Maud Quessard
Directrice du domaine « Europe, Espace Transatlantique, Russie » à l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (IRSEM). Crédit Photographique : Pierre Verluise
Verluise/Diploweb.com
Difficile de l’ignorer, ça bouge aux Etats-Unis… et dans le monde. L’appareil d’Etat est dégraissé, les alliances sont brutalisées… et les Européens ont été sidérés. De manière – peut-être incongrue – vient une question : la puissance américaine est-elle en péril ? Pour répondre, nous avons l’honneur de recevoir Maud Quessard.
Podcast, vidéo et synthèse rédigée, validée par Maud Quessard.
DEPUIS le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis le 20 janvier 2025, les signaux d’une transformation profonde de la puissance américaine se multiplient. Démantèlement des institutions, remise en cause des alliances, brutalité diplomatique : autant de manifestations d’un changement de cap stratégique qui interroge les alliés et partenaires des États-Unis. Pour mieux comprendre cette dynamique, l’émission Planisphère reçoit Maud Quessard, spécialiste des relations transatlantiques et directrice du domaine Europe, espace transatlantique, Russie à l’IRSEM.
La mise en scène de la force
Le duo Trump–JD Vance incarne une diplomatie agressive, fondée sur la démonstration de puissance et la mise en scène de la domination. La scène du 28 février 2025, au cours de laquelle le président américain a publiquement humilié Volodymyr Zelensky, illustre cette volonté de s’imposer non seulement aux adversaires, mais aussi aux alliés. Le style est direct, brutal, et vise à imposer la force plutôt que de négocier dans le respect mutuel.
Démantèlement de l’appareil d’État
Sous l’influence d’Elon Musk, l’administration Trump a lancé un vaste programme de dégraissage des institutions fédérales. Cette opération, pilotée par un « consortium ad hoc« , vise à réduire drastiquement l’appareil d’État, notamment les institutions liées à la politique étrangère et à l’aide au développement (comme USAID). Le processus va jusqu’à la suppression de milliers de postes et au gel de médias emblématiques tels que Voice of America et Radio Free Europe. Cela affaiblit non seulement le soft power américain, mais aussi les valeurs démocratiques que ces institutions incarnaient.
Une idéologie libertarienne radicale
Ce projet s’appuie sur une idéologie libertarienne illibérale, nourrie par les idées de Peter Thiel, JD Vance, et Elon Musk. Il rejette la régulation, l’appareil d’État et les normes démocratiques. Ce courant cherche à détricoter l’État fédéral au profit d’un capitalisme dérégulé, où l’influence des géants technologiques prime sur les institutions publiques. Cette logique affaiblit les fondements institutionnels de la puissance américaine.
Le renseignement : de pilier stratégique à outil fragilisé
Traditionnellement, le renseignement est un pilier majeur de la puissance américaine, résumé dans l’acronyme DIME (Diplomacy, Information, Military, Economics). Pourtant, les services de renseignement américains sont eux aussi pris pour cible. Accusés de faire partie du « deep state« , ils font l’objet de purges qui inquiètent les alliés, notamment en matière de partage d’information. La nomination de Tulsi Gabbard à la tête du renseignement, du fait de ses positions pro-russes passées, suscite de vives interrogations.
Les alliances, entre défiance et délitement
Les États-Unis fragilisent leur réseau d’alliances traditionnelles, notamment les Five Eyes, alliance stratégique anglo-saxonne fondée sur un partage inégalé du renseignement. La nouvelle administration utilise désormais ces alliances comme des outils de pression commerciale. Les pays partenaires, comme le Canada, se retrouvent pris au piège d’un rapport de force brutal, bien éloigné de l’esprit de coopération sécuritaire originel.
Un schisme transatlantique sur les valeurs
La rupture ne concerne pas uniquement les instruments de puissance, mais aussi les valeurs démocratiques. Le discours de Munich prononcé par JD Vance en 2025 a marqué un véritable schisme idéologique avec l’Europe. Les pays européens ne reconnaissent plus dans l’Amérique de Trump le défenseur d’un ordre international fondé sur la démocratie, les droits humains et la diplomatie multilatérale.
L’UE face à l’incertitude stratégique
Face à ce bouleversement, les Européens réagissent de manière encore dispersée. Certains prônent l’adaptation pragmatique à l’allié américain, d’autres envisagent une autonomisation stratégique, notamment en renforçant les capacités militaires européennes. Les pays d’Europe du Nord, les Baltes et la Pologne, historiquement très proches des États-Unis, se sentent trahis. Cette prise de conscience accélère les discussions sur un pilier européen de l’OTAN, ou sur des solutions de défense alternatives.
Une volonté politique assumée, un projet de long terme
Au-delà de la figure de Trump, c’est un véritable projet politique porté par JD Vance et l’aile nationaliste-réactionnaire du Parti républicain qui se dessine. Il est à la fois anti-État, nationaliste, religieux et illibéral. Sa portée est internationale, car il remet en cause les règles du jeu diplomatique et militaire établies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour les Européens, il est urgent d’analyser ce projet en profondeur pour se positionner stratégiquement.
Par Emilie BOURGOIN, Maud QUESSARD , Pierre VERLUISE (Diploweb)