août 16, 2025
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Les conséquences de démantèlement du système d’aide internationale des Etats-Unis : TRUMP a-t-il provoqué un tsunami humanitaire mondial ?

« Nous favoriserons les nations qui ont démontré à la fois la capacité et la volonté de s’aider elles-mêmes et nous dirigerons nos ressources vers des domaines où elles peuvent avoir un effet multiplicateur et catalyser, un secteur privé durable, y compris les entreprises américaines, et l’investissement mondial.[1]» Le secrétaire d’État américain Marco Rubio.

« En tant qu’organisation médicale humanitaire intervenant dans les mêmes situations de crise que l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et ses partenaires, nous savons que l’arrêt brutal de l’aide humanitaire et médicale ainsi que le démantèlement soudain du système de l’aide soutenu par le gouvernement américain entraîneront une catastrophe humanitaire majeure qui affectera des millions de personnes parmi les plus vulnérables dans le monde.[2]»  Avril Benoît, directrice générale de Médecins Sans Frontières USA.

« Nous pensons au nombre incalculable de réfugiés et personnes déplacées, aux enfants menacés par le paludisme et aux personnes qui ont besoin d’un traitement contre le VIH et la tuberculose et dont les soins risquent d’être interrompus. Nous recevons déjà des informations de la part d’organisations locales qui ont fermé leurs portes et ne savent pas quand, ni si, elles pourront les rouvrir.[3]»

L’aide au développement est une des innovations politiques les plus originales du XXe siècle. Jamais auparavant n’avait-on vu des pays riches transférer, sur une base unilatérale et non réciproque, des ressources financières aussi considérables vers des pays pauvres. L’apparition de l’aide fut un événement sans précédent dans l’histoire des relations internationales. L’impact de cette innovation institutionnelle a été considérable si l’on en juge d’abord par les chiffres : depuis la fin des années 1940, les pays développés ont consacré environ 1000 milliards de dollars à la coopération au développement (World Bank, 1998)[4].

En termes plus politiques, l’aide s’est si bien imposée comme l’un des piliers des rapports Nord-Sud modernes que plusieurs observateurs considèrent qu’elle fait désormais partie intégrante du droit international coutumier (Zamora, 1997: 264)[5]. Enfin, il convient de souligner que l’aide constitue aujourd’hui l’un des principaux leviers de la mondialisation des politiques sociales (Deacon, 1997)[6].

L’évolution qu’a connue le régime de l’aide depuis sa création est indissociable des changements structurels qui sont survenus dans le système international à la suite d’événements comme la décolonisation, l’échec du nouvel ordre économique international, l’endettement du Tiers Monde[7], la fin de la guerre froide ou l’accélération de la mondialisation.

L’importance globale et relative de l’aide financière accordée aux pays « en voie de développement »[8] par les pays plus développés est un sujet de recherche qui ne saurait laisser indifférents ceux qui ont été, ou peuvent être appelés à participer à l’œuvre d’assistance technique, ainsi que les « financiers » des États donateurs, quelque peu effarés par le torrent de milliards qu’ils ont requis de répandre à la surface de la terre[9].

Dans le cadre cette analyse, même s’il est essentiel, notamment pour mieux comprendre les transformations de l’aide au développement, nous ferons abstraction des aspects idéologiques proprement dits liés à cette dernière.

Définition du concept

L’Aide Publique au Développement correspond globalement à l’aide que les gouvernements des pays développés accordent aux pays en développement. Elle est fournie par ces derniers dans le but de promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement. Le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE[10] l’a adoptée en 1969 comme la norme de référence en matière d’aide extérieure. L’OCDE est la seule source officielle de statistiques fiables, comparables et complètes sur l’APD

Bien que les règles de notifications de l’APD n’aient cessé d’évoluer au fil des ans, il existe une définition de base proposée par le CAD[11] et restée inchangée depuis 1972[12].

Selon cette définition, quatre conditions élémentaires doivent être réunies pour que les financements alloués puissent être comptabilisés comme APD :

  1. Émaner d’organismes publics (États, collectivités locales, ou organismes agissant pour le compte d’organismes publics).
  2. Être destinés aux pays ou territoires éligibles à l’APD. Ces pays figurent sur une liste des bénéficiaires de l’APD, dite « liste I », établie par le CAD et révisée tous les trois ans.
  3. Être proposés à des conditions financières favorables. À ce titre, les apports de ressources doivent s’effectuer sous forme de dons ou de prêts concessionnels présentant un élément de libéralité (ou élément « don ») supérieur ou égal à 25%. Les allègements de dette peuvent aussi être comptabilisés dans l’APD.
  4. Avoir pour but de « favoriser le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des pays en développement ». Ce dernier critère a donné lieu à de nombreux débats autour du périmètre de l’aide et de ce qu’il convient ou non d’intégrer dans l’APD.

Cadre institutionnel du régime de l’APD

Inspirée par des idées de gauche[13], l’aide sera mise en œuvre par la droite[14]. Cette récupération commence à se faire sentir dès le moment où les États-Unis établissent leur premier programme d’assistance au Tiers Monde. Comme il est stipulé dans le fameux Point IV du discours inaugural prononcé par le Président Truman en 1949, l’aide américaine est réservée aux « pays libres », un euphémisme pour désigner les pays non communistes. De toute façon, la générosité américaine reste très limitée ; au cours de l’année 1953 par exemple, les dispositions du Point IV ne permettent de débourser que 156 millions de dollars pour l’ensemble des pays en développement (Kolko, 1988 : 43)[15].

Graduellement, l’aide est mise au service des intérêts stratégiques des grandes puissances et de leur engagement dans la guerre froide (Murphy, 1994 : 212; Hook, 1995 : 24-25)[16]. Jusqu’en 1955, environ 90 pour cent de l’aide des pays développés est fournie par trois États seulement : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Les États-Unis utilisent l’aide comme un instrument de containment; la Grande-Bretagne et la France en font un substitut à la domination coloniale.

Elle s’est développée beaucoup plus au lendemain de la deuxième guerre mondiale autour d’un objectif qui s’énonçait assez simplement : lutter contre la pauvreté et permettre aux pays, alors qualifiés de sous-développés, de développer leur économie pour la faire converger progressivement avec celle des pays capitalistes développés.

Cette dernière fut un instrument, parmi d’autres, de la guerre froide, chaque bloc cherchant à conforter son influence géopolitique par ces financements. Ce contexte n’incitait pas à être trop regardant sur l’utilisation des fonds qui étaient transférés, et le rôle de l’aide au développement dans la corruption a été très tôt dénoncé.

Puis sont venues des critiques sur la contribution de cette aide publique au développement des pays récipiendaires. Certains économistes considéraient que ces flux financiers étaient sans impact sur la croissance économique des pays bénéficiaires de l’APD, d’autres ont même défendu qu’ils constituent un obstacle à un développement économique endogène plus équilibré. Enfin, il fut reproché aux pays développés d’imposer aux pays en voie de développement des politiques commerciales qui les ruinaient, en même temps qu’ils prétendaient les aider[17].

La chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique se sont accompagnés d’une baisse considérable de l’aide au développement, comme si la fin d’histoire théorisée par Francis Fukuyama avait mis fin au sous-développement. Les « dividendes de la paix » devaient avant tout permettre le retour de la prospérité dans les pays qui l’avaient connue, puis perdue après les trente glorieuses. L’APD des États-Unis, du Royaume-Uni ou de la France par exemple, diminua de moitié entre 1990 et 1997[18].

Par ailleurs, l’aide américaine est alors ciblée sur un ensemble de pays s’étendant de la Grèce à la Corée du Sud, à la périphérie du bloc sino-soviétique (OCDE, 1985 : 106- 113)[19]. Taiwan et la Corée du Sud sont particulièrement choyés. Par exemple, entre la fin de la Guerre de Corée et le début des années 1960, l’aide à la Corée du Sud – très majoritairement américaine – atteint chaque année 8 pour cent du PNB du pays (Raffer et Singer, 1996 : 63). La lutte contre le communisme explique également que la révolution cubaine de 1959 ait aussitôt entraîné une forte augmentation de l’aide des États-Unis à l’Amérique latine[20].

En France, la coopération au développement se concentre sur le « pré carré » alors qu’en Grande-Bretagne, le gros des ressources d’aide est consacré aux membres du Commonwealth. L’aide sert ainsi à maintenir le statut de puissance internationale de ces deux pays, qui tend à s’effriter avec le démantèlement progressif de leur empire[21].

Dans le processus d’institutionnalisation de l’aide qui marque la période 1950-1970, certaines initiatives ont été impulsées par la gauche, comme la création du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), en 1965, ou l’adoption de multiples résolutions revendicatrices par l’Assemblée générale de l’ONU. Toutefois, dans l’ensemble, les valeurs de droite prévalent. Ainsi, au lieu d’être multilatéralisé, le du régime de l’aide se concentre entre les mains des pays développés. La création de l’Association internationale de développement (AID), en 1960, est à cet effet hautement révélatrice[22].

S’il est vrai que la mise sur pied de cette organisation illustre la transformation de la Banque mondiale en agence de développement (Kraske, 1996 : 110), elle a aussi consolidé le rapport de forces asymétrique sur lequel se fonde le régime de l’aide. Tout au long des années 1950, les pays en développement avaient revendiqué l’établissement, par l’ONU, d’une institution financière consacrée au développement. États-Unis en tête, les pays développés s’opposèrent au projet, refusant de créer un organisme financier où les décisions seraient prises à partir du principe onusien de l’égalité des souverainetés[23].

Après des années de négociations, l’AID fut une solution de compromis avantageuse pour les pays développés. La nouvelle organisation allait être intégrée au Groupe de la Banque mondiale et soumise aux mêmes règles que celle-ci en matière de vote ; ainsi, les principaux bailleurs de fonds pourraient en conserver le contrôle (Singer et Roy, 1993 : 14). Survenue aussi en 1960, la création du Comité d’aide au développement constitue un autre épisode important dans le processus d’institutionnalisation du régime de l’aide.

Du point de vue des pays développés, cet organisme remplit des fonctions indispensables de collecte de données, d’établissement de normes, d’évaluation et de recherche (Ashoff, 2000; OCDE, 2000c). Mais plus fondamentalement, il convient de constater qu’en tant que « club des donneurs », le CAD favorise les discussions en cercle restreint, sans la participation de représentants des États du Sud. Par son existence même et son mode de fonctionnement, le CAD pose ainsi une limite au principe de partenariat, dont il ne cesse pourtant de prôner les vertus[24].

Dans le cadre de cette réflexion, nous allons donc naturellement, nous intéresser essentiellement au système d’aide internationale des États-Unis, principalement géré par l’USAID[25],[26] (Agence des États-Unis pour le développement international). Cette Agence constitue un outil majeur de politique étrangère, visant entre autres à réduire la pauvreté, promouvoir la démocratie et favoriser le développement économique dans les pays partenaires. Pour ce faire, l’agence travaille en collaboration avec les gouvernements locaux, les ONG, les organisations internationales et le secteur privé pour mettre en œuvre ses programmes.

Le début du deuxième mandat de Donald Trump sonne la fin de l’aide internationale. En effet, au mois de février dernier, le président Trump a annoncé[27] le gel de l’aide internationale américaine. Cette décision interpelle dans un contexte de multiplication et d’aggravation des crises humanitaires et des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique, rendant l’aide internationale – d’urgence et de développement – d’autant plus importante[28]. L’administration états-unienne la justifie par des arguments à la fois politiques, économiques et idéologiques : une stratégie de réduction brutale des dépenses publiques, une critique du manque d’efficacité et de transparence de cette politique publique tournée vers l’étranger, une volonté de reprendre le contrôle sur des organisations jugées trop « indépendantes » et accusées de promouvoir une idéologie « woke[29] ».

Dès lors, il est évident que la suspension des programmes américains ébranle le secteur de l’humanitaire et du développement, fortement dépendant des États-Unis, d’autant plus qu’elle s’ajoute à de précédentes annonces de réduction de l’aide au développement de plusieurs pays européens (Suède, Pays-Bas, Allemagne), parmi lesquels la France se distingue avec une baisse prévue de 34% en 2025. Ces annonces récentes ravivent ainsi des débats récurrents, parfois anciens, sur l’aide internationale, son utilité et sa possible instrumentalisation politique.

Un arrêt brutal aux conséquences multiples et désastreuses

Le gel des financements de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) entraîne une perte massive de soutien aux initiatives de santé mondiale. L’USAID représentait environ 40 % des financements globaux de santé publique, soit environ 23 milliards de dollars par an. Des programmes cruciaux comme le President’s Malaria Initiative et PEPFAR (programme de lutte contre le VIH/SIDA) sont fortement touchés[30].

Parmi les conséquences identifiées on peut citer notamment :

  • 10 000 programmes d’aide interrompus, privant des millions de personnes de soins essentiels.
  • Plus de 20 000 décès déjà enregistrés faute de traitements disponibles.
  • Chaque jour, 1 400 bébés naissent avec le VIH alors qu’ils en seraient exempts si les programmes destinés à aider leurs mères n’avaient pas été gelés.
  • Sans intervention, l’ONU estime que 6,3 millions de décès supplémentaires dus au SIDA pourraient survenir d’ici cinq ans[31].

 

Il faut souligner aussi que l’USAID, en tant qu’aide humanitaire américaine, ne se contentait pas de financer des projets humanitaires : elle structurait l’aide internationale en fournissant une expertise et des infrastructures essentielles. En plus du financement direct, cette agence soutenait des systèmes de surveillance sanitaire, de formation et de distribution de médicaments dans des zones où les États sont souvent absents. La fin brutale de ce soutien met donc en péril bien plus que de simples flux financiers.

Domaine statistique, démographique…ne sont pas du reste

La mise à l’arrêt de l’USAID par l’administration Trump a entraîné la disparition de nombreuses ressources statistiques démographiques et sanitaires, à une échelle internationale, et l’interruption des enquêtes en cours. La situation est dramatique pour les pays à faible revenu, incapables d’effectuer seuls cette collecte massive de données sans laquelle les politiques publiques deviennent inefficientes, voire inexistantes[32].

Une autre conséquence est la mise en pause, du jour au lendemain, du programme d’enquêtes démographiques et de santé (Demographic and Health Surveys, DHS), avec l’arrêt de la mise à disposition de toutes les données démographiques et de santé produites depuis plusieurs décennies par plus de trois cents enquêtes nationales conduites dans plus de quatre-vingt-dix pays, mais aussi l’arrêt de toutes les opérations de collecte, y compris pour les personnels sur le terrain[33].

Si l’impact sur les populations n’est pas aussi immédiat qu’il peut l’être avec l’arrêt d’un programme humanitaire, il préoccupe fortement la communauté des chercheurs et décideurs qui se basent sur ces données pour leurs études et leurs politiques dans de nombreux domaines : la fécondité, la santé et la mortalité des enfants, la santé reproductive, la planification familiale, l’autonomisation de la femme, le paludisme, la mortalité adulte, le handicap, etc.

C’est en effet le financement de l’USAID, par le biais de l’Inner City Fund (ICF), qui fournit une assistance technique et financière aux pays qui souhaitent implémenter ces enquêtes démographiques et de santé appelées DHS. Une de leurs forces est de proposer des questionnaires relativement standardisés, avec des questions posées de manière similaire d’une enquête à l’autre et d’un pays à l’autre, ce qui permet la comparabilité dans le temps et dans l’espace et a aussi l’intérêt de minimiser l’influence des gouvernements des pays qui pourraient être tentés de modifier les questionnaires au gré de leur sensibilité politique et idéologique[34].

Le site web du programme DHS fournissait des ressources gratuites pour toute personne souhaitant avoir des informations sur ces enquêtes ou des indicateurs produits à partir des données collectées. On pouvait y consulter tous les rapports d’enquête, mais aussi des publications, des informations méthodologiques, télécharger les données et, pour les non-spécialistes, un outil en ligne permettait de produire quelques statistiques simples sans avoir besoin de programme.

Les associations internationales pour l’étude scientifique de la population ont fait part de leurs préoccupations en matière de restriction des données, comme par exemple l’Association asiatique de la population (Asian Population Association, APA)[35].

Par ailleurs, de nombreux pays occidentaux ont également réduit leur aide internationale, amplifiant l’impact de cette crise. Les Pays-Bas (-30 %), la Belgique (-25 %), la France (-37 %) et le Royaume-Uni (-40 %) ont tous réduit leurs budgets d’aide internationale[36].

Le contexte global du déficit de données

La production de statistiques démographiques et de santé de qualité à l’échelle nationale et collectées en routine coûte chère et est réservée aux pays les plus riches, dits à revenu élevé. De nombreux pays ne disposent pas de système d’état civil permettant un enregistrement exhaustif des naissances et des décès sur l’ensemble du territoire. D’après le Fonds des Nations unies pour l’enfance (United Nations International Children’s Emergency Fund, Unicef), près de la moitié des enfants de moins de cinq ans vivant sur le continent africain ne seraient pas enregistrés. Alors que les recensements se font au mieux tous les dix ans et ne permettent pas d’avoir un suivi fin de la population et de savoir comment les individus naissent, vivent et meurent[37].

Au final, on dispose de peu d’éléments précis sur les populations des pays à revenu faible et intermédiaire, qui concentrent pourtant la plus grande partie de la population mondiale (84 % en 2024, d’après les estimations des Nations unies) et la quasi-totalité de la croissance de la population mondiale. Un des pays les plus peuplés d’Afrique, la République démocratique du Congo, que la forte croissance devrait positionner dans les dix pays les plus peuplés au monde d’ici 2050, n’a organisé qu’un seul recensement, en 1983, et l’essentiel des informations provient d’enquêtes menées auprès d’un échantillon de la population.

Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, la principale source d’informations sur la population générale provient des DHS, qui existent maintenant depuis les années 1980. Ces enquêtes ont succédé aux enquêtes mondiales de fécondité qui étaient régulièrement organisées dans les pays en développement dans les années 1960 et 1970. Ce type d’enquêtes repose sur le principe de collecter de manière rétrospective des informations sur ce qu’il s’est passé avant l’enquête[38].

Pour estimer la fécondité, par exemple, on demande à un échantillon de femmes en union ou, plus largement, en âge d’avoir des enfants si elles ont déjà eu des enfants et le calendrier des naissances. En posant des questions additionnelles sur la survie de leurs enfants, on peut aussi estimer la mortalité infantile et juvénile. La fécondité, la mortalité des enfants et la planification familiale sont des sujets qui restent centraux dans les DHS, mais le questionnaire permet de recueillir de nombreuses autres informations sur la santé maternelle et infantile, les conditions d’accouchement, la vaccination, la nutrition, le recours aux soins, etc.

Selon les pays, des modules de questions peuvent être ajoutés ayant trait au VIH, au paludisme, avec l’utilisation de biomarqueurs pour mesurer des conditions de santé objectives telles que l’anémie, la taille/le poids et la prévalence du VIH. Plus récemment, ces enquêtes comprennent la collecte de données GPS permettant d’étudier le lien entre population et environnement et de les lier à d’autres sources de données[39].

En posant des questions sur les conditions socioéconomiques des individus, des ménages et des communautés dans lesquels ils vivent, on peut observer des différences dans les indicateurs entre groupes de population et identifier des facteurs explicatifs des situations observées et élaborer des politiques. De nombreux facteurs jouent sur les prises de décisions dans ces domaines et des questions sont aussi posées sur l’autonomie des femmes, les sources d’information, etc.

Ces enquêtes, renouvelées régulièrement, produisent des indicateurs essentiels qui permettent de suivre les évolutions, d’identifier des leviers d’action et de mesurer l’impact de politiques publiques. C’est sur ce format que sont construites les DHS.

 Quelles conséquences après l’arrêt du programme ?

Ces enquêtes jouent un rôle essentiel dans la connaissance de la situation démographique des pays, surtout dans l’étude de la fécondité et de la santé reproductive. Elles constituent une source indispensable au suivi des indicateurs de développement durable signés par les Nations unies en 2015, par exemple pour mesurer la baisse de la mortalité infantile, de la fécondité adolescente, de la mesure des besoins non-satisfaits en matière de contraception, ou encore de la mortalité maternelle…

Même si on peut espérer que les données seront récupérées et mises à disposition de manière centralisée par ailleurs, les bases de données ne sont actuellement plus disponibles alors même qu’elles constituaient la principale source en accès libre et gratuit pour nombre de chercheurs, universitaires, étudiants à travers le monde, en particulier celles et ceux résidant dans les pays à revenu faible et intermédiaire. De nombreuses études, recherches et travaux sont ainsi empêchés[40].

L’arrêt de toutes les activités et enquêtes en cours sans préavis a aussi un impact direct sur les agences nationales de statistiques qui produisent ces enquêtes – devenues partie intégrante de la statistique publique – et les nombreux enquêteurs sur le terrain qui ont perdu, du jour au lendemain, leur unique source de revenu[41]. On peut imaginer une coupe budgétaire importante, si elle n’est pas totale, qui limitera les possibilités d’action, de soutien, de formation et de mise à disposition de ces données. Une autre crainte est de réorienter des sujets, notamment en santé reproductive (contraception, avortement), dans la philosophie de ce qu’il se passe aux États-Unis sur les questions de genre.

Les DHS fournissent des ensembles de données uniques, librement accessibles et comparables, couvrant plusieurs continents et décennies. Mettre fin au programme et empêcher les chercheurs d’accéder à ces données compromet les efforts de recherche internationaux, tant dans le Sud que dans le Nord[42].

Si ces enquêtes étaient remplacées par des efforts de collecte de données nationales, nous perdrions la comparabilité entre les pays et dans le temps, et ce serait probablement aussi une perte pour la science ouverte car, ces efforts de collecte de données nationales sont moins susceptibles d’être accessibles à tous les chercheurs. Si l’enquête démographique et de santé ne peut être le seul outil utilisé pour comprendre la dynamique démographique d’un pays (en raison du manque de nuance contextuelle, qui est la contrepartie du fait de poser les mêmes questions dans des contextes différents), elle est indispensable pour comprendre l’évolution de la population dans le temps et dans l’espace, faire évoluer la science et, à terme, améliorer les conditions de vie des individus et sauver des vies[43].

Le relais devra assurément être pris par d’autres organismes d’aide au développement, mais il est à craindre que ces organismes seront fortement mobilisés par de très nombreuses autres urgences plus pressantes, liées ou non au gel de l’aide internationale américaine. Alors même que l’on peut craindre une dégradation de la situation sanitaire des populations, les spécialistes seront désormais bien en peine pour pouvoir la mesurer[44].

Pour mieux comprendre les impacts de l’arrêt de l’aide américaine, il est judicieux de citer quelques pays déjà touchés ou susceptibles d’être touchés à titre d’illustration.

 En Afrique du Sud, un impact dévastateur sur les enfants vulnérables au VIH

L’Afrique du Sud connaît la plus grande épidémie de VIH au monde. Dans le pays, 17% des personnes de 15 à 49 ans vivent avec le VIH. Des associations de terrain travaillent depuis des années auprès d’adolescents, d’orphelins et d’enfants vulnérables qui présentent un risque accru au VIH. Des cliniques destinées à ces populations ont fermé, limitant les interventions vitales visant à endiguer la transmission du VIH, selon l’ONUSIDA. Pour l’Afrique du Sud, le démantèlement de l’USAID, c’est aussi la fin de financements dans les universités sud-africaines qui effectuaient des recherches sur le VIH et la tuberculose[45].

 Au Soudan du sud, le secteur de la santé ravagé

Au Soudan du Sud, 1,8 million de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays et, sur une population d’environ 11 millions d’habitants, plus de sept millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, un enfant sur quatre souffre de malnutrition, selon le Programme alimentaire mondial. Dans la plupart des camps de personnes déplacées par les conflits, la sécheresse et les inondations, la population dépend du financement américain, directement ou indirectement, par l’intermédiaire d’autres acteurs humanitaires[46].

  Haïti, les enfants victimes des violences des gangs impactés

Les enfants subissent de plein fouet la violence des gangs dans le pays, qui font régner leur loi brutale depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021.  Dans ce contexte, des associations œuvrent chaque jour à l’accompagnement de ces enfants qui ont subi des violences sexuelles et doivent notamment avoir accès à un traitement contre le VIH. Alors qu’elles étaient sur le point d’obtenir un financement américain pour soutenir leur travail, l’administration Trump a démantelé l’USAID. Résultat : les services d’accompagnement d’enfant ayant subi des viols ont fermé, laissant des jeunes filles sans les soins de santé urgents dont elles avaient besoin pour prévenir ou traiter le VIH et autres infections sexuellement transmissible[47].

En parallèle, l’administration Trump a supprimé les protections en matière d’immigration pour les Haïtiens vivant aux États-Unis. Il risque donc d’y avoir une augmentation du nombre d’expulsions de personnes vers Haïti. Conjuguée à une diminution des capacités humanitaires sur le terrain, cela risque d’entraîner davantage de violations des droits humains.

 Au Costa Rica, moins de services essentiels pour les personnes déplacées

Depuis 2018, le Costa Rica est le principal pays d’accueil des personnes déplacées de force du Nicaragua. Le Costa Rica est aussi un pays important de transit de personnes en quête de sécurité venues du Panama ou de la Colombie, en route vers les États-Unis. Depuis le retour de Donald Trump à la maison blanche, le droit d’asile à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis à est devenu impossible. De fait, le Costa Rica accueille désormais un grand nombre de personnes refoulées de la frontière américano-mexicaine[48].

En effet, au Costa Rica, les organisations locales venant en aide aux demandeurs d’asile et personnes exilées, sont contraintes de réduire, voire de fermer, leurs programmes d’aide alimentaire, d’hébergement et de soutien psychosocial. Des coupes qui affectent gravement la capacité du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) à fournir une assistance humanitaire aux réfugiés et aux demandeurs d’asile au Costa Rica[49].

Les coupes budgétaires ont contraint les grandes organisations à cesser leurs activités dans certaines régions du pays, notamment le long de la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua. Ce sont donc les petites organisations locales qui sont désormais en première ligne pour subvenir aux besoins vitaux des populations en déplacement[50].

Pour finir, ce qui est frappant, c’est la soudaineté et la brutalité de la décision de l’administration Trump et, on ne peut qu’être pessimiste pour la suite quand nous apprenons que c’est plus de 10.000 programmes qui sont sacrifiés et 92% du budget d’USAID, selon des indications à confirmer. Les conséquences humanitaires[51] sont immédiates quand les financements américains représentent selon les organisations parfois entre 20 et 50% de leur budget ! Telle ONG doit interrompre immédiatement un programme d’approvisionnement en eau potable pour 650.000 déplacés au Darfour, quand une autre organisation doit cesser son programme de 850.000 consultations médicales en Afghanistan[52],[53].

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