mai 3, 2024
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Le « plan Mattei » du gouvernement Meloni : vers une politique africaine pour l’Italie ?

Le 25 octobre 2022, lors de son discours d’investiture à la Chambre des Députés, la première ministre italienne GiorgiaMeloni développe le thème de la nécessité pour l’Italie de promouvoir un rapport renouvelé avec l’Afrique, sous la forme d’un « plan Mattei », décrit comme un modèle vertueux de collaboration et de croissance entre l’Union européenne (UE) et les nations africaines. Ce plan doit à la fois permettre d’éradiquer les causes qui portent à l’immigration et de lutter contre la diffusion du radicalisme islamiste en Afrique sub-saharienne.

Investiture du gouvernement Meloni : l’annonce d’un « plan Mattei » pour l’Afrique

L’annonce d’un « plan Mattei » revêt un caractère symbolique à plusieurs égards. Tout d’abord elle place l’action extérieure du gouvernement Meloni sous la figure tutélaire d’Enrico Mattei, créateur de l’entreprise nationale d’exploitation gazière et pétrolière ENI mais aussi ancien commandant du groupe combattant les « Flammes Vertes » pendant la Seconde Guerre mondiale

. C’est ce grand résistant démocrate-chrétien que Giorgia Meloni, parfois pointée du doigt pour sa filiation avec la tradition politique post-fasciste, choisit d’invoquer dans un souci apparent de réécriture de son propre panthéon historique. Elle revendique ainsi la continuité avec une politique éminemment nationale, celle d’une politique étrangère qui gravite autour de l’approvisionnement énergétique, incarnée par le joyau des entreprises publiques italiennes, ENI. Lancer un « plan Mattei » signifie également privilégier une projection qui délaisse quelque peu les arcanes classiques de la diplomatie italienne, une Farnesina dont la plasticité administrative est tellement forte qu’elle peut être perçue comme un frein à toute forme de réformisme en matière de politique étrangère. Enfin, nous devons relever la lecture politique qui sous-tend cette vision de revendication d’une marge d’action autonome de l’Italie à l’égard de l’Afrique. Cette approche rappelle les vertus des méthodes du passé, celle des contrats favorables au développement que l’ENI établissait dans les années 1950 avec les pays de la rive sud

, et exprime la perception non seulement de la nécessité de stabilisation (économique, sociale, politique) des pays africains pour lutter contre l’immigration mais aussi d’une compétition jalouse avec la France, toujours vivace parmi les nationalistes italiens

 

. La mémoire d’Enrico Mattei n’est pas neutre à cet égard, car elle évoque également les rivalités franco-italiennes au Maghreb, entre le soutien apporté par l’ENI à l’Algérie durant la lutte pour l’indépendance et les accusations relatives à la mort d’Enrico Mattei dans un accident d’avion en 1962.

Le discours sur le « plan Mattei » de 2022 est donc un manifeste politique qui entend enclencher un mécanisme et ne correspond pas à un travail préalable d’écriture d’une stratégie détaillée, au grand dam de nombreuses chancelleries européennes qui, pendant des mois, ont essayé de mettre la main sur un très fantomatique texte, n’arrivant pas à concevoir que dans le contexte italien l’annonce puisse précéder l’élaboration

. Bien sûr, ce discours inaugural de Giorgia Meloni va provoquer des effets mais il faut observer que l’accouchement sera plutôt lent, avec un décret de définition d’une structure de coordination sous l’autorité du Premier ministre en novembre 2023 présenté comme la concrétisation de ce plan

. Il faudra attendre la conférence Italie-Afrique des 28 et 29 janvier 2024 pour que des formes d’action concrètes apparaissent même si, encore une fois, ce « plan Mattei » s’apparente davantage à une forme de méthode qu’à une véritable planification.

Le contexte de la conférence Italie-Afrique de 2024

Entre la déclaration de 2022 et la conférence de 2024, dans les centres de décision intéressés, du ministère des Affaires étrangères à ENI, certains se sont bien emparés de ce thème mais il s’est agi principalement d’un effort d’insertion d’une série de lignes politiques préexistantes dans des formulations « à la plan Mattei ». À cet égard, il convient de souligner qu’ENI est un groupe en très bonne santé économique, un acteur qui joue à plein son rôle à l’international, et que l’initiative du gouvernement italien à l’égard de l’Afrique peut apparaître à certains égards comme délicate pour cette entreprise qui développe depuis plusieurs années ses lignes stratégiques en cultivant une relative discrétion. C’est pour cette raison qu’un travail de médiation a été effectué durant toute l’année 2023 en vue de conférer une forme de substance à un « plan Mattei » qui épouse les lignes traditionnelles d’ENI. De ce point de vue, il convient de rappeler qu’avec la guerre en Ukraine, ENI a dû revoir un pan important de sa stratégie globale pour se passer de la fourniture de gaz russe et ouvrir d’autres canaux d’approvisionnement. La réorientation d’ENI vers le sud, en particulier vers l’Afrique, avait donc déjà eu lieu sous le gouvernement Draghi et ne prenait pas encore le nom de « plan Mattei ».

La conférence Italie-Afrique de janvier 2024 nous permet cependant de revenir sur le développement d’une politique africaine par l’Italie et sa place dans le contexte plus large de la politique étrangère italienne. Pendant longtemps il apparaissait particulièrement difficile de discerner une véritable « politique africaine » de l’Italie. Certes une série d’intérêts et de réseaux lient ce pays au continent africain mais l’action politique gouvernementale ne revendiquait ni n’organisait une véritable politique africaine. À cet égard, il convient de souligner l’évolution intervenue lorsque Matteo Renzi prend la tête du gouvernement italien : entre 2014 et 2016, il effectuera trois visites en Afrique, se rendant au Mozambique, au Congo, en Angola, en Ethiopie, au Kenya, au Nigeria, au Ghana ainsi qu’au Sénégal

. Comme dans d’autres secteurs, c’est donc au gouvernement de Matteo Renzi qu’il faut attribuer une forme de capacité d’initiative et de vision. Nous pouvons ainsi considérer que jusqu’à Renzi, la politique africaine était une « non-politique », dont les composantes nous permettent cependant de mieux cerner l’action actuelle. Il faut aussi relever que d’autres ont ensuite pris la relève, tel Marco Minniti, qui, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur du gouvernement Gentiloni, se faisait l’avocat du traitement à la source du problème de l’immigration, en insistant sur les conditions du développement en Afrique.

Les différents acteurs de la relation de l’Italie à l’Afrique

L’Italie a une série d’ancrages importants sur le continent africain qui généralement sont le fait d’acteurs non étatiques. Nous avons déjà souligné qu’ENI est un acteur majeur, de par l’importance de la politique énergétique et des échanges avec les pays fournisseurs. De plus ENI caractérise le rôle stratégique exercé par des entreprises qui incarnent un « capitalisme d’Etat ». ENI, Leonardo, Fincantieri ou ENEL fournissent des exemples d’entreprises privées qui sont, de fait, contrôlées par le Trésor par le biais d’un actionnariat minoritaire et qui expriment à des niveaux divers un « intérêt italien »

. Cette spécificité s’exprime également dans les capacités stratégiques de ces entreprises qui, la plupart du temps, dépassent celles des administrations de tutelle. Dès que l’on parle d’Afrique en Italie, ENI apparaît systématiquement dans la discussion, mais d’autres acteurs comme ENEL sont mentionnés lorsque l’on évoque les projets d’investissements liés au plan Mattei, en particulier en ce qui concerne les énergies renouvelables.

Il convient par ailleurs de ne pas sous-estimer l’importance d’autres réseaux. Tout d’abord les PME italiennes ont une « naturelle » vocation exportatrice qui s’exerce également sur le continent africain. Derrière cette expression quelque peu générique il faut rappeler une tendance économique importante : la balance commerciale de l’Italie à l’égard de l’Afrique est largement déficitaire, du fait de l’importance des importations d’énergie, en particulier de gaz en provenance d’Algérie et de Libye

. On constate cependant une augmentation des exportations italiennes vers l’Afrique qui est considérée comme un potentiel relais de croissance. L’augmentation des importations d’énergie en provenance d’Afrique, particulièrement nette en 2022 en raison de la guerre en Ukraine, provoque également un réflexe de recherche de rééquilibrage, à savoir la volonté de renforcer, à l’intérieur de cette croissance des échanges, la capacité exportatrice italienne, qui doit pouvoir accompagner l’augmentation des importations. Il faut toutefois replacer ces chiffres dans leur contexte : si l’on observe bien une croissance nette des importations en provenance d’Afrique entre 2020 et 2022 (elles passent de 3,9 % du total des importations à 7,3 %) alors que les exportations stagnent à un peu plus de 3 %, c’est l’Union européenne qui reste de loin le principal bassin de projection économique pour l’Italie, avec environ deux tiers des importations et exportations

. La tendance à la croissance des échanges avec l’Afrique apparaît donc comme relativement marginale par rapport aux échanges globaux de l’Italie, en particulier ceux réalisés dans le cadre de l’UE.

Ensuite il faut rappeler l’importance que revêt l’Afrique pour l’Église catholique. Une série d’acteurs basés en Italie que nous pouvons définir comme appartenant à « la galaxie catholique » entretiennent des rapports intenses avec les réalités africaines. Côté politique, l’action de la Communauté de Sant’Egidio doit être rappelée, avec la pratique d’une véritable diplomatie parallèle qui suppose d’entretenir de remarquables réseaux. Un des exemples les plus significatifs, mais loin d’être unique, de cette action de négociation et d’influence est le cas du Mozambique, les volontaires de Sant’Egidio ayant contribué de manière décisive aux accords de paix de 1992

. Pour donner une idée de l’importance de Sant’Egidio dans le contexte italien, il faut rappeler qu’Andrea Riccardi, l’un des fondateurs de la communauté, a été ministre pour la coopération internationale dans le gouvernement Monti de 2011 à 2013. Ces quelques exemples illustrent l’amplitude des soutiens dont bénéficie ce mouvement laïc lié au Saint-Siège, qui, parmi ses actions, a toujours eu une attention privilégiée pour la paix sur le continent africain.  

Il convient également de souligner l’action des comboniens : les missionnaires comboniens du Cœur de Jésus forment une congrégation très active sur le continent africain, un continent qui est placé au cœur de leur pastorale, comme le rappelle la devise de leur fondateur Luigi Comboni « O nigriza o morte » (La négritude ou la mort)

. Cette congrégation a un profond ancrage africain, ce qui permet une excellente connaissance des dynamiques locales et contribue, de manière indirecte, aux réseaux italiens en Afrique.

Enfin les ONG italiennes sont très actives dans le secteur de la coopération. De nombreuses associations, souvent de matrice catholique, créent un tissu territorial qui irrigue différents projets et initiatives sur le continent africain. Ces associations, regroupées dans le concept de « troisième secteur », ont également un poids spécifique dans le panorama politique italien.

Si nous avons souligné comment Matteo Renzi s’est distingué par un programme systématique de visites en Afrique, une autre étape apparaît fondamentale, celle franchie par le gouvernement de Paolo Gentiloni, qui, en 2017, a décidé l’envoi d’une mission de formation militaire au Niger

 

, une mission qui malgré le coup d’État de 2023 est toujours en cours, même si le contingent a été réduit. Cette présence militaire est le premier signe d’une volonté stratégique de l’Italie en Afrique, avec un déploiement relativement modeste (450 hommes au maximum) mais qui permet une première expérience directe des troupes italiennes sur le terrain africain, et qui signifie aussi une capacité d’expertise propre pour l’État-Major italien.

Une autre dimension importante est celle de l’intérêt spécifique de l’Italie, depuis 2011 en particulier, à l’égard de la Libye, qui par certains côtés représente une préoccupation constante en direction de l’Afrique avec le diptyque immigration (sécurité) et énergie qui a un impact direct sur la vie politique italienne. Il convient cependant de rappeler que la coalition de droite emmenée par Silvio Berlusconi avait une politique libyenne active depuis les années 1990. Ce dernier a d’ailleurs développé des relations suivies avec à la fois la Tunisie et l’Egypte. Ainsi, on relève que dans le cycle politique récent, une série de relations bilatérales donnent un avant-goût de ce qui sera ensuite présenté comme le « plan Mattei ». Il faut ici convoquer un autre concept très utilisé dans la politique étrangère italienne, celui de Méditerranée, que l’on trouve parfois sous l’acception de « Méditerranée élargie ».

Traditionnellement la politique étrangère italienne est marquée par deux ancrages forts : celui transatlantique et celui européen, ce dernier définissant un espace d’intégration fondamental pour la péninsule. Hors de ces deux dimensions, c’est la Méditerranée qui est souvent invoquée comme réceptacle de la projection extérieure italienne. Mais l’utilisation de cette expression géographique est assez particulière car elle désigne traditionnellement le lieu de la politique extérieure non intégrée, c’est-à-dire une série de politiques bilatérales dans lesquelles Rome joue suivant les règles de la puissance nationale. Il s’agit d’une vision géographique en entonnoir : elle se projette vers la rive sud de la Méditerranée dans un triangle dont l’Italie serait le sommet et ne considère donc pas le bassin dans son ensemble nord/sud. Ainsi on voit bien que cet objet de « Méditerranée élargie » a longtemps désigné la rive méditerranéenne de l’Afrique dans sa profondeur, ce qui constitue un prélude à la vision africaine exprimée au travers du plan Mattei.

De ce point de vue il faut également relever que la définition d’une politique africaine par l’Italie peut offrir une clarification utile en matière de politique étrangère. En effet le concept de Méditerranée tel que nous venons de le décrire est propre aux Italiens, et ne se superpose pas à d’autres visions européennes, dans lesquelles la Méditerranée soit est une vision d’inclusion nord/sud, comme dans le cas de l’Union pour la Méditerranée, soit sous-entend des politiques de développement des régions méditerranéennes de l’Europe. Il existe donc une confusion en termes de définitions et d’objets d’une politique méditerranéenne, un malentendu que le concept de politique africaine pourrait grandement contribuer à dissiper.

Le « plan Mattei », une tentative de politique étrangère réaliste ?

La priorité que le gouvernement Meloni attribue à la « politique africaine » se fait donc dans la continuité de politiques précédentes et obéit à différents paramètres. Il est remarquable que cette annonce africaine intervienne dès le discours d’investiture de Giorgia Meloni, en octobre 2022. Une des antiennes du plan Mattei, répétée maintes fois lors de la conférence Italie-Afrique du 29 janvier 2024, est que cette politique doit contribuer à favoriser le développement des pays africains pour mettre en place les conditions d’un choix de « non-immigration » pour les populations concernées. La poussée migratoire et la perception d’urgence que l’on constate en Italie depuis 2013 du fait des débarquements en provenance du Canal de Sicile fournissent le cadre contingent de cette politique, avec l’idée classique du traitement à la source du problème migratoire

. Mais si la poussée migratoire constitue la motivation la plus explicite de ce plan, il faut également relever d’autres dimensions. L’Italie se présente comme un pays qui, n’étant pas lié à un passé colonial en Afrique, peut être perçue comme un interlocuteur beaucoup plus neutre que d’autres pays européens, la France en particulier. La France est très mal perçue en ce moment en Afrique. L’Italie peut développer une offre politique qui, si elle n’a rien de fondamentalement original, a tout au moins la vertu de ne pas être obérée par les représentations d’un passé jugé de façon négative. Cette formulation d’une politique africaine peut également apparaître comme une forme de substitution, voire de compétition, avec une France en retrait sur le continent africain, la perception d’une rivalité avec la France étant un trait classique du nationalisme italien.

Paradoxalement, cependant, le gouvernement Meloni, qui affiche son nationalisme, reprend en quelque sorte une tradition antique, à savoir celle du nationalisme italien qui dès l’unité d’Italie affichait ses prétentions coloniales, particulièrement en Afrique, une politique portée à son paroxysme sous le fascisme. Bien sûr, la période de l’après-Seconde Guerre mondiale a marqué une forte discontinuité par rapport aux politiques précédentes mais avec le gouvernement Meloni, ce patrimoine d’une « politique africaine » refait nettement surface, comme une manifestation d’un bagage idéologique dont les racines sont anciennes mais aussi d’une politique de « puissance » qui avait été mise en sourdine dans l’Italie d’après-guerre.

Le « plan Mattei » connaît un cheminement progressif. Il est né comme une déclaration politique sans fondements programmatiques, et il se concrétise comme un instrument de coordination politique au niveau gouvernemental, une « cabine de pilotage » définie par décret. Il est ensuite lancé dans la conférence de janvier 2024 sans trop de substance mais avec quelques éléments intéressants. Le premier est l’européanisation de cet effort vers l’Afrique, qui déclare vouloir contribuer aux différentes initiatives en cours, en particulier celle du Global gateway. Le second est la participation à haut niveau de différents interlocuteurs africains, étatiques ou multilatéraux, qui font dans l’ensemble bon accueil à la démarche tout en demandant à ce qu’elle soit construite dans la concertation. De ce point de vue, l’intervention de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, lors de l’ouverture de la conférence du 29 janvier à Rome, semble significative, lorsqu’il déclare que les Africains auraient aimé être consultés au préalable mais sont toutefois disponibles pour travailler avec l’Italie et l’Europe

. D’ailleurs, le caractère vague du « plan Mattei » peut, vu des Africains, apparaître comme un terrain de travail relativement opportun, du moment que l’on ne leur fournit pas de solutions clefs en main. L’approche italienne, parfois considérée comme approximative par les partenaires européens car ne produisant pas de documents stratégiques, présente l’avantage de ne pas brusquer les interlocuteurs africains                                           .

Ainsi, entre l’européanisation de ce plan retenue comme absolument nécessaire pour le rendre viable, une dimension sur laquelle le président de la République italienne Sergio Mattarellainsiste particulièrement en soulignant l’approche multilatérale et européenne

, et l’amical rappel des Africains au dialogue préalable, nous voyons émerger un bornage intéressant pour une initiative que des coordonnées initiales plutôt nationalistes semblaient vouer à un destin étriqué.

Un des enjeux apparus lors de la conférence du 29 janvier à Rome est celui de la capacité de l’Italie à monter en puissance pour tenir l’agenda présenté. L’Italie a mis sur le plateau une somme de 5,5 milliards d’euros en récupérant des budgets dans le fonds italien pour le climat et dans les programmes de l’aide au développement. Il s’agit d’une initiative concrète mais relativement modeste si l’on prend en compte les besoins. D’ailleurs, lors de son intervention à Rome, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a rappelé que le plan européen pour l’Afrique, le Global gateway, prévoit 150 milliards d’investissements, une manière d’évoquer les ordres de grandeur.

Le plan ne deviendra donc effectif que si l’Italie réussit à susciter un mouvement auprès d’autres institutions pour amplifier les financements. Cette possible extension pose plusieurs questions. Dans sa phase initiale, le « plan Mattei » a été géré presque exclusivement par le cabinet de la cheffe du gouvernement italien. Son évolution positive requiert, au niveau national, la pleine participation du réseau diplomatique, mais aussi l’association étroite des acteurs non gouvernementaux particulièrement connectés à l’Afrique. L’enjeu interne est certainement d’adopter une approche fédérative, concertée, qui puisse aussi mobiliser l’ensemble des acteurs non étatiques. De plus, pour fonctionner, un tel plan ne peut rester italien et doit nécessairement s’européaniser. La conférence du 29 janvier à Rome semblait aller dans ce sens mais il faudra ici encore observer si le gouvernement et l’administration italienne réussissent à créer des dynamiques positives avec les institutions européennes et internationales. On a souvent reproché à Giorgia Meloni d’avoir une bonne capacité tactique qui dérive de son actuelle position à la tête de la coalition gouvernementale italienne mais d’être ensuite freinée par les limites d’un pouvoir exercé au travers d’un cercle restreint, qui n’arrive pas à essaimer au sein des institutions italiennes.

Revendiquer un « plan Mattei » en 2022 apparaît comme une opération d’interprétation d’un passé national réalisée pour cadrer avec les aspirations du gouvernement Meloni. La réaffirmation d’une primauté nationale italienne dans le contexte d’une vision historique classique appréhende la politique extérieure de manière très réaliste, en mettant au centre de l’attention les États. Cette vision initiale a ensuite évolué dans le cadre de la préparation du sommet de janvier 2024, avec la nécessaire inclusion à la fois des acteurs non gouvernementaux italiens mais aussi des représentants des institutions européennes et internationales. Pour le gouvernement Meloni, le renforcement des positions nationales propres peut apparaître comme une priorité logique, qui découle d’une vision nationaliste et d’une méthode européenne dans laquelle l’Italie entend s’affirmer pour peser. Cette vision mécaniciste de la nécessité nationale comme préalable nécessaire peut cependant devenir contre-productive lorsque des processus multilatéraux requièrent des jeux de coalition et des convergences à des niveaux inférieurs à ceux du chef de gouvernement, voire sub-ministériels, comme c’est le cas dans le contexte intégré de l’Union européenne.

D’une certaine manière, la méthode semble avoir réussi au vu du parterre présent, car l’objectif politique de la conférence au sommet Italie-Afrique est certainement atteint, celui de poser l’Italie en interlocuteur politique pour le développement des relations entre l’Afrique et l’Europe. Mais le dessein tactique ne se consolidera en véritable succès que s’il se traduit dans un agenda à la fois concret et ambitieux.

Conclusion : une approche pragmatique de la nouvelle politique africaine de l’Italie

Le plan Mattei pour l’Afrique représente un véritable défi de ce point de vue. Il faut constater le succès de l’opération initiale, avec la présence de 26 chefs d’Etat et de gouvernement africains ainsi que de nombreuses délégations ministérielles à Rome. Pour aller au-delà des quelques projets pilotes annoncés avec le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, l’Égypte, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Kenya, le Congo ou le Mozambique, il faudra créer une dynamique qui nécessite une capacité à jouer à tous les niveaux, en particulier dans le cadre de l’Union européenne.

Côté français, il peut être saisissant d’entendre à Rome une série de responsables politiques africains prendre position en français dans l’enceinte du Sénat, ce alors que la présence française est réduite à un ambassadeur invité en tant qu’observateur, au même titre que ses collègues du G7. Mais au vu de l’actuelle phase historique plutôt cuisante pour la présence française en Afrique, il peut être intelligent de ne pas s’offusquer et d’adopter une approche discrètement constructive. Les diplomates africains présents à Rome semblent intéressés par la démarche et n’ont que faire d’éventuelles rivalités franco-italiennes ou européennes. La pression exercée par des acteurs non-européens comme la Chine ou la Russie se fait sentir et devrait pousser les Européens à une très nécessaire coopération pour éviter d’être marginalisés. Le plan Mattei ne pourra exister que s’il est véritablement européanisé ; il pourrait en ce cas constituer une plateforme intéressante pour l’ensemble de l’Union. La montée en puissance de l’Italie dans la politique africaine peut en effet servir également les intérêts européens, car les politiques de l’Union souffrent souvent d’une faible incarnation qui les rend peu attractives. L’Italie a su déployer les fastes de ses palais républicains pour donner du lustre à l’opération, un élément important du langage diplomatique.

Dans le contexte actuel de compétition, si ce n’est d’adversité, avec des puissances comme la Russie et la Chine, mais aussi face à l’activisme turc et émirien, il serait opportun de renforcer les approches communes européennes et une éventuelle démarche italienne dénationalisée doit être considérée de manière pragmatique, voire constructive, par les autres États membres de l’Union.

Jean-Pierre Darnis (FRS)

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