L’agence de notation Fitch a récemment averti que la propagation rapide du virus de mpox en Afrique subsaharienne pourrait aggraver les pressions fiscales que connaissent déjà de nombreux pays de la région.
Le Centre africain de lutte et de prévention des maladies et l’Organisation mondiale de la santé ont déclaré que la dernière épidémie de mpox en Afrique constituait une urgence sanitaire. Une épidémie en République démocratique du Congo s’est propagée aux pays voisins.
Sept pays notés par Fitch – le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Nigeria, le Rwanda, l’Afrique du Sud et l’Ouganda – ont des cas confirmés de mpox.
Fitch a mis en garde les investisseurs contre une éventuelle sous-déclaration des cas de variole et contre une possible accélération de l’épidémie, qui pourrait entraîner une pression accrue sur les finances publiques.
Mais ce cri d’alarme est-il nécessaire ? Ou est-il exagéré ?
D’après mes recherches sur les agences de notation au cours des dix dernières années, il existe des biais évidents dans la manière dont elles déterminent le risque souverain africain. La déclaration de Fitch peut être considérée comme un autre cas où une agence de notation considère les événements en Afrique à travers un prisme plus négatif que celui qu’elle utilise pour les pays occidentaux.
Plusieurs études ont montré que les agences de notation surestiment certains facteurs de risque sur le continent.
Une analyse comparative de 30 pays d’Afrique et d’autres régions met en évidence un manque d’uniformité dans l’application des indicateurs économiques dans les notations. C’est ce qui explique la décision de l’Union africaine d’adopter une déclaration sur la création d’une agence de notation de crédit pour l’Afrique.
Mais certains analystes de notation ont pris la défense des agences de notation, affirmant qu’il n’y a pas de parti pris contre les pays africains.
Pour leur part, les agences de notation soutiennent que leurs méthodologies sont objectives. Et un article récent de l’agence de presse Reuters affirme qu’il n’y a pas eu d’études présentant des preuves de biais statistiques dans les notations contre l’Afrique.
À mon avis, ces affirmations soulèvent la question suivante : quel critère est utilisé pour évaluer la partialité ? Cette question est importante car les biais peuvent se manifester de différentes manières : par des décisions sur ce qu’il faut mesurer (quantitatif) ou par des formes plus subtiles de biais qualitatif.
Dans cet article, je soutiens que les notations de crédit sont subjectivement biaisées au détriment de l’Afrique. Et l’un des principaux facteurs qui y contribuent est la localisation des analystes de notation.
Une faible présence
La plupart des analystes de notation sont basés en Europe, en Asie et aux États-Unis. Parmi les trois grandes agences, Standard & Poor’s et Moody’s ont chacune un seul bureau en Afrique du Sud. Elles disposent au total de cinq à dix analystes couvrant environ 25 pays souverains, entreprises et pays sous-souverains. Fitch Ratings a fermé son seul bureau en Afrique en 2015.
Cela soulève des questions quant à la charge de travail des analystes et à l’exactitude de leurs notations.
Les analystes de notation basés à l’étranger visitent les pays qu’ils notent pendant un maximum de deux semaines par an.
Ce temps est insuffisant pour permettre aux analystes de comprendre et d’évaluer correctement les facteurs de risque. L’insuffisance des consultations et la courte durée des visites ont conduit les analystes à fonder leurs évaluations sur des hypothèses pessimistes, des examens documentaires, des discussions virtuelles et des informations accessibles au public.
Ces processus ont également omis des données essentielles qu’il est souvent plus facile d’obtenir en se rendant dans un pays. Les estimations du risque subjectif prennent en compte l’efficacité des politiques, la qualité des institutions, la dynamique politique et géopolitique. Le conservatisme des analystes, le manque de compréhension du contexte et les erreurs de notation sont des caractéristiques récurrentes des notations africaines.
Les recherches montrent que la familiarité avec un pays, le fait d’être plus proche d’un pays noté et le biais domestique (en faveur du pays d’origine d’un analyste de notation) font que les analystes attribuent de meilleures notes souveraines qu’ils ne le font pour des pays qu’ils ne connaissent pas ou dont ils sont très éloignés.
Où il y a de la place pour les biais
Pour comprendre comment un biais peut se produire, il est important de décomposer la méthodologie de notation de crédit.
Par exemple, la méthodologie de notation souveraine de S&P Global prend en compte cinq facteurs clés. Deux d’entre eux sont essentiellement quantitatifs – économiques et monétaires. Les trois autres sont essentiellement qualitatifs : institutionnels, externes et fiscaux.
Pour les facteurs qualitatifs, les agences de notation utilisent une note de 1 à 6. Les analystes de notation disposent d’une grande marge de manœuvre dans l’attribution de jugements qualitatifs sur les notes. Les jugements peuvent facilement être biaisés.
Les chercheurs en notation de crédit PatrycjaKlusak, Yurtsev Uymaz et RashaAlsakka ont découvert qu’un lien entre un ministre des finances européen et un cadre supérieur de l’une des trois agences de notation internationales peut fausser favorablement une décision de notation.
Un lien entre un ministre des finances et un directeur, un cadre ou un analyste principal d’une agence de notation peut faire augmenter une note souveraine de 0,5 à 1,3 cran.
Erreurs de notation en Afrique
Voici quelques exemples d’erreurs commises par les agences de notation dans leur évaluation des pays africains.
Tunisie: Fitch a commis une erreur dans une évaluation de la Tunisie de décembre 2022. Fitch a publié sa notation de la Tunisie en dehors du calendrier prévu, sans tenir compte de toutes les informations disponibles et pertinentes. Fitch a corrigé cette erreur trois mois plus tard, mais uniquement pour se conformer à l’exigence réglementaire de l’Autorité européenne des marchés financiers, qui impose aux agences de notation de ne pas s’écarter du calendrier de publication des notations souveraines. À mon avis, cette erreur aurait pu être évitée si Fitch avait eu une présence locale dans le pays.
Cameroun: En confirmant la note Caa1 du Cameroun, Moody’s a considéré la décision du gouvernement d’accorder une augmentation de salaire de 5 % aux fonctionnaires et autres travailleurs du secteur public comme négative. Le Cameroun a également suspendu un projet d’impôt supplémentaire sur le revenu des personnes physiques, ce que Moody’s a interprété comme un développement négatif pour le profil de crédit du pays. Mais les indicateurs budgétaires du Cameroun sont modérés. Le pays pouvait se permettre d’augmenter les salaires. Les marchés ont considéré son budget fiscal comme modeste par rapport à ses pairs ayant un profil de population similaire.
En outre, les agences de notation ont mal noté le Cameroun de novembre 2022 à août 2023. Ces notations étaient basées sur des informations non vérifiées concernant des retards de paiement du service de la dette extérieure entre janvier et novembre 2022. L’action des agences de notation un an après, et les rapports sur les retards de paiement du service de la dette du Cameroun, suggèrent que les agences ne disposaient pas d’informations officielles opportunes et factuelles. Si les agences avaient eu des contacts suffisants avec les responsables gouvernementaux concernés, leurs analystes auraient disposé de ces informations.
Nigeria: Moody’s a dû revenir sur la dégradation de l’évaluation du Nigeria en l’espace de sept mois. Pour justifier son changement d’avis, l’agence a invoqué l’évolution positive de la politique économique résultant de la suppression par le gouvernement des subventions aux carburants et de l’unification des taux de change du pays. Mais ces facteurs économiques n’ont pas changé entre l’abaissement de la note et son annulation. Le gouvernement nigérian avait contesté la décision initiale de Moody’s, arguant que l’agence de notation ne comprenait pas l’environnement national du pays.
L’inversion de l’orientation de la notation du Nigeria à court terme pourrait être la preuve que l’agence de notation a commis une erreur dans son analyse initiale.
La voie à suivre
L’installation d’un plus grand nombre d’analystes sur le continent et l’élargissement de la portée et de la durée des consultations permettront de remédier à certains biais dans la manière dont les agences de notation évaluent les pays africains. Lorsque les analystes sont déjà basés en Afrique, ils doivent élargir le champ de leurs consultations avec les parties prenantes et passer plus de temps dans les pays qu’ils évaluent.
L’interprétation des événements et la perception du risque par les analystes locaux seront différentes de celles des analystes étrangers. Cela permettra de répondre en partie aux contestations concernant la partialité et le manque de consultations adéquates dans les notations en Afrique. The Conversation