octobre 21, 2025
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Plan Trump : l’Égypte à la manœuvre

Entretien avec Dr. Badr Abdelatty Abdelatty, Ministre des Affaires étrangères d’Égypte depuis 2024 par la Rédaction de Politique Internationale

Politique Internationale — Dans le passé, notre revue a décerné le Prix du courage politique au président Anouar el-Sadate. Selon vous, qui mériterait aujourd’hui une telle distinction, au Moyen-Orient et ailleurs ?

Dr. Badr Abdelatty — Au Moyen-Orient, sans hésitation, le président Abdel Fattah al-Sissi. C’est un homme de paix, de tolérance et de coexistence. Sous sa direction, l’Égypte joue un rôle essentiel dans la stabilité régionale et dans la promotion du dialogue. Le président al-Sissi répète souvent qu’aucune crise au Moyen-Orient ne peut être résolue par la force militaire — et il a raison. Les solutions doivent être politiques et pacifiques, que ce soit en Palestine, au Soudan, en Libye, en Syrie ou au Yémen. L’Égypte, sous son impulsion, agit comme un pilier incontournable de la diplomatie régionale. Regardez son rôle dans la question palestinienne : au moment même où nous parlons, des délégations du Hamas, d’Israël et des États-Unis se sont retrouvées à Charm el-Cheikh pour tenter de mettre fin à la tragédie de Gaza.

  1. I. — Nous reviendrons sur ces questions, mais j’aimerais d’abord connaître votre opinion sur le plan de paix de Donald Trump. Indépendamment de son issue finale, quels en sont, selon vous, les points forts et les faiblesses ? Et pensez-vous que le président Trump mérite de recevoir, un jour, le prix Nobel de la paix ?
  2. A. — Le président Trump s’est présenté comme un président de la paix. Nous avons confiance en lui. S’il parvient à mettre fin à cette guerre et à instaurer un véritable processus de paix, il méritera pleinement un prix Nobel. C’est un homme de leadership, doté d’une vision. Son plan, s’il réussit, pourrait mettre un terme à un bain de sang et offrir un avenir meilleur à nos peuples et à la jeune génération.
  3. I. — Et, concrètement, quels sont les points forts de ce plan ?
  4. A. —Il en comporte trois, essentiels.

D’abord, la volonté d’en finir avec la guerre, ce qui est capital. Ensuite, le rejet clair de toute annexion de la Cisjordanie, un élément très positif. Enfin, le refus du déplacement du peuple palestinien : le plan prévoit la reconstruction de Gaza tout en garantissant le droit du peuple palestinien de rester sur ses terres, et le retour de ceux qui ont dû fuir. C’est un troisième volet fondamental.

Mais tout dépendra de la mise en œuvre. La seule garantie de réussite, c’est l’engagement personnel du président Trump. Nous espérons qu’il saura imposer ce plan et encourager toutes les parties à avancer pas à pas.

  1. I. — Le rôle confié à l’Égypte dans ce plan vous satisfait-il ?
  2. A. —L’Égypte assume depuis longtemps son rôle dans la recherche de la paix, depuis la visite historique du président Sadate à Jérusalem en 1977 — initiative que vous évoquiez il y a un instant. Ce n’est donc pas nouveau. Nous nous appuyons sur des bases solides : nous avions réussi dans notre mission de  médiateurs,et nous œuvrons afin de rapprocher les parties pour parvenir à une solution qui réponde aux aspirations légitimes du peuple palestinien.
  3. I. — Croyez-vous toujours en la théorie des deux États ? Et si une autre formule devait être envisagée, laquelle pourrait être acceptable ?
  4. A. — Pour être franc, la seule option viable reste la création d’un État palestinien indépendant. Sans cela, il ne peut y avoir ni paix, ni stabilité, ni sécurité — ni pour les Palestiniens, ni pour les Israéliens. Israël existe depuis 1948 et est reconnu par la communauté internationale. Ce qui manque, c’est un État palestinien souverain et viable, capable de répondre aux aspirations de son peuple. Tant que cet objectif ne sera pas atteint, la région restera en proie à l’instabilité.
  5. I. — Donc aucune autre formule n’est acceptable ?
  6. A. —Aucune. Et la communauté internationale partage cette position. C’est un consensus fondé sur des paramètres approuvés par tous. D’ailleurs, sous l’impulsion du président Macron, dix nouveaux pays ont récemment reconnu l’État de Palestine. Nous en comptons désormais plus de 150 au total.
  7. I. — Certains disent qu’il existe déjà un État palestinien puisque la majorité de sa population est d’origine palestinienne : la Jordanie…
  8. A. —C’est un argument absurde. La Palestine appartient aux Palestiniens.
  9. I. — En ce qui concerne le statut final des territoires, comment imaginez-vous l’avenir de la Cisjordanie et de Gaza ?
  10. A. —Il faut préserver l’intégrité territoriale et l’unité entre Gaza et la Cisjordanie. Ces deux régions constituent le territoire du futur État palestinien, sous l’autorité de l’Autorité palestinienne et du président Mahmoud Abbas. L’Égypte soutient leurs efforts pour établir un État uni. La communauté internationale reconnaît ces territoires — y compris Jérusalem-Est — comme occupés, conformément aux résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité.
  11. I. — Est-ce à dire que Jérusalem-Est serait la capitale de cet État palestinien ?
  12. A. —Absolument.
  13. I. — Et les frontières ? Celles de 1967 ?
  14. A. —Oui. L’État palestinien doit être établi sur les territoires occupés par Israël le 5 juin 1967 : toute la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza.
  15. I. — Cet État devrait-il être démilitarisé ?
  16. A. —Nous n’avons aucune objection à cela. Si toutes les parties font preuve de volonté politique — Israël en particulier —, des solutions pratiques peuvent être trouvées à toutes les questions, y compris celle de la sécurité. Le président al-Sissi l’a clairement déclaré : nous pouvons accepter un État palestinien indépendant et démilitarisé. Les Arabes n’ont aucun problème avec un tel schéma, à condition que les Palestiniens obtiennent leurs droits légitimes dans le cadre de la solution à deux États.
  17. I. — Cette solution suppose donc que le Hamas soit totalement écarté ?
  18. A. — Tous reconnaissent que le Hamas ne doit jouer aucun rôle politique futur. Les États arabes et musulmans se réfèrent désormais au document adopté à New York sur la solution à deux États (1), qui fixe un cadre clair pour l’avenir. La France a joué un rôle clef pour aboutir à ce document !
  19. I. — Et que faire des réfugiés palestiniens ?
  20. A. — C’est une question complexe, mais il existe des pistes créatives. L’essentiel est de reconnaître le droit au retour, conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale de 1948. Ce droit doit être garanti, même si sa mise en œuvre peut prendre différentes formes : retour effectif ou indemnisation, selon les cas. Le principe d’abord, les modalités ensuite.
  21. I. — Venons-en à un point sensible. Après le massacre du 7 octobre, quelle aurait dû être, selon vous, la réponse d’Israël ?
  22. A. —Je ne réponds pas aux hypothèses, mais une chose est certaine : ce qui s’est passé à Gaza est un génocide. Les principes du droit international interdisent les punitions collectives. On ne peut pas justifier la mort de dizaines de milliers d’innocents, ni affamer une population entière. Israël, en tant qu’État, a le devoir de se comporter en acteur responsable, respectueux du droit humanitaire.
  23. I. — Et si une attaque similaire avait visé l’Égypte, quelle aurait été votre réaction ?
  24. A. —L’Égypte a déjà été confrontée à des attaques terroristes. Nous n’avons jamais riposté en ciblant des civils, ni provoqué de dommages collatéraux massifs. Nous combattons le terrorisme, mais jamais au prix d’innocents. Il faut s’attaquer aux causes profondes du conflit, et non multiplier la vengeance et la destruction.
  25. I. — Vous estimez donc qu’Israël aurait dû riposter au massacre par une solution non militaire ?
  26. A. —Exactement. Punir des civils, affamer une population, ce n’est pas de la défense : c’est un crime. La seule issue durable passe par le respect du droit international et la recherche d’une solution politique.
  27. I. — Parlons maintenant de la gouvernance palestinienne. Qui, selon vous, pourrait remplacer l’actuelle Autorité palestinienne ?
  28. A. —L’Égypte ne s’ingère pas dans les affaires intérieures palestiniennes. Notre rôle est de soutenir et d’accompagner. Le président Mahmoud Abbas mène actuellement un processus de réforme. Il a adressé une lettre importante au président Macron, exposant sa vision d’élections démocratiques et de renouveau institutionnel. Nous appuyons pleinement cette démarche.
  29. I. — Pourtant, il y a plusieurs années qu’aucune élection n’a été organisée en Cisjordanie et à Gaza !
  30. A. —C’est vrai, mais un calendrier existe désormais : un an pour organiser de nouvelles élections. Il faut créer un climat propice pour qu’elles se tiennent réellement. En attendant, nous soutenons la formation d’un comité palestinien technocratique chargé d’administrer Gaza pendant une période de transition, en coordination avec l’Autorité palestinienne et la communauté internationale.
  31. I. — Certains accusent le Qatar de jouer un double jeu : médiateur d’un côté et soutien à des groupes extrémistes comme le Hamas de l’autre. Quelle est votre position ?
  32. A. —C’est une idée fausse. Le Qatar a joué un rôle constructif et positif, en étroite coopération avec l’Égypte. Ensemble, nous avons fait en sorte que le Hamas libère les otages et que les hostilités cessent. Les États-Unis ont participé eux aussi à ces efforts. Nos trois pays ont travaillé de concert pour instaurer un cessez-le-feu durable.
  33. I. — Mais le Qatar accueille depuis longtemps des dirigeants de groupes extrémistes. Est-ce une stratégie pour mieux les contrôler ?
  34. A. —Je ne peux pas parler au nom du Qatar. Ce que je sais, c’est que ses actions actuelles s’inscrivent dans une logique de paix et de médiation, en coordination totale avec l’Égypte et les États-Unis, comme je viens de vous le dire.
  35. I. — Venons-en aux accords d’Abraham. Pensez-vous qu’ils puissent résister à la guerre de Gaza ?
  36. A. —Le président al-Sissi l’a clairement dit au sommet arabe de Bagdad (2) : ces accords ne peuvent pas se substituer au processus de paix israélo-palestinien. La normalisation avec Israël ne saurait être durable tant que les droits légitimes du peuple palestinien ne sont pas reconnus et réalisés. Israël ne peut pas espérer la paix avec le monde arabe sans s’engager sérieusement en faveur d’un État palestinien indépendant.
  37. I. — L’Arabie saoudite finira-t-elle par rejoindre ces accords ?
  38. A. — C’est est une décision qui appartient à l’Arabie saoudite ; mais ce qui est sûr, c’est que l’établissement de l’État palestinien est une condition préalable à toute normalisation. Là-dessus, il y a consensus.
  39. I. — Abordons la question iranienne. Pensez-vous que la fin du régime des mollahs soit une condition nécessaire à la paix dans la région ?
  40. A. —Nous devons être prudents. L’ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain est contraire au droit international. Ce n’est pas à nous de décider du destin du peuple iranien. C’est à lui seul de le faire.
  41. I. — Certains estiment pourtant qu’un changement de régime favoriserait la stabilité régionale…
  42. A. — Ce n’est pas à nous d’en juger. L’Iran est un grand pays, riche d’une histoire et d’une civilisation millénaires. Toute évolution doit venir de l’intérieur, pas de pressions extérieures. L’ingérence ne fait qu’aggraver les tensions.
  43. I. — Et la Syrie ? Êtes-vous inquiet ou optimiste quant à la nouvelle orientation du régime ?
  44. A. — Nous conseillons aux autorités syriennes d’être prudentes, de protéger toutes les composantes de la société et d’engager un processus politique inclusif. Il faut intégrer toutes les composantes ethniques et religieuses du pays. Nous les soutenons également face aux violations répétées de leur souveraineté par Israël. Ces attaques constituent un facteur de déstabilisation majeur.
  45. I. — Que pensez-vous de l’influence turque en Syrie ?
  46. A. —Je le répète, nous sommes opposés à toute ingérence étrangère. C’est vrai pour la Syrie, le Liban, la Libye, le Soudan ou le Yémen. Les interventions extérieures aggravent toujours les conflits. Le retrait total des forces étrangères est indispensable si l’on veut rétablir la souveraineté de ces États.
  47. I. — Monsieur le Ministre, si vous pouviez redessiner la carte du Moyen-Orient selon vos propres souhaits, à quoi ressemblerait-elle sur les plans territorial, politique et militaire ?
  48. A. —Sur le plan territorial, je respecterais les frontières existantes et l’intégrité de chaque pays. La puissance militaire ne garantit ni la paix ni la stabilité : elle ne fait qu’entretenir l’illusion du pouvoir. La véritable sécurité passe par la coexistence, le respect des souverainetés et le règlement pacifique des différends.

Sur le plan politique, nous devons viser une intégration régionale — qui inclurait tout le monde —, fondée sur le respect mutuel, la non-ingérence, le refus du recours à la force et la non-prolifération.

Je citerai ici une résolution importante adoptée lors de la réunion ministérielle de la Ligue arabe au Caire, le 4 septembre dernier. Elle résulte d’une initiative conjointe de l’Égypte et de l’Arabie saoudite. Elle établit les principes communs d’une sécurité régionale durable : respect de la souveraineté, des frontières et du droit international, refus de toute intervention militaire. Tout acteur acceptant ces règles du jeu sera le bienvenu et pourra intégrer cette architecture régionale.

  1. I. — Et si certains ne les respectent pas ?
  2. A. — Ceux qui refusent de respecter ces principes ne peuvent pas faire partie de cette région. Notre avenir passe par la paix, pas par la force. Encore une fois, la puissance militaire n’assure pas la sécurité. L’impunité n’est pas viable. La stabilité repose sur la justice et sur la reconnaissance des droits des peuples, en particulier du peuple palestinien.
  3. I. — Un mot de conclusion ?
  4. A. —Oui. Nous, Arabes, sommes majoritaires dans cette région et nous en partageons l’avenir. Si Israël souhaite réellement s’y intégrer, il doit cesser d’utiliser la force, mettre fin à l’occupation et accepter la création d’un État palestinien. C’est la seule voie vers une paix durable.

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