey entre les deux partis opposés. Conciliation facilitée par l’entreprise pétrolière chinoise West African Gas Pipeline Company Limited (Wapco). Selon le chef d’État, le Bénin n’a fait l’économie d’aucun effort pour normaliser les relations entre les deux États. Fin de citation. La décision est donc prise, le chef de l’État béninois maintient ses conditions si les frontières ne sont pas ouvertes et, côté Niger, le transit du pétrole nigérien via le Bénin ne sera pas possible.

Depuis le coup d’État, la junte au pouvoir au Niger a expulsé les troupes de l’ancienne puissance coloniale française puis récemment les forces américaines. Et s’est rapprochée de la société Africa Corps, le nouveau nom de Wagner. Les liens ont également été renforcés entre les putschistes nigériens et la Chine. Pékin a avancé 400 millions de dollars pour aider le pays à rembourser la dette croissante accumulée depuis la prise de pouvoir par l’armée. Le prêt est assorti d’un taux d’intérêt de 7 % et le Niger devra rembourser la Chine en envoyant la quantité équivalente de pétrole sur une période de douze mois.

Le bras de fer n’en finit plus et l’opposition béninoise s’en mêle, jugeant les efforts du gouvernement insuffisants tout en déplorant « l’approche conflictuelle adoptée par le pouvoir de la rupture de Patrice Talon », estime Guy Mitokpè, chargé de communication du parti Les Démocrates. L’ancien président de la République du Bénin, Boni Yayi, a déclaré que le Bénin « gagnerait davantage à préserver les lieux historiques de paix avec ses voisins, comme nous l’ont appris tous les présidents avant Patrice Talon ».

Un premier navire chargé de 1 million de barils de pétrole brut nigérien a pourtant quitté les eaux béninoises, dimanche 19 mai. Ceci grâce à la médiation du partenaire chinois qui opère l’oléoduc conduisant le brut nigérien vers la côte béninoise. L’autorisation de ce premier bateau chargé de brut nigérien est « ponctuelle et provisoire », avait néanmoins précisé le gouvernement béninois.

Les analystes pensent que la Chine, partenaire économique privilégié des deux pays, pourra peser pour un dégel de la crise. Toutefois, ils estiment qu’elle aura également besoin de s’appuyer sur les bons offices des leaders des pays voisins, tels que le Burkina Faso et le Nigeria. « Je pense que la Chine doit jouer ce rôle de médiateur entre Niamey et Cotonou. D’ailleurs, elle a bien commencé, mais l’apport de certains dirigeants de la région est primordial. Son poids économique dans la région est énorme et les deux belligérants le savent. Il faudra œuvrer ensemble avec certains dirigeants proches des deux hommes forts pour créer ce lien de confiance », analyse Albert Houeto, expert béninois en gestion de crise et résolution de conflits.

Les échanges commerciaux impactés

Au-delà du climat politique tendu, la crise actuelle pénalise l’ensemble de l’activité économique de la région. Il faut savoir que 80 % des importations nigériennes transitent par le Bénin. Cette fermeture a mis à rude épreuve les entreprises béninoises actives dans le commerce transfrontalier avec le Niger. Exemple concret, les produits vivriers en provenance du Bénin sont généralement convoyés au Niger à travers le fleuve Niger par les grossistes nigériens. Une situation qui crée une pénurie et une hausse au niveau des prix de vente dans les marchés, les magasins et les boutiques des deux pays. Le Bénin a durci le ton, le 9 mai dernier, en prenant d’autres mesures protectionnistes, comme l’interdiction d’exportation des céréales vers ses voisins directs, dont le Niger. Benoîte S., commerçante de produits vivriers et saisonniers entre le Bénin et le Niger, est claire : « Nous plaidons pour la réouverture des frontières entre les deux pays. Un pas a été posé pour le dégel de la situation avec le départ du premier bateau de 1 000 barils du pétrole brut. Le Bénin ne doit pas s’arrêter en si bon chemin, il faut poursuivre les négociations pour l’ouverture des frontières terrestres entre les deux pays », suggère-t-elle.

Pour Régis Hounkpè, analyste géopolitique, ce blocage du Bénin « va certainement exacerber les tensions, mais il n’est pas intéressant ni pour le Niger ni pour le Bénin de continuer dans cette démarche. Je suis convaincu que le dialogue reviendra, que la diplomatie reprendra le chemin des relations traditionnelles entre le Bénin et le Niger, et que, surtout, d’un point de vue économique, diplomatique et stratégique, ces deux pays reviennent à de meilleures attitudes ».

« On n’a pas besoin de faire une grande école d’économie pour connaître les règles du business », a martelé Nicéphore Dieudonné Soglo, ancien président du Bénin (1991-1996). « Des généraux décident de faire un coup d’État et mettent dehors la France et les États-Unis, et vous, le voisin, vous décidez de vous tirer une balle dans le pied en prenant parti, si vous devenez ami avec mes ennemis, c’est clair que je vous considère comme un ennemi », a caricaturé l’ancien dirigeant. Pour lui, le Bénin paie déjà un lourd tribut pour son économie puisque, poursuit-il, « le port naturel le plus proche de Niamey est celui de Cotonou mais il est désormais presque à l’arrêt, les camions sont bloqués ». Il se propose en tant que vice-président du Forum des anciens chefs d’État d’Afrique (Faca) de consulter ses pairs, notamment l’ancien chef d’État du Mozambique, président en exercice dudit forum ainsi que l’ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, pour jouer les bons offices auprès des autorités nigériennes.

Le FMI prévoit que la production pétrolière permettra à l’économie du Niger d’atteindre une croissance de 11 % cette année, soit le taux le plus rapide de tous les pays d’Afrique subsaharienne. Encore faut-il que le pétrole commence à couler.

Par Blamé Ekoué, à Cotonou (Le Point Afrique)

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