« Chaque candidat, chaque parti politique, porte le fardeau de modeler l’avenir de notre nation et avec ce pouvoir vient une responsabilité inévitable : celle de garantir la paix, la sécurité et le bien-être des enfants ». Ce rappel prononcé à l’aube du lancement officiel de la campagne présidentielle du 25 février 2024 par la Directrice Nationale de SOS Villages au Sénégal souligne l’importance cruciale de protéger les enfants en période électorale.
Conscient de sa spécificité, le Sénégal a conféré à cette frange de la population tout son mérite. Convaincu de son importance, l’Etat sénégalais a dans la charte fondamentale posé les bases constitutionnelles de la protection de l’enfanceet a ratifié la majeure partie des instruments juridiques internationaux et régionaux de protection de l’enfant. Il a aussi mis en place un système intégré de protection composé des lois, des politiques et des services. Sur le plan programmatique aussi, les initiatives n’ont pas manqué, avec l’adoption de la Stratégie Nationale de la Protection de l’Enfance (SNPE-décembre 2023), la Stratégie Nationale de la Protection Sociale (SNPS) 2015-2035, etc. A cela s’ajoutentau niveau institutionnel, les différentes structures dédiées à la protection de l’enfance.
Pour autant, malgré l’existence de ces mécanismes juridiques, politiques et institutionnels de protection, les enfants continuent toujours d’être exploités ou utilisés par des acteurs qui sont sensés les protéger. La dernière en date estintervenant durant la campagne électorale anticipée du 17 novembre 2024 où on a vu des leaders politiques s’afficher au grand public avec des enfants et ceux accompagnant des caravanes politiques dans des conditions inquiétantes. Ce phénomène remet au gout du jour la question de l’utilisation des enfants dans les activités politiques, parfois violentes. Cette problématique émergente constitue une violation flagrante de leurs droits, notamment le droit à l’image, à la vie et la survie mais également des principes fondamentaux tels que l’intérêt supérieur, la participation, la survie et développement de l’enfant. Pour mieux aborder cette réflexion, il est essentiel de s’accorder à la définition de l’enfant en danger et de cerner la notion de protection dans sa dimension globale et juridique.
L’enfance est la période durant laquelle un être humain est considéré comme un enfant.
D’après l’encyclopédie de la psychologie (1983), l’enfance est une période qui s’étend de la
naissance à l’adolescence, c’est-à-dire jusqu’aux environs des quatorzièmes années.
La Convention des droits de l’enfant (CDE) définit l’enfant comme « tout être humain âgé de moins de 18 ans sauf si lamajorité est acquise plus tôt en vertu de la législation nationale », alors que la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant stipule que « l’enfant est tout être humain âgé de moins de 18 ans ». A la lecture des deux dispositions précitées, on constate que la définition de la Charte africaine est plus précise que celle de la Convention, qui donne la possibilité aux Etats-partis de fixer l’âge de la majorité en tenant en compte de leurs réalités socio-culturelles.
Après avoir défini l’enfant, il reste à identifier à partir de quand, peut-on dire qu’un enfant est en danger dans un contexte électoral. Est-ce que le fait d’utiliser l’image de l’enfant à des fins politiques ou de faire participer l’enfant à des manifestations politiques sans ou avec le consentement de son parent ou de son civilement responsable suffit à dire qu’il est en danger ? Ainsi, s’il est une notion en la matière qui ne sera jamais précisément définie, c’est bien celle de danger. Mais, c’est en référence au Code de Procédure Pénale (CPP)que l’on sait un peu mieux à quoi renvoie cette notion. L’article 594 CPP indique que le mineur en danger, c’est le mineur de 21 ans dont la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation sont compromises ou insuffisamment sauvegardées. A partir de cette définition, on peut considérer que les enfants, objet de notre étude répondent parfaitement à cette définition.
La protection de l’enfant consiste quant à elle, à prévenir, quel que soit le contexte, la maltraitance, la négligence, l’exploitation et la violence que subissent les enfants, d’y répondre et de les éliminer. Cette définition s’appuie sur l’article 19 de la Convention des Droits de l’Enfant (CDE) et sur le travail du Comité des Droits de l’Enfant de Genève. Cette protection renvoie aux (03) piliers de la Stratégie Nationale de la Protection de l’Enfance (SNPE), à savoir la prévention, la prise en charge et la promotion des droits de l’enfant.
En réalité, on est en droit de se demander, pourquoi, en dépit de ces dispositifs juridiques et institutionnels ainsi que les différentes initiatives politiques et sociales, les enfants continuent d’être utilisés par les acteurs mêmes du changement social, c’est-à-dire ceux qui aspirent à diriger le pays ? Quels sont les défis à relever pour que la protection des enfants soit largement prise en compte en période électorale ?Ces interrogations trouvent leur sens à bien des égards, si l’on se fie à la persistance de cette pratique dans le landernau politique, alors que les acteurs eux-mêmes savent pertinemment qu’ils mettent en danger ses enfants qu’ils utilisent ou manipulent durant la campagne électorale. Cet état de fait renseigne des nombreux défis auxquels sont confrontés les acteurs de la protection des enfants. Ces derniers sont juridiques, institutionnels, économiques, financiers et politiques. Cependant, dans un souci de clarté, même si cette pratique ne date pas d’aujourd’hui, l’accent sera mis seulement sur les défis liés aux dispositifs juridiques et programmatiques ainsi que ceux liés à leur mise en œuvredurant les deux dernières élections au Sénégal. Il s’agit del’élection présentielle du 24 mars 2024 et celles deslégislatives anticipées du 17 novembre 2024.
Ainsi, s’il est vrai que l’urgence de l’heure est de soulever les défis juridico-politiques (I), il est tout autant vrai qu’une analyse des défis pratiques dans la mise en œuvre des mesures de protection (II) demeure une nécessité.
I) LES DEFIS JURIDIQUES ET POLITIQUES LIES A L’UTILISATION DES ENFANTS PENDANT LA CAMPAGNE ELECTORALE
Au regard de ce qui précède, le Sénégal dispose d’un dispositif juridique et institutionnel protecteur des enfantsmais qui est toutefois perfectible. Cette perfectibilité doit nécessairement conduire à un renforcement du cadre législatif et réglementaire (A) et une amélioration du système de protection des enfants (B) pour une meilleure prise en charge durant la période électorale.
A. Le renforcement du cadre légal
La protection des enfants à la période de la campagne électorale interpelle tous les acteurs du processus électoral, en particulier les candidats. Ils ont une responsabilité fondamentale envers la société et surtout les enfants qui sont l’avenir du pays.
Etant donné que dans les programmes politiques, les candidats ne donnent pas beaucoup d’importances à la protection des enfants, un appel en action en faveur de ces derniers s’impose. Il est donc essentiel que les candidats s’engagent à renforceractivement le respect des droits de l’enfant dans leurs projetsprésidentiels ou législatifs. Cela doit passer par un encadrement juridique d’où la nécessité de redéfinir les critères liés à la candidature, à travers notamment la modification du Code électoral. La révision de l’article L.57 du Chapitre 3 relative aux conditions d’éligibilité, d’éligibilité et d’incompétence, dans le sens d’introduire une disposition qui oblige les candidats aux respects des droits des enfants dans le processus électoral, serait la bienvenue.
Un autre défi majeur des nouveaux dirigeants est l’adoption du Code de l’enfant. En dépit de l’engagement de l’Etat du Sénégal à prendre toutes les mesures pour mettre en conformité les lois internes suite à sa ratification des instruments internationaux, plusieurs textes législatifs et réglementaires existent avec toutefois des incohérences quant à la pluralité des définitions de l’enfant et des limites dans leur application. Ainsi, l’adoption d’un Code de l’enfant, document unique de référence à la matière contribuerait sans aucun doute à renforcer le cadre légal de protection des enfants. Un défi encore, consiste, à engager des réformes sur le Code pénal (CP), le Code de Procédure Pénale (CPP) et le Code de la Famille (CF) afin de les harmoniser aux Conventions internationales. Cela permettra, de mettre les acteurs politiques sous leur responsabilité en cas de manquement au respect des droits des enfants. Bien que le Sénégal soit doté de lois interdisant la maltraitance et la mise en danger d’enfants, les poursuites contre les auteurs d’abus et les actions concrètes visant à s’en prémunir les enfants sont restées limitées. En plus, le droit à l’image de l’enfant n’est pas bien encadré comme en France où il existe une loi sur le respect du droit à l’image des enfants.
Enfin, le dernier défi consiste à l’adoption du projet de loi sur le statut des « daara ». Le constat est unanime, durant lacampagne électorale, les talibés accompagnent les caravanes avec tout ce que cela comporte comme danger pour ses enfants. Ils sont exposés à de nombreux risques de violences, d’abus, de maltraitance dans les meeting et caravanes politiques. Il est donc important de poursuivre les efforts de plaidoyer tendant à exiger un environnement protecteur et des services de protection et de bien-être pour les enfants talibés. Les défis de la protection des enfants en période électorale ne sont pas seulement juridiques, ils sont égalementprogrammatiques ou politiques.
B. L’amélioration du système intégré de protection de l’enfant
Le Sénégal a une population majoritairement très jeune. En effet, selon le rapport de l’ANSD 2023, la moitié de la population est âgée de moins de 19 ans (18 ans chez les hommes contre 20 ans chez les femmes). Les enfants âgés de moins de 15 ans constituent 39, 2% de la population globale avec une prééminence chez les garçons (40,6%) que chez les filles (37,6%). Pour cette simple raison, la protection de cette frange importante de la population, doit être au cœur des préoccupations politiques. L’adoption de la SNPE visant, d’une part, à mettre en place un système national intégré de protection ; et d’autre part à appuyer et promouvoir le changement social positif devrait permettre à y arriver. Après plus de 10 ans d’existence, il est aujourd’hui crucial de finaliser l’évaluation de ce référentiel en dépit de quelques lacunes constatées surtout dans le dispositif de coordination du système intégré. Ce système qui est à la fois national (CINP,SENPE) et décentralisé (CDPE, CCPE, CQPE et CVPE) doit être redynamisé pour mieux prendre en charge les enfants durant les campagnes électorales. En définitive, il est primordial d’accroître les ressources financières, humaines et techniques nécessaires à la mise en œuvre du prochain Plan d’action pour la SNPS. L’existence d’un cadre juridique et institutionnel protecteur ne suffit pas pour rendre convenablement service aux enfants, il faut également s’assurer que tous les dispositifs de protection de l’enfant soient fonctionnels et dynamiques dans leur mise en œuvre
II) LES DEFIS PRATIQUES DANS LA MISE EN ŒUVRE DES MESURES DE PROTECTION EN PERIODE ELECTORALE
La mise en œuvre des mécanismes de protection de l’enfance se heurte à de nombreuses difficultés dans le processus électoral. Ces blocages d’ordre pratique qu’il faut relever, tiennent à l’identification des enfants utilisés et à la responsabilité des acteurs impliqués.
A -Difficultés d’identification des enfants en situation de risque pendant la campagne électorale
La prise en compte des droits des enfants s’est toujours heurtée au Sénégal aux pratiques sociales, culturelles et religieuses. Bien que des efforts soient en train d’être faits dans l’appropriation des mécanismes de protection, il n’en demeure pas moins qu’il existe toujours des réticences dans ce domaine. Mais dans le processus électoral, le problème est surtout lié à l’identification des enfants à risque. En effet, pendant la campagne électorale, plusieurs types d’enfants accompagnent les caravanes et meeting politiques. Bien que tout enfant soit vulnérable sur le plan physique et psychique, certains sont plus exposés et plus vulnérables que les autres. Il s’agit des enfants en situation de rue, les talibés et ceux qui sont dans le monde informel (petits commerçants, ouvriers, etc.). Un enfant n’est pas un outil que l’on utilise à bon escient, c’est un être humain qui a des droits et des devoirs. Même avec l’accord du parent ou du civilement responsable, un enfant ne doit pas être exposé à des manifestations politiques, s’il n’y trouve pas son compte, c’est-à-dire son intérêt supérieur. C’est l’objet de l’article 3 de la CIDE qui stipule que, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, (…) l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Pour ce faire, il faut que les candidats aux élections aient conscience de leur responsabilité envers les enfants.
B. Une responsabilité partagée, difficilement engageable
Plusieurs acteurs sont responsables de l’utilisation des enfants dans les campagnes électorales. Même si au premier plan, il y a les acteurs politiques, c’est-à-dire les candidats aux élections, mais l’Etat, la collectivité publique, les parents, etc., sont tous responsables de cette situation. Il s’y ajoute, la responsabilité des acteurs publics et privés de la protection de l’enfance, les responsables communautaires, les médias, car pouvant passer des messages de sensibilisation en direction des familles sur l’importance de renforcer la surveillance et la sécurité de leurs enfants durant la campagne électorale. En effet, avant chaque élection, les candidats doivent placer la protection des enfants au sommet de leur agenda politique. Ainsi, s’engager pleinement dans la construction d’un avenir où chaque enfant grandit en sécurité, en paix et avec dignité. C’est dans ce sens uniquement qu’ils prendront conscience de la place de l’enfant dans la société.
A propos de la responsabilité pénale ou civile des acteurs pour l’irrespect des droits des enfants en période électorale, il existe un manque de volonté politique pour l’application des lois existantes. Ainsi, l’article 363 bis du CP, qui « punitd’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 500 000 francs à 5 000 000 de francs celui qui au moyen, d’un procédé quelconque, porte volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée » devrait servir de référence à la sanction des acteurs faussaires des droits des enfants. Mais en période électorale, c’est comme si l’impunité est la règle surtout lorsqu’il s’agit de la vie privé ou de l’image de l’enfant qui est en jeu. Les décès, les incarcérations et les violences physiques et morales d’enfants durant les manifestations socio-politiques en mars 2021 et juin 2023 sont une parfaite illustration.
En définitive, la campagne électorale est la période durant laquelle, les candidats et leurs partis font leur promotion dans le but de récolter le plus grand nombre de voix possible. Dans cette opération de charme, ils vont à la rencontre des populations en utilisant souvent des enfants. Or, la place des enfants n’est pas dans les activités de campagne électorale, mais à l’école et en famille. Cependant, malgré l’existence d’un cadre protecteur, les enfants continuent d’être utilisés et manipulés par certains acteurs politiques. Partant de ce constat, cette présente étude s’attelait à identifier les défis à relever dans ce sens. Ainsi, pour une meilleure protection des enfants en période électorale, le renforcement du dispositifjuridique, institutionnel et politique ainsi qu’un plan de suivi de la mise en œuvre des mesures prises est plus qu’une nécessité.
Par Arona BA, Educateur spécialisé / Doctorant en droit public