« Encore une fois, j’ai toujours été contre la présidence à vie, j’ai toujours été pour l’alternance au pouvoir ; qu’il s’agisse de l’alternance des partis, exprimée par des élections libres, ou de l’alternance au sein du même parti par la montée des jeunes. »
(Extrait du dernier message à la nation du Président Léopold Sédar SENGHOR)
Il est des moments dans la vie politique d’une nation où l’hommage transcende l’opposition. Aujourd’hui, c’est avec respect, lucidité et sans renier mes combats passés que je tiens à saluer la grandeur d’un homme : Moustapha Niasse.
Ce samedi 26 avril 2025, à l’occasion du congrès de l’Alliance des Forces du Progrès (AFP), l’enfant de Keur Madiabel a passé, avec sagesse, le flambeau de son parti à une génération plus jeune, représentée par l’Honorable député Mbaye Dione. Ce geste, rare sous nos cieux, résonne comme une leçon d’humanité et de démocratie. Car comme le dit l’adage: « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. »
Moustapha Niasse, étudiant socialiste formé à l’école du Président-poète Léopold Sédar Senghor, est un modèle d’intellectuel rigoureux, de patriote enraciné et de républicain convaincu. Membre du Bureau politique et du Secrétariat national du Parti socialiste, il a dirigé longtemps la coordination départementale de Nioro du Rip, cette terre de Saloum qui a forgé son attachement viscéral à ce que j’appelle la ruralité positive. Non pas seulement comme folklore nostalgique, mais comme ferment d’une modernité enracinée.
Diplomate d’envergure, énarque, penseur libre, partisan du dialogue islamo-chrétien, fervent musulman mais tolérant, il a su faire de ses réseaux, jusque dans les monarchies du Golfe, un levier discret mais précieux au service du Sénégal.
Certes, j’ai combattu cet homme politiquement, avec la fougue de ma jeunesse, en tant qu’élève, étudiant, puis jeune cadre. À Keur Madiabel, j’ai été l’un des rares à oser m’opposer à lui sur le plan politique, notamment lors d’un épisode devenu célèbre dans notre histoire locale.
Un jour d’octobre 2000, alors que la première alternance battait encore au rythme de l’euphorie, Modou Diagne Fada, alors Ministre de la Jeunesse, me passa au téléphone le Ministre d’État, Directeur de Cabinet du Président Abdoulaye Wade. Dans un éclat de rire qui cachait mal la gravité du message, Idrissa SECK me lança :
« Bass, vous causez beaucoup de torts au Premier ministre ! Il s’est plaint au Président Wade, en déplacement hors du pays. Alors, il m’a demandé de vous recevoir pour en savoir un peu plus… »
À la suite de cette audience, mû par mon attachement à la dignité de la ruralité et ma volonté d’affirmer une opposition forte, je décidai de solder les arriérés de facture d’éclairage public de Keur Madiabel, village natal du Premier ministre Moustapha Niasse. Ce geste, symbolique mais lourd de sens politique, fut vécu comme une provocation. La riposte de Moustapha Niasse ne tarda pas :
« S’ils veulent payer des factures d’électricité, qu’ils aillent à Kébémer ! Qu’ils aillent à Thiès ! »
Il faisait référence aux villes natales du Président Abdoulaye Wade et du Ministre d’État Idrissa Seck.
Cette anecdote, au-delà de la confrontation ponctuelle, témoigne de la densité de nos engagements respectifs : affrontements, certes, mais aussi reconnaissance tacite de la vitalité démocratique de notre pays.
Le Président Moustapha Niasse, malgré ces épisodes de friction, restera pour moi l’image du courage, de la résilience, de l’homme d’État, du fils dévoué à sa mère, du self-made man, du patriote enraciné et du serviteur de la République.
Moustapha Niasse, c’est aussi l’architecte discret de la deuxième alternance de 2012, en participant à la création de la coalition Benno Bokk Yakaar qui a porté Macky Sall au pouvoir, à l’issue du deuxième tour de la présidentielle. C’est un sphinx politique, capable de traverser les décennies sans renier ses convictions profondes.
De Directeur de l’Information à Directeur de Cabinet de Senghor, de Ministre des Affaires étrangères sous Senghor et Diouf, à Premier ministre sous Diouf et Wade, de Président de l’Assemblée nationale à Représentant spécial du Président Macky Sall, il aura parcouru tous les étages de la République, sans jamais être prisonnier du pouvoir pour le pouvoir.
Sa philosophie ? L’État est service, non carrière. La politique est devoir, non opportunisme. Il nous a appris que « La vraie grandeur consiste à être maître de soi-même. »
Aujourd’hui, en remettant les clefs de l’Alliance des Forces du Progrès à Mbaye Dione, Moustapha Niasse rappelle à tous les acteurs politiques sénégalais que l’histoire se construit aussi dans la transmission et l’effacement volontaire. Il montre que la grandeur n’est pas dans l’accaparement mais dans la capacité à préparer l’avenir. À ceux qui doutaient encore que les anciens et les jeunes puissent dialoguer, il répond par l’exemple : « Le dialogue entre générations est le socle de toute société qui se veut durable. »
Quant à Mbaye Dione, il mérite nos félicitations pour avoir grandi sous l’ombre d’un tel arbre, sans jamais oublier qu’un jour, il devra, lui aussi, faire croître d’autres arbres : « Le fruit ne renie jamais la racine. », Amadou Hampâté Bâ
Ine fine, l’histoire retiendra de Moustapha Niasse non seulement un homme d’État, mais aussi un penseur libre, un philosophe rural, et un serviteur du peuple.
Moustapha Niasse, tel le Sage de Bandiagara, aura su conjuguer l’amour des racines à l’exigence de l’infini ; il a fait de la liberté intérieure et du service de la cité les deux piliers d’une existence vouée à la dignité humaine dans le sens de Paul Ricoeur.
À mon oncle, je souhaite une longue vie et une bonne santé.
Mamadou Bassirou KEBE
Président de LIGGUEY SUNU REEW
