mai 5, 2024
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Sécurité

La politique russe d’Emmanuel Macron : Etapes et racines d’une nouvelle approche, 2017-2024

La France tient vis-à-vis de la Russie une position ambivalente depuis des décennies, une position en partie fondée sur des mythes, des projections et des ambitions peu réalistes.

La France comme la Russie se sont historiquement et principalement perçues comme des appuis, voire des alliés potentiels dans des rivalités respectives sur le continent européen et ailleurs dans le monde1. Rivalités au coeur desquelles se trouvaient, à partir du second XXe siècle, la place et l’influence réelles ou prétendues des États-Unis. Cela explique à la fois la persistance de cette volonté de rapprochement et les limites de cette relation, bien plus fantasmée qu’effectivement vécue, rendant la relation franco-russe intrinsèquement fragile. Trois écueils majeurs ont conditionné les faibles perspectives de la relation franco-russe, sans, pour autant, jamais entraver le dialogue : premièrement, la question des valeurs et des principes ; deuxièmement, le rapport différent aux États-Unis ; troisièmement, les divergences de vues et d’approches entre la France et l’Allemagne sur la nature du rapprochement à opérer entre l’Europe et la Russie. La relation franco-russe a progressivement connu une forme de « banalisation » sous les présidences de Nicolas Sarkozy et, surtout, de François Hollande. Le dialogue n’était pas rejeté et la position historique de la France sur le refus de l’adhésion de l’Ukraine à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et à l’Union européenne (UE) restait inchangée, mais les intentions n’étaient plus les mêmes, passant d’une posture d’« écoute », et même d’empathie, sous Jacques Chirac, à une position pragmatique pour la sécurité européenne.

Si Emmanuel Macron a cherché à poursuivre la politique de « dialogue et de fermeté » de son prédécesseur (en prorogeant les sanctions imposées à la suite de l’annexion de la Crimée, en écartant tout nouveau contrat d’armement et en formulant d’acerbes critiques contre Moscou4), il a aussi prôné, comme Barack Obama en 2009, une politique de reset avec la Russie ; une double approche incarnée par la rencontre avec  Vladimir Poutine, à Versailles, en 2017, et le lancement du Dialogue de

Trianon. Les efforts d’Emmanuel Macron ont été largement vains, symboliques et unilatéraux. Le président français a sous-estimé la fragilité et les faibles perspectives structurelles de la relation franco-russe, l’expérience de ses prédécesseurs ainsi que les intentions et la culture politico-stratégique de la Russie. Cette politique de rapprochement, et même d’inclusion, fut finalement très contreproductive pour son projet européen, qui se trouve pourtant au coeur de ses ambitions. La prétention de la France à être une « puissance d’équilibre(s) » et « médiatrice » et sa volonté d’ancrage dans la tradition « gaullo-mitterrandienne » se sont révélées contradictoires avec les ambitions européennes d’Emmanuel Macron (notamment d’autonomie stratégique européenne), qui, oscillant entre un « programme souverainiste » et un « programme libéral », a forgé une « idée incertaine » de l’Europe. Ces perspectives typiques d’un « gaullisme romancé » portaient en elle les contradictions d’une politique française post-guerre froide qui a confondu les moyens (autonomie) et les fins (la grande stratégie) de la politique étrangère gaullienne, empêché une réflexion sérieuse sur la transformation profonde du système international après 1991 et contribué à sous-estimer l’hostilité réelle et potentielle d’acteurs comme la Russie.

L’approche du président français s’est avérée stérile et délétère dans le cas russe, d’une part en démontrant la désunion et la fragilité de l’UE, et d’autre part en donnant de faux espoirs au Kremlin9. Fondée sur des illusions tenaces et traditionnelles en France sur la Russie – où se mêlent une lecture russo-centrée de l’histoire de l’Europe orientale ainsi que l’idée que la culture permettrait de dépasser les désaccords politiques–, confortées par des conseils de personnalités officielles et officieuses peu lucides sur la Russie post-soviétique (Hélène Carrère d’Encausse, Jean- Pierre Chevènement, Hubert Védrine…), la politique russe d’Emmanuel Macron s’est progressivement révélée inféconde en 2021-2022 et a isolé la France en Europe. Cependant, dès 2022-2023, le président français a opéré une profonde mutation. Restituer les principales étapes et causes de ce changement d’approche constitue l’objet de ce travail.

D’illusions en échecs : la politique russe d’Emmanuel Macron, 2017-2022

Emmanuel Macron a commis trois erreurs majeures dans sa relation avec la Russie, erreurs dont il ne se départira que très progressivement, y compris après le 24 février 2022. Premièrement, il a considéré Vladimir Poutine comme un homme pragmatique et raisonnable, capable de compromis et avec qui l’établissement d’une relation de confiance, d’« homme à homme », permettrait des avancées. Deuxièmement, il a sous-estimé la nature, le cynisme et la radicalité des intentions russes, qui ne sont pas tant de se faire accepter et reconnaître par l’Occident, ou encore d’équilibrer le rapport de force en Europe, que d’assouvir des ambitions impérialistes et hégémoniques. Le Kremlin voit historiquement la France comme un cheval de Troie pour étendre son influence dans l’espace post-soviétique et en Europe, pour déconnecter les États-Unis et l’Europe, et pour disloquer l’architecture de sécurité euro-atlantique. Le président français n’a donc pas mesuré l’ampleur des projets anti-français de la Russie, comme ceux, dès 2018, de nuire aux intérêts de la France en Afrique et d’y nourrir le « discours antifrançais», notamment via le groupe paramilitaire Wagner (entre 2022 et 2023, la France s’est vue contrainte de retirer ses forces armées du Mali, de la Centrafrique, du Burkina Faso, du Niger et peut-être bientôt du Tchad).

Troisièmement, Emmanuel Macron a lié son projet de « refondation » de l’Europe, d’« Europe forte » et de « souveraineté européenne », à la création d’une nouvelle architecture de sécurité entre l’Europe et la Russie, et donc à la réussite du rapprochement avec la Russie, auquel les membres centraux et orientaux de l’UE ne croyaient pas et, par conséquent, ne s’associaient pas. Le refus de ces pays d’organiser un sommet avec Vladimir Poutine à l’initiative de Paris et Berlin, à l’été 2021, sur fond de tensions avec Moscou, fut une énième illustration (comme le « format Normandie », ayant abouti à l’impasse des accords de Minsk) de cette politique non inclusive, incohérente et dangereuse pour la sécurité de l’UE et de l’OTAN.

En outre, Paris et Berlin, malgré une convergence historique sur le principe du rapprochement avec la Russie, avaient des motivations et des approches différentes. Certes, la France comme l’Allemagne étaient rétives à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN, et avaient tendance à ignorer les membres européens centraux et orientaux de ces organisations, mais la nature du rapprochement à opérer avec la Russie ne faisait pas consensus. Si Emmanuel Macron, qui considère sincèrement la Russie comme étant européenne, y voyait un moyen de ne pas pousser Moscou dans les bras de Pékin et d’accroître l’autonomie stratégique et la sécurité de l’Europe, via une nouvelle architecture de sécurité, Berlin, mû par une expérience et une mémoire différentes vis-à-vis de la Russie, plus proche de Washington et plus attaché à l’OTAN que la France, était sur ces points plutôt sceptique et privilégiait une coopération économique et énergétique pour « normaliser » les relations avec la Russie. Pas moins contradictoires que Paris, les gouvernements allemands successifs ont cru – ou préféré croire – que cette approche économique suffirait ; Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères de Gerhard Schröder, manifestait son incompréhension : « Mais pourquoi les Russes ne nous parlent pas d’économie ? Ils ne nous parlaient que de géopolitique. » Ces divergences de vues et, en fait, d’objectifs, ont poussé Paris à s’isoler dès 2019 dans un dialogue bilatéral stérile avec Moscou, altéré après l’empoisonnement d’Alekseï Navalny en 2020.

Le président français, n’ayant rien de substantiel à offrir à la Russie, a surestimé ses propres capacités à dialoguer avec le Kremlin – révélant ainsi les limites de l’idée d’une France « puissance d’équilibre(s) » et « médiatrice ». Il fut, comme Nicolas Sarkozy en son temps, confronté à la fragilité intrinsèque d’une relation franco-russe marquée par le fossé entre les actions réelles de la France (un rapprochement avec l’OTAN et les États- Unis depuis 30 ans) et une rhétorique héritée de la guerre froide sur l’autonomie et la souveraineté. De ce point de vue, Vladimir Poutine (comme Nikita Krouchtchev à l’époque) a sûrement surestimé la volonté et la capacité de la France à modifier le statu quo.

Ainsi, bien qu’Emmanuel Macron se soit montré ouvert à la construction d’une nouvelle architecture de sécurité qui permettrait d’inclure la Russie et de réaliser les ambitions françaises et européennes de Paris, il a, dans le même temps, maintenu une politique de sanctions, est resté intransigeant sur les valeurs et les principes qui devaient sous-tendre ce nouvel « ordre européen » et, surtout, ne voulait pas – et ne pouvait pas, eu égard aux positions des membres centraux et orientaux de l’UE – renoncer aux partenariats de sécurité avec les États-Unis. Des conditions évidemment inacceptables pour Moscou.

L’Élysée a compris trop tard ce qu’il admettra publiquement le 21 février 2022, en qualifiant le discours de Poutine de « rigide et paranoïaque ». Ces mots lucides furent les débuts – certes modestes – d’une progressive prise de conscience du président français. Si, après le 24 février 2022, Emmanuel Macron évoque le « courage de prendre des décisions historiques » pour aider l’Ukraine alors envahie, pour que la Russie ne puisse « jamais l’emporter», il semble tout autant préoccupé par le fait de faire la paix (il a longtemps cru qu’il pouvait convaincre Poutine à faire un deal30) et de gagner la paix à venir avec la Russie, de ne pas « humilier» la Russie et même d’envisager une « communauté politique européenne» (mai 2022), où l’Ukraine pourrait avoir sa place – ce qui revenait à écarter Kiev, au moins temporairement, du statut de candidat à l’UE. À première vue, ces manoeuvres, qui ont suscité l’incompréhension, voire la suspicion des partenaires européens de la France, ont une explication simple. Dès le 24 février, face aux menaces nucléaires de Vladimir Poutine, l’Élysée a pris conscience que la France et  la Russie, deux puissances nucléaires, pourraient se trouver entraînées dans une guerre continentale en Europe, deux ans après qu’Emmanuel Macron a expliqué, encore plus clairement que ses prédécesseurs, que les « intérêts vitaux » de la France comportaient une « dimension européenne ». Mais, nous allons le voir, ce seul enjeu ne suffit pas à expliquer les manoeuvres de Paris. À la charnière de l’année 2022-2023, la posture française connaît un progressif changement d’approche.

Une nouvelle approche fondée sur le rapport de force

Alors que Paris continue de tenter de jouer un rôle de médiateur auprès du Kremlin, y compris après le massacre de Bucha, découvert en mars 2022, le positionnement français change progressivement. Du discours de septembre 2022 à l’Organisation des Nations unies (ONU) à la conférence de soutien à l’Ukraine du 27 février 2024, le président français a opéré une lente transformation, dans les discours comme dans les actes, au point de rompre avec des positions historiques de la France : octroi à l’Ukraine du statut de candidat à l’UE en juin 2022 et soutien à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN en juin 202334.

Ce changement progressif d’approche s’explique en premier lieu par une prise de conscience de la nécessité, face à une radicalité objectivée de la politique russe, d’adopter une posture plus dure pour peser dans le rapport de force et contraindre Moscou à arrêter cette guerre. L’Élysée a longtemps tenté de peser sur le conflit à venir ou en cours en maniant la carotte (négociations, diplomatie du « coup de fil ») et le bâton (sanctions contre la Russie et soutien matériel à l’Ukraine). Néanmoins, Paris a été contraint de renoncer à cette approche « équilibrée » inféconde. Emmanuel Macron semble avoir progressivement compris que seul comptait le rapport de force face à Moscou. Cette nouvelle approche fut très graduellement adoptée. C’est probablement lors de son discours à l’ONU de septembre 2022 qu’il en pose les premiers jalons. Il s’y montre soucieux de justifier ses précédents efforts pour la « paix », avant et après l’invasion, et, surtout, cherche à convaincre les pays du « Sud global » de la vacuité et de l’immoralité d’un projet russe dénué de principes et de valeurs (le président évoque le retour des « colonies»). Emmanuel Macron mentionne aussi clairement la guerre hybride « mondialisée » menée par la Russie contre l’Occident, au-delà de l’Ukraine ; une idée qui deviendra récurrente dans ses discours  et qui illustre la prise de conscience présidentielle de la radicalité et de la détermination du Kremlin.

Malgré tout, en 2022, des illusions semblent persister. Ainsi, le président français mentionne par exemple devant l’ONU la possibilité d’une négociation à la condition que la « Russie l’accepte de bonne foi » (alors que la Russie a violé nombre d’accords qu’elle avait promis de respecter).

Trois mois plus tard, en décembre 2022, Emmanuel Macron évoque l’importance des « garanties de sécurité » pour la Russie au moment où Moscou reviendra à la « table des négociations », en donnant du crédit aux arguments russes comme la « peur de l’OTAN » et les « déploiements d’armes qui peuvent menacer la Russie » (déploiements que Moscou avait pourtant refusé de discuter malgré l’ouverture de Washington au début de l’année 202239). Des mots difficilement effacés par une formule pourtant révélatrice de son changement d’approche, adressée le 31 décembre 2022 aux Ukrainiens : « Nous vous aiderons jusqu’à la victoire. »

En février 2023, seize ans après le discours virulemment anti-occidental de Vladimir Poutine à la conférence de Munich, Emmanuel Macron y prononce un discours encore plus clair qu’à l’ONU, dans la droite ligne de cette nouvelle approche qui cherche à exposer et délégitimer une politique russe en échec, irréaliste et immorale. Il y relève quatre échecs russes : celui du plan militaire russe initial ; celui de la mentalité coloniale de Moscou, en Ukraine et dans le monde (un thème encore plus exploité qu’à l’ONU) ; celui de la prévision des événements (consolidation de l’Ukraine, élargissement de l’OTAN à la Suède et la Finlande, dépendances accrues à l’égard de la Chine, défiance des autres pays) ; et celui de la promesse de Vladimir Poutine de rendre à la Russie son autorité dans le monde (un développement économique sacrifié et une suspicion des voisins). Ce discrédit de la politique russe, amorcé à l’ONU, Emmanuel Macron s’y livrera depuis régulièrement, comme à Bratislava, en mai 2023, où il explique que ces échecs ont considérablement affaibli la Russie, ainsi qu’à Paris, en février 2024, où il ajoute à cette série l’envoi d’opposants « à la mort au Goulag». Malgré ces « revers » qu’elle a connus, la Russie persiste dans une « fuite en avant». Outre l’effet délégitimant, la récurrence de ce thème dans le discours macronien sur la Russie illustre une double prise de conscience : d’une part, celle de la radicalité et de la détermination du Kremlin, et d’autre part, celle de la nécessaire adaptation de la posture française pour peser sur le conflit, en misant clairement sur le rapport de force.

Emmanuel Macron reconnaît lui-même à Munich (février 2023), que l’heure n’est plus au « dialogue », que son approche vis-à-vis de la Russie a changé à cause de cette radicalité de la politique russe (invasion, crimes de guerre, destruction d’infrastructures civiles) et qu’aider l’Ukraine est le « seul moyen » de « faire revenir à la table des discussions de manière acceptable [pour l’Ukraine] » la Russie et de « construire une paix durable». Il précise ainsi, dans une interview à la presse nationale française au retour de Munich, qu’intensifier l’aide à l’Ukraine en vue d’une contre-offensive permettrait de « déclencher le retour aux négociations46 ». S’il est encore plus direct qu’à Munich en affirmant souhaiter la « défaite » de la Russie face à l’Ukraine, il précise dans le même temps qu’il ne veut pas « défaire la Russie totalement, l’attaquer sur son sol».

À Bratislava, en mai 2023, le président français confirme sa mue. Comme à Munich, il croit aux vertus du rapport de force. Il est ainsi persuadé qu’une contre-offensive « efficace » est « indispensable » pour avoir la « possibilité » d’une « paix durable » et « choisie », justifiant ainsi un soutien à l’Ukraine « par tous les moyens » pour y parvenir48. Pour être « crédible vis-à-vis de la Russie » et atteindre cet objectif, il évoque aussi indirectement la nécessité d’augmenter la production d’armements en Europe. Il ajoute qu’il faut des « garanties de sécurité solides » pour l’Ukraine, qu’il faut l’« inclure » dans une « architecture de sécurité crédible », et affirme que la Russie « en payera le prix géopolitique » si elle « persiste à vouloir déstabiliser l’Europe ». Signe d’un changement majeur de la position française, le soutien par la France d’une adhésion rapide de l’Ukraine à l’OTAN semble avoir été analysé par Paris comme un moyen supplémentaire de peser dans le rapport de force et faire pression sur la Russie. En août 2023 à l’occasion du Sommet de la Plateforme Crimée, dans un message adressé à Volodymyr Zelensky, il explicite à nouveau le but de cette nouvelle approche : face à une Russie qui s’est « enferrée dans la stratégie de la violence » et du « fait accompli », la France continue d’apporter son aide dans tous les domaines pour que « la Russie mette un terme à la guerre d’agression » et pour permettre à l’Ukraine de « l’emporter».

Pourquoi la nouvelle approche ?

Cette nouvelle approche progressivement adoptée par la France, esquissée à l’ONU, approfondie à Munich et confirmée à Bratislava, est évidemment pluricausale. On l’a dit, elle est le fruit d’une prise de conscience progressive, celle de la radicalité et de la détermination du Kremlin. Cela s’est accompagné d’une présentation (et d’une vision ?) plus lucide de la politique russe contemporaine, des véritables objectifs et du cynisme de Moscou. Rappelons qu’en 2019, Emmanuel Macron analysait à tort l’érosion des relations russo-occidentales comme le fruit d’une « série de malentendus » dans les années 1990-2000, lorsque l’Europe n’avait « pas poursuivi de stratégie propre » et donnait le sentiment d’être un « cheval de Troie d’un Occident dont le but final était de détruire la Russie». Le président français, nous l’avons vu, a continué de proposer, jusqu’en décembre 2022, cette lecture d’une politique étrangère russe largement déterminée « par les facteurs externes». Ces éléments du discours d’Emmanuel Macron sur la Russie, auxquels le président a probablement cru en partie et croit peut-être toujours, étaient compatibles avec sa politique de rapprochement et d’inclusion entre l’Europe et la Russie, ainsi qu’avec la construction d’une Europe plus souveraine et plus forte, moins dépendante (mais pas déconnectée) de l’OTAN et des États-Unis.

Le récit d’Emmanuel Macron semble changer (ou s’adapter) en 2023. Ainsi, le président français admet à Bratislava que les tentatives russes de « bousculer » et « remodeler selon ses termes […l’] édifice de sécurité européenne [durent] depuis 15 ans », du discours de Munich en 2007 aux agressions de la Géorgie et de l’Ukraine, en passant par la « vassalisation rampante » de la Biélorussie. Il comprend que l’ultimatum russe de décembre 2021 traduisait les vrais objectifs de la Russie, à savoir une « mise sous tutelle [d’une] partie de l’Europe», et que l’ordre international proposé par Moscou est en réalité celui de son hégémonie58. Le président estime également que la Russie mise sur la division de l’Occident, via « telle ou telle élection », sur la « lassitude des opinions » pour geler le conflit et recommencer la guerre « demain ou après-demain». Cette vision plus fine de la politique étrangère russe – bien qu’encore (à dessein ?) superficielle (sous-estimation des continuités historiques dans l’impérialisme et l’anti-occidentalisme de la Russie) – s’avérait plus compatible avec la nouvelle stratégie européenne du président (voir ci-dessous). En outre, Emmanuel Macron semble avoir progressivement pris conscience d’avoir été leurré par Vladimir Poutine, avec lequel il a longtemps pensé qu’une relation de confiance serait possible et utile.

Néanmoins, il serait injuste de voir dans la politique russe du président français un excès de naïveté et de faiblesse. Dès 2017, Emmanuel Macron a montré, dans ses discours comme dans ses actes, qu’il était conscient de la nature du régime russe et de ses actions hostiles – il avait la double expérience du quinquennat de François Hollande et de son élection présidentielle dans laquelle Moscou s’était ingérée. En 2019, à Brégançon, si le président français poursuit son rapprochement avec Vladimir Poutine, il n’hésite pas à faire mouiller dans la baie la frégate Languedoc qui avait tiré des missiles en Syrie en 2018, après une attaque chimique de Damas. (A SUIVRE P17)

SOURCE : IFRI : Dimitri MINIC

 

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