avril 30, 2025
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Sécurité

Les propositions de sortie de la CEDEAO laissent l’Afrique de l’Ouest à la croisée des chemins

La demande de retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger offre une occasion cruciale d’améliorer le fonctionnement du bloc régional.

Le 8 février, le Conseil de médiation et de sécurité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tiendra une session extraordinaire à Abuja. La réunion au niveau ministériel discutera des questions politiques et de sécurité, y compris le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de l’organisation.

Cela fait suite à l’annonce, le 28 janvier, par les chefs militaires des trois pays, de leur sortie immédiate de la CEDEAO, le bloc régional fondé en 1975 pour promouvoir l’intégration économique. Ces trois pays représentent 15 % de la population de la CEDEAO, soit près de la moitié de sa superficie et disposent d’un potentiel économique considérable.

Les griefs des trois gouvernements à l’encontre de la CEDEAO sont doubles. Premièrement, ils estiment que les sanctions économiques et financières de l’UE contre le Mali puis le Niger, à la suite de coups d’État militaires dans ces États, sont « illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables en violation de ses propres règles ». Ils affirment également que les sanctions ont été imposées à l’instigation de « puissances étrangères ». Deuxièmement, les dirigeants allèguent que la CEDEAO a refusé de soutenir leur lutte contre le terrorisme et l’insécurité.

Les relations se sont détériorées depuis les coups d’État au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023), qui ont entraîné leur suspension de la CEDEAO. La création de l’Alliance des États du Sahel en septembre 2023 a fragmenté davantage le bloc régional. L’alliance – un mécanisme de sécurité collective mis en place en réponse à la menace d’intervention militaire de la CEDEAO au Niger après le coup d’État – a signalé l’intention des groupes de rechercher une distance politique et une autonomie par rapport au bloc.

Au cours de la dernière décennie, la CEDEAO a été confrontée à des défis majeurs pour faire face efficacement à l’extrémisme violent et aux défis de gouvernance dans ses États membres. La perception d’une politique de deux poids, deux mesures – dans laquelle le bloc réprime les coups d’État militaires mais ferme les yeux sur les « coups d’État institutionnels » menés par des gouvernements élus comme en Côte d’Ivoire et en Guinée – a sapé la crédibilité de la CEDEAO dans la région.

La situation actuelle représente une occasion importante pour la CEDEAO de revoir ses cadres, ses politiques et ses pratiques afin de rendre l’organisation plus cohérente et plus efficace. Cette approche pourrait créer les conditions d’un retour des trois pays dans le bloc régional et empêcher d’autres existences.

Sur le plan politique, les retraits s’expliquent par deux facteurs, qui pourraient tous deux être en jeu. Il pourrait s’agir d’une stratégie visant à contourner les exigences de la CEDEAO en matière de transitions courtes et pour empêcher les putschistes de se présenter aux élections présidentielles. Ou ils pourraient être un moyen de faire pression sur l’organisation pour qu’elle négocie une solution qui verrait les trois juntes rester dans la CEDEAO en échange de positions plus flexibles et de la levée des sanctions au Niger.

Leur départ aurait des répercussions négatives à la fois sur le bloc régional et sur les citoyens des pays sortants. L’Afrique de l’Ouest reste l’un des exemples les plus réussis d’intégration et de coopération économique, politique et sécuritaire en Afrique.

La libre circulation des personnes dans toute la région, garantie par le système d’exemption de visa et un passeport commun, est l’une des principales réalisations de la CEDEAO au profit des citoyens de la région. Pour les pays enclavés comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger notamment, l’union douanière facilite les importations par l’application d’un tarif extérieur commun unique.

Depuis près de 50 ans, les règles et les modes de fonctionnement de la CEDEAO façonnent la gouvernance de ses États membres. En ce qui concerne la libre circulation des personnes et des biens, et l’accès aux ports côtiers, le retrait n’affectera pas, pour l’instant, les relations entre les trois pays et les autres États de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont le traité garantit également ces principes. Cependant, des mesures d’atténuation bilatérales ou multilatérales devraient être convenues avec les États non membres de l’UEMOA.

Les modalités de ce retrait sont irrégulières, étant donné qu’un départ immédiat est matériellement impossible à mettre en œuvre et n’est pas conforme au traité régissant la CEDEAO. L’article 91 stipule que le retrait prend effet un an après la notification formelle. Le seul précédent est la sortie de la Mauritanie en décembre 2000, après que le pays eut donné son préavis en décembre 1999. Pendant la période de préavis, les États qui demandent à quitter l’UE doivent respecter leurs engagements envers l’UE.

La décision de se retirer, qui affectera considérablement les Sahéliens, ne semble pas avoir fait l’objet de consultations nationales préalables. Les citoyens ont soutenu les coups d’État dans le Sahel central parce qu’ils voulaient que la gouvernance s’améliore, et non pour que les nouveaux dirigeants aient carte blanche. Cela remet en question la légitimité de la décision des trois juntes de quitter la CEDEAO. Au Mali, par exemple, la coalition d’organisations de l’Appel du 20 février 2023 pour Sauver le Mali s’est opposée au retrait.

Cette absence de concertation populaire pourrait déstabiliser davantage des transitions déjà fragiles. Le Niger a du mal à entamer officiellement sa transition, et le Mali et le Burkina Faso approchent de la fin de leurs mandats convenus par la CEDEAO. Les élections présidentielles prévues en mars et juillet 2024 au Mali et au Burkina Faso ont été reportées sine die.

Pendant ce temps, la CEDEAO se trouve dans une grave crise. Le protocole de l’organisation sur la démocratie et la bonne gouvernance continuera de s’appliquer aux États sortants jusqu’au 29 janvier 2025. Cependant, le bloc devra choisir entre insister sur le fait que les trois juntes respectent leurs délais pour le retour du pouvoir à un régime civil, ou reculer pour les empêcher de partir.

Le choix est d’autant plus difficile que les retraits pourraient être le prélude à une éventuelle sortie de l’UEMOA. Cette évolution serait encore plus dommageable pour les trois pays et le reste de l’Union.

La crise met en évidence la nécessité pour la CEDEAO de revoir et d’améliorer ses mécanismes de traitement des violations de la gouvernance démocratique dans ses États membres. Le recours aux sanctions aveugles contre le Mali en 2022 et le Niger depuis juillet 2023 – qui fait l’objet d’une contestation juridique et touche principalement des civils – doit également être reconsidéré à la lumière de leur inefficacité. Des sanctions plus claires, ciblées et plus prévisibles seraient préférables.

L’appel de la CEDEAO en faveur d’une solution négociée a été soutenu par la Commission de l’Union africaine. S’il n’est pas possible de maintenir les trois États au sein de l’UE après la période de préavis d’un an, toutes les parties doivent œuvrer à une sortie en bonne et due forme qui minimise l’instabilité régionale.

Les discussions doivent inclure une dimension sécuritaire qui établit des mécanismes appropriés de coopération et de coordination régionales sur la base des enseignements tirés de la dernière décennie d’intervention internationale au Sahel. En particulier, ces mécanismes devraient accorder une attention particulière à la connectivité et à l’interdépendance des zones transfrontalières.

Enfin, compte tenu de l’intensité de la concurrence entre grandes puissances à l’échelle mondiale et de l’évolution des alliances des États du Sahel central vers la Russie depuis 2020, la CEDEAO et les trois pays sortants doivent reconnaître le danger que ces dynamiques représentent pour la région. Des efforts collectifs sont essentiels pour résoudre les graves problèmes de développement et de sécurité que partagent tous les pays de la région.

Institut d’Etudes de Sécurité, Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad

 

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