« … sur le continent africain les moyens de renseignement sont essentiellement utilisés à des fins de
surveillance de l’opposition politique et leur efficacité dans la lutte contre le terrorisme s’en ressent » 1
« Dans les pays démocratiques, l’exigence éthique s’applique depuis longtemps aux activités
de renseignement. Les fonctionnaires du secret ne sont pas des individus incontrôlables sans
foi ni loi, faisant ce que bon leur semble au nom de la raison d’État » 2
Avant 2016, il n’existait aucune loi spécifique définissant le cadre juridique légal des activités
de renseignement. Conscient du fait que « cette situation (…) peut entraîner des abus et devenir
dès lors un danger aussi bien pour les personnels des services de renseignement que pour les
citoyens dont les libertés individuelles consacrées par la Constitution doivent être respectées »,
le législateur a adopté le 5 décembre 2016 une loi relative aux services de renseignement,
promulguée le 14 décembre 2016 sous le numéro 2016-33. L’on ne peut que se féliciter de
l’adoption de cette loi qui ratifie des pratiques de surveillance jusqu’alors illégales des services
de renseignement. Selon l’exposé des motifs, « le renseignement doit jouer un rôle d’avant-
garde dans le dispositif national de sécurité, surtout pour …la défense de la démocratie, de la
liberté des peuples et des droits de l’homme ».
La loi nouvelle a comme objectif principal l’institution d’ « un cadre juridique qui définit
notamment les missions des services de renseignement, les moyens qu’ils peuvent mettre en
œuvre pour les remplir, les mécanismes de contrôle de leurs activités, les règles spéciales
applicables à leurs personnels ainsi que les infractions relatives au renseignement » 3 .
Toutefois, il faut bien convenir que l’analyse du texte de la loi révèle des imperfections et
lacunes. En effet, il est important que certains aspects importants de l’activité de renseignement
soient codifiés « afin que le recueil, la conservation et l’exploitation des informations ne
présentent pas de risques pour l’exercice des libertés individuelles et collectives
disproportionnés avec les objectifs poursuivis 4 ». A titre d’exemples, il y a l’accès aux données
de connexion d’une personne par réquisition auprès d’un opérateur, la géolocalisation d’un
téléphone portable, la localisation des personnes et véhicules et les interceptions de sécurité
(enregistrement des communications téléphoniques des personnes ou de leur entourage).
1 Philippe WECKEJ, « La coopération internationale en matière de communication et de renseignement sur les activités de terrorisme » dans
« Le contrôle parlementaire des opérations de sécurité et de renseignement », Colloque franco-tunisien organisé par la faculté de droit et
science politique de Nice (CERDACFF), Tunis, le 18 mars 2016, LexisNexis, p.110.
2 Éric Denécé, « L’éthique dans les activités de renseignement », Revue d’administration publique, 2011/4, n° 140, pp. 702-722.
3 Le dispositif de la loi porte sur les activités des services de renseignement (article 1 à 15 du chapitre premier), les personnels des services
de renseignement (article 16 à 25 du chapitre II) et des dispositions pénales (articles 26 à 31 du chapitre III).
En République du Bénin, la loi n° 2017-44 du 05 février 2018 portant recueil du renseignement est structurée en huit chapitres :
Chapitre I- Des dispositions générales
Chapitre II- De la commission nationale de contrôle des renseignements
Chapitre III- Des procédures applicables
Chapitre IV- Des renseignements collectés
Chapitre V- De l'organisme charge de recevoir les demandes de mise en œuvre des techniques de renseignement
Chapitre VI- Des opérateurs de communication
Chapitre VII- Du contentieux
Chapitre VIII- Des dispositions finales
4 Christian Chocquet, « La structure administratives des services de renseignement » dans « Le renseignement français contemporain. Aspects
politiques et juridiques », L’Harmattan, 2003, p.41.
2
On se bornera ici à exposer quelques commentaires du cadre général juridique du
renseignement fixé en 2016 et à évoquer l’absence d’un dispositif de contrôle externe de la
légalité de l’ensemble des techniques de renseignement autorisées par le législateur ainsi le
défaut de contrôle politique des opérations de renseignement.
1. Commentaires du cadre juridique légal du renseignement
Des finalités du renseignement non définies de manière précise
Le législateur commence par rappeler, dans une disposition préliminaire (en dehors du
dispositif normatif habituel), l’importance du « respect du droit international des droits de
l’homme, des lois nationales et des libertés fondamentales reconnues aux citoyens pour la
protection des intérêts supérieurs de la Nation » lorsque la communauté du renseignement
mène ses activités de renseignement.
L’article premier définit les missions des services de renseignement. Ceux-ci effectuent « la
recherche, le recueil, l’exploitation et la mise à la disposition des autorités de décision des
renseignements relatifs aux menaces contre la sécurité et les intérêts fondamentaux de la
Nation » 5 . Si on se limite à cette disposition, le législateur ne définit que deux finalités pour
lesquelles les services de renseignement sont habilités à utiliser les procédés de recueil de
renseignement : la sécurité et les intérêts fondamentaux de la Nation. A notre sens, la sécurité
participe de la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation. En définitive, seules les
menaces contre les intérêts fondamentaux de la Nation peuvent légitimer les opérations
des services de renseignement.
La notion d’intérêts fondamentaux de la Nation n’est pas définie dans la loi 6
Qu’entend le législateur de 2016 par intérêts fondamentaux de la Nation ? Non précisée, cette
notion peut faire l’objet d’une interprétation extensive.
Les intérêts fondamentaux de la Nation ne sont définis en droit sénégalais par aucun texte 7 .
Toutefois, dans la Constitution et le Code pénal, on peut retrouver plusieurs intérêts intangibles
qu’il faut protéger parce qu’étant essentiels à la continuité de l’existence de l’Etat : le régime
constitutionnel, l’indépendance nationale, la sûreté de l’Etat, la défense nationale, l'intégrité du
territoire national, la forme républicaine de l’Etat et l’exécution des engagements
internationaux. Au détour d’une phrase, on aurait dû réaffirmer la sauvegarde de ces intérêts
fondamentaux dans l’exposé des motifs.
L’organisation de la communauté du renseignement devrait être règlementée par un décret
pris après avis de la Cour suprême
La disposition préliminaire fait la distinction entre « les services spéciaux de renseignement »
et « les autres services de l’Etat ayant dans leurs attributions une mission de renseignement »
qui forment la communauté du renseignement.
5 Selon l’article premier de la loi du 5 février 2018 précitée du Bénin, « le renseignement est l’action de mobiliser et de traiter l’information au
moyen de techniques appropriées destinées à permettre aux pouvoirs publics d’anticiper, de prévenir et de gérer les situations qui peuvent être
des sources de risques et de menaces d’insécurité ou d'atteinte aux intérêts vitaux de la Nation ».
6 La disposition préliminaire fait référence à des intérêts supérieurs de la Nation alors que l’article premier mentionne des intérêts
fondamentaux de la Nation.
7 En droit français, « les intérêts fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité de son
territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa
population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel
scientifique et économique et de son patrimoine culturel » (article 410.1 du Code pénal).
3
En renvoyant à un décret pour fixer l’organisation de la communauté du renseignement, le
législateur confirme le monopole de l’Exécutif sur l’organisation des services de
renseignement. Ce décret, dont on ignore l’existence, doit désigner avec précision les
départements ministériels dont les services sont susceptibles de pouvoir mettre en œuvre les
techniques de renseignement prévues par la loi du 14 décembre 2016.
L’obligation de recueillir l’avis consultatif ou conforme de la Cour suprême devrait être exigée
par le législateur avant la signature de tout décret portant application de la loi sur le
renseignement.
La coordination politique et opérationnelle des activités de renseignement au niveau national
est à réorganiser
La Délégation au Renseignement national ne devrait pas exercer des activités opérationnelles.
Elle devrait se limiter à centraliser, recouper, analyser et transmettre au Président de la
République et au Premier ministre les productions qui lui sont adressées par les services de
renseignement des ministères et non venir les concurrencer. En bref, elle doit avoir le rôle d’un
simple « façonnier du renseignement 8 ».
L'incomplétude du cadre juridique en matière de protection des droits et libertés
fondamentaux des citoyens, par rapport à la violation de la vie privée
Le législateur ne donne pas des garanties suffisantes en matière de protection des libertés
individuelles. Il aurait dû énoncer clairement que le respect de la vie privée et de toutes ses
composantes est garanti par la loi 9 . En effet, il incombe au législateur d'exercer pleinement la
compétence que lui confie l’article 67 de la Constitution et, à cet effet, il doit notamment
« prémunir les sujets de droit …contre le risque d'arbitraire » 10 .
Le législateur n’énonce pas clairement le champ d’application des techniques de recueil de
renseignement
L'article 4 dispose de manière vague : « En matière de terrorisme, de criminalité organisée ou
de trafics internationaux, les services spéciaux de renseignement peuvent procéder à des
enquêtes judiciaires, ouvertes au moment le plus opportun, lorsqu’il résulte des renseignements
et indices dont ils disposent une présomption de crime ou de délit ».
Au Bénin, l’article 6 de la loi du 05 février 2018 précitée précise : « Les techniques de recueil de
renseignement sont applicables à toute personne sur laquelle il existe des raisons sérieuses
susceptibles de permettre de recueillir des informations au titre des finalités citées à l'article 3, à
l’exception des députés, des magistrats et des avocats dans l’exercice de leur mandat ou de leur
profession, ainsi que des personnes qui, de par leur statut sont susceptibles de connaitre de
dossiers de mise en accusation du Président de la République et des membres du
Gouvernement.
L’exemption peut être levée par la Commission nationale de contrôle des renseignements en
cas de poursuite judiciaire ou dans des conditions d'absolue nécessité ».
8 Rémy Pautrat, ancien directeur de la DST et ancien conseiller sécurité du Premier ministre en France, « La coordination politique du
renseignement : le Comité interministériel du renseignement suffit-il ? » dans « Le renseignement français contemporain. Aspects politiques et
juridiques », L’Harmattan, 2003, p.87.Nous mettons en gras.
9 Au Bénin, l’article 4 de la loi de 2018 indique très clairement que « l'autorité publique ne peut y porter atteinte que dans les seuls
cas de nécessité d'intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci. ».
10 Décision n° 2006-540 du 27 juillet 2006 du Conseil constitutionnel français.
4
Des procédés de recueil de renseignement qui méritent d’être précisés et strictement encadrés
par la loi
L’article 10 dispose : « Les services spéciaux de renseignement peuvent, lorsqu’ils disposent
d’indices relatifs à l’une des menaces prévues à l’article 2 et en l’absence de tout autre moyen,
recourir à des procédés techniques, intrusifs, de surveillance ou de localisation pour recueillir
les renseignements utiles à la neutralisation de la menace ».
Que faut-il entendre par l’expression « en l’absence de tout autre moyen » ? Faut-il en déduire
qu’en matière de renseignement, « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé » ; principe qui, à
notre sens, peut s’appliquer à des citoyens mais pas à des services de l’Etat.
Le législateur ne donne non plus aucune précision sur le sens des expressions « procédés
techniques, intrusifs, de surveillance ou de localisation ». Cette imprécision porte « en
germe un risque certain de banalisation du recours aux techniques de renseignement, là où
seule une nécessité publique impérieuse devrait pouvoir justifier leur mise en œuvre 11 ».
L’absence d’une définition est en porte à faux avec le principe de légalité qui exige que les
moyens à utiliser soient clairement définis dans la loi. « La loi doit être d’une clarté et d’une
précision suffisantes pour fournir aux individus une protection adéquate contre les
risques d’abus de l’exécutif dans le recours aux techniques de renseignement 12 ». (Nous
mettons en gras).
L’absence de dispositions relatives au recueil de renseignement auprès des opérateurs de
téléphonie et fournisseurs d’accès à internet
L’article 11 se limite à dire : « Requis en cas de besoin, (…) les organismes privés compétents
fournissent sans délai aux services de renseignement le concours nécessaire (…) ».
La loi est muette sur le contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement
L’autre particularité de cette loi, c’est son silence sur les recours que les citoyens sont en droit
d’exercer lorsqu’ils font l’objet de mise en œuvre de techniques de renseignement. Or, les
citoyens ont besoin d’être rassurés que « certaines techniques de renseignement mises en œuvre
(ne sont pas) aux limites de la légalité voire en contradiction avec la loi pénale, sans (qu’ils)
disposent de garanties réelles pour la préservation de leur vie privée puisqu'aucune
condamnation pénale n'est prononcée, faute de poursuites ou de preuves » 13 .
L’absence de disposition sur le contentieux tranche avec le vœu exprimé par le législateur de
mener les activités de renseignement « dans le respect du droit international des droits de
l’homme, des lois nationales et des libertés fondamentales reconnues aux citoyens ». Au
Benin, « tout citoyen qui soupçonne qu'il serait l’objet de mise en œuvre de technique de
renseignement peut saisir la Commission nationale de contrôle des renseignements qui devra
procéder à des investigations. » 14 .
11 Olivier Desaulnay et Romain Ollard, « Le renseignement français n’est plus hors-la-loi. Commentaire de la loi n° 2015-912 du 24 juillet
2015 relative au renseignement », Droit pénal, Revue mensuelle LexisNexis jurisclasseur, septembre 2015, p.7.
12Le Défenseur des droits de la République française, « Avis du Défenseur des droits n° 15-04 », Paris, le 2 avril 2015.
13 Rapport d'activité 2019-2020 Délégation parlementaire au renseignement.
14 « La Cour d'Appel est compétente pour connaître, en premier ressort, du contentieux concernant la mise en œuvre des techniques de
renseignement » et « la Cour suprême est compétente en dernier ressort » (articles 31 et 32 de la loi de 2018 précitée).
5
2. La nécessité de mettre en place un mécanisme de contrôle externe des
activités de renseignement.
L’adoption de la loi de 2016 nécessite en contrepartie l’organisation d’un dispositif renforcé de
contrôle administratif interne 15 et de contrôle des moyens budgétaires ainsi que la mise en
place d’un mécanisme de contrôle externe des opérations de renseignement.
Pour un contrôle effectif des moyens budgétaires des activités de renseignement
Combien de milliards de francs CFA sont consacrés à la politique du renseignement ? Il est
impossible aujourd’hui de répondre à cette question en raison de l’opacité organisée qui
entoure la gestion financière d’une partie du budget des services de renseignement.
L’emploi des fonds destinés aux services de sécurité et de renseignement doit faire l’objet d’un
contrôle budgétaire et comptable qui « s’assure du respect de la destination des crédits par
rapport aux objectifs fixés et mesure la performance des services en relation avec les crédits
investis 16 ».
Pour un contrôle externe de légalité et de proportionnalité de certaines techniques de
renseignement
Le contrôle de légalité des moyens employés et de leur proportionnalité est prévu à l’article 9
qui dispose : « Pour l’exécution des missions qui leur sont assignées, les services de
renseignement apprécient la consistance des moyens opérationnels à mettre en œuvre. Ils
s’assurent cependant de la légalité des moyens employés et de leur proportionnalité à la gravité
de chaque menace. ». La question se pose de savoir qui est l’autorité publique chargée du
contrôle de légalité des moyens employés et de leur proportionnalité.
Une réflexion devrait être engagée sur la mise en place d’une Commission nationale de contrôle
des renseignements sur le modèle de la Commission de Protection des Données à Caractère
Personnel dite « Commission des Données personnelles » 17 et qui serait chargée du contrôle
externe de légalité et de proportionnalité de certains procédés de renseignement.
Pour un contrôle parlementaire a posteriori des activités de renseignement
La loi de 2016 se limite à énoncer en son article 15 que « L’Assemblée nationale peut, devant
la Commission de la Défense et de la Sécurité, entendre le Premier ministre ou les ministres
responsables de services de renseignement sur des questions relatives aux orientations
générales de la politique de renseignement, à l’organisation et aux ressources des services de
renseignement ».
Le « contrôle politique » communément appelé contrôle parlementaire dont il s’agit ici n’est
pas un contrôle des services de renseignement eux-mêmes mais un « contrôle externe de
responsabilité, qui consiste à permettre aux élus de la Nation de vérifier la façon dont l’exécutif
15 Ce type de contrôle est prévu à l’article 14 de la loi qui dispose : « Les autorités administratives contrôlent la régularité et l’efficacité des
activités des services de renseignement placés sous leur responsabilité. Elles veillent à l’exécution correcte des missions ainsi qu’à la
réalisation des objectifs spécifiques pouvant être assignés par des directives ou plans de renseignement ».
La question se pose de savoir qui sont les autorités administratives compétentes pour contrôler les activités des services de renseignement et qui
sont les autorités chargées de contrôler ces mêmes autorités administratives.
16 Pauline TURK, « Le contrôle parlementaire des activités de renseignement » dans « Le contrôle parlementaire des opérations de sécurité et
de renseignement » (Sous la direction de Riadh Jaidane et Christian Vallar), Colloque franco-tunisien du 18 mars 2016, LexisNexis, pp. 81-91.
17 Créée par la loi n° 2008-12 du 25 janvier 2008 sur la protection des données à caractère personnel.
6
utilise les services de renseignement 18 ». Autrement dit, le contrôle souhaité est un contrôle de
la politique du Gouvernement en matière de renseignement du fait que la politique de sécurité
et de renseignement peut désormais être classée parmi les politiques publiques que l’Assemblée
nationale est tenue d’évaluer ce qu’elle ne fait pas 19 .
Conclusion : la nécessité d’évaluer le cadre juridique légal de 2016 applicable aux services
de renseignement
La loi de la loi n° 2016-33 du 14 décembre 2016 ne nous parait pas « d’une clarté et d’une
précision suffisantes pour fournir aux individus une protection adéquate contre les risques
d’abus de l’exécutif dans le recours aux techniques de renseignement 20 ». Pour l’heure, il
apparait souhaitable que l’évaluation de son application soit effectuée par la Commission des
Délégations de l’Assemblée nationale 21 .
Par Mamadou Abdoulaye SOW
Inspecteur principal du Trésor à la retraire